DU CERVEAU. 5y
effectuer qu'un animal dont on a blessé et mutilé le cerveau, fût encore disposé à manifester les facultés dont les organes n'ont pas,été lésés ou détroits. La» captivité seule suffit pour réduire au silence tous les instincts de la plupart des animaux. Dans la captivité,, l'éléphant ne songe point à s'accoupler; le rossignol, au milieu même de ses amours, interrompt ses chants lorsqu'on le prive de la liberté. Il faudroit que l'on fût le maître,, en lésant ou en détruisant une partie cérébrale, de troubler uniquement les fonctions animales de cette partie, c'est-à-dire le penchant ou la faculté qui en dépend, et de n?entraver nullement les fonctions vitales du cerveau. Car, lorsqu'après une commotion, un coup de taille ou de pointe, une incision, etc., il y a inflammation, étour-dissement, paralysie, vertige, délire, manie, démence, convulsions; comment avec ce dérangement des fonctions vitales du cerveau, les fonctions animales d'une de ses parties, pourront-elles encore se manifester ? Dans de semblables expériences violentes, il faudroit détruire le même organe aussi complètement dans l'un des hémisphères que dans l'autre. Mais jusqu'ici, aucun des physiologistes qui ont entrepris ces mutilations , n'a eu égard à la circonstance que tous les organes encéphali ques sont pairs, que chaque hémisphère en contient un congénère à celui de de l'autre hémisphère. J'ai déjà montré plus haut, en traitant de l'organe de l'âme, combien on a mal jugé, de tous temps, les lésions du cerveau et les suites qui en résultent. Ces observations suffisent pour prouver que de semblables expériences, qu'en dernier lieu encore Sir E. Home a proposées- d'un ton à faire croire qu'elles étoient de son invention, ne pourront jamais conduire à la découverte des fonctions d'une partie cérébrale quelcopque,
Je ne tarderai pas à prouver que la nature nous offre un moyen bien meilleur, dans la composition différente des encéphales des diverses espèces d'animaux.
11 n'y avoit clone jusqu'ici rien de fait pour frayer le chemin à une découverte quelconque de cette nature, On ne cormoissoit aucune
1 Philosoph.Trans.for the year iSjo, Parsn. p. 469-
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S PHYSIOLOGIE
qualité' ni aucune faculté quelconque, pour laquelle il existe un organe
dans le cerveau; en d'autres termes, on ne connoissoit encore aucune
faculté ou qualité primitive,, en. tant qu'elle est une fonction de l'eu-
cépïiajfe. Quant aux organes eux-mêmes, on avoit, à la vérité, recueilli
à ce sujet quelques rêveries, mais on n'avoit pas eu une seule idée dé-
lïuite de l'observation, et justifiée par l'expérience. Je me trouvai donc
seul dans un désert,plongé dans la plus profonde ignorance, ou plutôt,
ce qui est bien pis encore, muni de connoissances fausses. Hors de moi » J
je ne trouvai partout que superstitions, préjugés, obstacles et persécu- *
lions. Mais j'avois déjà trop observé la" nature pour ne pas suivre la ï>
lueur, même incertaine, qui s'étoit offerte à mes-regards. Je vais exposer 5
à mes lecteurs les moyens à l'aide desquels je suis parvenu à découvrir les qualités et les facultés fondamentales de l'âme, ainsi que le siège de leurs organes.
Premier moyen. i
i
Souvent je disois à mes amis : indiquez-moi les forces fondamentales '
de l'âme, et je trouverai l'organe et le siège de chacune. J'ai trouvé, en
effet, bien plus de difficultés à .résoudre le premier problème que le
second. Dans ce moment encore, je connois des organes de certaines
manifestations de l'âme, qu'il m'est impossible de ramener à leur force
fondamentale; et il existe des qualités ou des facultés dont je tie suis
pas en état de dire si ce sont des forces fondamentales propres, (suige
neris) ou bien s'il faut les considérer comme des modifications d'au
tres qualités ou facultés, ou bien comme résultat de l'action de plusieurs !
forces fondamentales. ,
Dans ces recherches , l'essentiel est cependant toujours d'être à la piste de la force fondamentale, car ce n'est que pour elle qu'il existe un organe. Mai« comment la reconnoitre, cette force fondamentale ? Dans l'homme, on déduit toutes les facultés de l'entendement, et l'on ramène tous lespenchans à la volonté. L'homme est architecte, musicien, mathématicien, orateur ou poète, uniquement parce qu'il a appliqué
Dû CERVEAU. sq
son entendement à l'architecture , à"la musique , aux mathématiques, etc. Il se livre à l'amour, il prend soin de ses enfans, il fait la guerre, il tue, il vole, parce que telle on telle est sa volonté.Or, s'il en est ainsi, pourquoi admettre d'autres forces que l'intelligence et la volonté,j et pourquoi chercher des organes pour d'autres facultés que pour celles-là?
Si dès le commencement de mes recherches, mes idées avoient eu la marche que leur donna plus tard la suite même de ces recherches, j'au-rois pu trouver dans les brutes, la solution de plus d'une difficulté. Mais relativement aux animaux aussi, l'on parloit d'instincts, et l'on croyoit avoir tout dit. Quel parti prendre dans cette incertitude ? Je regardai donc comme très-incertain tout ce que l'on croyoit savoir jusque-là, parce que les idées reçues me mettoient de toutes parts en contradiction avec la nature. Je me livrai tout entier à l'observation, attendant avec patience les résultats qu'elle me fourniroit.
D'abord, je m'en tiens uniquement aux idées et aux expressions reçues dans la vie commune. J'ai pensé, de tous temps, que le langage ne fait que rendre au dehors par des sons, ce qui sepsse dans l'intérieur de l'homme ; or, l'on parle souvent de personnes qui sont musiciens nés, poêles nés, qui possèdent un talent inné pour l'architecture, etc. Ces façons de parler ne supposeroienjt-elles pas des forces fondamentales?
Ce sont les sujets doués de semblables talens, que je m'attachai d'abord à observer, pour découvrir si leur talent appartient à la nature, ou s'il est résultat de l'éducation et des connoissances acquises. Lorsque je m'étois convaincu qu'un talent distingué et bien reconnu pour tel, est surtout l'ouvrage delà nature, j'examinois la forme de la tête" de l'individu, et je l'imprimois dans ma mémoire.
J'ai dit, dans la préface du premier volume, comment je suis parvenu à reconnoitre ceux de mes condisciples qui avoient une grande facilité à apprendre par cœur. J'aurois donc dû savoir qu'il n'y a pas de faculté ou de qualité qui se prononce par la forme de la tête, toute entière. Mais le nombre d'observations que j'avois faites jusque-là, n'étoit
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point encore assez considérable pour m'éclairer suffisamment. De nouvelles erreurs manifestes, dans lesquelles je tombai, dévoient me conduire à la vérité. J'avois remarqué, accidentellement, que chez quelques musiciens célèbres, la partie supérieure du front étoit comprimée par les côtés, tandis que sa partie inférieure étoit au contraire très-large, immédiatement au-dessus des yeux, et je me dis, peut-être que cette forme triangulaire du front est le signe d'un grand talent pour la musique. Mais je ne tardai pas de rencontrer des musiciens tout aussi distingués, qui avoient la partie supérieure du front également très-large et très-bombée, et cette observation me convainquit que je n'avois point encore trouvé le caractère extérieur du talent pour la musique..Mes amis étoient très - disposés à regarder ces fronts larges dans la partie supérieure, comme une exception à la règle, qui se trou-voitpar là plutôt confirmée que contredite , mais moi, je fus plus sévère envers moi-même : élève de la nature dès ma première jeunesse, je ne pus supposer qu'il y eût en elle rien d'indéterminé et de vague. Ses lois doivent être immuables et fixes , et toute exception, portant sur ce qu'il y a d'essentiel dans le phénomène, me sembla prouver que la loi du phénomène n'étoit pas découverte. Je continuai donc mes recherches jusqu'à ce que je trouvai un caractère commun à tous les grands musiciens que j'eus lieude voir successivement, et qui se présentât constamment le même. Je multipliai mes observations autant qu'il me fut possible.
J'eusse été dans l'impossibilité de faire de semblables découvertes dans une sphère moins étendue, et dans une ville moins populeuse et moins fréquentée par les étrangers à talens, que celle où je vivois. Plus les observations isolées se multiplioient, plus il étoit probable que j'avois réussi à déterminer avec exactitude le siège de l'organe. Par bonheur , mes premières recherches Jurent dirigées sur des qualités et des facultés.qui se rencontrent assez fréquemment. Lorsqu'on poursuit ses recherches avec persévérance, lorsqu'on est assez heureux pour continuer ses observations pendant vingt, trente, quarante ans, sous les rapports les plus variés, snr des personnes instruites et sans éducation,
DU CERVEAU. 6l
sur les riches comme sur les pauvres 5 de les répéter de mille manières, chez les nations les plus différentes, et qu'on les trouve toujours confirmées; lorsqu'on a reporté ses regards dans les temps les plus reculés, et que l'on a étudié les bustes, les portraits, les gravures des hommes qui se sont immortalisés dans l'histoire par des qualités ou des facultés -dont on constate l'organe ; lorsque l'on a étudié la biographie de ces hommes, qu'on les a suivis depuis leur jeunesse, que l'on s'est instruit des moyens qui ont servi à leur développement; et que l'on n'a jamais trouvé une seule exception, jamais rencontré une seule contradiction , on peut soutenir avec assurance que l'on est sur la voie pour découvrir une vérité nouvelle.
L'on m'a fait l'objection que ce qui est vrai à Vienne, pourroit bien être faux à Paris ou à Londres. Nullement; les lois de la nature sont partout les même's. Une telle crainte ne m'a jamais arrêté ; aussi j'ai trouvé ma confiance dans l'uniformité des lois de la nature, confirmée dans tous mes voyages.
Mais je dois faire ici, aux jeunes naturalistes, une observation d'un autre genre. D'abord, l'on ne doit pas s'attendre à trouver chez tous les individus qui se croyent doués de telle qualité ou de telle faculté, l'organe qui y correspond, développé à un degré remarquable. Peu de personnes connoissent les différens degrés et la plus grande énergie possible des qualités et des facultés; celles qui ont été élevées, isolées dans la maison paternelle, les counoissent le moins. 11 faut avoir eu des occasions fréquentes de se comparer à d'autres, pour bien juger le point de l'échelle où l'on se trouve placé à cet égard soi-même. L'homme médiocre place la borne dans un point que l'homme de génie dépasse dès son entrée dans la carrière. Ce que le génie, dans sa force innée, aperçoit à peine en lui-même, paroit à la médiocrité , exagéré , fantastique , hors de nature , inconcevable , fou. On doit donc se tenir sur ses gardes, et ne choisir pour sujets de ses observations, que des hommes dont la qualité ou la faculté eminente soit bien reconnue et bien constatée par leurs faits ou par leurs productions.
02 PHYSIOLOGIE
En second lien,) et cette remarque est tout aussi juste que la première, l'on ne sera heureux dans ses recherches, que lorsque l'on choisira pour sujets de ses observations, des individus qui ne jouissent, à un très-haut degré , que d'une qualité ou d'une faculté, et qui, pour tout le reste, sont des hommes médiocres, ou même au-dessous du médiocre. Chez ces individus, l'organe marquant s'offre plus isolé, plus prononcé; et pour peu que l'on ait vu déjà une vingtaine de personnes semblables , il faudroil avoir acquis bien peu d'habitude, pour ne pas distinguer dans quelque endroit de la tête une proéminence, qui sera la même chez tous. Si au contraire l'on choisit des individus doués de plusieurs qualités ou facultés marquantes, l'on sera embarrassé, par la circonstance que leur tête offre plusieurs protubérances marquées; il y a plus, lorsque les organes des facultés ou des qualités marquantes se trouvent placés les uns près des autres, les formes prononcées de chacun en particulier, s'effacent, et il naît une proéminence collective , arrondie et bombée. Delà il arrive, qu'à l'inspection de la tête d'un homme d'un talent très-distingué, le commençant n'appercevra rien de remarquable, parce qn'il ne distingue pas de proéminence unique bien prononcée ; tandis que l'observateur exercé ne sera pas induit en erreur. Il est beaucoup plus facile de distinguer l'organe de la musique, de l'architecture, de la pçésie, chez des hommes bornés du reste, que chez ceux qui possèdent une certaine réunion de talens.
Deuxième moyen, contre-épreuve.
Rien ne m'a été plus facile que de trouver une contre-épreuve pour contrôler le siège d'un organe. J'examinai des individus qui possédoient à>un degré très-médiocre, la qualité ou la faculté qui m'occupoit, des personnes, par exemple, qui avoient non-seulement un très-foible talent pour la musique, mais même de l'antipathie pour cet art. Lorsque dans la même région, où, chez ceux qui excellent dans la musique il existe un développement considérable du cerveau, je ne trouvois pas de proéminence, mais au contraire un plan, ou même un enfoncement, lors-
Dû CERVEAU. 63
que je trouvois constamment celte conformation, cela servoit à confirmer l'idée que j'avois adoptée. L'on trouve bien plus fréquemment des sujets qui prêtent à la contre-épreuve qu'à la preuve positive, sinon par le développement presque nul des organes, du moins par leur développement peu considérable ; car les têtes médiocres sont aussi fréquentes que le génie est rare; d'ailleurs de quelques nombreux talens qu'un homme soit doué, il est toujours foible sous plusieurs rapports; et un tel sujet peut être utile tantôt pour la preuve positive, tantôt pour la contre-épreuve.
Troisième moyen.
Lorsque je découvrois à la tête d'une personne, une protubérance, marque d'un organe, je tâchois d'apprendre sons quel rapport cet individu étoit doué de quelque qualité ou de quelque faculté eminente. Mais, pour faire une pareille enquête avec succès, il faut beaucoup de prudence et d'habitude ; car, nos amis et nos ennemis jugent tout différemment de nos qualités et de nos talens. 11 y a des cas aussi où un talent ou une disposition dont nous sommes doués à un très-haut degré, n'a trouvé aucune occasion de se manifester. Plus souvent encore, et cela arrive surtout chez les gens du peuple, un individu a donné les preuves les moins équivoques dételle faculté ou de tel penchant, sans qu'il ait remarqué le moins du monde qu'il existe une différence entre lui et les autres individus de sa classe, jusqu'à ce qu'enfin le hasard l'y rende attentif.
Je me sers dans la société de plusieurs expédiens, pour apprendre à connoître les talens et les inclinations des personnes. J'engage, par exemple, la conversation sur des sujets divers. Nous laissons tomber d'ordinaire dans la conversation, tout ce qui n'a que peu ou point de rapport avec nos facultés ou nos penchans. Mais lorsque l'interlocuteur touche l'un de nos sujets favoris, nous y prenons de suite un vif intérêt; où est celui qui n'aime à déployer toute l'activité de son esprit, lorsqu'il se trouve placé dans sa sphère ?
(>4 PHYSIOLOGIE
Les occupations dont nous faisons notre état, ne prouvent rien d'ordinaire, ni pour nos facultés, ni pour nos penchans dominans. Mais celles auxquelles nous nous livrons pour nous récréer, sont presquej toujours conformes à nos talens et à nos goûts.
Lorsqu'un individu s'est livré à une -partie en dépit de tous les obstacles, et y a acquis une certaine force, il est certain qu'il a suivi sa vocation, c'est-à dire qu'il a obéi à l'impulsion de ses facultés et de ses pencbans innés,
Voulez-vous épier le caractère d'une personne, sans courir aucun i
risque de vous tromper, fût-elle même prévenue et sur ses gardes? Faites- '
là causer sur son enfance et sa première jeunesse; faites-lui raconter
ses tours d'e'colier, sa conduite envers ses parens, ses frères et sœurs,
ses camarades ; 'ses délations, l'émulation dont elle étoit animée; faites- i
luifaire l'histoire de sesliaisons d'amitié avec certains enfans, et de l'iui- t
mitié qu'elle ressentoit pour d'autres; questionnez-la sur ses jeux, etc.
Rarement on croit qu'il vaille la peine de dissimuler à cet égard; l'on
ne se doute pas que l'on a à faire à un homme qui sait parfaitement
que le fond du caractère reste le même; que les objets seuls qui nous '
intéressent changent avec l'âge et avec les relations sociales, Lorsqu'on outre je vois encore ce qu'une personne apprécie ou méprise, blâme, loue ou excuse; quels événemens l'intéressent; quelle société elle recherche; si je la vois agir, surtout dans des cas où il y a conûit d'intérêt; si elle est auteur, et que je lise son livre, etc., etc., l'homme tout entier est dévoilé à mes yeux.
Lorsqu'une fois j'ai découvert la faculté ouïe penchant dominant, je
fais usage encore des deux premiers moyens. i
Je parcours aussi les familles, les écoles, les hospices pour les orphe
lins, les enfans trouvés, les aliénés; les maisons de correction; et je
m'attaclip partout aux sujets qui se distinguent par quelque penchant i
inné; je les coinparf tous entre eux, toujours dans le but de recueillir
des faits nouveaux et des preuves à l'appui de l'existence d'une qualité
ou d'une faculté, et de son organe, i
pU CEBVEAIT, 65
Quatrième moyen.
On n'est pas dans tous les momens, également bien disposé pour découvrir ce qu'une tête a de caractéristique ; l'on n'a pas non plus à sa disposition des personnes vivantes, toutes les fois que L'on voudroit renouveler ses recherches, ou éclaircir ses doutes. Souvent il est impossible de rassembler plusieurs individus doués à un haut degré de la même faculté, afin de les comparer entre eux. Ces difficultés me déterminèrent à faire une collection considérable de plâtres. Toutes les fois que je faisois la connoissance d'une personne qui possédoit à un degré eminent une qualité ou une faculté quelconque, je moulois sa tête. Pour en avoir la formé toute entière, je rasois les cheveux, à quoi plusieurs familles se prêtèrent 4e très-bonne grâce, ou bien je rendois les contours extérieurs de la tête, en les mesurant et en les palpant. En peu d'années, je formai ainsi une collection de quatre cents plâtres d'hommes de tous les états et de toutes les classes, depuis le mendiant jusqu'au prince; de sourds-muets, d'idiots, d'enfans de tout âge, de garçons, de filles, de femmes, etc. Je mis à contribution pour cet objet, les écoles, les maisons de correction, les hospices pour les aliénés, etc. Je possédois donc des plâtres de sujets dont j'avois été à même d'ob-server les qualités et les facultés; dans le nombre, il s'en trouvoit de personnes sans la moindre éducation ? et de personnes élevées avec le plus grand soin,
Je plaçois les uns à côté des autres, tous les plâtres d'individus dans lesquels j'avois observé une qualité ou une faculté marquante. Si le signe extérieur m'en étoit déjà connu, j'observois avec soin s'il existait dans toutes ces têtes. Lorsque j'avois encore à chercher l'organe, le problême étoit, sans contredit, bien plus difficile; dans ce cas, je me dirigeois d'après "les principes suivans : Des têtes qui coïncident sous le rapport d'une qualité on d'une faculté marquante, doivent coïncider aussi par la forme du crâne, dans un certain endroit : en conséquence , je parcourpis toutes les régions de mej5 têtes, je les comparons toutes;
m. 9
66 PHYSIOLOGIE
et dès que j'appercevois une différence marquée de la forme dans la même région , j'abandonnois cette région. Il faut avoir observé soi-même, pour savoir combien de fois il est nécessaire de reprendre ces recherches, afin de parvenir à trouver ce qu'il y a de commun dans toutes ces têtes. Souvent je laissois sur ma table, pendant des mois entiers, dix et jusqu'à vingt de mes plâtres; je les examinois journellement dans diflérens mom en s, et dans les dispositions d'esprit les plus différentes, jusqu'à ce qu'enfin je fusse frappé, et quelquefois au moment où je m'y attendons le moins, de la protubérance commune à tous. Il est très-naturel qu'il eü söitainsi : aujourd'hui, on élimine tel prétendu caractère que l'on vient de reconnoitre pour faux, et demain tel autre. Ainsi, l'on se dit de jour en jour : ce n'est point ceci, ce n'est point cela, ce n'est pas ceci encore; et lorsque enfin tous les caractères reconnus faux ont été mis de côté, le véritable se présente de lui-même. Lorsque de cette manière l'on a découvert dans dix ou vingt têtes, un caractère commun, on recourt avec une nouvelle ardeur aux moyens indiqués ci-dessus. Ces plâtres de personnes vivantes sont d'un très-grand secours. Par leur moyen, on se familiarise avec toutes les formes de tête; il m'est souvent arrivé d'y découvrir des proéminences qui certainement étoient formées par le cerveau, mais que jusque-là je n'avois jamais aperçues, et dans le moment même, je commencois à les étudier pour découvrir leur signification.
Cinquième moyen.
Comme dans mes recherches je n'avois pas pour but la cranioscopïe, mais la découverte des fonctions des parties intégrantes du cerveau, je devois m'attacher à connoître exactement, tant le siège que la forme de chaque organe : or, dans les têtes des sujets vivans, les muscles, la peau et les cheveux sont quelquefois tellement épais, qu'il devient très-difficile de juger avec précision des protubérances du crâne. Quelques régions telles que la base, par exemple, ne sont pas susceptibles d'être ni vues ni talées.
DU CEE VE.\U. 67
Cela me mit dans la nécessité de faire une collection de crânes; mais comment m'en procurer? C'est une entreprise par laquelle on revolle tout le monde. Supposé même que l'on puisse s'en procurer quelques-uns dans les hôpitaux, dans les hospices pour les aliénés , dans les maisons de correction : il sera bien rare, au moins, que Ton puisse avoir des renseignemens exacts sur la biographie des sujets; et combien rarement ne trouve-t-on pas des médecins assez complaisans pour favoriser activement un genre de recherches, auquel la plupart d'entre eux n'attachent aucun prix? Avec de la persévérance, et graces' aux facilités que me procura un ministre éclairé , je parvins cependant à former une collection de crânes d'hommes très-remarquables. Plusieurs personnes dont j'avois moulé la tête, moururent; je comparai leur crâne avec le plâtre moulé sur la tête vivante, et je rectifiai mes idées sur la place et la forme des organes, tant dans le cerveau que dans le crâne. En même temps, j'observai quelle différence a lieu dans la forme des organes du sujet vivant au sujet mort. Celte collection, enfin, fut l'occasion des recherches nombreuses que je fis sur les cerveaux des idiots, des personnes en démence et des maniaques, enfin de sujets attaqués de maladies mentales de toute espèce, recherches qui me conduisirent à faire des découvertes inappréciables sur ce genre de ma' ladies. C'est ainsi que ma collection de crânes, qui n'est qu'un épouvantai! anxyeux du vulgaire, devint la source des découvertes les plus utiles et les plus impor antes.
Probablement, que de long-temps, aucun naturaliste ne rassemblera une collection aussi riche que la mienne. Car l'organologie même donne peu d'espoir que les hommes parviennent jamais à vaincre les difficultés sans nombre que rencontre une semblable entreprise, Mais ceci ne doit décourager personne ; une collection de plâtres , faite avec, discernement, peut suffire. Que l'on rase les cheveux du cadavre , et que l'on verse du plâtre sur toute la tête, de manière à former un creux perdu de deux ou trois pièces, et l'on obtiendra le masque le plus fidèle. Beaucoup de familles se prêtent volontiers à cette opération, et cela d'autant plus, que c'est le moyen le plus infaillible de transmettre à la
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postérité un buste parfaitement ressemblant du défunt. Si nos ancêtres «voient moulé ainsi la tête de tant de grands hommes, quel trésor pour l'observateur philosophe ils nous eussent transmis ' !
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