Contre l’école, outil de cette politique
Claude Duneton en veut à l’école d’avoir été le vecteur de ce colonialisme linguistique unificateur. Elle a puni des enfants, elle a imposé une normalisation appauvrissante qui, conjointement, travestit la réalité, qui en donne une image socialement fausse.
Dans La chienne de ma vie (2007, 17-18), il se moque du caractère romantique farfelu des énoncés scolaires, en contradiction totale avec la dure réalité de la vie des paysans :
À l’école, il fallait écrire : “ L’attelage avançait d’un pas lent et majestueux ”, c’était joli. » Mais en réalité : « Les vaches attelées, il fallait les battre à coups d’aiguillade sur le dos pour les faire marcher, en criant très fort “ Ha ! Ha ! ” »
Il critiquait de même la fenaison de Madame de Sévigné dans Parler croquant (66-67). Se sentant trahi, il n’a pas non plus de mots assez durs pour les héros artificiels qu’on veut lui donner, « Fabrice du Dingo » et « La comtesse Machin » (Korsör, 101) : « on m’a raconté des mensonges, sous prétexte que j’étais jeune et sans moyen de m’informer ». De même, dans un de ses romans (Marguerite devant les pourceaux, 1991), Marguerite, victime du système scolaire, réfugiée dans le silence et la violence, ne peut faire valoir ses qualités et ses compétences professionnelles et atteindre le succès qu’en dehors de l’école et même de son pays.
Alors, comment imposer soi-même un enseignement idéologiquement inconvenant, irrespectueux de la population ? Claude Duneton a enseigné pendant vingt ans tout de même, mais a affiché fortement ses motifs d’insatisfaction et plaidé ainsi pour une évolution du système. Un combat, donc, également. Il n’était pas homme à se retirer sur la pointe de pieds.
C’est donc Je suis comme une truie qui doute (1976), l’Anti-manuel de français à l’usage des classes du second degré (1978) (avec Jean-Pierre Pagliano), qui dénonce la norme littéraire et linguistique et la censure des documents proposés aux élèves, et enfin À hurler le soir au fond des collèges. L’enseigne-ment de la langue française (1984) (avec Frédéric Pagès). Laissons aux revues de didactique cette occasion de qualifier plus longuement son engagement énergique dans ce domaine.
Le peuple, dépouillé de sa langue, a perdu son identité et ne peut plus se défendre (Korsör, 112). « Le pauvre, dépouillé de sa voix, sans réplique, sans mots — sans argot, donc sans haine… Et forcément les restos du cœur » (108), pendant que les écrivains commerciaux répandent une langue aseptisée (110).
Les « intellectuels » ne sont pas en reste, qui méprisent le peuple et sa langue. L’épisode ancien, rapporté également dans Bal à Korsör (73-75), de la rencontre de Duneton avec le philosophe Gabriel Marcel est représentatif de cette attitude :
Il riait de sa trouvaille critique, bien à l’aise : “ C’est cela : Céline sent l’ail. Et je n’aime pas l’ail ! ”... C’était tranché : il m’expliquait, en clair, le philosophe, que Céline suintait de langage populaire affreux et qu’il avait, lui, horreur du populo, personnellement ! Il me disait, en gros, à moi, dans les yeux, bien carrément : “ Je te méprise ! ”... Je souriais. Il faut sourire... Vous n’allez pas prendre un si vieux mec au colback, dans un jardin ami, parmi les fleurs très odorantes, les abeilles vaillantes qui susurrent des mélodies aux murs de pierre... J’ai dit : “ Je comprends, monsieur ”... Serviteur et maître. Je saisissais, en effet.
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