Jean-Claude Risset
Claude Cadoz
Hugues Dufourt
Annie Luciani
Introduction
Claude Cadoz
La mutation technologique transforme l'ensemble des relations que l'homme entretient avec son environnement, qu'il s'agisse des interactions matŽrielles ou des relations communicationnelles. L'Žmancipation de l'information par rapport ˆ l'Žnergie et la matire est cependant l'Žvolution la plus spectaculaire de la deuxime moitiŽ de ce sicle. Les vingt dernires annŽes ont vu na”tre deux phŽnomnes fondamentaux :
- le multimŽdia et ce que l'on pourrait appeler une gŽnŽralisation de la reprŽsentation iconique0,
- le dŽveloppement de la communication mŽdiatisŽe et le tissage du rŽseau d'intercommunication numŽrique planŽtaire.
Gr‰ce aux technologies numŽriques et ˆ l'ordinateur il est possible aujourd'hui de dŽvelopper, en accompagnement des traitements symboliques les plus ŽlaborŽs, des reprŽsentations qui s'adressent immŽdiatement ˆ nos sens et se prtent directement ˆ nos manipulations. Ces reprŽsentations iconiques gŽnŽralisŽes instaurent des images "intŽgrales" : dynamiques, multisensorielles (visibles, audibles, palpables) et avec lesquelles le sujet humain peut interagir selon ses modalitŽs naturelles.
A travers ces reprŽsentations, l'homme peut tre en relation avec ses semblables, avec son environnement matŽriel ou avec tout type d'informations constituŽes en systmes et bases de donnŽes.
Le rŽseau ajoute ˆ cette intŽgralitŽ multisensorielle et sensori-motrice, l'extension spatiale et temporelle.
Il convient de ne pas perdre de vue que l'aspect rŽseau, aujourd'hui prŽdominant dans les esprits, est indissociable d'un autre dŽveloppement spectaculaire : le dŽveloppement massif de la mŽmoire physique. Des quantitŽs astronomiques de donnŽes sont stockŽes ou viennent s'ajouter chaque seconde aux banques de donnŽes de la plante, rŽparties dans des organismes de toutes natures, militaires, publics, privŽs, collectifs ou individuels. Les technologies de la mŽmoire donnent ˆ la connaissance humaine une extension temporelle duale de son extension spatiale par le rŽseau. Ce qui les caractŽrise l'une et l'autre est un changement d'Žchelle radical.
Il faut toutefois garder ˆ l'esprit deux faits importants :
1) Toutes les connaissances tendent ˆ devenir numŽriques. Le numŽrique pousse jusqu'ˆ un stade ultime la "coupure ŽpistŽmique", c'est-ˆ-dire le fait qu'en dessous d'un certain niveau de dŽcomposition, l'ŽlŽment de reprŽsentation ne porte aucun ancrage signifiant dans le rŽel : il est pure convention. Avant l'avnement des nouvelles technologies numŽriques, ce n'Žtait pas le cas de nombreux objets supports de connaissance: un tableau de ma”tre ou un violon de grand luthier sont des "objets-individus", dont l'unicitŽ est absolue (quelle que soit l'habiletŽ des contrefacteurs) et dont l'information tient dans la relation des ŽlŽments qui y sont prŽsents mais Žgalement dans la matire mme qui les constitue, soumise elle-mme ˆ un processus d'Žvolution historique singulier.
Il est alors important d'identifier les consŽquences de la numŽrisation ˆ grande Žchelle, tout en Žtudiant non seulement comment les objets "rŽels" et les objets "numŽriques" (virtuels) doivent coexister, mais comment l'aller-retour des uns aux autres doit s'Žlaborer.
2) Les extensions spatiales et temporelles sont soumises ˆ des contraintes. On ne sait pas encore garantir la pŽrennitŽ des nouveaux supports d'information au delˆ de durŽes qui sont faibles comparŽes ˆ celle du papier lui-mme0. La conservation de l'information est soumise ˆ deux autres contingences : la pŽrennitŽ des systmes de lecture et la connaissance des codages sous lesquels l'information est conservŽe.
Le franchissement de l'espace est accompli en majeure partie par des ondes ŽlectromagnŽtiques radio, qui se substituent au son, ˆ la lumire visible, aux dŽplacements et vibrations mŽcaniques, vecteurs naturels pour l'homme dans son environnement immŽdiat. Leur vitesse n'est pas infinie, on le sait bien. Par ailleurs, les canaux de communication doivent tre spŽcialement construits, ce qui les rends tributaires de conditions ˆ la fois technologiques, Žconomiques et politiques.
Enfin, les limites sont Žgalement humaines. Le systme biologique humain, dans ses fonctions vŽgŽtatives, mŽcaniques, motrices, sensorielles ou cognitives, possde non seulement sa richesse et sa complexitŽ, mais ses Žquilibres et ses spŽcificitŽs. La prise de connaissance par le sens du toucher, par exemple, suppose certaines conditions de taille et de gŽomŽtrie des objets ainsi que, dans certains cas, une dŽpense ŽnergŽtique musculaire en dessous de laquelle l'information pour le systme nerveux central perd sa consistance0. Le corps humain pose des relations entre l'espace, le temps et l'Žnergie qui ne se prŽsentent dans ces "proportions-lˆ" qu'ˆ son Žchelle. ImmergŽ dans le "cyberspace", l'homme continue d'exiger biologiquement et anatomiquement certaines spŽcificitŽs de son espace naturel. Le rŽseau installe un nouvel espace dans lequel l'homme, s'il veut l'habiter, doit pouvoir retraduire son espace antŽrieur.
L'art joue un r™le privilŽgiŽ pour l'exploration de ces circonstances nouvelles. Ce n'est pas seulement une fonction dans laquelle il peut se rendre utile, c'est le r™le d'Žclaireur qui lui Žchoit. Il en dŽcoule un certain nombre d'axes de recherches nŽcessaires.
Nous Žvoquons tout d'abord quelques aspects gŽnŽraux indŽpendants des formes d'art. La musique et les arts visuels sont considŽrŽs ensuite sŽparŽment, bien que plusieurs aspects leur soient communs. Nous abordons alors plus particulirement les nouvelles formes artistiques intŽgrant les diffŽrents mŽdias et les rŽseaux. Enfin, quelques applications extra-artistiques de la recherche AST sont ŽvoquŽes.
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