REPƒRAGE DES RESSOURCES Arts Visuels et Synthse d'Images
Annie Luciani
PrŽambule
Du point de vue des sciences mathŽmatiques, physiques et de l'ingŽnieur, l'image numŽrique se structure historiquement, institutionnellement et thŽmatiquement, en analyse et synthse.
L'analyse d'images est en filiation directe du traitement du signal. Dans la communautŽ scientifique, l'analyse et le traitement des signaux, et parmi eux l'analyse et le traitement de l'image, est un domaine puissant et structurŽ avec de forts liens avec l'industrie et les grands programmes scientifiques nationaux. De ce fait, l'analyse numŽrique de l'image se situe majoritairement dans le domaine du traitement du signal et des tŽlŽcommunications, en continuitŽ de cette origine.
A l'inverse, mme si le convertisseur numŽrique-analogique a dž tre un composant fondamental permettant ˆ la synthse de l'image de na”tre, la synthse de l'image est plut™t nŽe dans le domaine de l'informatique.
Contrairement au domaine de la synthse du son pour lequel, mises ˆ part la composition assistŽe par ordinateur, on peut dire que la synthse a ŽtŽ et reste encore trs fortement liŽe au traitement du signal et ˆ l'acoustique (cf. le DEA ATIAM), l'image de synthse est nŽe et se trouve encore dans le domaine de l'informatique. Cela explique que depuis ces origines jusqu'ˆ aujourd'hui, les liens avec les sciences formelles ont ŽtŽ davantage dŽveloppŽs que les liens avec la physique et le traitement du signal.
Cela aura de fortes incidences sur le paysage actuel et ses mutations.
En particulier, si dans le domaine du son, il a existŽ une "musique Žlectronique" par le biais des "synthŽtiseurs Žlectroniques" accessibles ˆ nombre de musiciens, ˆ l'inverse, dans le cas de l'image Žlectronique0, les tentatives de rŽalisation et d'utilisation de synthŽtiseurs vidŽo n'ont gure eu de succs. Les non-informaticiens ont dž attendre que les machines informatiques leur soient accessibles pour Žmettre des vellŽitŽs de dŽveloppement technologique, surtout en matire de logiciels. En synthse d'image, il y a donc un cožt d'entrŽe ˆ la technologie, minimal mais d'importance historique, que d'autres domaines (tels que la synthse de son ou l'analyse d'images, davantage liŽes ˆ l'Žlectronique qu'ˆ l'informatique) ont moins ressenti (en termes financier et de savoir-faire mais aussi en termes de dŽlai).
-> Nous distinguerons donc entre analyse et synthse mme si aujourd'hui une autre manire de procŽder commence ˆ tre ˆ l'Ïuvre, comme par exemple dans les effets spŽciaux.
La synthse de l'image
On regroupe sous l'appellation "synthse de l'image" tous les procŽdŽs numŽriques permettant de produire des images par calcul numŽrique et sans captation optique.
Nous avons vu que la musique Žlectronique est nŽe dans une implication forte avec la radiophonie et l'Žlectronique, ce qui lui a donnŽ d'emblŽe une base et des prŽoccupations technologiques.
Un autre point fort qui explique l'intŽrt de la crŽation musicale aux technologies de son Žpoque est la notion d'instrument. Les musiciens ont rŽclamŽ de tous temps de nouveaux instruments. La situation est diffŽrente dans l'image pour laquelle deux des aspects essentiels, lumire et mouvement, n'ont fait l'objet de dŽveloppements technologiques que beaucoup plus rŽcemment : le mouvement avec la naissance des automates mŽcaniques de Vaucanson et la lumire avec l'invention de la photographie, les deux inventions se trouvant rŽunies dans le cinŽma. PrŽcŽdemment, la technologie se rapportait surtout aux supports et marqueurs d'une part et matŽriaux (colorants, pigments et liants) d'autre part.
Cela explique que pour l'Žpoque contemporaine, les musiciens ont demandŽ et rŽalisŽ de nouveaux instruments Žlectroniques comme des synthŽtiseurs de sons par exemple, qui ont ŽtŽ soit gŽnŽraux et susceptibles d'tre rŽpandus et commercialisŽs, soit dŽdiŽs ˆ une personne ou une crŽation.
En rŽsumŽ, on peut constater que la radiophonie a 20 ans d'avance sur la tŽlŽvision et que l'IRCAM a ŽtŽ crŽŽ environ une dizaine d'annŽes avant la lancŽe d'un Plan Recherche Image en France.
Plusieurs axes doivent tre pris en compte qui auront une grande incidence sur l'appropriation de l'image de synthse par les milieux non technologiques diffŽrents de ceux qui la dŽveloppent :
1. la gŽnŽration de la forme
2. la gŽnŽration du mouvement
3. la gŽnŽration de la rŽaction ˆ la lumire
4. la composition d'images
5. l'interactivitŽ
I. Historique scientifique
I.1. La phase "pionnier" : graphique interactif et couleur - milieux des annŽes 60 - 70
Les premires expŽriences de I.E. Sutherland (Lincoln lab.) dans les annŽes 1960 permettaient pour la premire fois d'afficher et dŽplacer avec le doigt sur un Žcran un dessin au trait gŽnŽrŽ par calcul. Elles ont ŽtŽ poursuivies en France dans les annŽes 1970 par Michel Lucas de l'IMAG ˆ Grenoble (1re thse franaise de 3me cycle : Lucas 1968).
Paralllement, l'Žquipe de HervŽ Huitric et Monique Nahas ˆ l'universitŽ de Vincennes, s'attachait ˆ la reprŽsentation de plans colorŽs en faisant calculer ˆ l'ordinateur les couleurs de tous les pixels de l'image, produisant des sortes de tapisseries ou de mosa•ques colorŽes.
L'Office National du Film Canadien acquiert un ordinateur PDP et rŽalise "La Faim" de Peter Foldes en 1974.
CrŽation du SIGGRAPH, Special Group of Interest on Graphics of ACM, en 1975
En juin 1975, s'est tenu ˆ Bowling Green dans l'Ohio "the Second annual Conference on Computer Graphics and Interactive Techniques", June 1975, le premier colloque ayant ŽtŽ un colloque de prŽparation pour la crŽation du groupe en 1972.
Le nombre de rŽfŽrences ˆ cette confŽrence est passŽ de environ 40 en 1975 ˆ environ 250 en 1997. La confŽrence comprend essentiellement des cours, des prŽsentations de papiers scientifiques, un "art show", un "Computer Graphics Theater" et une exposition de matŽriels et de logiciels. Ds 1979, la confŽrence scientifique s'est doublŽe d'un "film et video show" dont une sŽlection fait l'objet d'une publication annuelle sous forme de bandes vidŽo puis depuis 1996 sous forme de cŽdŽroms. Dans les cours associŽs ˆ cette confŽrence de 1989, la formation en direction des artistes a toujours ŽtŽ prŽsente : ˆ titre d'exemple, en 1989, sur les 30 cours deux s'adressait aux artistes "Artist' and Designers" : "Introduction in Computer Graphics et "Experimental Computer Art". Dans le "Computer Graphics Theater" sont prŽsentŽs des applications de point de l'image de synthse en particulier dans le domaine des installations interactives et de la production audio-visuelle.
I.2. La bataille des standards : Fin des annŽes 70 - dŽbut des annŽes 80
Cette premire phase est suivie de toute une activitŽ visant ˆ Žlaborer des standards pour l'industrie des matŽriels et des logiciels graphiques, activitŽ qui a conduit en 1978 ˆ l'Žlaboration d'une norme ISO.
Cette Žtape a bouleversŽ considŽrablement le paysage scientifique et industriel en matire de synthse d'images. Le domaine Žtait dominŽ par Hewlett-Packard et Tektronix et la technologie de base pour la visualisation Žtait celle des Žcrans ˆ balayage dit "cavalier", similaire ˆ celle des outils de dessins (tables traantes). La technologie des Žcrans dits "raster" (ˆ balayage de type vidŽo) Žtait prte. Paradoxalement, cette question qui paraissait a priori secondaire ˆ l'Žpoque, mais qui prend toute son importance aujourd'hui, fut le dŽclencheur du basculement : celle du statut du "geste graphique" et des outils d'entrŽe dans les logiciels graphiques dits "de base".
La gestion du "geste graphique" et des outils d'entrŽe (light pen, tablette graphique) devait-elle tre interne au logiciel graphique de base ou devait-elle tre laissŽe ˆ l'application ?
Deux projets se sont affrontŽs : le projet amŽricain CORE (noyau) et le projet allemand GKS (Graphic Kernel System). La France a activement participŽ ˆ ces travaux de standardisation et a Žmis une proposition de normalisation. MalgrŽ la clairvoyance des pionniers franais en matire d'importance de la notion d'interactivitŽ (cf les Workshops IFIP, Seillac I "Methodology in Computer Graphics", et Seillac II "Methodology of Interaction" en mai 1976 et mai 1979, organisŽs en France par R.A. Guedj), la proposition de la France n'a pas ŽtŽ acceptŽe.
Aprs plusieurs anŽes de discussion, la norme adoptŽe vers 1982 par l'ISO (International Standard Organisation) fut celle proposŽe par les allemands, leur permettant la mise en place du puissant laboratoire de recherche de Darmstadt par J. Encarnaao.
Mais les grands gagnants de la bataille des standard furent, par ricochet, les industriels des Žcrans ˆ balayage vidŽo.
En effet, la rŽsistance des grands industriels de la visualisation scientifique (Hewlett-Packard et Tektronix) ˆ l'intŽgration du geste graphique dans le logiciel graphique de base a eu comme consŽquence :
• la perte pour eux de la bataille de standard en matire de structure des logiciels graphiques,
• la perte pour eux du marchŽ des terminaux graphiques dans le domaine de la synthse d'image et leur repli dans leur secteur d'origine de la mŽtrologie,
•la montŽe de la jeune industrie des Žcrans raster (1980) intŽgrŽs dans le nouveau standard,
• la naissance au niveau industriel d'un secteur nouveau, appelŽ l'infographie (machines et logiciels). (dŽp™t du terme en 1974 par la sociŽtŽ BENSON).
Note
En 1979, l'Office National du Film Canadien embauche Daniel Langlois, qui rend en charge l'informatique, participe ˆ la rŽalisation des logiciels pour le film Tony de Peltrie en 1985 et crŽe dans la foulŽe la sociŽtŽ Softimage.
I.3. La naissance du Centre Mondial de l'Informatique en France et du Media Lab aux USA
Bien que dŽpassant largement le domaine de la synthse de l'image, un autre point clŽ en ARTS et SCIENCE dont il faut faire Žtat, fut la crŽation du Media Laboratory au MIT (Massachusetts Institute of Technology).
Dans les annŽes 1970 ˆ 1980, un laboratoire du MIT, l'Architecture Machine Group, Žtait particulirement actif en matire de conception de machines informatiques nouvelles et en particulier en terme de ce qui allait donner dans les annŽes 1990, le domaine des RŽalitŽs Virtuelles.
FondŽ en 1968 par Nicholas Negroponte, futur directeur du Centre mondial de l'Informatique en France et futur directeur du Media Lab du MIT, son objectif premier Žtait de pousser plus loin l'un des axes prŽconisŽ par Sutherland, celui de l'interaction homme-machine. Les premires recherches approfondies sur l'interactivitŽ gestuelle y furent initialisŽes, avec la commande tactile directe sur des Žcrans par capteurs de forces, le dŽveloppement du futur DataGlove, vulgarisŽ en 1983 par Jaron Lanier et la tentative de rŽalisation de systmes ˆ retour d'effort et en particulier d'un Data Glove ˆ retour d'effort qui n'a rŽellement jamais vu le jour.
En 1981-1982, ceux qui deviendront les fondateurs du Media Lab, Nicholas Negroponte (Architecture Machine Group du MIT), Seymour Papert (Artificial Intelligence lab du MIT) et Marvin Minsky (Artificial Intelligence Lab. du MIT) sont invitŽs en France par Jean-Jacques Servan-Schreiber pour fonder le Centre Mondial de l'Informatique. Celui-ci fut en fait une prŽfiguration du futur Media Lab.
L'arrt du projet du Centre Mondial de l'Informatique deux ans aprs sa lancŽe a ramenŽ ces dirigeants au MIT au sein du tout nouveau Media Lab.
I.4. L'explosion de la synthse d'images - milieu des annŽes 80
MalgrŽ la rŽussite de l'Allemagne en ce qui concerne le standard des logiciels graphiques, cela profite surtout ˆ la technologie hardware des Žcrans et par voie de consŽquence aux USA qui auront une place assez hŽgŽmonique jusqu'au dŽbut des annŽes 1990.
Pour la France, la phase pionnire se termine mal. Les chercheurs se replient dans les laboratoires universitaires et les relations nationales et internationales diminuent, faute de crŽdits et de stimulation. Le groupe de travail AFCET, fondŽ en 1972, qui a fait vivre et a stimulŽ la premire phase, malgrŽ le petit nombre d'individus impliquŽs dans l'informatique graphique dispara”t, sans pouvoir tre vraiment remplacŽ. La synthse d'images est dŽvalorisŽe et n'a pas statut de lieu de recherche ˆ part entire. Les recherches en informatique graphique sont peu considŽrŽes dans les laboratoires d'informatique. La synthse d'images a peu de puissance dans les GDR Traitement des Signaux et des Images (TSI). Quelques tentatives de crŽer des colloques nationaux (3 colloques organisŽs par le CESTA 1984-86-87, 2 colloques PIXIM 1988-89) pour maintenir la cohŽsion nationale ont eu lieu qui Žchouent assez vite et ne pŽrennisent pas l'activitŽ ainsi que des tentatives pour crŽer des structures de regroupement de forces nationales (ACM SIGGRAPH France).
Au niveau europŽen, la crŽation de la sociŽtŽ savante EUROGRAPHICS en 1980 et de son colloque annuel ne suffit pas ˆ dynamiser la recherche franaise, ni mme la recherche europŽenne dans son ensemble, majoritairement tournŽe vers les USA. Par ailleurs, le colloque EUROGRAPHICS n'a pas l'ouverture, ni le dynamisme de la ConfŽrence SIGGRAPH, en particulier en matire artistique. Dans ce domaine, mme si on note la prŽsence d'un "film et vidŽo show", leur signification n'est pas la mme : il s'agit plus de soirŽes de divertissement que de lieux de prŽsentation de vŽritables produits d'art expŽrimental.
La crŽation du Forum IMAGINA en 1981 cherche ˆ pallier l'absence de l'infographie en France dans les industries de services audiovisuels pourtant trs demanderesses. CouplŽ au Festival de TŽlŽvision de Monte-Carlo, le Forum des Nouvelles Images de Monte-Carlo, crŽŽ et organisŽ par l'INA avec Philippe QuŽau, se veut une vitrine "en temps" des innovations scientifiques conceptuelles et technologiques en matire d'images de synthse et "en anticipation" des besoins de l'audiovisuel. Le Forum des Nouvelles Images a probablement jouŽ un r™le plus dynamisant pour l'infographie franaise que le colloque Eurographics en Europe.
La majoritŽ des universitŽs pratiquent ds lors des recherches en Informatique Graphique et on assiste ˆ une flambŽe de crŽation d'entreprises aux USA en particulier.
• SociŽtŽs (avant 1985)
- Robert Abel and Associates et Abel Image Research (Production Robert Abel, Los Angeles, faillite en 1987)
- Alias Research (crŽŽ en 1983) - en France depuis 1990
- Wavefront
- Pacific Data Image
- Lucasfilm Ltd
- Pixar
- Cranston-Csuri Productions
- Silicon Graphics
- Digital Productions
- Digital Effects
- Images Transfert
- Magi Synthavision
...
-> Mais nombre de ces sociŽtŽs font faillite aprs 1985 (Cranston-Csuri Productions, Abel Image Research, Digital Effects...). Il est probable que le dŽmarrage Žtait trop prŽcoce et que l'amplitude du marchŽ ait ŽtŽ surestimŽe.
• Art et Culture
Beaucoup de films (ˆ scŽnario, publicitaires...)
- Vol de Rve (1982) (court mŽtrage canadien de Daniel et Nadia Thalmann, fondateurs des laboratoires suisses (ˆ l'EPFL et ˆ Genve)
- Vol libre (1982)
- Humanonon (1982)
- Tron (1982)
- Tony de Peltry (1985)
-...
Une autre activitŽ qui deviendra un p™le important se crŽe Žgalement en Suisse ˆ cette Žpoque : il s'agit de l'implantation de Daniel Thalmann et Nadia Magnenat-Thalmann en Suisse, le premier ˆ l'EPFL, la seconde ˆ l'universitŽ de Genve. Outre le fait qu'ils constituent actuellement une force mondiale importante en informatique graphique, le point le plus important ˆ noter est leur orientation explicite et dŽclarŽe en production cinŽmatographique et audiovisuelle. Sous toutes rŽserves, mis ˆ part les travaux en informatique menŽs ˆ l'Office National du Film Canadien et ˆ l'ACROE en France, c'est le seul laboratoire hors USA et Japon qui se revendique comme travaillant pour le cinŽma et non pour la science en gŽnŽral.
Un autre fait d'importance est la crŽation ˆ la fin des annŽes 70 de la sociŽtŽ LucasFilm, qui recrute les meilleurs chercheurs en informatique musicale (Andy Moorer, John Snell, Curtis Abbott...) et en informatique graphique (Bill Reeves...) et qui, en plus d'introduire le montage virtuel sur des productions cinŽmatographique ˆ gros budget (avec vocation ˆ rapatrier toute l'activitŽ de montage cinŽmatographique mondiale concurrentiellement avec les studios d'Hollywood), introduit la synthse de sons et d'images dans le montage pour compenser des raccords(opŽrations cožteuses en cinŽma) ou pour rajouter des effets. Cela a pour consŽquence plus tard de changer la prise de vue elle-mme sur les films de grande ŽpopŽe (Star Trek...). L'activitŽ de recherche ˆ long terme prŽvue a pris fin dans les annŽes 80 en raison de problmes financiers personnels du financeur, George Lucas.
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