REPƒRAGE DES RESSOURCES De l'analyse ˆ la synthse de l'image De la forme au geste
Patrick Callet
Ce texte aborde dans une premire partie les champs disciplinaires et les technologies en Žmergence situŽes ˆ l'articulation de l'analyse et de la synthse de l'image, puis, dans une seconde partie, les aspects spŽcifiques relatifs ˆ la complexitŽ de la capture du mouvement et de sa reproduction. Outre les aspects historiques brivement ŽvoquŽs, les enjeux scientifiques tant pour les sciences humaines que pour les sciences exactes ou appliquŽes sont pointŽs en mme temps que les applications industrielles.
"On pourrait de mme Žvoquer ici la question des effets spŽciaux car c'est un trs bon objet pour penser la diffŽrence propre de l'artistique et les confusions qui s'organisent aujourd'hui autour des performances Žtonnantes, spectaculaires dont sont de plus en plus capables les machines. Un effet a beau tre trs spŽcial, trs fort, nous mouvoir dans tous les sens (en quoi il est de l'esthŽtique en acte), mobiliser tous nos affects, il n'est pas pour cela artistique. La forme artistique peut ne causer que peu d'effets immŽdiats, crŽer un minimum d'Žmotion "sur le coup" (au point de passer pour une forme insignifiante, sans intŽrt pour un regard ou une Žcoute pressŽs d'en finir), elle n'en est pas moins artistique. Ce n'est pas une question directement quantitative, mais une question qualitative : jusqu'o la forme est-elle capable d'aller et de nous faire aller, de perdurer en nous (la petite musique de Swann), de dilater nos frontires "naturelles" crŽŽes par toutes les normes et les rgles du sens commun au point de nous enfermer dans une nature quasi immuable? La forme artistique dŽpose en nous des ŽlŽments de dynamittage, de subversion, de perversion... et requiert donc de la part de l'auteur (en quoi il est justement un auteur et pas n'importe qui) une puissance d'ouverture, de multiplicitŽ que seul un long et dur travail sur soi et sur le monde rend possible. "
Alain Renaud, " Le visible et l'imaginaire numŽrique ", extrait de l'EsthŽtique des arts mŽdiatiques, tome 2
Forme et couleur - un problme d'apparence
Les technologies 3D englobent les technologies 2D, ou tentent de le faire tant du c™tŽ des capteurs que du c™tŽ des machines de restitution. Les capteurs 3D (forme, couleur, mouvement) devraient, selon nous, Žvoluer vers des systmes qui rendent exploitables les donnŽes archivŽes ; ils ne semblent pas cependant avoir ŽtŽ conus avec cette perspective comme des outils au service des arts ou du patrimoine.
Les machines de saisie de forme ou couleur, dans les arts visuels comme le cinŽma ou la vidŽo, sont trs dŽdiŽes ˆ leurs applications propres. Elles ne peuvent tre utilisŽes convenablement dans des actions culturelles impliquant le patrimoine ou la connaissance scientifique, en gŽnŽral, des Ïuvres d'art du passŽ. Le lien avec les bases de donnŽes textuelles de diffŽrents niveaux doit appara”tre afin que les lectures puissent se faire ˆ l'aide des outils interactifs trs facilement et sur plusieurs niveaux d'utilisation (grand public, scolaires, Žtudiants, conservateurs, historiens de l'art ou restaurateurs, etc.).
Cela implique Žgalement diffŽrents niveaux de qualitŽ d'images ˆ mettre en relation hiŽrarchique. Ce secteur, qui concerne au premier chef l'activitŽ multimŽdia, est nourri par des bases de donnŽes 3D d'Ïuvres d'art. Le visiteur virtuel de ces musŽes numŽriques s'accoutumera ˆ ces images 3D sommaires comme il s'est accoutumŽ aux imagettes des catalogues. Nous imaginons que les musŽes devront s'Žquiper de gros centres de gestion des bases de donnŽes 2D et 3D d'objets d'art. Des calculateurs, fonctionnant sur requte (paiement diffŽrenciŽ par exemple) pourraient fournir des images des Ïuvres aux visiteurs virtuels, dans des dŽcors virtuels mais avec des possibilitŽs de manipulation des paramtres 3D dŽfinissant la scne virtuelle ˆ calculer (point de vue, Žclairage, notamment). De ce fait, l'Ïuvre ne souffrant pas la mŽdiocritŽ de ses reprŽsentations, l'obligation de qualitŽ appara”t ˆ la fois pour les modles de calcul des comportements optiques de matŽriaux et pour les capteurs les plus pertinents permettant de reconstituer les fonctions mathŽmatiques nŽcessaires ˆ la reprŽsentation des objets dans toutes les relations d'observation et d'Žclairage souhaitŽes. Mais cela ne peut suffire puisque ne servant qu'ˆ " recopier la rŽalitŽ ".
L'Žtude gŽnŽrale du problme du vieillissement de la matire et de l'aspect optique, utile pour la restauration virtuelle et la dŽcision collective ˆ partir d'images numŽriques de synthse commence ˆ peine. Ces problmes sont liŽs ˆ la connaissance du comportement optique des matŽriaux. Restituer l'aspect des laitons gaulois, aujourd'hui corrodŽs ou patinŽs, est envisageable sur la base des formulations mŽtallurgiques des alliages, mais ce domaine n'est pas encore suffisamment avancŽ. Le dŽvernissage virtuel et la relation entre les reprŽsentations trichromatiques et les reprŽsentations spectrales constituent des champs d'applications techno-scientifiques importants, surtout parce qu'ils permettront d'exploiter scientifiquement les images dŽjˆ numŽrisŽes (en RVB) et ainsi assurer la relation " couleur-matire " qui nous fait tant dŽfaut aujourd'hui. En architecture, la reprŽsentation des ŽlŽments d'ornementation et la grammaire des styles associŽs couvre des enjeux algorithmiques au fort potentiel de crŽation actuel. Il y a, lˆ aussi, un gisement important pour des applications en visualisation de produits industriels ou simplement pour la confection de dŽcors ou d'espaces scŽniques devant s'intŽgrer dans des sŽquences filmŽes.
Des savoir-faire traditionnels en ornementation tels qu'illustrŽs par les zŽlliges marocaines dŽtiennent des lois d'assemblage qui n'ont pas pu, faute du nombre Žnorme des combinaisons stylistiques, faire l'objet d'Žtudes qui dŽboucheraient sur la crŽation de nouveaux motifs ornementaux obŽissant ˆ des rgles culturelles traditionnelles. Lˆ encore, on remarque que la crŽation artistique ou artisanale d'art aurait besoin du secours scientifique du traitement de l'image et des recompositions de nouvelles solutions par synthse d'images. La mosa•que, ce n'est pas du carrelage ! Cette remarque est importante car derrire le tracŽ d'une courbe, le mosa•ste dessine d'un geste artistique, une ligne bien particulire qui n'a rien ˆ voir avec l'alignement sur une grille prŽŽtablie comme le ferait le carreleur ou, en informatique graphique, l'affichage brutal d'une image vectorielle sur un Žcran " raster ".
Nous retrouvons lˆ des points communs ˆ l'histoire du traitement des images et de la reprŽsentation ˆ diverses Žpoques de l'histoire humaine. Les mmes algorithmes sont apparus dans des contextes sensiblement diffŽrents, dans les arts graphiques pour ce qui nous concerne ici. L'histoire de la perspective (XVe sicle, Piero della Francesca et la perspective lŽgitime notamment) ou de la reprŽsentation du visage humain nous rappelle que lˆ rŽside l'invention de ce que nous appelons aujourd'hui le " lancer de rayons " ou " tracŽ de rayons " en infographie. Il n'y a pas de diffŽrence fondamentale entre la mise en perspective ˆ l'aide du " portillon de DŸrer " et ces algorithmes de la synthse d'images ; ce rapprochement est rarement prŽsentŽ aux Žtudiants. Pourtant, des algorithmes cŽlbres, universellement utilisŽs et mme " c‰blŽs " dans les machines graphiques sont nŽs de chercheurs franais, tel l'algorithme de lissage d'Henri Gouraud
() (1970).
C'est en effet ˆ ce chercheur que nous devons la premire reprŽsentation d'un visage humain en synthse d'images, bien avant l'arrivŽe des capteurs 3D permettant le clonage d'acteurs. Le prŽlvement mme des donnŽes sur le visage Žtait analogue au procŽdŽ de DŸrer.
La mŽthode qu'emploie Piero della Francesca pour dŽcouper les visages en tranches parallles sur lesquelles sont numŽrotŽs des points, qui permettront la construction mŽthodique des projections-perspectives dans le plan de la toile, n'est rien moins que la description, au XVe sicle, des structures de donnŽes mŽdicales des scanners tomographes ˆ rayons X d'aujourd'hui. Ignorer l'un autant que l'autre dans nos enseignements participe d'une perpŽtuation du cloisonnement des savoirs, d'un frein ˆ la pluridisciplinaritŽ si souhaitŽe et libŽratrice des potentiels de crŽation.
Les travaux sur les pavages du plan par le mathŽmaticien Penrose et ceux sur les mŽtamorphoses planes d'Escher sont apparus simultanŽment mais dans des contextes diffŽrents ; la rencontre des deux hommes a ŽtŽ trs fŽconde pour l'un comme pour l'autre ; elle a mme abouti ˆ l'invention de nouvelles formes de perspectives chez l'artiste, trs contemporaines de l'Žmergence des nouvelles formes de gŽomŽtrie et des reprŽsentations des physiciens pour la notion d'espace-temps.
L'enseignement doit, par consŽquent, pouvoir en tenir compte en incorporant des ŽlŽments d'histoire des techniques artistiques, des procŽdŽs d'Žlaboration, de fabrication de ce qui constitue, au fond, toujours des images. Le langage PostScript d'Adobe n'est-il pas un lien assurŽ entre les deux modes d'affichage sur les Žcrans d'ordinateurs ? Mais il est surtout un lien historique avec la calligraphie.
En architecture, la notion d'ornementation gŽomŽtrique peut incorporer l'Žcriture, comme en tŽmoignent les constructions des palais indiens islamiques. L'Žcrit c™toie, encercle, se fond, avec des formes trs gŽomŽtriques dans un ensemble o la surface sans repos de la pierre est travaillŽe ˆ plusieurs Žchelles.
FractalitŽ (1) artistique millŽnaire, rŽcurrence des thmes, permanence du geste et de la vision qu'il imprime, assurent une incroyable prŽsence sur les faades artistiquement chaotiques et turbulentes. La polychromie appara”t, elle, dans le jeu des arabesques minŽrales, formes cursives dŽlimitŽes par des segments rectilignes. L'art baroque en gŽnŽral procde de cet " enrichissement " par un luxe de dŽtails et de matires o souvent l'or, dans le monde hispanique plus proche de nous, accomplit son triple r™le de couleur, de matire et de symbole. Mais le baroque ibŽrique remplit tant l'espace qu'il ne semble plus laisser place au signe lisible ; seul le visible demeure et l'intelligible, lui, est renvoyŽ tout entier dans la foi des pratiquants.
Ce rapprochement de l'image (actuellement numŽrique) et du geste a d'ailleurs ŽtŽ expŽrimentŽ avec des machines ˆ peindre. Nous n'en connaissons que de deux types en effet: semblables ˆ une grosse imprimante ˆ jet d'encre dont la technologie ne cesse de progresser en relation avec de grands laboratoires europŽens ou encore au traceur ˆ plumes (espce actuellement en voie d'extinction). Il n'est pas certain que la tendance prŽsentement dominante des procŽdŽs par transfert de " bitmaps " avec " color matching " soit dŽfinitive.
La transcription des effets gestuels ne marque pas le rŽsultat (ce qui est gŽnŽralement conservŽ) de la mme manire. A quoi nous intŽressons-nous donc ? Est-il souhaitable d'avoir une image sans trace, comme une Ïuvre sans patine, un visage sans jamais aucune ride ? L'empreinte du geste et celle du temps sont essentielles dans certaines reprŽsentations, ce sont elles qui font l'image. Que l'on songe un instant ˆ l'Ïuvre de Pierre Soulages. Ce travail en matire monopigmentaire, surtout sur le noir, exclut les reprŽsentations aussi bien imprimŽes que les illusoires photographies. Sans point de vue mobile, sans jeu avec la lumire, ces Ïuvres nous Žchappent alors que dŽjˆ, le rapport entre la dimension gŽomŽtrique de l'Ïuvre et celle de son image sur Žcran nous posait problme. Il faut capter la forme de la surface picturale, en faire un moulage en sorte. Mais les systmes d'acquisition, nos numŽriseurs 3D se heurtent alors ˆ bien des difficultŽs. Il nous faudra choisir entre des procŽdŽs technologiques dont la neutralitŽ, du point de vue de la qualitŽ artistique, n'existe pas : carrelage ou mosa•que ? Avec ou sans geste ? Et finalement, avec ou sans l'humain ? Les choix en matire de dŽveloppement ne seront pas plus innocents demain qu'ils l'ont ŽtŽ hier.
Nous sommes actuellement dans la " phase carrelage ", sans doute encore pour longtemps, ne serait-ce que parce que les cožts des matŽriels d'impression pour la qualitŽ des reproductions qu'ils offrent au grand public sont dŽjˆ trs bas. Les machines de transfert d'images ŽvoquŽes ci-dessus sont des inventions d'artistes, ce ne sont pas des innovations technologiques dŽfinies par programme et Žtude de marchŽ prŽalable ; elles n'excluent pas l'humain, elles le placent au cÏur du processus de crŽation et cela malgrŽ l'apparence orthopŽdique que donne ˆ voir toute cette instrumentation techno-scientifique. Les artistes qui conoivent et rŽalisent ces machines sont souvent scientifiques de formation.
Le travail de Jean-Paul Longavesne exhibe en plus une dimension de pratique en rŽseau dans le domaine de l'image et de son transfert par une machine ˆ peindre . Ses implications comme physicien dans une dŽmarche de plasticien lui permettent d'assurer une recherche et un enseignement originaux. Du Nuancier InformatisŽ pour les Manufactures et Savonneries (NIMES) qu'il met au point pour les Gobelins, suivant les traces historiques de Chevreul, aux pigments projetŽs par une machine ˆ peindre connectŽe au rŽseau Internet et transfŽrant une image " Big Bang One " lors du SIGGRAPH 95 ˆ partir de donnŽes envoyŽes par le satellite COBE de la NASA, l'artiste polymorphe (ingŽnieur INSA, normalien Ulm, consultant couleur, professeur ENSAD, Univ. Paris XI, CETEC, UQAM) contr™le et imagine toute la cha”ne de transfert de la couleur ˆ des Žchelles bien supŽrieures ˆ la dimension des Žcrans vidŽo. Il fonde une galerie d'art en rŽseau @ART+Com Gallery ˆ Paris en 1993 o ses Ïuvres originales de 3m x 2m peuvent prendre place. Espaces chromatiques et normes internationales, machines de transfert et systmes de communication...il enseigne ˆ la fois la cristallographie, l'histoire de l'art et publie de nombreux ouvrages sur l'informatique picturale. Sa machine ˆ peindre lui permet de faire de l'art en rŽseau avec un procŽdŽ qui mŽriterait bien d'tre ŽtudiŽ de prs puisqu'il peut " dŽvier " vers de nouvelles sensations optiques et un jeu avec la matire elle-mme (pigments ˆ effet--mŽtalliques, nacrŽs--ŽlectroŽrosion, jet de sable, travail ˆ fresque sur mortier, pl‰tre ou autre matŽriaux, etc.). DŽjˆ des applications en esthŽtique industrielle (il ne s'agit plus alors d'art) sont possibles : transfert d'images sur les faces planes des camions, autocars, b‰ches diverses, autorisant des effets optiques diffŽrents de ceux que l'on obtient actuellement sur des films plastiques adhŽsifs minces.
Les capteurs de forme, de couleur ou de mouvement ont ŽtŽ conus sur des schŽmas perceptifs anthropomorphiques (vision trichromatique par exemple). Le projet de saisir en " temps-rŽel " et en haute qualitŽ demeure de nos jours mais essentiellement pour les applications o l'usage de mŽtamres est suffisant ; quelques limitations d'origine didactiques viennent d'ailleurs renforcer cette tendance. Cela n'est gure Žtonnant puisque les programmes d'enseignement n'incorporent pas, du moins chez les ingŽnieurs, les ŽlŽments indispensables d'histoire de l'art (il en est de mme de l'histoire des sciences d'ailleurs !), sauf de faon homŽopathique dans des enseignements optionnels (peut-il en tre autrement dans ce contexte ?). Inversement, dans les Žcoles d'art il n'est pas certain que les techniques de l'ingŽnieur soient seulement ŽvoquŽes. Nous ne doutons point que des projets hybrides engageant des Žtudiants des " deux mondes " favoriseraient le rattrapage du retard scientifico-culturel que nous percevons en France.
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