3 Les obstacles opératoires. 3.1 L’obstacle sémio-technique.
L’obstacle épistémologique s’accompagne d’obstacles secondaires, à commencer par l’obstacle sémio-technique que l’on pourrait figurer ainsi:
Enseignant universitaire
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Dispositif Sémio-technique
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Etudiant
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Position d’auteur
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Routage
Sémiologique
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Co-opérateur
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Rôle de guide (mentor)
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Liens médiatisés.
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Situation d’utilisateur
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A travers les choix technologiques de l'université, sommes-nous réellement en train de développer un système éducatif qui réponde à ses exigences épistémologiques? Comment s'effectue le routage sémiologique réel que va suivre l'étudiant en réponse aux propositions de parcours formulées par l’enseignant?
Pour répondre à ces interrogations, il est impératif de revenir sur les spécificités des ressources et les difficultés d’exploitation qu'elles posent, d'observer et de comprendre la multimodalité, la multiréférentialité, ou encore: la navigation hypertextuelle et les différents types d'interactivité et d'interaction, les complémentarités sémiologiques provoquées par l'inscription sur des supports communs… En tout état de cause, la complexité de ces nouveaux supports implique non seulement de nouvelles lectures délinéarisées, de nouvelles écritures mais également de nouveaux descripteurs qui correspondent à des espaces sémiotiques inédits ( unité de page internet …)55 Des travaux commencent à paraître sur ces difficiles questions: Comment saisir les mises en texte, les mises en page, les mises en hypertexte, les phénomènes d'hypertextualité, quels sont les processus de reformulation, de simplification, de transposition, ou de conversion… On peut penser en effet que les T.I.C. provoquent un changement d’attitude et sans doute renouvellent la perception du savoir, de son accès et de son élaboration: le savoir y est donné en mouvement, et le dispositif sémiologique choisi peut stimuler l'intuition créatrice, dans une approche nouvelle où la topographie, l'espace cinétique, le déplacement sont signifiants. Et même on peut émettre l’hypothèse que comme dans une lecture contenant des idéogrammes, un sens se construit à partir d'éléments tant abstraits qu'iconographiques. C’est ce sur quoi I. Petit attire notre attention lorsqu’elle écrit: "une nouvelle pratique se met en place qui se caractérise par l'activation de signes hétérogènes, faisant appel à des systèmes de représentation divers, dont le sens est construit contextuellement par expérimentation et non plus en faisant appel à des règles syntaxiques ni à un lexique préétabli"56
Une des principales caractéristiques de ces écritures étant que leurs codes ne sont pas stabilisés (C. Develotte T. Lancien 1996); il appartient à l’enseignant d'observer ces outils dans une perspective de recherche et de dégager des règles d'évolution des codes et des pratiques en émergence. Car, quoi qu’il arrive désormais, les étudiants qui sont en position d’utilisateurs, développent de nouvelles stratégies. Evoluent la perception visuelle, spatiale, mais aussi la capacité à distinguer le fictif, du réel comme l’indique dans ses travaux J. Perriault (1996). Les étudiants développent des "habitus médiatiques" (Porcher, 1991), des habitus différents en termes de prélèvement d'informations, d'émissions d'hypothèses et de rapport au temps. Ces transformations sont telles qu’il faut déjà se demander si les concepteurs de dispositifs sémio-techniques permettent aux étudiants la créativité annoncée par P. Lévy pour qui l’usage de l’utilisateur final créatif constitue l’autre face de la conception, sachant que « chaque acteur détournant et réinterprétant les possibilités d’usage d’une technologie intellectuelle, lui confère, de ce fait, un nouveau sens» 57.
De telles perspectives ne sont pas sans enjeux. Constamment, il faut revenir sur les incidences portées par l’obstacle fondamental, qui est d’ordre épistémologique. Est-ce que ces dispositifs sémio-techniques qui correspondent à des mises en scène (illustrations, iconographie), à des mises en jeu (ludique), à des mises en mouvement (critique et dynamique) favorisent des structurations pertinentes d'un savoir scientifique de second ordre? Ou, au contraire, conduisent-elles à un obscurcissement de l'intellection? Assiste-t-on à une perte par rapport aux acquis de la singularité de la "parole savante" dont la pauvreté serait alors la force? Ou, au contraire, l'universitaire dispose-t-il d'outils nouveaux qui peuvent l'aider?
3.2 L’obstacle pédagogique.
Dans ce contexte la question de savoir comment accéder à cette position de liberté qui est celle de l’enseignant chercheur, dans un cadre qui n’est plus exactement celui de la mise en circulation d’une parole conversationnelle savante et de ses rituels académiques devient critique.
Aussi est-il urgent de s'interroger sur ce qui est alors en jeu, compte tenu de l'irrecevabilité de la notion de «savoir pratique pédagogique que l’on pourrait qualifier de spontané» (p.156) 5859 Du coup, les questions, à nouveau, affluent. Parmi celles-ci, en voici quelques-unes:
On peut penser que l’utilisation régulière, et non illustrative, anecdotique, des T.I.C. interdit d’en rester à ce savoir et implique une réflexion sur les pratiques et sur les types de médiation matérielle et humaine à assurer. C’est ce qui fait qu’avec l’intégration des T.I.C. la relation éducative qui se met en place doit être explicitement redéfinie. En même temps, elle doit faire l'objet d'un déconditionnement mené de part et d'autre, du côté de l'enseignant comme du côté de l'étudiant et ce, dans le temps où la réflexion épistémologique contraint à poser l'étudiant comme sujet autonome:
Comment introduire la possibilité de provoquer des ruptures dans les systèmes de représentation de l'étudiant, et l'amener du côté de la modélisation et de l'abstraction ?
Comment introduire une interaction intentionnelle ?
Comment prendre en compte la distance entre l'universitaire et l’étudiant?
Comment est-elle accrue ou réduite suivant l'utilisation faite des T.I.C.?
Comment, à partir d’observations sur les stratégies mathétiques 60 de l'étudiant, rétablir l'exigence critique d'une pensée scientifique, qui définit le contrat universitaire?
N'y a-t-il pas un danger à rester dans des fonctions de répétition, d'imitation et d'exercisation ?
Comment, finalement, faire accéder l'étudiant à une position de liberté intellectuelle qui est celle de l'enseignant chercheur?
Du coup, la construction des dispositifs, la sélection des ressources, le suivi de l'étudiants n'ont de validité que s’ils sont en adéquation avec ce double objectif:
-viser l'autonomie de l'étudiant
-viser la formulation d'une pensée scientifique que Bachelard caractérisait comme un "état de mobilisation permanente, (à même de) remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte et dynamique, (de) dialectiser toutes les variables expérimentales, (de) donner enfin les raisons d'évoluer61
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