L'acrostiche rapide
C'était au tout début de l'atelier. A ce moment nous n'avions pas encore appris la prudence: nous essayions de piéger l'inconscient.
On écrivait verticalement LUNDI. Et on complétait très rapidement les lignes avec n'importe quoi. On n'avait surtout pas à se soucier d'écrire des trucs qui se tenaient. Et de plus, je donnais un rythme rapide. Cela correspondait chez moi à la peur de mettre en valeur ceux qui avaient la maîtrise des mots, ce qui aurait pu bloquer les autres. Ici les différences possibles entre les habiletés pouvaient être imputées au hasard et à l'obligation d'écrire sans pouvoir contrôler ce qu'on écrivait. Ce qui excluait l'apparition des talents. Et c'était important dans le début de cet atelier où l'on avait si fortement à tâtonner pour la sécurisation de tous les participants.
Lorsqu'on avait lu tous les textes du LUNDI, on passait successivement à MARDI, puis à MERCREDI... Il nous arrivait souvent d'aller jusqu'à la fin de la semaine, sans même nous reposer le dimanche, tellement nous étions curieux de ce que nous pouvions encore écrire. Car la lecture de tous les textes du LUNDI éveillait des échos que le MARDI fixait en partie... Nouvelle lecture, nouveaux éveils, nouvelles envolées... Je me souviens qu'un certain VENDREDI, ce que j'avais été amené à écrire m'avait laissé pantois de surprise. Comment avais-je pu me laisser aller à écrire de pareilles insanités ?Je les portais donc en moi ?
Puis nous avions pensé à une autre série, celle des mois de l'année. Ce n'est que beaucoup plus tard que l'idée nous était venue d'employer simplement n'importe quel mot pour commencer !
Voici sur JANVIER, FEVRIER... une série de Patrice :
Je tombe des nues et la neige tombe
Arbres dépouillés de fruits
Noël est fini et les enfants pleurent
Vivre vite vite vite vite
Idole du vent
Et chant des idoles
Retourne d'où tu viens.
Ficelé comme jambon
Enragé comme Marcel
Vitesse et précipitation
Rougeur de la banane.
Irrésistible avec ses chants
Enfants anonymes
Retour à la chose.
Marsupiau fais la soupe au pot
Al Capone est revenu dans son jardin
Retourne cultiver les choux
Sous la tonnelle chargée de raisins
Agénor de l'A.G. du Nord
Vivre en vrac, j'ai le tract
Routes en lacets me lassent
Il ne doit pas rester de yaourt
Lulli en rut joue le matin
Malheur à ceux qui savent
Artifice de la douleur
Idiotie du malheur
Joues de l'Anjou me pèsent
Ubu m'a dit dans le creux du nez
Idiot celui qui meurt d'aimer
N'oublie jamais que tu es vivant.
J'accours au premier cri de ma grand-mère
Ursac dans le vin du soir
Innocence d'un enfant méchanceté de l'homme
Liberté retrouvée à la mort du loup
L'oiseau à nouveau a appelé ses petits
Entends-tu
Tout est doux
Quand Patrice avait lu son JUILLET, nous avions senti qu'il y avait sous nos écrits une trame profonde que nous ne décelions pas. Et c'était, en outre, tellement agréable de se purger de ses mots, même s'ils n'avaient pas de signification claire pour nous. Mais, en ce qui concerne Patrice, c'était clair. Il nous a dit simplement :
- J'ai été élevé par ma grand-mère. Mon grand père se saoulait. Il nous battait tous les deux. Quand il est mort, ça nous a fait des vacances !
Et voyez comme cette réalité était inscrite déjà en filigrane dès les premiers mois : « Les enfants pleurent - Vivre vite - enragé enfants anonymes - Al Capone - Retourne d'où tu viens - Douleur - Malheur - Idiotie meurt - Tu es vivant - Cri - Vin - Méchanceté - Liberté à la mort du loup - Tout est doux.
Donc, vous le voyez, cet acrostiche rapide aurait pu être intéressant. Mais nous l'avons abandonné assez rapidement parce qu'il avait trop de défauts : j'y étais trop directif -il était trop personnel... il était automatique: janvier, février, etc. Et surtout il pouvait mettre à jour des éléments de notre personnalité que nous ne tenions pas à laisser connaître, même de nous-êmes. Alors, il y eut un certain temps des acrostiches centrés sur un mot vertical qui fournissait le thème à traiter obligatoirement. Mais là encore des talents pouvaient se révéler. Et de toute façon ça pouvait être dangereux. Nous étions prêts à laisser tomber cette forme pourtant, si intéressante, mais par trop percluse de défauts, quand l'un de nous a pensé à l'acrostiche tournant. Et tout s'est miraculeusement remis en place.
Dostları ilə paylaş: |