L'écriture automatique D'ailleurs, de même qu'on dit souvent d'un dessin d'enfant un peu biscornu :c'est du Picasso, on englobe souvent sous le vocable « criture automatique »tout ce que nous décrivons de notre pratique : vant de s'y exercer. Mais quand on s'y met, on s'aperçoit que c'est vraiment très diversifié.
Il est évident que j'aurais pu parier plus tôt de l'E.A. puisque primitivement, elle était presque toujours le bouquet final de notre séance initiale. Je ne sais pas trop pourquoi, elle a été remplacée par le vers tournant. Peut-être est-il plus facilement à la portée de ceux qui commencent ? Et puis c'est comme un retour au calme après la secousse des injures. Alors que l'écriture automatique sollicite un peu plus encore l'individu.
Rappelons-en les éléments, du moins telle que nous la comprenons, telle que nous la pratiquons. Ce n'est pas difficile : il suffit d'écrire très rapidement en mettant les mots qui nous viennent à l'esprit, sans prendre le temps de contrôler.
En voici des extraits que je lis souvent au préalable pour qu'on sente que tous les styles sont admis, que c'est la liberté totale.
« Aurores boréales des lumières intimes qui revient au soleil des vertus disparues ciel tinté en revanche oh ! abominable dimanche qui tout seuls nous surprit la lune au loin étincelle et c'est comme une ficelle qui lentement le suit crépuscule épouvantable où surnagent les orages abîmés par les déserts. » « Poupée, j'ai mal mon coeur, enfant jamais, toujours rire, pleurer, aimer, sentir, danser, vivre quoi! matin, rosée, fleurs écloses, soleil, coquillages nacrés, mer multicolore, rochers gardiens, nuit brumeuse, froide angoisse, solitude, planète perdue, gens morts, nuit sombre, attente, pénible, sourires d'éclairs, présence, moteur, chaleur, essence, vie, présente, mener, jeter, aller, danser, aimer pleurer de bonheur » « Des frites rougeoyantes et grimaçantes descendent lentement vers l'église violette. Devant eux, deux chiens aux sexes acérés triturent leurs tantes endormies. Un clairon dans la bouche d'un chat du quinzième utilise un couteau chou bleu pour tripoter le pull rose et rouge de la voisine du sixième qui, elle aussi est descendue sous le porche assombri pour voir passer les cinq heures du soir qui s'éloignent en chantant sur un chemin de ronde où s'ébattent les cailloux rouge tulipe. Dans cette saison de bagues sans matin où chantent les aurores du soir des pieds émoussés nettoient des sauvageons, belle-mères malingres perdues par le fascisme des lendemains passés. « Soleil martyr au couchant de satin et les lueurs qui m'entourent où suis-je le feu couve en ce terrible endroit où tu m'as mise au pays merveilleux où tu partiras gonflé d'air et de brume et quand le vert jaloux du désespoir qui passe se nuance d'eau, je passe, je passe douce et brune à vomir ah ! que pourrais-je pour toi. Jamais je ne pourrais te dire, non jamais on ne pourra tout dire, l'aube tendre, pleure ses gouttes sur ta couche et le vent se détend et la mer blanchit, vient le sommeil qui rêve au creux du lit de plume. Mer, mère où es-tu loin d'ici, loin de moi tu vas mourir, tu meurs et moi je reste. (Cette personne venait d'apprendre que sa mère était cardiaque)
Chacun lit son texte s'il le veut. Car il peut le surprendre. Au début, on donnait les feuilles à l'animateur qui les mélangeait et les lisait sans que l'auteur puisse être reconnu. Parce qu'il s'agissait là, pour la première fois, dans une séance initiale, d'une production-individuelle-qui-pouvait-être-jugée.
- Ah ! oui, je me souviens, c'est aussi précisément pour cela que l'écriture automatique avait été éliminée de la séance initiale Maintenant, elle apparaît beaucoup plus tard. Quand le groupe est bien constitué et qu'il est très acceptant. Mais elle est assez souvent redemandée parce que, indiscutablement, elle procure un plaisir profond. Et je connais plusieurs personnes qui se sont arrêtées à cette forme parce qu'elle leur convient magnifiquement.
D'autres pourraient se satisfaire d'une E.A. un peu transformée. On pourrait penser, par exemple à l'E.A. induite que l'on réaliserait en plaçant trois ou quatre mots dans la feuille pour s'en inspirer en cours de rédaction. Cela pourrait permettre de créer des associations intéressantes autour de points que l'on chercherait à mieux cerner. Il pourrait y avoir l'E.A. ultra-rapide, l'E.A. en parlant, l'E.A. tournante... que sais-je encore ?
Ouais ! Eh bien cette E.A. tournante que j'avais signalée à titre de simple possibilité, nous l'avons réalisée la semaine dernière. Soudain, l'un des membres de notre groupe en a eu l'idée. Et ce qu'elle nous a offert nous a vraiment étonnés. Nous écrivions des sortes de vers tournants ou, plus exactement, des lignes tournantes en prenant soin de faire circuler très rapidement les feuilles afin que notre pensée consciente n'ait pas le temps de contrôler ce qui s'écrivait. Et chacun de nous était étonné par l'imprévisibilité et l'incohérence des images verbales qui surgissaient en lui comme des fusées éclatant dans le plus aléatoire des feux d'artifice.
La transposition de l'E.A. au collectif doit sans doute provoquer la dissolution des dernières censures. Et l'inconscient en profite pour se manifester plus librement que jamais. Voici par exemple, la série qu'une même personne avait été amenée à produire ce jour-là :
« Les plus fous sont les autres
Rien ne sert de viser juste à côté. » Evidemment, devant un tel fourmillement d'images insolites, on ne pouvait rester sans réaction. Mais les marchés de poèmes que nous avons bâtis à partir de cela étaient si intenses et si beaux qu'une seconde idée géniale nous est venue dans la foulée : nous avons fait un marché de marché ; c'est-à-dire que nous avons fait tourner une seconde fois les feuilles du premier marché afin d'accrocher de nouveaux haillons de délire à ces neiges cristallisées. Cela produit de tels effets que nous reprendrons certainement cette E.A. tournante qui engendre si facilement de telles constellations.