Documents de l’educateur 172-173-174 Supplément au n°10 du 15 mars 1983 ah ! Vous ecrivez ensemble ! Prat ique d’une écriture collective Théor



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MICHÈLE, Animatrice F.J.T.
J'ai essayé d'écrire ce que j'ai ressenti de l'expression écrite avec de jeunes travailleuses. Je ne sais pas si c'est clair pour tout autre que moi. L'expression écrite n'est pas réservée aux intellectuels, à ceux qui savent les mots et leur pouvoir. Ni à ceux qui ne redoutent plus la peur venant des tripes quand il s'agit d'exprimer ce qu'ils ressentent, ce qu'ils vivent. Non plus à ceux qui s'en servent pour asservir ceux qui ne savent pas. Plus on avance dans cette société, plus le pouvoir des mots est important. « Il y a des mots que je ne dis pas parce qu'ils font peur, quand ils ne font pas rire ». La peur de dire, la peur d'écrire, parce que l'orthographe et la grammaire, parce que ces barrières qu'on a dressées devant certains êtres qui n'avaient pas « d'aptitudes » parce que cette notion d'infériorité quand on n'a que ses mains... Un foyer de jeunes travailleuses parmi tant d'autres et de filles comme les autres, avec un tas de désirs, d'incertitudes, de mal être au fond de leurs tripes. Mais rien pour le faire ressortir, rien au bout du stylo, parce que, lorsqu'on est femme de ménage ou épileptique, il y a longtemps que ceux qui savent vous ont enlevé le droit de dire et d'écrire. Alors il faut d'abord réapprendre la saveur des mots quand ils apparaissent au tréfonds de nous, et la jouissance qu'ils procurent quand ils s'éclatent sur le papier. Il faut réapprendre le jeu complètement fou des mots qui se disloquent, se déloquent, s'entrechoquent, se fourvoient, s'accrochent, se modèlent et s'inventent constamment. Il faut réapprendre la sensualité d'un mot qui ruisselle, caresse, ne respectant rien, ni tabou, ni pudeur, se dressant comme un sexe devant des yeux rieurs et confiants. Oublie tout ce qu'on t'a appris et découvre le pouvoir troublant et irréel des mots et quand tu t'es débarrassé des chaînes dont t'avait affublé l'incroyable vanité des gens respectables, tu peux crier ta délivrance. Tu t'assois sur l'orthographe, tu piétines la grammaire et tu écris... ».
Voici maintenant, venant comme d'un pôle opposé, les commentaires de Richard, poète. C'est un étudiant qui croyait à la poésie et surtout au travail poétique. Il était persuadé qu'il fallait transpirer sur un texte pour lui communiquer une sève originale. Aussi a-t-il été stupéfait quand il a vu que des tout-venant de la vie ordinaire pouvaient également produire des images poétiques. Lors des marchés de poème où l'on relève tout ce qui plait dans le tour précédent, il remplissait quatre pages d'expressions poétiques, « valables » à ses yeux. Et lorsqu'il retrouvait ses anciens compagnons de poésie, il ne se sentait plus des leurs. Il ne savait plus quoi leur dire. Et en particulier, il ne pouvait plus participer au jeu du renforcement mutuel du sentiment d'appartenir à l'Originalité Supérieure.
« Les heures de travail passées dans cet atelier sont pour moi d'un grand enseignement tant sur le plan de la prise en possession de mon individualité dans sa globalité que de mes rapports sociaux dans leur diversité. Les premiers moments ont été les plus difficiles mais aussi les plus décisifs. Il m'a fallu d'abord subir un refus par les autres de mon langage et du pouvoir qu'il représentait. De ce refus naquit tout naturellement une méfiance vis-à-vis du savoir que j'affichais à tout instant mais aussi, ce qui est plus grave, de la sincérité de mes propos et de l'intégrité de mon engagement dans le groupe. Dans le même moment, je découvrais ma faiblesse en expression corporelle et mon incapacité à établir des contacts physiques clairs et librement assumés. Aujourd'hui, je me rends compte que c'est bien l'alternance de ces deux situations (expression corporelle et expression orale et écrite qui m'a permis d'entreprendre une remise en question de moi même et de mon fonctionnement social). Il aurait pu se produire ce qui s'est passé jusqu'à présent, c'est-à-dire une revendication de ma position d'incompris et un refuge dans la marginalité et dans le personnage de poète maudit parce pur et génial (je tiens à préciser ici que je n'assimile pas toute forme de marginalité à une personnalité névrotique même si c'eut été le cas pour moi). Ceci dit, je remercie mes camarades pour avoir mené le combat contre mon fonctionnement social sans pour autant refuser l'ensemble de ma personne. Il m'est apparu très vite que si je ressentais le besoin de briller sur le plan de la parole (écrite ou orale) c'était parce que, d'une part, j'étais condamné à la solitude par mon incapacité à écouter et à me situer dans la réalité vécue des gens que je rencontrais et que, d'autre part, je n'avais pas entièrement pris conscience de mon corps et de sa sexualité. Il me fallait un terrain dans lequel je pouvais investir le trop plein d'énergie refoulée autre part. La plupart des individualités dans cette société sont entièrement baillonnées et castrées dans leur pouvoir créateur et dans leur épanouissement. Je croyais me libérer par la parole et par le savoir, je ne faisais en fait que reproduire les schémas de l'oppression c'est-à-dire les rapports savoir-pouvoir, la polarisation des énergies créatrices dans un seul domaine et le déséquilibre qui s'en suit. Il m'apparait important de proposer un maximum de domaines dans lesquels l'individu peut s'exprimer et de faire la liaison entre ces différents domaines. Se fixer simplement pour tâche de donner un bagage culturel aux gens et la possibilité de s'en servir c'est s'attaquer seulement aux effets du mal sans jamais en chercher les causes profondes, c'est même perpétrer son fonctionnement et son emprise. Paul parle souvent de la levée de la parole et c'est bien cela qu'il a favorisé chez moi, mais une parole qui dépasse le cadre étriqué du logos et qui soulève l'individu dans sa totalité. »
Mais je veux terminer cette série de témoignages individuels par

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