Le poème construit Un moment, je permettais le poème construit. C'est-à-dire qu'au lieu de laisser les mots dans l'ordre arbitraire de la cueillette, on pouvait procéder à des arrangements.
Evidemment, on ne saurait l'interdire vraiment. Et certains cénacles pourront utiliser avec beaucoup de bonheur cette liberté qu'ils s'accorderont. Mais moi, en ce tout début, je me méfie beaucoup car cela détermine inévitablement des hiérarchies de talents. Certains se montrent très brillants dans cet exercice. Et cela rallume aussitôt chez les autres un sentiment d'infériorité qui n'était pas encore tout à fait éteint. On ne prend jamais assez de précautions pour maintenir en sommeil ce serpent dangereux si prompt à dérouler ses anneaux à la première odeur de jugement. C'est pourquoi je me garde d'évoquer cette possibilité d'arrangements et je veille à ne pas laisser trop de temps disponible.
Généralement, ceux qui choisissent d'ajouter des idées personnelles dans leur marché de poèmes ne se soucient guère de beauté poétique. Ils profitent de l'occasion offerte pour s'épancher un peu. Et cela élève la température du groupe. Ajoutons en passant que la lecture des poèmes-florilèges donne à chacun l'occasion de constater que des éléments de sa production ont été retenus. Et, évidemment cela le met en de bonnes dispositions vis-à-vis des autres.
Voici un exemple de marché de poèmes :
Je voudrais artisaner ton corps
Pour l'éclatement de nos bêtes
Pour l'enfance revécue à puissance de jouissance
Le printemps en avance s'installe sous mes paupières
Des sources inespérées de plaisir vont naître prochainement
Pour l'éternité des demains rosissants
Elles sont indéfiniment renouvelables
Il suffit de briser leur glace bleue d'opale
Et la barque de ton désir sur une mer que je déchaîne
Se maintient à jamais sur la crête de la vague qui vient doucement s'étendre sur la plage de ma vie
Alors le désir s'enfonce subtilement dans mes entrailles et se faufile au plus caché de mes labyrinthes
Il veut m'emprisonner de sa sangle
Mais je le transforme en tendresse
Je passe derrière la barrière de tes yeux offerts
J'y pénètre ouvert et passionné
J'y peux naître
Je fais lever dans ta tête une aube de plaisir
Qui tue les germes de ta peur
Je les brûle et de leurs cendres
Ressuscitent les cellules de ta confiance
Alors tu m'inscris dans ton encyclopédie et tu la feuillettes
Pour un bonheur si longtemps oublié dans ta ville de lumière. Dès que la lecture des marchés de poèmes est terminée, je m'empresse de proposer la définition tournante. Pourquoi ? Parce que je sens qu'il faut créer une rupture. Cette séance va bientôt se terminer et il va falloir revenir à la vie quotidienne. Et Pégase nous a entraîné si haut qu'on risque de se faire mal en retombant sur terre. Il vaudrait mieux adoucir la chute. Et le meilleur parachute, n'est-ce pas encore le rire qui permet de prendre la distance que l'on veut par rapport à son engagement récent. Et puis, après une certaine saturation de sérieux et même d'émotion, le temps est sans doute venu de laisser se combler la frustration de gaieté qui a certainement dû, souterrainement, commencer à s'établir.