Le roman tournant Dans un certain groupe, peu à peu, semaine après semaine, le souffle nous était venu. Et nous pouvions passer facilement de la phrase tournante au paragraphe tournant. Un beau jour, nous avons été suffisamment mûrs pour aborder la page tournante. Et, à cette occasion, nous avons pu constater combien notre ligne de création s'était assouplie. C'est qu'il en faut de l'inspiration pour remplir une page entière. Et il faut également beaucoup de souplesse pour se mobiliser, aussitôt après, dans un tout autre registre et dans une atmosphère parfois totalement opposée.
Comme nous ne disposions que de trois heures, nous nous sommes regroupés au hasard, par groupes de quatre. C'est qu'il fallait prévoir les temps d'écriture et de lecture. Nous ne pouvions écrire plus de quatre pages chacun. C'est ainsi que nous avons écrit douze « romans » de quatre pages. Et au moins sept d'entre eux se tenaient bien sur leur pied. Il y avait de tout : de la sciencefiction cosmique et comique - du Ponson du Terrail - du roman historique - du roman populiste et même, deux scénarios de film... Je ne veux donner ici qu'un extrait qui témoignera de la liberté d'esprit que nous avions conquise.
LE CHEVAL SE DIT Le cheval se dit : « Si je marche à pattes, je me fatiguerai rapidement et j’userai mes fers tout neufs. Aussitôt, en un tour de reins, le cheval enfourcha l'homme et d'un petit coup sec il fouetta l'homme de sa queue et se présenta au péage de l'autoroute. - Combien d'hommes-vapeur, ce véhicule, demanda le préposé au péage ? - Ma foi, répondit le cheval, il en vaut bien deux. Le cheval régla le préposé de deux splendides hennissements puis, sans attendre la monnaie, il fit cabrer l'homme et se jeta à corps perdu dans le flot des véhicules qui roulaient vers le rêve des pays du Sud, Il y avait toutes sortes de véhicule :: un bidonville assis dans un fauteuil Louis XVI, un wagon de bestiaux où un président balayait sa misère, une femme avortant sa chienne de vie dans les bras de son enfant et bien d'autres choses semblables. Il fallait contrôler la vitesse : l'homme faisait du 120 et le cheval essayait de ralentir parce que c'était limité. Mais il avait beau faire, il ne pouvait y arriver. Il avait beau mordre l'oreille habituelle, rien n'y faisait. Au contraire, l'homme se mit à zigzaguer dangereusement. Une vache volante qui patrouillait par là s'en aperçut. Aussitôt elle fit des huit avec le bout de sa queue, des huit inclinés d'une certaine façon par rapport à la direction du soleil. Immédiatement, quatre veaux à pétrole sortirent en courant du dispatching et détachèrent rapidement leurs femmes rutilantes qui dormaient à l'abri des arbres et rattrapèrent en un clin d'œil le perturbateur de la circulation. Ils ne lui donnèrent qu'une faible amende, pour la forme, car il était parent avec la vache, par le regard. Ils cherchèrent longtemps la panne et s'aperçurent que, avec la vitesse, le boulet de la patte droite du cheval appuyait trop sur l'oreille gauche de l'homme ce qui déséquilibrait l'ensemble. Mais les véhicules dépassés avaient pris du retard. Le bidonchamp n'était déjà plus que dans un fauteuil Louis XV, le président n'était plus que vice et la femme n'avortait plus que sa chatte de vie dans les bras de son nouveau-né.... » Avant hier, dans un groupe de six, j'ai repris cette formule de la page du roman. En fait, c'était une demi-page. Mais elle a suffi à nous enthousiasmer. Dépêchez-vous de l'essayer.
En complément, et pour introduire le chapitre suivant, voici maintenant ce qui peut se construire à partir des