Les excretas (Le caca, le pipi, la sueur, le sang, le vomi, etc.) Là aussi, la répression a été telle dans l'enfance qu'on s'y vautre un long moment. Et cela déclenche évidemment des rires inextinguibles. Comme chez certains enfants de Claire Brétécher qui se tordent de rire sur le tapis au seul bruit de ce nom osé : pipi.
Il faut croire que, jusque-là, nous n'avons guère eu l'occasion d'utiliser les mots interdits puisqu'à notre âge, il nous faut encore nous maintenir aussi longuement à ce stade. En faisant resurgir les mots interdits, on se venge, on rattrape, on provoque, mais cette fois avec la certitude de vaincre, toutes les personnes qui nous ont fait rentrer ces mots dans la gorge au cours de notre enfance. Et on sait que la vengeance est un plat qui se mange froid. Comme celui-ci est très froid, le plaisir en est augmenté d'autant... Et si nous rions comme des enfants c'est parce que c'est l'enfant qui rit en nous ; celui qui fut condamné a être propre, même dans son langage. Le moment de la propreté, c'est l'aboutissement d'une lutte intense entre l'enfant et les parents. Et si ceux-ci ont gagné, ce n'est que provisoirement. Des revanches seront prises symboliquement ou, parfois même, réellement au niveau de la sexualité. Et, pour commencer, cela se passe au niveau des mots. Signalons à ce propos que l'humour des Japonais, ce peuple si réprimé dès l'enfance, a pour base essentielle la scatologie. On comprend que, nous aussi, nous puissions rire à cet endroit. Même si nous avons également d'autres sujets de rire.
Il n'est pas question de fournir beaucoup de textes sur ce sujet ; on en serait vite écoeuré. Il faut une certaine ambiance. Et puis ça ne se déguste pas seul, ça se partage.
En voici cependant un qui peut contribuer à horrifier, tout en ravissant. C'est d'ailleurs une provocation assez courante : on fait un pas de plus pour montrer qu'on sait aussi oser. Et celui qui lit a d'abord une sorte de haut-le-coeur poli, celui qu'on nous a appris à avoir, pour avoir l'air normal. Mais aussitôt après, déferle souvent le rire, dans un débordement irrésistible de toutes les défenses installées dans notre inconscient par les discours des parents.
« Un livre propre alla se promener sur le boulevard Rochechouart. Il n'était pas d'ailleurs si propre que cela. Il contenait un poil de brosse à dents resté coincé entre deux canules fessues à souhait. Il revint à sa chambre encore chaude où elle dormait et se coucha près d'elle. il dégueula et elle lui fit ramasser ses vomissures. Il se brossa les dents avec de la bave d'escargot. Et le sperme de sa nuit éclata en longues traînées jaunâtres qui dégoulinaient lentement sur la vitre que la chatte léchait. Une fillette qui passait par là en prit sa part et repartit en se léchant les doigts ». Ces insanités sont bien humaines. Elles sont peut-être la manifestation d'une tendance à la régression vers l'animalité. On pourrait parler aussi de « l'intérieur et l'extérieur » et de beaucoup d'autres choses qui fleurent fort la psychanalyse.
Mais quittons ces territoires où nous folâtrons souvent en hennissant de rire et intéressons-nous maintenant au tabou de
La loi Si écrire librement, c'est se libérer en premier lieu de tout ce que l'on a refoulé, il est évident qu'on va se saisir de toutes les occasions offertes pour s'attaquer à tout ce qu'il a fallu subir comme oppression ou répression dans sa vie.
Il faut dire que, comme chez tous les enfants, nos pulsions étaient fortes. Et il a fallu que la famille et l'école emploient beaucoup d'énergie pour réussir à nous mettre au pli de la conduite normalisée. Et cette contrainte, cette limitation forcenée de nos désirs s'est marquée en creux dans notre sensibilité psychologique et parfois, dans notre chair. Et ça s'est accompagné souvent de regrets, de rages rentrées, de désirs de revanche, sinon de vengeance et de rancunes longuement mijotées. Aussi, il nous faut toujours essayer de cicatriser ces blessures profondes en les revivant soit au niveau de la parole symbolique - et encore mieux de la parole directe - soit au niveau du corps dans la sensualité et la sexualité.
La plupart du temps, ça prend des formes détournées : on s'attaque aux flics, aux juges, aux ministres, aux présidents. Mais, en réalité, on s'attaque au père, à la mère, au grand frère, à la soeur, aux instituteurs, aux professeurs, aux pions, aux chefs, aux directeurs, aux curés, aux bonnes soeurs, à tous les gardiens de l'ordre et de la loi, aux autorités, aux hiérarchies, aux dirigeants de tous acabits et même aux dirigeants de syndicats et de partis...
Et dans ce domaine encore, il en faut du temps avant que ne commencent à s'épuiser les plaisirs de la dérision, de la ridiculisation, de la plongée dans la boue, dans la merde, dans le feu, dans le sang, dans la mort !
Ceux qui sont familiers des créations vraiment libres des enfants retrouveront là des thèmes qui apparaissent très tôt dans l'enfance. Car, comme le dit Gérard Mendel, la transformation de homo-sapiens en homo capitalistus doit commencer très tôt, sinon la société courrait trop de risques. Mais, très vite également, les enfants entrent dans la résistance, au moins à divers niveaux symboliques.
La notion de loi recouvre d'ailleurs un champ très vaste, la religion y est englobée et les dieux eux-mêmes n'échappent pas au massacre. Chacun y reconnaîtra le sien... Il faut ajouter que nous sommes en Bretagne et que beaucoup d'étudiants ont bénéficié d'une formation catholique très poussée.
« Je sentais que l'abbé était fort et que le pouvoir religieux, c'est tout de même quelque chose. C'est simple, il suffit alors que je lui pique sa soutane. Le pouvoir déshabillé, il vaut plus grand chose. Et le pauvre abbé à poil, avec le peu de chaussettes qui lui restait, ne savait plus que faire de son goupillon, puisqu'il était à poil et qu'un individu à poil, en chaussettes avec un goupillon, il est difficile de croire que c'est un curé prêt à bénir la connerie idéologique. Amen ». « L'eau tombait de leurs vêtements et de leurs pieds. Ils marchaient tous les trois en silence avec le poids du malheur sur leurs épaules de naïveté. Leur peau d'innocence ne comprenait pas et leurs mains de tendresse pendaient, inertes au bout de leurs bras d'êtres humains. Ils marchaient tous les trois, sur une plage sans fin. Un oiseau bleu voleta au-dessus de leur tête. Cela les fit sourire tristement. Une bande d'oiseaux se posa devant la Trinité et commença à rire d'un rire si communicatif que la Trinité, jusque là très sérieuse et très digne, commença à se rouler par terre. Et le père et le fils et le chien Esprit se toidirent de rire et les oiseaux aussi. Ils se donnaient de grandes claques sur les cuisses. Enfin, peu à peu, ils s'apaisèrent. Alors les trois acteurs altèrent pisser un coup puis ils bafrèrent une omelette avec un kilo de rouge ». « Sainte-Thérèse ramassa les morceaux du révolver éclaté. Elle réussit à reconstituer un demi-révolver, se visa la tempe et réussit son demi-suicide en devenant un demi-fantôme. Son corps, comme partagé par le milieu, était d'un côté, pur rayonnement et, de l'autre, pure pourriture. Un coin de sa bouche souriait ; l'autre, dégoulinait de putréfaction. Alors, les noirs s'aperçurent qu'elle avait Lisieux bouché ! ». Je pourrais citer une grande quantité de textes s'attaquant encore plus directement à l'autorité. Mais à quoi bon ? Dès la deuxième séance, il en fleurira de semblables. L'animateur initial risque d'ailleurs gros dans cette affaire, puisqu'il est, au début, l'autorité du groupe et, par conséquent, le support de toutes les agressions de dérision ou de destruction. - S'il est attaqué, c'est bien, c'est que ça fonctionne parfaitement. Réjouissons - nous mes frères !
La mort
Encore un tabou. Il ne faut pas en parier. Alors on la neutralise ; on la circonvient par des mots. Et on se sent si fort en groupe quand on a l'arme du rire !
Il s'ensuit d'épouvantables catastrophes des tortures recherchées et parfois comiques. Il y a aussi comme une défense de la culpabilité par l'emploi du nombre. Quand il y a tant de blessés, tant de morts par milliers et même par millions, ce n'est pas possible qu'on nous prenne au sérieux. Alors on peut y aller sans crainte. A ce point-là ce n'est pas pensable, ça ne peut être que pour plaisanter.
Mais, bientôt, le sadisme se mêle au cynisme. Et le rire s'augmente de ce que certains osent dire, de la transgression des règles du comportement civilisé. Et, alors, on peut en tuer des gens du passé, des gens du futur ; peut-être pour cacher les haines du présent. Cela permet de régler leur compte à tous les fantômes d'oppression qui nous habitent encore. Et quand on a pu faire quelques pas dans un atroce imaginaire, on en revient un peu soulagé d'avoir pu cracher ses fantasmes de destruction rentrés. Et l'on s'en retrouve beaucoup plus disponible pour assumer son rôle d'être humain ordinaire avec toutes ses tendresses.
Eh bien, moi je pensais que tout cela ne pouvait être que pour rire. En effet, les chances de ma vie ne m'avaient pas permis de nourrir des haines si extrêmes. Mais quelquefois certains étudiants parlent sérieusement du désir de la mort réelle de l'un de leurs parents. J'en reste tout éberlué. Mais je conçois à quel point la réalisation symbolique, camouflée, irréparable de leurs désirs de meurtre puisse leur être une détente efficace. Elle leur permet de mieux marcher dans la vie et d'en percevoir objectivement et utilement tous les éléments sans que leurs désirs profonds ne s'interposent trop et ne filtrent trop en noir - ou en rouge - la réalité.
Mais je viens de recevoir d'un ancien étudiant, maintenant professeur dans un L.E.P., un texte tournant de ses élèves de 15 ans.
« Dans ce château sinistre, mes nuits sont hantées par des bruits sourds sortant des murs, des bruits de chaîne affreux qui me tintent dans les oreilles. Des monstres atroces me regardent, m'épient, me font peur. J'ai l'impression que chaque mouvement que je fais est enregistré. Des araignées énormes parcourent les murs blancs. Une porte claque et un bruit sourd atteint mes oreilles. Soudain, un cri perçant: ha a a a a a !! Des bruits d'os. Il apparaît. Ses yeux jaunes me regardent fixement. Un chat se glisse par la porte entrouverte, s'installe dans le chapeau et griffe la boîte cranienne, la déchiquette et attaque le couvercle qu'il avale d'un coup de dents. Ensuite, il lui crève les yeux et passe ses pattes de devant dans chacun des orifices, puis repart tranquillement vers une autre victime qui va être un assassin encore pire que le premier. Il l'attaque, le secoue, prend son couteau, taille sa chair en lamelles de 4 cm chacune, lui arrache l'oeil gauche, puis l'oeil droit et en tombe en syncope. Mais personne ne l'empêche, une fois réveillé, de continuer; il arrache les ongles, les oreilles, les cheveux et ensuite mes beaux poils frisés et longs dont je suis si fière. Malheureusement et heureusement pour moi car j'ai mal à la main à force d'écrire, cette histoire se termine ».