La phrase tournante
« On recommence comme précédemment à écrire et à donner sa feuille au suivant qui écrit à son tour et qui passe au suivant... Mais au lieu d'un mot, on en écrit trois ou quatre.
- Trois ou quatre ?
- Ou deux ou cinq. On est libre.
- Il faut lire ce qui précède.
- Pas nécessairement, on est libre.
- Ce sont des mots séparés ou ça doit faire des phrases ?
- Comme on veut. Ce qui vous passe par la tête. On est libre. N'essayez pas d'avoir l'air intelligent, vous n'y arriverez pas. D'ailleurs, plus c'est con, mieux c'est. On n'est surtout pas là pour s'emmerder. »
On le voit : je parle relâché pour favoriser le relâchement des paroles. Dès le départ, il faut que je brise mon image de prof-au-dessus, ou d'animateur sérieux. Pour cela, je parle moins tenu que les participants, je me laisse aller, je leur offre un contre-modèle. Tout ce qui peut contribuer à provoquer une détente est bon.
Cette fois encore, quand les feuilles ont fait un tour complet, c'est-à-dire quand on retrouve la feuille qu'on avait lancée, on lit les poèmes ainsi constitués, après un nouveau tirage au sort par stylo tournant. Et, déjà, née de la cocasserie des rapprochements, l'ambiance de rire s'installe fortement ou se prolonge. Et des choses commencent à se dire.
Exemple de phrase tournante :
« Le ciel est bleu - Les arbres sont verts - La porte est fermée - Je vois une hirondelle - Le petit chat est mort - Le gros chien est vivant - Moi, j'aime les nouilles- Un plaisir de citrouille - Une douleur de cinq trouilles - Un parfum de liberté - Une abeille de retard - Ils sont cinglés ces mecs - Ils sont mecqués ces singles – Oh ! mais je ne peux pas vous suivre - Pourtant, nous cinglons vers la Mecque - Alors, attendez-moi. »
Comme on peut le constater, il y a une certaine résistance à se laisser aller au délire. La règle morale qui veut qu'on ne doive parler que pour signifier est encore très présente à l'esprit de certains. Mais, déjà, quelques-uns s'en libèrent. Et ils vont entraîner les autres. C'est ainsi qu'après une série de notations extérieures et banales, il est brusquement question de la mort du petit chat. Cette référence culturelle insolite semble déclencher une sorte de réaction en chaîne qui libère une énergie de fantaisie. Et cela se produit tout naturellement car il est tout naturel et normal à homo - sapiens - démens de délirer par moments, de se laisser aller, de se détendre un peu, de ne plus surveiller avec une si fatigante tension d'esprit tout ce que son être exprime.
- Et puisque, ça semble être la règle du jeu dans ce groupe il faut bien que je me mette au diapason, sinon je ne vais pas être comme les autres. Il faut bien obéir, non ? »
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