Relativité positive Le plus curieux, c'est qu'il n'est pas besoin d'avoir la moindre parcelle de talent. Car on peut bénéficier de circonstances extérieures au contenu de son message. Les phrases ne sont pas individuelles ; elles vivent dans le groupe ; elles y deviennent autres. Par exemple, si dans un chapelet d'injures les mots « Pauvre mignon » apparaissent soudain, ils déclenchent aussitôt, par contraste avec l'environnement ordurier, un rire imprévisible qui naît de l'inattendu manquement à la règle donnée.
Comme les couleurs qui ne prennent valeur que par rapport aux autres, les mots ne prennent valeur qu'en fonction de leur voisinage. Et l'auteur n'en est pas maître. Il jette ses paroles dans le creuset ; mais la chimie qui y travaille ne dépend pas de lui. Donc, il n'a aucun mérite. Mais il a une telle soif de perceptions positives de sa personne qu'il ne réfléchit pas plus avant. Et il récupère à son profit les mérites imputables au seul hasard des rapprochements.
Je me souviens que dans un groupe familal, une personne de 76 ans n'avait pas très bien compris la consigne. Elle croyait dans la phrase tournante, qu'il fallait continuellement ajouter une série de trois noms. Mais, quand au cours de la lecture, les trios de noms revenaient avec une régularité implacable : table, banc-chaise ou bien plancher, plafond, meuble, cela déclenchait une hilarité irrépressible qui naissait du contraste entre l'imperturbable énonciation de l'une et la fantaisie échevelée des autres.
Et cette personne en était bénéficiaire : elle avait eu le double mérite, même à son corps défendant, de susciter le rire et d'inventer une technique nouvelle. Et celui qui est à l'origine d'un bon rire est toujours bien accueilli. Mais de tout cela, évidemment il ne songe à retenir que l'aspect valorisant.