Un mot que l'on aime Chacun écrit sur un mot qu'il aime et il le donne au voisin qui réagit à son tour, etc.
EXEMPLES :
LIBELLULE « Belle lune - libelté chérie, libellé - Belle et Lune - l'Isole, l'Ellé et la Laita - Bella donna - Bellini - Libellule mot liquide qui danse et qui plonge et repart ondoyante et vive et diaphane demoiselle dans des rayons bleus » ALLÉCHANTE « Ca fait passer la langue sur les lèvres. Allez ! chante. Goût d'amende fondante - Femme aimante, tu la lèches ta glande. Alléchante - la salive me vient aux babines. Tu m'attires irrésistiblement, inconnue perçue dans la foule que seul l'obstacle du corps des autres et de leur regard maintient loin de moi. Alléchantes, il ne faut pas que je regarde mes voisines, sinon je vais me mettre à les déguster. Alléchante comme tu l'es, alléchante comme un fruit que je croque et qui me reste sur les lèvres, alléchante comme la vie, comme les rires déchaînés qui s'enchaînent et s'enchantent, les lèvres collées de fruit et de sucre, je les lèche et mes yeux pétillent, ce n'est pas facile d'enlever ses chaussures pour venir sur ses pieds nus. Et pourtant la fraîcheur alléchée des pieds nus décuplent les instants » EPOUSTOUFLANT « Ah ! oui, ce mot me botte, on en suffoque, on en étouffe tout entier jusqu'au bout et ça éclate. Il y a, pour commencer un E bien installé sur ses pieds. Et, aussitôt après un P qui explose sur un ou lourd qui se trouve poussé au bout par un S qui expire. Epousssss... Et l'on remet ça. Mais cette fois, c'est une dentale sourde t qui est elle-même encore assourdie par un ou lourd qui se trouve prolongé cette fois par un F. Et on perd une seconde fois le souffle E..., pousssss... tou ffff. Mais le E du début est suffisamment présent dans l'oreille pour que l'impression d'E... touffer se pousse. Et puis vlan ! vla le flant qui vient se flanquer par le travers. Bang !! Et on en reste comme deux ronds de flan. Un tel mot, une telle construction de mot, avec un tel accord entre le support vocal et la signification, vraiment, c'est époustouflant ». Je dis ceci à ma famille et aussitôt les mots pleuvent « palme - friand - escarpolette - subtilité » etaussitôt, à vous aussi, il vous vient des mots que vous aimez et qui vous appartiennent. Et si vous en parlez à quelqu'un, si vous tentez de les partager, c'est un peu de votre être que vous donnez. Vous vous livrez. Et, de cela, vous avez le désir constant. Mais pour trouver des oreilles qui acceptent et qui renvoient à leur tour, il faut des circonstances spéciales.
Ça ne peut se faire que dans un certain abandon. Et si vous vous liez à quelqu'un, c'est ça surtout que vous donnez : vos plaisirs subjectifs. Et l'autre écoute pour mieux vous connaître. Et il se donne à connaître. Là, nous avons dépassé le stade de l'usure des tabous. Nous ne sommes plus en contre-réaction négative, mais dans une positivité certaine. On peut aussi penser à des noms de lieux qui plaisent : Saint-Elme, Pleine-Selve, Combes-aux-Fontaines, La Grange-aux-Belles, Lusivilly, Coat-Billy, Karreg an Tan, Keramanach... Il y a aussi des expressions dont on se régale : l'aube blanchissante, les pierres gélives, sous la charmille, faire patte de velours, se dodeliner, tintinnabuler, l'évanescence, se glisser en tapinois... Elles ont un air ancien et sont tout imprégnées d'enfance.
Ainsi, on livre ses plaisirs, on les confie, on donne de soi et on reçoit – « Celui qui n'est pas rempli de ses désirs ne peut rien donner » (Vaneigem)- Et on partage la dégustation des mots qui correspond souvent à une sorte de dégustation physiologique. Beaucoup de mots que l'on apprécie comportent des dentales, des labiales, des é, des i..., bref, tout cela se passe principalement au niveau de l'avant de la bouche : cela se connaît des lèvres et des dents : libellule, susurrer, scissiparité... Ce qui est bien, c'est que l'on ose entrer dans la jouissance de l'autre : on ose partager plus qu'il n'est habituellement accordé de le faire.
Mais, chemin faisant, on s'engage également beaucoup plus dans ses textes. En voici quelques exemples. J'en limite le nombre car je crains de lasser le lecteur qui ne peut sentir ce quelque chose d'outre-mots qui rayonne parfois dans nos rencontres heureuses.