Eléments d’anthropologie des sciences humaines et sociales en univers technologique



Yüklə 0,83 Mb.
səhifə10/16
tarix26.10.2017
ölçüsü0,83 Mb.
#13983
1   ...   6   7   8   9   10   11   12   13   ...   16

5. Les SHS en relation  


Cette partie synthétise de nombreux éléments qui ont trait aux modes de présence et de travail des SHS dans les institutions visitées : qu’il s’agisse des espaces-temps, du sens accordé à la notion de « technologie », des relations entre recherche et entrepreneuriat, du statut de la co-conception, ou encore de celui des concepts produits et partagés. Autant d’éléments qui visent à saisir de manière concrète et problématisante quelques traits structurants – et parfois singularisants – de la recherche en SHS en univers technologique.

5.1. Les espaces-temps de la recherche


La situation géographique des institutions par rapport à Paris joue un rôle dans les modes de présence et de collaboration. À COSTECH, les SHS sont majoritairement parisiennes. Ce qui explique la présence moindre d’une partie de ses membres durant la semaine. D’un autre côté, la proximité de Paris favorise les interactions ponctuelles, c’est-à-dire les réunions, au détriment de périodes de présence plus continues. Les chercheurs ont aussi la possibilité de se rencontrer à Paris entre eux, où à l’IMI (Institut de Management de l’Innovation, antenne parisienne de l’UTC), qui est en quelque sorte la base de certains enseignants-chercheurs. Paris reste un pôle attracteur des SHS. Être présent à Paris permet de maintenir des liens avec les communautés SHS plus académiques. Par contraste, à l’UTBM, la distance de Paris explique la forte présence des chercheurs SHS qui sont obligés d’habiter sur place. Du coup, l’équipe RECITS a une fréquence de réunions moindre (mensuelle) mais la proximité des chercheurs favorise une présence quasi-continue dans les locaux. Ce fait participe de l’ancrage territorial fort qui caractérise l’équipe RECITS et ses questions de recherche. À l’UTT, l’équipe Tech-CICO présente une situation mixte. La majeure partie de ses membres sont parisiens. Paris conserve son attractivité, mais la distance plus grande qui sépare Paris de Troyes que Paris de Compiègne se traduit par une présence moins soutenue dans les locaux et une fréquence de réunion moindre (mensuelle). Comme l’explique Myriam Lewkowicz350, ceux qui se retrouvent dans le train et ceux qui sont sur place ont tendance à constituer des sous-groupes d’interaction. En revanche, le numérique permet de maintenir une fréquence d’interaction soutenue. L’équipe se distingue par une certaine rigueur et une certaine réactivité dans leurs usages des outils collaboratifs en ligne : documents partagés écrits à plusieurs mains, répertoires des publications des membres partagés et constamment actualisés, etc. Cette particularité a évidemment à voir avec la forte représentation des informaticiens dans l’équipe (50%) et la thématique de recherche centrale de l’unité, à savoir la communication médiatisée par ordinateur.

Le cas de UniLaSalle à Beauvais présente un aspect comparable du point de vue de la distance à Paris et de l’usage soutenu des outils numériques, en particulier les emplois du temps partagés Outlook qui participent de l’organisation des rencontres entre les membres de l’équipe INTERACT. En revanche, l’importance de l’activité d’enseignement à UniLaSalle, qui est une école d’ingénieurs privée, contraint à une obligation de présence dans les locaux.

La situation géographique ne détermine évidemment pas les modalités d’interaction et de collaboration entre les chercheurs. Ce serait confondre le laboratoire comme environnement de recherche avec le laboratoire comme milieu de recherche351. En effet, CREIDD, l’autre équipe à composante SHS de l’UTT, présente une fréquence élevée de réunions hebdomadaire, et la plupart de ses membres, notamment doctorants, habitent sur place. « On partage les news, l’actualité, parfois on invite des extérieurs » explique Nadège Troussier, responsable du CREIDD. Nous avons aussi pu constater qu’ils évoquent les opportunités de financement, discutent des relations avec les entreprises partenaires potentielles et échangent des conseils méthodologiques. On peut faire l’hypothèse que les thématiques de recherche – informatique pour Tech-CICO et écologie industrielle liée au développement durable des territoires pour CREIDD – jouent un rôle important dans l’organisation des fréquences et des présences parce qu’elles impliquent des pratiques qui induisent des rapports différents aux lieux : interactions en partie à distance via les supports numériques à Tech-CICO, interactions locales encouragées par la thématique « territoire » à CREIDD. Ainsi les thématiques « font milieu », et elles organisent différemment la relation aux lieux. Toutefois nous avons pu constater que certains membres de CREIDD présents sur le site de l’UTT au moment d’une réunion hebdomadaire n’assistent pas forcément à la réunion et préfèrent échanger dans la cafétéria. Ils ne sentent pas forcément tous concernés. Le concernement collectif est donc intermittent et à géométrie variable. Comme l’explique un doctorant du CREIDD, la proximité géographique ne suffit pas à susciter de l’interdisciplinarité en acte. « Cela pose la question de la fonction d’un labo et du rôle des chercheurs : le fait de réunir, dans un même lieu (les murs d’un labo) des disciplines différentes, est-ce que ça fait un labo interdisciplinaire ? Je ne crois pas vraiment. De l’interdisciplinaire peut émerger mais ça n’est pas le fait de la seule proximité géographique – ce sont les individus qui ont créé l’interdisciplinarité dans notre cas [avec une autre doctorante], pas l’institution labo. La proximité géographique facilite mais n’est pas une condition suffisante, loin de là ». Pour installer un milieu de recherche propice à une interdisciplinarité féconde, encore faut-il susciter un univers de recherche partagé – ce qu’en l’occurrence nous appelons un « univers technologique ».     

Concernant la vie collective des SHS à l’UTC, une des spécificités du COSTECH est l’intensité des interactions352. Il y a 3 équipes à COSTECH. CRED se distingue par la fréquence soutenue de ses interactions, avec une réunion hebdomadaire le lundi matin, qui est plutôt bien suivie, mais une présence décroissante durant le reste de la semaine. À CRI et à EPIN, on observe une fréquence de réunion moindre mais une plus forte présence des chercheurs dans les locaux.

Comment qualifier les types d’interaction entre les chercheurs de COSTECH, en particulier quand elles sont soutenues, comme par exemple à CRED ? On partira de l’étonnement exprimé par Myriam Lewkowicz, responsable de l’unité Tech-CICO à l’UTT : « vous vous voyez tous les lundis mais qu’est-ce que vous avez à vous dire ? En une semaine on n’avance pas »353. Alors, répondons, que fait-on à CRED ? Il y a une réunion plénière mensuelle assez classique, où l’on évoque les questions administratives et organisationnelles, puis chacun restitue l’avancement de ses projets, suivi d’une intervention d’un membre interne ou d’un invité. Mais le reste des lundis matins, l’équipe se réunit en atelier (atelier expérimental, atelier lecture de textes philosophiques, …). Ce terme d’ « atelier » est significatif ; ce ne sont pas de simples réunions où chacun restitue son travail individuel, mais bien des ateliers où on travaille collectivement. En réunion, classiquement, chacun restitue l’actualisation de travaux effectués en dehors de la réunion. Au contraire l’atelier est le lieu et le moment de l’actualisation d’une puissance de travail collective. Par exemple, dans le cadre de l’intégration du design à COSTECH dans CRED via Anne Guénand, le CRED organise la régulièrement un atelier design. Ainsi, on ne se contente pas de la simple arrivée d’une composante. On en fait une occasion d’expérimenter une nouvelle puissance collective. Un « atelier expé » constitue un moment fort de l’équipe CRED dans la mesure où il est le lieu de déploiement d’une thématique et d’une activité centrale pour l’équipe à savoir l’expérience : c’est-à-dire à la fois avoir une activité de psychologie expérimentale, et questionner l’expérience humaine dans sa constitutivité technique. Historiquement, ces expériences se sont développées autour du dispositif TACTOS et de l’activité du GSP (Groupe Suppléance Perceptive). Est-ce que ça marche ? Le déroulement des ateliers expérimentaux est souvent remis en question dans un va-et-vient entre deux critiques : soit les ateliers expérimentaux seraient trop spéculatifs et donneraient lieu à une tendance à l’intellectualisation au détriment de la pratique expérimentale354 ; soit les expériences seraient trop détachées des questions philosophiques visant à donner sens et cohérence à ces pratiques expérimentales. On touche là à un point clivant sur le type de rapports que devrait avoir une équipe SHS à la technologie. D’un autre côté, cette permanente remise en question démontre le fort concernement de l’équipe pour les activités expérimentales et leur signification dans une pratique de recherche technologique.

À UniLaSalle, plusieurs enseignants-chercheurs font état d’un manque d’interactions centrées sur la recherche entre les SHS et les STI ainsi qu’entre les membres d’INTERACT. Ils regrettent que les réunions mensuelles d’INTERACT restent seulement « administratives ». Pour Maryem Cherni, « c’est la première chose que j’ai remarqué quand je suis arrivé, il n’y a pas d’ateliers. Il y a des réunions mais pas d’ateliers et ce n’est pas pareil ». Pour pallier cela, depuis la rentrée 2015, Maryem Cherni a mis en place un « atelier sandwich » au sein d’INTERACT. Puisque les enseignants-chercheurs n’ont pas de temps pour se rencontrer, l’atelier sandwich convie les membres d’INTERACT pendant la pause déjeuner. Chacun amène son sandwich et un membre de l’équipe ou un invité extérieur présente un travail en cours avant d’ouvrir la discussion. Si tout le monde reconnaît que la mise en place de ces ateliers va dans le bon sens et permet à chacun de mieux connaître et comprendre les travaux de ces collègues, pour certains il faudrait aller plus loin et réfléchir à des questions « méta » sur l’identité du groupe. C’est au travail, à travers les thèmes propres à chacun des ateliers que s’établissent les convergences et synergies. Néanmoins, les discussions font aussi comprendre qu’une dynamique minimale simplement multidisciplinaire ne suffit pas à elle seule à fédérer un groupe.

Toujours sur la vie collective, on constate une forte corrélation à COSTECH entre questions organisationnelles, questions administratives et questions de recherche. Par exemple, quand il a fallu commencer à préparer le rapport HCERES en vue de l’évaluation de l’unité en novembre 2016, les positions étaient partagées. Certains chercheurs voyaient d’abord cela comme une corvée administrative qui allait empiéter sur le temps de recherche. Pour le comité de direction du laboratoire COSTECH, il fallait prendre la chose par son bon côté et profiter de cette occasion pour faire un travail collectif d’auto-analyse et de projection non distinct, bien au contraire, des questions de recherche. À travers les réunions d’équipe et l’AG annuelle du laboratoire, le rapport est devenu une question de recherche en elle-même. Finalement c’est tout le collectif qui s’est pris au jeu au-delà de la division du travail qu’impliquait la rédaction du document. À tel point qu’en privilégiant le contenu sur la formalité administrative, COSTECH a finalement produit un document trop long et donc pas dans les normes. Autre exemple : à l’AG COSTECH de juin 2016, les doctorants ont émis le souhait d’être mieux informés sur les aspects relationnels et pratiques de la condition de doctorant, qui a été amenée à changer suite à la réforme du contrat doctoral rentrant en application en septembre 2016. Au terme de ces échanges, et au-delà des dispositions liées aux obligations réglementaires de la réforme, COSTECH a décidé de faire de cette question un thème à part entière d’un des prochains séminaires transversaux.

On a là deux exemples de transformation de questions organisationnelles en questions de recherche. Mais cela peut aussi fonctionner dans l’autre sens : des questions de recherche vers les modes d’organisation. Par exemple, un séminaire de recherche transversal consacré à « l’éthique dans la recherche technologique » a débouché sur la proposition de mise en place d’un conseil informel d’éthique au sein de COSTECH. Bref, il y a un va-et-vient constant et dans les deux sens entre questions de recherche et gouvernance organisationnelle. Mais plus qu’un aller-retour entre deux dimensions différentes de la vie collective, certaines figures de COSTECH ou de TSH incarnent une indissociabilité entre ces deux dimensions. Serge Bouchardon, directeur du COSTECH, affirme que « le type de recherche qu’il pratique, n’aurait jamais été possible ailleurs »355. Même le travail philosophique d’Hugues Choplin – se déployant dans l’ordre du concept et n’ayant à première vue pas d’implications pratiques – peut être lu comme la théorie immanente à l’action qu’il a menée dans la réorganisation de l’offre d’enseignement de TSH pendant son mandat de direction du département356.   Le collectif ne travaille pas seulement sur la constitutivité technique de l’expérience humaine ; il s’efforce aussi de pratiquer cette constitutivité dans sa manière d’être collectivement, par l’abondance de réunions, de rencontres, et de discussions dans des espaces dédiés et accessibles à tous. En témoigne également la culture de l’acronyme pour désigner les enseignements ou les projets de recherche : si l’on perd éventuellement en profondeur sémantique, c’est pour gagner plus en signification opératoire lors des discussions et prises de décision.




Yüklə 0,83 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   ...   6   7   8   9   10   11   12   13   ...   16




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

gir | qeydiyyatdan keç
    Ana səhifə


yükləyin