Gaston Bardet


DE QUELLE MANIERE FAUT-IL PRIER ?



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DE QUELLE MANIERE FAUT-IL PRIER ?


Ce que nous avons peine à comprendre, c'est qu'au bout de tant d'entretiens et de discussions, les parties ne se soient pas rapportées tout simplement - comme il se devait - au Catéchisme du Concile de Trente 438. Il y avait là l'explica­tion la plus simple et la plus claire des fameuses IXme et Xme conférences de Cassien.

« Premièrement, il faut prier en esprit et en vérité. C'est ce que Jésus-Christ nous apprend lorsqu'il dit (Jean 4.23) que le Père Céleste cherche des adorateurs qui l'adorent « en esprit et en vérité ». Or c'est prier en esprit et en vérité que de prier de toute l'affection et de toute l'ardeur de son cœur. Et quoiqu'on puisse joindre la prière vocale à cette prière, qui est toute intérieure et spirituelle, c'est néanmoins avec beaucoup de justice qu'on donne la préférence à celle-ci, puisque Dieu, qui pénètre les pensées les plus secrètes du cœur, l'exauce volontiers quoiqu'elle ne passe pas jusqu'aux paroles ».

« Il n'y a à proprement parler que les chrétiens qui prient en esprit. Car les païens et les infidèles ne connaissent point cette prière 439. C'est pourquoi Notre Seigneur nous avertit de ne point faire comme eux : « Ne soyez pas », dit-il (Matth. 6.7) « grands parleurs comme les païens, qui s'imaginent qu'à force de paroles, ils obtiendront ce qu'ils demandent : ne vous rendez pas semblables à eux, parce que votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez ».

C'est ainsi que priait David, le modèle des contemplatifs : « Mon cœur vous a parlé » dit-il à Dieu, « mes yeux vous ont cherché » (Ps. 26.8). Les hypocrites ne prient point non plus en esprit. « Mais pour vous, lorsque vous voudrez prier, entrez en un lieu retiré de votre maison, et fermez la porte, priez votre Père en secret, et votre Père qui voit ce qui se passe dans le secret vous rendra la récompense ». Par ce lieu retiré, où Jésus-Christ nous exhorte d'entrer pour prier, l'on peut fort bien entendre notre cœur, où il ne suffit pas de nous retirer mais dont encore il faut que nous fermions l'entrée à toutes les pensées des choses du monde qui pourraient s'y glisser et dont la moindre serait capable de faire que notre prière fut moins excellente et moins parfaite ».

Et ainsi le Concile nous avertit de la nécessité de la « garde du cœur », ce cœur qui est le Château de Mère Thérèse, le refuge où se retirait Sœur Elisabeth de la Trinité, comme jadis Catherine de Sienne ou tous les Sinaïtes.

« Il faut que la prière soit fréquente et presque continuelle car rien ne peut nous faire obtenir plus promptement l'effet de nos prières que cette assiduité ».

La réponse est sans ambiguïté, « Il faut toujours prier » (Luc 18.1). La meilleure oraison est l'oraison mentale, brève, répétée et presque continuelle. Le presque supprimant toutes les difficultés d'interprétation et ramenant le soi-disant « état fixe » à une pratique concrète des pulsations successives, mê­me si le Saint Esprit s'en mêle... nous l'avons vérifié chez le F. Mutien-Marie.

Le Concile a parfaitement décanté Cassien, éliminant la fausse piste de la « méditation », celle de la continuité absolue et de « l'objet immobile à fixer », précisant la garde du cœur, et l'entrée dans le cœur mais laissant à tous ceux qui sont bien décidés à obtenir l'union, l'infaillible moyen de la veuve et de l'ami qui a besoin de pain, c'est-à-dire l'importunité : « Car je vous le dis, quand même il ne se lèverait pas pour lui donner, parce qu'il est son ami, il se lèvera à cause de son importunité et lui donnera autant de pain qu'il en a besoin » (Luc XI. 8).

Dieu est oriental, il aime à être importuné, c'est pour lui une preuve d'amour et une preuve de fidélité. C'est l'occiden­tal prométhéen qui affichera dans ses bureaux : « Vos minu­tes sont précieuses, les nôtres aussi ».

Le Catéchisme est clair, l'oraison doit être « mentale, brè­ve et presque continuelle ».


LE DIAGNOSTIC DE RUYSBROEK L'ADMIRABLE.


Contre l'erreur expérimentale qualifiée si malencontreuse­ment de quiétiste (car elle a déformé la notion de quiétude) rien n'a été écrit - avant la lettre en 1330 - de plus sage et de plus clair que par le Bienheureux Ruysbroek, contre les « Frères du Libre Esprit ». Il donne d'abord trois marques particulières permettant de reconnaître ceux qui n'ont pas l'expérience véritable de la contemplation.

« Tandis que l'homme illuminé de Dieu est simple, solidement établi et libre de considération sous l'action de la lumière divine, ceux-ci sont encombrés de mille soucis, sont instables et tous rem­plis de recherche et de considérations ; ils ne goûtent, ni unité inté­rieure, ni apaisement d'imagination, à ce premier signe, ils peuvent bien se reconnaître eux-mêmes ».

« En second lieu, alors que l'homme éclairé possède de Dieu une sagesse infuse qui lui fait connaître distinctement la vérité sans nul labeur, ceux-ci ont des vues subtiles sur lesquelles ils bâtissent en imagination, amplifient et raisonnent habilement ; mais au fond, ils sont pauvres et ne savent donner à leur enseignement la vraie largeur ; car tout y est multiplicité, encombrement de choses étran­gères et subtilité. Aussi ne peuvent-ils qu'entraver, gêner et trou­bler les âmes intérieures, ne sachant ni conduire, ni montrer le chemin vers l'unité, mais seulement apprendre à faire des remar­ques habiles et sans fin. Ces gens là sont jaloux de leur enseigne­ment et de leur manière de voir, alors que la pensée d'autrui peut être aussi juste que la leur. Ils n'ont ni l'exercice, ni l'estime des vertus, et ils sont remplis d'orgueil spirituel, dans tout leur être. Voilà pour le second signe. »

« En troisième lieu, tandis que l'homme éclairé et aimant se donne universellement par charité à tous, au ciel et sur la terre, ainsi que nous l'avons dit, ceux-ci ne mettent que particularisme en toutes choses. Ils veulent qu'on les ait en grande estime, eux et leur ensei­gnement. En dehors de ce qu'ils disent ou conseillent, de leur ma­nière de faire et de leur enseignement, tout leur semble erreur. Ils s'accordent largement tout ce qui leur est utile et ils sont peu regardants à ce qu'ils estiment fautes légères. Ils n'ont ni justice, ni humilité, ni largeur d'âme : ils ne sont point sensibles aux pau­vres, ni d'esprit intérieur, ni zélés, ni sensibles à l'amour divin. Ils n'ont enfin ni la Science de Dieu, ni d'eux-mêmes pour pratiquer la vertu comme il convient. C'est le troisième point » 440.

Puis il distingue soigneusement les deux repos : le repos en Dieu et le repos naturel, car « toute créature se porte na­turellement au repos ». « Sachez donc que, dès que l'homme se dépouille et s'abstrait d'images dans la partie sensible, devient oisif et sans action selon les puissances supérieures, il entre tout naturellement en repos. Or, tous sont capables, de découvrir et posséder ce repos, en eux-mêmes par simple nature et en dehors de la grâce de Dieu, du moment qu'ils peuvent s’abstraire d'images et de toute a,ction. Mais ce n'est pas là que l'homme aimant peut se reposer, car la charité et la motion intime de la grâce de Dieu ne demeurent pas oisives, et c'est pourquoi l'homme intérieur ne peut durer longtemps en lui­même dans le repos naturel. Mais voyez de quelle manière on entend le pratiquer. L'on s'assoit tranquillement, libre de tout exercice soit intérieur soit extérieur, en pleine oisiveté afin de trouver le repos et de pouvoir le conserver sans entrave ». « Croyez que le repos pris de cette manière n'est point permis, car il met en l'homme un aveuglement complet et une ignorance de tout savoir, en même temps qu'un affaissement sur soi-même qui exclut toute action... Cela est très contraire au repos surnaturel que l'on possède en Dieu et qui consiste à se fondre d'amour et à fixer d'une façon simple l'incompréhensible clarté ».

L'ermite de Groenendael souligne au passage le double mouvement de recueillement et de sortie. « Demeurer à ja­mais à l'intérieur et s'écouler toujours vers l'extérieur, pour rentrer, sans cesse à nouveau », puis précise : « Le repos en Dieu doit toujours être cherché d'une manière active avec une entière affection et c'est l'inclination fruitive qu'il faut découvrir et posséder éternellement dans l'immersion amoureuse. Même possible, il est néanmoins, toujours poursuivi et il dépasse le repos naturel autant que Dieu l'emporte sur toutes les créatures. Aussi sont-ils dans l'erreur tous ces hommes qui se recherchent eux-mêmes, s'ensevelissent dans le repos naturel et ne poursuivent point Dieu par l'affection, ni ne le rencontrent par l'amour de fruition... ». « Dans un tel désœuvrement, le repos est agréable et com­plet »... c'est une pratique d'hygiène psycho-somatique, avons-­nous dit (chap. IV).

« Mais alors qu'on veut s'y adonner et le posséder en dehors de toute œuvre vertueuse, l'on tombe dans un orgueil spirituel et dans une complaisance de soi-même qui peuvent à peine se guérir. L'on croit alors avoir parfois ce dont en réalité on n'approche jamais. Lorsque l'homme se repose ainsi en une fausse oisiveté et pense que toute application amoureuse lui est un obstacle, il prend son repos en lui-même et il se met en contradiction avec le premier mode d'union à Dieu » qui est la pure contemplation, « le regard simple dans l'amour de jouissance».

Cette absence d'union avec la Ténébreuse clarté sera germe des erreurs spirituelles ; mais ces erreurs engendreront à leur tour de graves conséquences. Détourné « de Dieu pour se porter vers lui-même, par amour naturel », le faux mystique « ne recherche et ne désire que consolation, douceur et satisfac­tion... Il se montre sans cesse dans un esprit propre, sans ou­bli de soi ». Cependant : « Il en est qui mènent une vie rude et pratiquent de nombreuses pénitences, pour avoir la réputation et le renom de grande sainteté et mériter aussi bonne récompense ; car tout amour naturel pour­suit son propre bien et prendrait volontiers l'honneur sur la terre et grande récompense pour l'éternité ». « D'autres ont de grands désirs, demandant et souhaitant beau­coup de choses extraordinaires de la part de Dieu. Et c'est souvent pour eux une cause d'erreurs ; car il arrive parfois qu'ils obtien­nent par l'intermédiaire du démon les choses qu'ils désirent et ils pensent que c'est le fruit de leur sainteté et qu'ils ont mérité tout cela, tant ils sont orgueilleux et étrangers à la touche et à l'illu­mination divine. Aussi demeurent-ils repliés sur eux-mêmes, gran­dement réjouis par la moindre consolation ; car ils ignorent ce qui leur manque. Un appétit désordonné les attire tout entiers vers une délectation intérieure et une satisfaction spirituelle purement naturelles »... « Remplis aussi d'orgueil spirituel et de volonté propre, ces hom­mes se portent parfois avec une telle passion et une telle ardeur vers ce qu'ils désirent et ce qu'ils réclament avec âpreté de la part de Dieu, qu'ils se fourvoient fréquemment et que quelques uns tombent même en la possession du démon ».

Non seulement « détournés » de Lui, mais ne pouvant s'u­nir à Dieu par cette fausse et dangereuse méthode, les faux­ mystiques sont conduits au pire, qui rend impossible leur redressement.

« Notez bien ce signe, auquel vous pourrez les reconnaître tant en leurs paroles qu'en leurs œuvres. Par le fait de ce repos naturel dont ils jouissent en eux-mêmes dans l'oisiveté, ils se tiennent pour libres et unis à Dieu sans intermédiaire, élevés au-dessus de toute pratique de la Sainte Eglise, des commandements de Dieu et de la Loi et de toutes les œuvres vertueuses, quelles qu'elles puissent être ; car leur oisiveté leur semble de si grande importance, qu'on ne doit y mettre obstacle par aucune œuvre, si bonne soit-elle, puisqu'elle est en elle-même au-dessus de toute vertu... à leur avis, ils sont au-delà de tous les exercices et de toutes les vertus... ». «Ils pensent donc ne jamais pouvoir croître en vertu, ni monter davantage, ni commettre de péchés ; car ils n'ont plus de volonté, ils ont fait abandon à Dieu de leur esprit adonné au repos et à l'oisiveté et réduit à néant quant à eux-mêmes. La conséquence c'est qu'ils peuvent consentir à tout désir de la nature inférieure, car ils sont revenus à l'innocence et les lois ne sont plus pour eux… Ils obéissent aux instincts de la nature, afin que leur oisiveté d'esprit demeure sans obstacle... » au lieu de la seule conformité au bon vouloir divin, dans l'ef­fectif « état d'innocence » juanique. C'est bien pourquoi la pureté, la chasteté servent de tests fondamentaux en cette affaire.

Nous nous excusons de ces longues citations, mais cette magistrale analyse psychologique peut s'appliquer aux guyo­nistes comme aux bhégards, aux alumbrados comme à Moli­nos sans oublier le « Quiet-time » du Réarmement moral 441. Nous avons vu du point de vue médecine et magie ce qui peut se passer lorsqu'on a l'imprudence de « faire le vide ».

Et le Bienheureux de donner dans le langage le plus simple, en dehors de toute formulation d'école, les véritables modes des exercices les plus intimes avec Dieu.



« Nul ne peut parvenir au repos qui dépasse l'action, s'il n'a aimé auparavant d'un amour avide et actif. C'est pourquoi la grâce de Dieu et notre amour agissant doivent tout à la fois précéder et suivre : c'est-à-dire que l'exercice doit être pratiqué avant et après... Nul ne doit donc demeurer oisif, lorsqu'il a la maîtrise de lui­-même » en dehors de l'extase, « et peut pratiquer l'amour » 442.

« C'est ainsi que l'homme est juste, allant à Dieu avec un amour intime par une perpétuelle activité, et entrant chez Dieu, avec son inclination de fruition, en un éternel repos. Là, il demeure en Dieu, et néanmoins il sort, se donne d'un commun amour à toutes les créatures et s'applique aux œuvres de vertu et de justice. C'est là le degré le plus haut de la vie intérieure. Et tous ceux qui n'exer­cent pas, en même temps, le repos et l'action, n'ont pas encore acquis la justice dont nous parlons ».

Ruysbroek nous donne ainsi une magnifique leçon d'alter­nance des activités que l'on pressent dès la Genèse, « Il y eut un soir et il y eut un matin » : Sainte activité de l'Esprit durant notre repos apparent. Activité humaine durant nos as­pirations. Alternance qui ne se résoud qu'en la fusion totale des élans d'amour de l'homme et de Dieu dans la Vive Flam­me ; alternance qui traduit le plus haut mystère, celui du Dieu : Un, éternel repos, et Trine, éternelle action.


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