Gaston Bardet


NOTRE TRESOR, DANS UN VASE D'ARGILE… 282



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NOTRE TRESOR, DANS UN VASE D'ARGILE… 282


Pour bien comprendre les rôles respectifs de nos facultés inférieures : sensibilité et imagination, et de nos facultés su­périeures : intelligence et volonté, il nous faut insister (une fois de plus) sur les conséquences du péché originel, seul moyen de raisonner droit sur l'homme réel et actuel. Nous sommes obligés de conserver, ci-après, la division binaire ontologique.

« Avant la chute, le surnaturel soumettait au Seigneur l'esprit et la volonté de l'homme, le préternaturet soumettait à la raison les sens et les facultés inférieures. Tant que l'homme restait attaché à la loi divine, aucun mouvement mauvais ou désordonné ne devait s'élever de sa chair. La soumission à l'esprit était garantie de la docilité de ses sens. Quand l'homme se révolta, toutes ses facultés sortirent de l'ordre, la volonté par la désobéissance, la raison par le jugement pratique de pré-éminence de la Science [expérimen­tale] du Bien et du Mal, les sens par la rupture du lien préterna­turel qui les enchaînait aux ordres de la raison surnaturelle » 283.

Ecartons le cas singulier d'Adam qui, créé à l'âge adulte, reçut en bloc des idées infuses au lieu d'avoir à les acquérir lentement. Si l'état d'innocence ou de justice originelle avait été conservé, ses descendants auraient reçu progressivement le Vrai par connaissance infuse - soit par idée distincte, soit par lumière générale - en leur Mémoire.

En cet état Dieu aurait informé directement et simultané­ment par notre intelligence (en notre mémoire rationnelle) notre appétit rationnel ou volonté, et par notre imagination (en notre mémoire sensible) notre appétit sensible ou sensibi­lité. Toutes nos facultés inférieures comme supérieures au­raient été touchées, en même temps et par suite de leur na­turelle hiérarchie (rendue indiscutée par le don de justice originelle), nos premiers mouvements auraient ressorti à l'ap­pétit supérieur, rationnel, la Volonté.

Il n'y aurait pas eu de « centre obscur » inférieur en lutte avec le Château. Tout venant d'en-Haut, tout aurait été sus­pendu au supérieur, la raison et la volonté à Dieu même, le Sens (organe des sens, sensibilité, imagination) à la raison. Nous aurions accepté par obéissance filiale, par amour, de recevoir d'En-Haut - notre liberté de refuser restant, on l'a vu, entière.

Il ne s'agit point ici d'hypothèse, ni d'abstraction, ni « d'in­vention de théologien » dirait le P. Hugon ; c'est très exacte­ment, en ce qui concerne les puissances supérieures, la con­dition actuelle du transformé dont tous les mouvements vo­lontaires, même premiers, sont divins. On peut le comprendre par la comparaison suivante : « Le mariage spirituel, entre Dieu et l'âme, étant consommé, il y a deux natures dans un seul esprit, et un seul amour de Dieu, comme lorsque la lumière de l'étoile ou de la chandelle, en présence du soleil, se joint et s'unit avec sa lumière. Ce n'est pas l'étoile ni la chandelle qui éclaire, mais le soleil absorbant en soi les autres clartés » 284.

Tous les mouvements, écrit le Saint, dans la Vive Flamme, toutes les opérations et inclinations que l'âme tenait précé­demment de sa force naturelle sont par le fait de son union (transformante) avec Dieu, changés en actes surnaturels. Il avait déjà écrit dans les premiers chapitres de la Nuit active de la Mémoire : « La mémoirte étant transformée en Dieu, il ne peut s'y imprimer de formes ni de notices des choses. C'est pourquoi les opérations de la mémoire et des autres puissances, en cet état, sont toutes divi­nes, parce que Dieu possédant désormais les puissances comme Seigneur absolu, par leur transformation en Lui, c'est Lui-même qui les meut et leur commande divinement selon Son divin Esprit et selon Sa volonté ; et alors, c'est de manière que les opérations ne sont pas distinctes, mais que celles que l'âme opère sont de Dieu et sont des opérations divines, car comme dit Saint Paul, « celui qui s'unit avec Dieu se fait un esprit avec Lui » 285.

Précisons bien comment s'effectue pratiquement cette véri­table « magnétisation » souhaitée par Thérèse de Lisieux ; elle porte sur le savoir, le souvenir et l'amour. « D'où vient que les œuvres de ces âmes sont celles qui sont convenables et qui sont raisonnables et non celles qui sont hors de propos ; parce que l'Esprit de Dieu leur fait savoir ce qu'elles doi­vent savoir et ignorer ce qu'il faut ignorer, et se souvenir de ce dont elles doivent se souvenir avec formes et sans formes et oublier ce qui est à oublier et leur fait aimer ce qu'elles doivent aimer et n'aimer ce qui n'est pas Dieu. Et ainsi tous les premiers mouve­ments des puissances de ces âmes sont divins, et il n'y a point sujet de s'étonner que les mouvements et opérations de ces puis­sances soient divins puisqu'elles sont transformées en un être divin:.. .

Toutefois, cette union habituelle et persévérante des trois puissances n'est pas sans cesse actualisée comme chez Adam, le transformé reste « en-transformation ». Aussi notre Doc­teur de la Mémoire de préciser : « Et quoi qu'il soit vrai qu'à peine se trouvera-t-il une âme qui soit mue de Dieu en toutes choses et en tous temps, ayant une union si continuelle que, sans le moyen d'aucune forme, ses puissances soient toujours mues divinement, il n'en est pas moins vrai qu'il y en a qui sont très ordinairement mues de Dieu en leurs opérations, et ce ne sont pas elles qui se meuvent ».

Autrement dit, s'il n'y a pas de mouvement volontaire, même premier, qui puisse désormais échapper à la domina­tion et au contrôle de l'esprit, il y a des premiers mouve­ments involontaires vite réfrénés : « des réflexes cependant subsistent, des influences extérieures se font sentir, qui, sans troubler les profondeurs, ni blesser l'union avec Dieu, marquent leurs influences par des rides sur la surface des eaux apaisées. Ce triomphe de l'amour et cette domination de l'Esprit dans les âmes s'affirment moins par une régulation de tous les gestes et attitudes extérieures que par une unité réalisée dans les profondeurs, par la réalisation de l'œuvre voulue par Dieu » 286.

En effet, si par la grâce sanctifiante, nous pouvons, tous comme Adam, retrouver la soumission (dans la liberté) au Seigneur de nos trois puissances supérieures, nous ne retrouvons pas les dons préternaturels d'impassibilité ou d'intégrité qui soumettaient infailliblement la chair à la raison ; nous re­trouvons mieux sur le plan surnaturel par la Rédemption.

Cependant, ces dons préternaturels peuvent être remplacés par des grâces véritablement charismatiques : grâce de chas­teté parfaite par exemple, qui met en oubli total l'appétit sensible, vide l'imagination et supprime même les premiers mouvements de la sensibilité (sinon de la vie végétative) en cette matière.

L'âme retrouve en ce cas « l'innocence adamique » dans une liberté et une pureté d'enfant. Mais Dieu n'agit ainsi que pour des grâces quasi angéliques ; Il n'intervient pas, là où nous pouvons intervenir avec fruit. S’il rend inoffensive la morsure du serpent, Il n'empêche point la brûlure des piqûres de fourmi. .

L'aiguille d'une boussole reste infailliblement orientée vers son aimant, cependant elle frémit au choc, peut-être détour­née par force, mais elle reprendra toujours sa position d'équilibre.

Il était nécessaire d'insister sur ce mode d'information in­térieure, tellement éloigné de celui connu depuis la Chute.

Observons cependant, que ce caractère d'information géné­rale infuse, s'il ne subsiste pas dans l'Intelligence, subsiste dans la Volonté de l'homme. Celle-ci, même chez le pécheur le plus endurci, reste toujours éclairée vers le Bien par la Mémoire, mais elle ne s'y dirige point à coup sûr comme chez le transformé. La confusion qui règne en psychologie relati­vement aux états affectifs provient précisément de ce carac­tère d'information, générale et non distincte, de notre Volon­té 287, caractère négligé par les psychologues.

Par la faute originelle, Adam, au lieu d'accepter d'être in­formé directement, mais passivement, a voulu connaître le monde créé exclusivement et orgueilleusement de par lui­même, expérimentalement, donc seulement par ses sens, uni­que moyen de communication directe et active de l'homme vers le cosmos, le milieu extérieur.

Alors que la mémoire intellectuelle (avec ou sans forme) était la porte supérieure de l'âme, c'est désormais le Sens qui devient portier. On entre par la « back-street ».

Après le péché, la ré-volte, le re-tournement, le re-fus, l'homme devient uniquement informé par ses sens. La volon­té (ou appétit rationnel) est court-circuitée. Les cinq sens communiquent directement avec l'appétit sensible ou sensibilité­ formant avec l'imagination : le Sens, qui guide l'homme-ani­mal. Mais, pour atteindre l'appétit rationnel (ou volonté) les sens (ou facultés perceptives sensibles) doivent d'abord pas­ser par l'intelligence qui, elle, éveille la volonté rationnelle, laquelle préfère (ou non) son appétit d'ordre spirituel supé­rieur à l'appétit d'ordre sensuel inférieur, et déclenche un acte.

L'arc réactif : Sensibilité - Intelligence - Volonté - Action comporte trois temps ; tandis que l'arc réflexe : Sensibilité - Imagination - Action, n'en comporte que deux ; car la sensi­bilité est comme une « volonté » à son niveau, l'appétit infé­rieur de l'animal mû par des images 288.

Sans souffrir diminution, l'intelligence rationnelle - direc­tement touchée à l'origine par Dieu - est ainsi déclassée en

relais. De poste d'information, elle est devenue simple relais,

pour atteindre et déclencher l'appétit supérieur, alors que

l'appétit inférieur est immédiatement touché, excité. C'est

pourquoi nos premiers mouvements viennent désormais, tou­



jours et immuablement des sens, ou mieux du Sens - sauf

intervention particulière de la Grâce.

Si notre nature n'est pas blessée, si chacune de nos facultés inférieures et supérieures reste intacte, il manque cependant les deux liaisons, les deux courroies essentielles : celle du surnaturel et celle du préternaturel, qui faisaient des deux âmes, inférieure et supérieure, un seul moteur recevant son énergie d'En-Haut. Préfère-t-on une comparaison thérésitaine...

La Petite Thérèse aurait dit, sans doute : « l'homme actuel est comme un récepteur radiophonique qui ne connaîtrait point, directement, les ondes qui doivent l'informer par ses « lampes de feu », mais par la caisse en contreplaqué, décorée de boutons et de cadrans, qui l'ensache. Cette caisse vibre par résonance avec les ondes sonores émises par les objets de son entourage : le haut-parleur doit interpréter ces ondes sonores grossièrement émises, grossièrement filtrées et... les expliquer aux lampes ».

C'est le monde renversé...! Exactement. Il faut que les « lampes de feu » retrouvent leur rôle de réceptrices. Pour rétablir l'Intelligence dans son rôle-maître, il faut instaurer celle-ci continuellement dans la Mémoire de Dieu ; tel est le but de l'exercice de la présence de Dieu, de l'exercice d'amour unissant, de la prière perpétuelle (Chap. VIII). Agissant sur le relais, ou mieux la charnière, disposée entre la sensibilité et la volonté, vous faites coup double. Les impressions de la sensibilité sont amorties, freinées, tamisées par leur passage dans le relais plongé en la Mémoire de Dieu. Tandis que la Volonté est comme fixée par l'Intelligence en cette Mémoire.

Il est très remarquable que Jean de la Croix - après les experts en vie contemplative du Sinaï - fasse porter tous ses efforts sur la purification de l'Entendement, puis de la Mémoire et seulement, in fine, de la Volonté. Alors que tous les auteurs ascétiques, au contraire, s'appliquent à la régle­mentation de la Sensibilité et de la Volonté. Il y a là un grand secret, le secret de l'oubli et du grand oubli, car « l'instruction de l'entendement en foi » ne vise qu'à « l'escalier » de l'oubli. Il ne s'agit pas de pratiquer une foi qui atteint Dieu « d'une certaine manière, à distance », par énigme, dirait saint Paul, d'une foi diurne, mais d'une foi ayant renoncé à toute concep­tion distincte et à toute connaissance claire, d'une foi noctur­ne qui est déjà un oubli du créé. Nous ne le répèterons jamais assez, l'expérience mystique essentielle, c'est une expérience d'oubli en la Mémoire de Dieu.

Dans le Cantico B (strophe 1) Jean dit : « Cherche-le dans la foi et l'amour, comme un aveugle, ces deux guides te mène­ront par des chemins que tu ne sais pas jusqu'au secret de Dieu ». Ces chemins sont ceux de l'espérance (donc de la priè­re) qui se glisse entre les deux haies de la foi et de l'amour. Ces chemins de l'espérance sont ceux de la mémoire et de l'oubli.

« Il est caché en toi, et tu ne te caches pas comme lui pour le trouver et le sentir. Si quelqu'un veut trouver une chose ca­chée, il faut qu'il se cache pour entrer là où elle est cachée, et quand il l'a trouvée, il est caché comme elle »... « Parmi les fleurs des lys oublié »... !

Il semble que beaucoup aient restreint l'entendement de Jean à l'intelligence ontologique ; il observe pourtant lui-­même que l'entendement est « à sa manière, le réceptable... des deux autres puissances ». Purifier l'entendement, c'est déjà purifier la mémoire en vue du « grand oubli », qu'il annonce d'ailleurs dès le chap. XIV de la Nuit de l'Esprit.

Mais, objecterez-vous, fort bien dans le cas de l'arc réactif, toutefois dans celui de l'arc réflexe, l'entendement n'a point d'action sur le système organo-végétatif ? Bien sûr que si ; contrairement à ce que l'on a cru longtemps, le système ner­veux central de la vie de relation et le système organo-végé­tatif ne sont pas « anatomiquement distincts mais sont, en très grande partie, étroitement confondus » (Rouvière) pour réali­ser l'unité absolue de l'âme humaine. La maîtrise (par la chaî­ne : volonté, imagination, sensibilité) des sphincters, des mou­vements du pouls ou du cœur a été démontrée par les yoguins.

Si l'entendement juanique implique l'intelligence, l'imagi­nation et le sens, si la volonté juanique comprend la volonté rationnelle et l'appétit sensible, la mémoire, elle, renferme toutes les connaissances, fournies par l'entendement, et tou­tes les affections supérieures et appétits inférieurs, autrement dit toutes les facultés, à tous les niveaux.

C'est bien pourquoi c'est la mémoire - laquelle n'est pas un réservoir, mais une faculté - qui est chargée de l'opéra­tion essentielle en matière de purification du soi-disant « centre-obscur ». Son rôle est tel que Jean de la Croix n'hési­tera pas à attribuer à la Nuit de la Mémoire la guérison même de pseudo-névroses comme la « mélancolie ou d'autre humeur (comme il arrive souvent) ». Il n'ignore rien du prétendu « inconscient », ni de toutes les horreurs et obsessions du « sensuel sale », mais sait par expérience : « Quand ces choses sales leur proviennent de la mélancolie, ordi­nairement ils n'en guérissent guère, jusqu'à ce que cette humeur soit purgée, si ce n'est que l'obscure nuit entre dans l'âme, qui la prive successivement de tout » 289.

Il n'enverra pas au psychiâtre les mélancoliques ou sujets à d'autres humeurs, qui sont un effet de la sécheresse purga­tive, il les soignera par la Nuit de la Mémoire.


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