En septembre 1994, le FMI estime encore "qu'étant donné le rôle des institutions multilatérales dans la mobilisation des ressources en faveur des pays en développement ou en transition, il n'était pas souhaitable et il n'y avait pas lieu d'envisager que ces dernières accordent des remises de dettes".
La future initiative PPTE connaît pourtant un cheminement quelque peu souterrain depuis le début des années 90 dans les services de la Banque mondiale, en particulier sur la base d'analyses de la capacité de remboursement des pays très endettés à faibles revenus (SILIC), selon la classification traditionnelle de cette institution )(5.
Les tableaux de la dette 1994-1995, publiés fin 1994, sur la base de données à fin 1993 présentent une analyse de la structure de la dette des 32 pays très endettés à faibles revenus, situés pour la plupart en Afrique subsaharienne, auxquels sont ajoutés quatre pays très endettés à revenus moyens considérés comme ayant des caractéristiques analogues : Angola, Bolivie, Cameroun et Congo. Il s'agit là des précurseurs des PPTE.
Le concept de "pays pauvres très endettés" (PPTE), susceptibles de bénéficier d'annulations d'une part de dette multilatérale apparaît au début de 1995. La liste officielle des 40 PPTE apparaît également en 1995, mais sans être assortie de propositions : il s'agit des 32 pays très endettés à faibles revenus de fin 1993, de sept pays ayant bénéficié de rééchelonnements à des conditions concessionnelles au Club de Paris et deux pays devenus récemment éligibles à la seule IDA (à l'exclusion des prêts de la BIRD).
Le FMI estime alors "qu'une majorité de pays pauvres très endettés devraient être en mesure de gérer le service de leur dette multilatérale" mais admet que "dans certains pays, le service de la dette et le surendettement envers les institutions multilatérales constituent un lourd fardeau qui hypothèque manifestement leurs perspectives de développement" et préconise un traitement au cas par cas.
Au printemps 1995, le FMI et la Banque mondiale reconnaît la nécessité de traiter le problème de la dette de pays définis comme pauvres et très endettés. Le Sommet du G7, tenu en juin 1995 à Halifax, encourage les institutions de Bretton Woods à aider les pays les plus pauvres confrontés au poids de leur dette multilatérale, en faisant appel si nécessaire à de nouveaux mécanismes.
Un projet de "Facilité de la dette multilatérale" est évoqué en septembre 1995. Cette dénomination, trop explicite, sera abandonnée rapidement.
Le communiqué du Comité du développement )(6 d'octobre 1995 indique que "pour la majorité des pays pauvres lourdement endettés, les instruments actuels devraient suffire à ramener l'encours et le service de la dette à des niveaux acceptables". Il admet que "cependant, pour un petit groupe de pays, ces instruments pourraient ne pas être suffisants" et recommande de "poursuivre la recherche de solutions appropriées".
Cette recherche progresse, malgré certaines divergences entre le FMI et la Banque mondiale, notamment sur les analyses de l'endettement tolérable, le FMI étant concerné pour des montants beaucoup plus faibles et restant attaché à une plus stricte orthodoxie.
Le Comité du développement d'avril 1996 approuve un "cadre d'action pour résoudre les problèmes d'endettement des pays pauvres très endettés". Il reconnaît qu'"un certain nombre de PPTE continueraient probablement de connaître un endettement - dette multilatérale comprise - insoutenable à moyen terme" et définit les principes qui seront à la base de l'initiative d'origine : ramener, au cas par cas, l'endettement du pays considéré à un niveau jugé tolérable, n'agir que si le pays débiteur a donné des preuves de bonne gestion. Il s'agit aussi de "faire en sorte que toute action des créanciers multilatéraux soit compatible avec la nécessité de préserver leur intégrité financière et leur statut de créancier privilégié".
Le financement des mesures est conçu en fonction de ces objectifs. Au delà de prélèvements sur le revenu net de la BIRD, à hauteur de 1,3 milliard de dollars en avril 2001, un Fonds fiduciaire est créé par la Banque mondiale et des contributions externes sont recherchées, en particulier pour couvrir le coût de l'opération pour les bailleurs de fonds multilatéraux autres que FMI, dont certains, comme la Banque africaine de développement, sont dans une situation délicate. Les engagements de financement au titre duFonds fiduciaire s'élèvent aujourd'hui à plus de 2,5 milliards de dollars, les versements effectifs étant de l'ordre du milliard de dollars.
L'endettement tolérable
Les caractéristiques de l'endettement des pays très endettés à faibles revenus ont été analysées dans les Tableaux de la dette 1994-1995.
Le ratio du service de la dette rapportée aux exportations s'élevait en moyenne à 45 % (mais atteignait 323 % dans le cas du Nicaragua). Les versements réels restaient cependant très inférieurs au service théorique de la dette (environ 40 % de celui-ci), ce qui était donc significatif d'une insolvabilité réelle, entraînant une accumulation d'arriérés considérables. Le ratio de la dette rapportée aux exportations des pays très endettés à faibles revenus variait de 227 % pour le Kenya à plus de 1000 % pour la Guinée-Bissau, Sao Tome et Principe, le Mozambique, le Nicaragua, le Soudan et la Somalie.
Ces analyses préfiguraient l'analyse de l'endettement tolérable, qui sera un élément de base de l'éligibilité d'un pays à l'initiative PPTE. Cette analyse est effectuée sur la base de ratios considérés comme empiriquement significatifs des capacités de remboursement de la dette : valeur actualisée de la dette rapportée aux exportations et valeur actualisée du service de la dette rapportée aux exportations, complétée ultérieurement par la prise en compte du ratio de la dette rapportée aux recettes budgétaires, pour les pays jugés très ouverts sur l'extérieur.
Ces ratios, apparemment objectifs, sont toutefois calculés sur la base de scénarios macro-économiques à long terme, conformes à l'orthodoxie, qui supposent un impact largement positif des politiques suivies par les Etats concernés sur la croissance et sur la balance des paiements. Ils supposent également des apports continus de ressources concessionnelles sur une longue période.
Ces scénarios ont inévitablement conduit à des conclusions exagérément optimistes. Ainsi, l'analyse de l'endettement tolérable, effectuée en janvier 1996 et citée dans le rapport sur le financement du développement mondial de 1997, concluait à ne considérer la dette comme intolérable que dans huit pays )(7, alors que le même rapport de la Banque mondiale soulignait l'importance des chocs externes et notamment de la chute des cours des matières premières.
L'hypothèse d'apports massifs de ressources concessionnelles est lui-même à rapprocher des éléments sur la réduction tendancielle de l'aide publique au développement détaillés dans les Tableaux de la dette de 1996, qui indiquent que celle-ci a atteint son point le plus bas, soit 0,29 %, en pourcentage du PIB des pays de l'OCDE.
Ces contradictions, alors même que la question du désendettement des pays pauvres était perçue comme réelle et urgente, ont conduit à justifier le traitement de la dette, non par l'analyse de l'endettement tolérable proprement dite, mais par des considérations confuses sur le fardeau ou la menace ("Debt overhang") de la dette, qui est supposé hypothéquer les perspectivesde développement en décourageant les réformes et l'investissement privé à moyen terme.