Début de la séance suivante : LA BÊTISE.
Lacan, paraît-il, pour son premier séminaire, comme on l'appelle, de cette année, aurait parlé, je vous le donne en mille, de l'amour, pas moins.
La nouvelle s'est propagée. Elle m'est revenue même de - pas très loin, bien sûr - d'une petite ville de l'Europe où on l'avait envoyée en message. Comme c'est sur mon divan que ça m'est revenu, je ne peux pas croire
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que la personne qui me l'a rapportée y crut vraiment, vu qu'elle sait bien que ce que je dis de l'amour, c'est assurément qu'on ne peut en parler. Parlez-moi d'amour - chansonnette! J'ai parlé de la lettre d'amour, de la déclaration d'amour, ce qui n'est pas la même chose que la parole d'amour.
Je pense qu'il est clair, même si vous ne vous l'êtes pas formulé, que dans ce premier séminaire j'ai parlé de la bêtise.
Il s'agit de celle qui conditionne ce dont j'ai donné cette année le titre à mon séminaire et qui se dit encore. Vous voyez le risque. Je ne vous dis ça que pour vous montrer ce qui fait ici le poids de ma présence - c'est que vous en jouissez. Ma présence seule - du moins j'ose le croire - ma présence seule dans mon discours, ma présence seule est ma bêtise. Je devrais savoir que j'ai mieux à faire que d'être là. C'est bien pour ça que je peux avoir envie qu'elle ne vous soit pas assurée en tout état de cause.
Néanmoins, il est clair que je ne peux pas me mettre dans une position de retrait de dire qu'encore et que ça dure. C'est une bêtise puisque moi-même j'y collabore, évidemment. Je ne peux me placer que dans le champ de cet encore. Peut-être que remonter du discours analytique jusqu'à ce qui le conditionne - à savoir cette vérité, la seule qui puisse être incontestable de ce qu'elle n'est pas, qu'il n'y a pas de rapport sexuel - ne permet d'aucune façon de juger de ce qui est ou n'est pas de la bêtise. Et pourtant il ne se peut pas, vu l'expérience, qu'à propos du discours analytique, quelque chose ne soit pas interrogé - ce discours ne se tient-il pas de se supporter de la dimension de la bêtise?
Pourquoi ne pas se demander quel est le statut de cette dimension, pourtant bien présente? Car enfin il n'y a pas eu besoin du discours analytique pour que - c'est là la nuance - soit annoncé comme vérité qu'il n'y a pas de rapport sexuel.
Ne croyez pas que moi, j'hésite à me mouiller. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je parlerais de Saint Paul. Ce n'est pas ça qui me fait peur, même si je me compromets avec des gens dont le statut et la descendance ne sont pas à proprement parler ce que je fréquente. Néanmoins, que les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, ce fut la conséquence du Message, voilà ce qui au cours des âges a eu quelques répercussions. Ça n'a pas empêché le monde de se reproduire à votre mesure. La bêtise tient bon en tout cas.
Ce n'est pas tout à fait comme ça que s'établit le discours analytique, ce que je vous ai formulé du petit a et du SE qui est en dessous, et de ce que ça interroge du côté du sujet, pour produire quoi? - sinon de la bêtise. Mais après tout, au nom de quoi dirais-je que si ça continue, c'est de la bêtise? Comment sortir de la bêtise?
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Il n'en est pas moins vrai qu'il y a un statut à donner à ce neuf discours et à son approche de la bêtise. Sûrement il va plus près, puisque dans les autres discours, la bêtise c'est ce qu'on fuit. Les discours visent toujours à la moindre bêtise, à la bêtise sublime, car sublime veut dire le point le plus élevé de ce qui est en bas.
Où est, dans le discours analytique, le sublime de la bêtise? Voilà en quoi je suis en même temps légitimé à mettre au repos ma participation à la bêtise en tant qu'ici elle nous englobe, et à invoquer qui pourra sur ce point m'apporter la réplique de ce qui, dans d'autres champs, recoupe ce que je dis. C'est là ce que, déjà au terme de l'année dernière, j'ai eu le bonheur de recueillir d'une bouche qui va se trouver être aujourd'hui la même. Il s'agit de quelqu'un qui ici m'écoute, et qui de ce fait est suffisamment introduit au discours analytique. Dès le début de cette année, j'entends qu'il m'apporte, à ses risques et périls, la réplique de ce qui, dans un discours, nommément le philosophique, mène sa voie, la fraye d'un certain statut à l'égard de la moindre bêtise. Je donne la parole à François Recanati, que vous connaissez déjà.
On lira l'exposé de F. Recanati dans Scilicet, revue de l'École freudienne de Paris.
12 DÉCEMBRE 1972.
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