Cesser de ne pas s'écrire, ce n'est pas là formule avancée au hasard. je l'ai référée à la contingence, tandis que je me suis complu au nécessaire comme à ce qui ne cesse pas de s'écrire, car le nécessaire n'est pas le réel. Relevons au passage que le déplacement de cette négation nous pose la question de ce qu'il en est de la négation quand elle vient prendre la place d'une inexistence. D'autre part, j'ai défini le rapport sexuel comme ce qui ne cesse pas de ne pas s'écrire. II y a là impossibilité. C'est aussi bien que rien ne peut le dire - il n'y a pas, dans le dire, d'existence du rapport sexuel. Mais que veut dire de le nier? Est-il légitime d'aucune façon de substituer une négation à l'appréhension éprouvée de l'inexistence? C'est là aussi une question qu'il ne s'agit pour moi que d'amorcer. Le mot interdiction veut-il dire plus, est-il davantage permis? C'est ce qui, non plus, ne saurait dans l'immédiat être tranché.
La contingence, je l'ai incarnée du cesse de ne pas s'écrire. Car il n'y a là rien d'autre que rencontre, la rencontre chez le partenaire des symptômes, des affects, de tout ce qui chez chacun mat e la trace de son exil, non comme sujet mais comme parlant, de son exil du rapport sexuel. N'est-ce pas dire que c'est seulement par l'affect qui résulte de cette béance que quelque chose se rencontre, qui peut varier infiniment quant au niveau du savoir, mais qui, un instant, donne l'illusion que le rapport sexuel cesse de ne pas s'écrire? - illusion que quelque chose non seulement s'articule mais s'inscrit, s'inscrit dans la destinée de chacun, par quoi, pendant un temps, un temps de suspension, ce qui serait le rapport sexuel trouve chez l'être qui parle sa trace et sa voie mirage. Le déplacement de la négation, du cesse de ne pas s'écrire au ne cesse pas de s’écrire, de la contingence à la nécessité, c'est là le point de suspension à quoi s'attache tout amour.
Tout amour, de ne subsister que du cesse de ne pas s'écrire, tend à faire passer la négation au ne cesse pas de s'écrire, ne cesse pas, ne cessera pas.
Tel est le substitut qui - par la voie de l'existence, non pas du rapport sexuel, mais de l'inconscient, qui en diffère - fait la destinée et aussi le drame de l'amour.
Vu l'heure où nous sommes arrivés, qui est celle où normalement je désire prendre congé, je ne pousserai pas ici les choses plus loin j'indiquerai seulement que ce que j'ai dit de la haine ne relève pas du plan dont s'articule la prise du savoir inconscient.
Il ne se peut pas que le sujet ne désire pas ne pas trop en savoir sur ce qu'il en est de cette rencontre éminemment contingente avec l'autre. Aussi, de l'autre va-t-il à l'être qui y est pris.
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Le rapport de l'être à l'être n'est pas ce rapport d'harmonie que depuis toujours, on ne sait trop pourquoi, nous arrange une tradition où Aristote, qui n'y voit que jouissance suprême, converge avec le christianisme, pour lequel c'est béatitude. C'est là s'empêtrer dans une appréhension de mirage. L'être comme tel, c'est l'amour qui vient à y aborder dans la rencontre.
L'abord de l'être par l'amour, n'est-ce pas là que surgit ce qui fait de l'être ce qui ne se soutient que de se rater? J'ai parlé de rat tout à l'heure -c'était de ça qu'il s'agissait. Ce n'est pas pour rien qu'on a choisi le rat. C'est parce qu'on en fait facilement une unité - le rat, ça se rature. J'ai déjà vu ça dans un temps où j'avais un concierge, quand j'habitais rue de la Pompe - le rat, il ne le ratait jamais. Il avait pour le rat une haine égale à l'être du rat.
L'abord de l'être, n'est-ce pas là que réside l'extrême de l'amour, la vraie amour? Et la vraie amour - assurément ce n'est pas l'expérience analytique qui a fait cette découverte, dont la modulation éternelle des thèmes sur l'amour porte suffisamment le reflet - la vraie amour débouche sur la haine.
Voilà, je vous quitte.
Est-ce que je vous dis à l'année prochaine? Vous remarquerez que je ne vous ai jamais, jamais, dit ça. Pour une très simple raison - c'est que je n'ai jamais su, depuis vingt ans, si je continuerais l'année prochaine. Ça, ça fait partie de mon destin d'objet a.
Après dix ans, on m'avait en somme retiré la parole. Il se trouve que, pour des raisons dans lesquelles il y avait une part de destin, une part d'inclination aussi à faire plaisir à quelques-uns, j'ai continué pendant dix ans encore. De ces vingt ans j'ai donc bouclé le cycle. Est-ce que je continuerai l'année prochaine? Pourquoi pas arrêter là l'encore?
Ce qu'il y a d'admirable, c'est que personne n'a jamais douté que je continuerais. Que je fasse cette remarque en pose pourtant la question. Il se pourrait après tout qu'à l'encore j'adjoigne un c'est assez.
Ma foi, je vous laisse la chose à votre pari. Il y en a beaucoup qui croient me connaître et qui pensent que je trouve là-dedans une infinie satisfaction. A côté de la peine que ça me donne, je dois dire que ça une paraît peu de chose. Faites donc vos paris.
Et quel sera le résultat? Est-ce que ça voudra dire que ceux qui auront deviné juste, ceux-là m'aiment? Eh bien - c'est justement le sens de ce que je viens de vous énoncer aujourd'hui - savoir ce que le partenaire va faire, ce n'est pas une preuve de l'amour.
26 JUIN 1973.
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