LE JOURNAL DU CNRS numéro 220 Mai 2008
TITRE : Dernières nouvelles du Soleil
SOMMAIRE GENERAL :
Histoire et géographie : Balades en Méditerranée
Evolution : De nouvelles preuves de la sélection naturelle
Chimie : Vers des piles à combustible plus performante
Ecologie : Réchauffement, la fin des coquillages ?
Epidémies : Des poux dans la tête des momies
Santé : Les nanobactéries révèlent leur vraie nature
Ethologie : les babouins « papas poules »
Biodiversité : L’invasion des escargots
Glast : A la source des rayons gamma
Matériaux : Floraison de brevets sur les polymères fluorés
Alco : Le robot boucher, futé et affuté
Archéologie : concordance des temps au Mont-Saint-Michel
Santé : le point sur les maladies neuromusculaires
Belgique : Une dynamique fédérale
Brèves
L’enquête : Dernières nouvelles du soleil
Histoire et géographie : Balades en Méditerranée
De la péninsule Ibérique aux Balkans, les rives nord de la Méditerranée sont explorées par les historiens et les géographes d'un laboratoire unique dans le paysage des sciences humaines françaises. À leur actif, des recherches fructueuses et très actuelles qui enrichissent la réflexion sur l'Union de la Méditerranée. Impossible d’imaginer que les fondateurs du laboratoire Telemme 1 (Temps, espaces, langages, Europe méridionale-Méditerranée, CNRS Université Aix-Marseille1), situé à Aix-en-Provence, à 28 kilomètres de la Grande Bleue, n’aient pas voulu faire un clin d’œil à la célébrissime abbaye de Thélème, sortie de l’imagination de Rabelais au dernier chapitre de son Gargantua. Mais ne croyez pas pour autant que ce seul centre de recherche français de sciences humaines dédié à l’étude des rives nord de la Méditerranée se soit libéré de toute contrainte matérielle et se tienne à l’écart des agitations du monde, comme son illustre homonyme. Ni que les historiens, géographes, hispanistes et ethnolinguistes qui s’y côtoient forment une espèce de société idéale, sorte de couvent laïc. Bien au contraire, Jean-Marie Guillon, son actuel directeur, a tôt fait de vous démontrer que les règles strictes en vigueur dans cette ruche bourdonnant dans les murs de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH) ont de quoi déconcerter les aficionados de la recherche en solo. La philosophie de cette unité de recherche très ouverte sur le monde depuis sa création en 1994 « a toujours été de privilégier une culture de laboratoire en favorisant le travail d’équipe, ce qui n’est pas simple dans nos milieux individualistes, dit-il avec le soleil provençal dans la voix. Les programmes quadriennaux sur lesquels nous travaillons sont le fruit d’une réflexion collective, et non l’émanation de la seule volonté du directeur. Les responsabilités sont donc partagées entre chercheurs de spécialités et de statuts différents. » Comprenez que chaque membre de Telemme a l’obligation de s’inscrire dans un ou deux programmes et de participer aux ateliers réunissant l’ensemble des chercheurs concernés par des questions communes d’approches, de sources et de méthodes. Et que les réticents n’y ont pas leur place… « Oui, nous devons être vigilants. Être membre de l’unité suppose de jouer le jeu du collectif à fond… », insiste Jean-Marie Guillon en confessant son allergie chronique tant aux « pratiques mandarinales » qu’aux « forces centrifuges qui peuvent casser une unité ». Pour étudier une aire géographique aussi large que l’arc méditerranéen du nord, et un champ chronologique qui court du Moyen Âge à nos jours, pas moins de 7 chercheurs CNRS, plus de 45 enseignants-chercheurs, 21 enseignants-chercheurs associés et 86 doctorants (souvent des enseignants et autres salariés tenaillés par le virus de la recherche et irriguant la vie culturelle ou érudite) s’activent sur le pont de Telemme. Le labo s’enorgueillit d’avoir organisé, entre 2004 et 2007, 21 colloques internationaux, publié 133 ouvrages, dont 15 collectifs, et assuré la soutenance de 36 thèses. Bref, un gros équipage recruté pour l’essentiel au sein de l’Université de Provence et chargé de faire claquer les voiles du laboratoire, de Gibraltar à Salonique, via quatre programmes eux-mêmes subdivisés en trois ou quatre groupes. Au détour d’un couloir toujours très animé, l’on rencontre Sylvie Daviet, qui anime l’un de ces programmes avec Brigitte Marin. « Constructions territoriales et des dynamiques socio-économiques », qui réunit géographes et historiens travaillant ici main dans la main – fait suffisamment rare pour être mentionné –, « étudie la notion de territoire en tant que source d’identité et de culture. Nous cherchons à éclairer la façon dont les espaces (politiques, administratifs, économiques…) de la zone nord-méditerranéenne, une zone toujours ouverte grâce à la mer, se sont diversement organisés et imbriqués au fil des siècles », explique-t-elle. Un programme qui fait la part belle à la « longue durée » – c’est-à-dire à l’étude des processus sur de longues périodes –, mais qui ne néglige pas pour autant des sujets plus contemporains. Parmi eux : la diversification et la complexification des migrations internationales, l’impact de l’élargissement à l’Est de l’Union européenne sur la stratégie des sociétés et des acteurs publics, les enjeux environnementaux ou encore les mutations du vignoble méridional. Des questions d’actualité, tout comme celles abordées dans « Figures et expressions de la régulation. Échelles, dynamiques et pratiques », le programme dirigé par Anne Carol. Il gravite quant à lui autour « de problématiques au carrefour de l’histoire sociale et des mentalités culturelles. Leur dénominateur commun : les formes que peut prendre la régulation à l’échelle des individus comme des collectivités », résume la contemporanéiste. À l’ordre du jour de nos chercheurs : des interrogations sur les normes destinées à permettre le fonctionnement de l’administration entre le XIe et le XVIIe siècle, sur les formules vouées à renforcer, voire à créer du lien social en marge de l’économie politique libérale (philanthropie publique ou privée, syndicalisme, associations caritatives et humanitaires) de la fin du xviiie siècle à l’époque actuelle, ou encore sur la médicalisation croissante de l’espace méridional (thermalisme, héliothérapie…). Animé par une très forte équipe d’hispanistes, le programme « Culture politique et opinion publique en Europe méridionale » fait aujourd’hui de Telemme « un des pôles de référence en histoire moderne et contemporaine de l’Espagne, se félicite Jean-Marie Guillon. Sans oublier de rappeler que son laboratoire, en plus d’éditer un bulletin d’information trimestriel (Telemme Infos) et une revue scientifique (Rives nord-méditerranéennes), abrite le Bulletin d’histoire contemporaine de l’Espagne et la revue électronique El Argonauta español: « Ce programme, qui bénéficie aussi de tout un héritage de travail sur la Révolution française, interroge notamment l’impact du mouvement des Lumières et de ses suites sur les pratiques politiques, les institutions culturelles et la formation d’une opinion publique dans la péninsule Ibérique (et Italique) entre 1750 et 1850. Quels ont été les rapports entre les élites intellectuelles et le peuple ? Comment la presse a-t-elle réussi à s’émanciper de la tutelle de l’État et de l’Église ? », poursuit, enthousiaste, Jean-Marie Guillon, avant de se lancer prestement dans la présentation de « Récits. Pratiques sociales, construction de soi », le quatrième programme de Telemme.
Enraciné dans l’histoire culturelle et l’anthropologie historique, il s’attache à comprendre, globalement, comment « la mémoire collective se construit et forge dans la durée l’identité des sociétés humaines », en particulier dans l’espace euro-méditerranéen, indique Jean-Marie Guillon. Autres questionnements à l’honneur : les moyens qu’utilisent les femmes pour remédier à des situations d’exclusion dans le même espace – où aucune des représentantes du beau sexe n’est encore parvenue à se hisser aux commandes d’un État, du moins à l’époque la plus contemporaine ! –, mais aussi l’instrumentalisation du passé postcolonial par les peuples maghrébins afin de construire des discours nationaux autour d’une identité « idéelle », ou encore les transferts culturels entre les deux rives de la Mare Nostrum… Bref, que des questions encore et toujours amarrées à notre actualité d’euro-méditerranéens.
CARTES SUR WEB
Telemme, qui est un des piliers de la MMSH, participe aussi à des recherches transversales, tel « Espace, représentations et usages », soutenu par le programme européen Ramses2. Impliqué dansce projet, Jean-Luc Arnaud y pilote un site Web – unique en son genre – de documentation cartographique : Cartomed. « Plusieurs collections importantes de cartes des villes et des paysde la Méditerranée sont conservées en France et à l’étranger, explique-t-il. Or, lorsqu’il en existe, les inventaires de ces fonds sont trop disparates pour être rassemblés dans une même base de données. »
D’où l’idée de faciliter l’accès à ces bases de données en misant sur Internet. Résultat : tapez http://cartomed.mmsh.univ-aix.fr, cliquez sur la ville ou le pays qui vous intéresse (Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Liban, Jordanie…). Apparaissent instantanément sur votre écran toutes les séries de cartes (à diverses échelles et chacune agrémentée d’une notice descriptive) qui correspondent à votre choix ! « Cartomed, novateur dans ses principes, existe depuis un an et demi et rend déjà compte de 6 800 documents. Dans quelques mois, il permettra même de visualiser des reproductions numériques des cartes », s’enthousiasme Jean-Luc Arnaud. Lequel a passé la vitesse supérieure en s’attelant à Cartomundi, un projet encore plus ambitieux qui sera « en mesure de proposer des cartes de n’importe quelle partie du monde ». Avis aux intéressés : ce nouvel outil, ouvert à tous les internautes, ne sera opérationnel qu’à l’automne 2009.
Philippe Testard-Vaillant
Contact : Laboratoire « Temps, espaces, langages, Europe méridionale-Méditerranée » (Telemme), Aix-en-Provence
Jean-Marie Guillon guillon@mmsh.univ-aix.fr
Sylvie Daviet daviet@mmsh.univ-aix.fr
Anne Carol carol@mmsh.univ-aix.fr
Jean-Luc Arnaud arnaud@mmsh.univ-aix.fr
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