Le journal du cnrs numéro 21 Avril 2008


L'énergie qui vient du ciel



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L'énergie qui vient du ciel


Le Soleil, source principale d’énergie de nos sociétés ? L’idée est séduisante : c’est une énergie gratuite et accessible à tous. Mais nous sommes encore loin du but : très marginale par rapport au nucléaire et aux énergies fossiles, l’énergie solaire ne représente en effet que 0,2 % de l’énergie primaire mondiale et moins de 0,5 % de la production totale d’énergie en France. C’est qu’il reste difficile de la stocker ; en outre, les techniques disponibles pour la capter restent relativement chères, et certains rendements peuvent être améliorés. Un peu partout en France, des chercheurs du CNRS travaillent d’arrache-pied pour lever ces verrous. Deux grandes voies sont explorées : l’exploitation de l’énergie des rayons solaires via différentes technologies ; et la reproduction en laboratoire d’une réaction survenant au cœur même du Soleil, la fusion nucléaire, une formidable source d’énergie. Les enjeux sont de taille : faire face à l’épuisement programmé du pétrole, tout en luttant contre le changement climatique, dû au rejet de gaz à effet de serre lors de la combustion des carburants classiques. De quoi faire d’une pierre deux coups !

Utiliser les rayons solaires

« Propre, inépuisable, et présente partout, l’énergie solaire a tout pour plaire, confirme Jean-Bernard Saulnier, responsable du programme Énergie du CNRS. Porteuse de grands espoirs, son exploitation est un domaine de recherche très dynamique au CNRS, où l’on travaille plus précisément sur cinq grandes technologies solaires. » L’une des plus avancées à ce jour est celle des panneaux photovoltaïques convertissant l’énergie lumineuse en électricité. Une innovation déjà visible sur les toits ou les façades de certaines maisons, surtout dans le Sud, plus ensoleillé. Mais voilà, 95 % des panneaux commercialisés utilisent en abondance un matériau onéreux, le silicium, le semi-conducteur à la base de la conversion. C’est pourquoi, dans le secret de leurs laboratoires, les chercheurs élaborent déjà quelques solutions pour essayer de réduire les coûts. Ainsi, à Chatou, près de Paris, Olivier Kerrec et ses collègues de l’Institut de recherche et développement sur l’énergie photovoltaïque (Irdep) (Institut CNRS EDF ENSCP), planchent sur la relève : des cellules « en couches minces » à base de sélénium, de cuivre et d’indium (CIS). « Avec cette technologie en couches minces, le coût des modules pourrait être divisé par trois, explique le physicien. De quoi rendre l’électricité solaire tout à fait compétitive d’ici à 2012» Seconde technologie prometteuse : le chauffe-eau solaire pour chauffer l’eau et l’habitat. L’idée ici n’est pas de convertir l’énergie du soleil en électricité mais de capter la chaleur des rayons lumineux à l’aide de capteurs thermiques placés sur le toit. Le principe ? La chaleur est absorbée par une plaque noire – en chrome – formant les capteurs thermiques, diffusée dans un circuit d’eau parcourant le capteur et acheminée via cette eau vers un ballon d’eau chaude ou un plancher chauffant. Comme le photovoltaïque, ce domaine décolle lentement. Un des freins ? Son prix : pas moins de 6 000 euros pour un appareil. Au Centre de thermique de Lyon (Cethil) (Centre Insa Lyon Université Lyon1), l’équipe de Christophe Ménézo tente de rendre cette technologie plus attractive en développant des systèmes capables de stocker la chaleur plus d’une journée. « Une des idées ici, indique le scientifique, est d’encapsuler dans les cloisons du bâtiment ou du ballon des “matériaux à changement de phase” pouvant passer de l’état solide au liquide en stockant une quantité d’énergie calorifique jusqu’à cinq fois plus importante que l’eau ; pour la restituer quand l’environnement se refroidit. » Mais l’application du solaire la plus surprenante est le rafraîchissement de l’habitat… avec du chaud ! Comment ça marche ? Des capteurs thermiques similaires à ceux du chauffe-eau solaire « classique » récupèrent la chaleur du soleil. Sauf qu’ici, ces capteurs sont raccordés à une machine de climatisation spéciale. Laquelle n’utilise pas, du coup, de l’énergie électrique pour fonctionner, contrairement à la clim’ classique, mais de la chaleur. Cette technologie solaire est aujourd’hui la moins développée. « Les quelques modèles fonctionnels sont destinés aux gros bâtiments de plus de 500 m2 (cave viticole, hôpital, etc.). Tout l’enjeu est de développer des appareils individuels pour maison et appartement », précise Christophe Ménézo. Son équipe participe justement au projet Abclimsol (Projet de l'ANR, Programme de recherche sur l'énergie dans le bâtiment : Prebat) évaluant les performances de petits systèmes de rafraîchissement solaire. À Font-Romeu-Odeillo-Via, près de Perpignan, Gilles Flamant et ses collègues du laboratoire « Procédés, matériaux et énergie solaire » (Promes) du CNRS, planchent, eux, sur des technologies capables de produire de l’énergie à une échelle industrielle. « Ce sont des systèmes qui font converger les rayons solaires vers un point donné, via des miroirs réfléchissants, les concentrant ainsi de 100 à 10 000 fois, et par là augmentant la quantité d’énergie captée ; ce qui permet d’atteindre des températures supérieures à 250 °C, et donc de produire de grandes quantités de chaleur et d’électricité », détaille le physicien. Certains de ces systèmes sont déjà opérationnels. Exemple : la centrale solaire thermodynamique Nevada Solar One, mise en service en 2007 dans le Nevada (États-Unis) pour alimenter en électricité pas moins de 30 000 foyers. « Reste maintenant à améliorer les rendements, le stockage et la durée de vie des matériaux », précise Gilles Flamant. Enfin, les rayons de notre étoile pourraient aussi permettre de produire de l’hydrogène (H2), ce gaz très énergétique utilisable, par exemple, directement dans des moteurs à combustion, et obtenu à ce jour à partir d’hydrocarbures. « L’idée est d’utiliser la chaleur des rayons solaires concentrés pour fabriquer l’hydrogène seulement à partir de l’eau ; et ce, via des réactions chimiques successives, dont le bilan final est la décomposition de l’eau en H2 et oxygène : des “cycles thermochimiques” qui fonctionneraient entre 1 300 et 1 500 °C », précise Gilles Flamant. Pour industrialiser ce procédé – pas avant vingt ans –, il leur reste à mettre au point le réacteur solaire qui permettra de le réaliser à grande échelle. «Avec toutes ces recherches, le solaire devrait connaître un important développement dans les prochaines décennies, confirme l’économiste Patrick Criqui, directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’économie de la production de l’intégration internationale (LEPII) ((Laboratoire CNRS Université Grenoble 2) et spécialiste de la question énergétique. D’autant que ce domaine devrait aussi bénéficier des pénalités économiques qui vont être appliquées sur l’usage des énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre ; et des incitations financières pour l’adoption du solaire, comme les forts tarifs de rachat de l’électricité renouvelable par EDF ou le crédit d’impôts de 50 % sur l’achat d’un équipement solaire. »

Reproduire la fusion du Soleil

Mais il n’y a pas que l’énergie des rayons solaires ! Dans quelques décennies, le Soleil pourrait aussi permettre de produire de l’énergie… grâce à la maîtrise sur Terre d’une réaction survenant naturellement en son cœur, et le faisant briller ! Il s’agit de la « fusion thermonucléaire contrôlée », où les noyaux d’hydrogène se combinent pour former des noyaux plus lourds, en libérant une formidable énergie. Différente de la réaction nucléaire provoquée dans les centrales nucléaires – la « fission » –, la fusion apparaît comme une source d’énergie idéale. Tout d’abord, elle est plus sûre, puisque contrairement à la fission, elle ne présente pas de risque d’emballement, c’est-à-dire de réaction incontrôlée pouvant faire exploser le réacteur. Ensuite, elle est plus propre : ses déchets radioactifs pourront être recyclés dans la centrale. Enfin, ses combustibles sont faciles à obtenir – par exemple, le deutérium (une forme d’hydrogène) est présent dans… la simple eau de mer ! Les physiciens tentent de reproduire l’alchimie survenant naturellement dans le Soleil en explorant deux grandes voies. « L’une, dite à confinement magnétique, consiste à confiner un mélange composé de deux formes de l’hydrogène (isotopes), par des champs magnétiques intenses, dans un gros réacteur appelé Tokamak. C’est l’objectif du grand projet international Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor ou Réacteur expérimental thermonucléaire international), en construction à Cadarache (Bouches-du-Rhône) », explique Pascale Hennequin, du Laboratoire de physique et technologie des plasmas (LPTP) (Laboratoire CNRS École polytechnique), à Palaiseau. Chargée de mission au département ST2I, elle dirige la fédération de recherche « Fusion magnétique Iter », constituée de laboratoires du CNRS, mais aussi du CEA, de l’Inria et de six universités ; et portant sur divers sujets, comme la modélisation du mélange chaud turbulent confiné dans le réacteur. « La seconde piste, à confinement inertiel, utilise, elle, des lasers très puissants pour amorcer la réaction dans de très petites quantités de ce mélange. Il s’agit de la fusion par laser étudiée dans le projet européen Hiper (pour “High Power laser Energy Research”), précise Christine Labaune, au Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses (Luli) (Laboratoire CNRS École polytechnique CEA Université Paris 6), à Palaiseau. La première étape de ce projet est basée sur le laser Pétal (pour “Pétawatt Aquitaine Laser”) en construction près de Bordeaux. » L’enjeu majeur ici ? Arriver à réaliser la fusion avec un bon rendement – le rapport entre l’énergie produite et l’énergie nécessaire pour le faire –, sachant qu’aujourd’hui il est inférieur au pourcent. Du coup, le premier gigawatt électrique obtenu par fusion nucléaire ne devrait pas alimenter nos maisons avant 2050… Si ça marche un jour, bien sûr ! Ce qui pour l’instant laisse une place lumineuse au solaire, même si ce dernier demeure en compétition avec les énergies fossiles – dont le pétrole, qui devrait rester économiquement compétitif pendant au moins vingt ans – et avec les autres énergies renouvelables, tels l’éolien, l’hydraulique, le géothermique et la biomasse, dont le bois. « Pour autant, le solaire “classique” et les autres énergies renouvelables ne couvriront au mieux que 20 % de nos besoins, à cause de capacités de production limitées…», nuance Christine Labaune. « Du coup, la fusion deviendra primordiale quand il n’y aura plus de combustibles fossiles. » Source d’énergie inépuisable et source d’inspiration pour en inventer d’autres, le Soleil est donc promis à un brillant avenir.

Kheira Bettayeb

Contact

Jean-Bernard Saulnier, jean-bernard.saulnier@cnrs-dir.fr



Olivier Kerrec, olivier.kerrec@edf.fr

Christophe Ménézo, christophe.menezo@insa-lyon.fr

Gilles Flamant, gilles.flamant@promes.cnrs.fr

Patrick Criqui, patrick.criqui@upmf-grenoble.fr

Pascale Hennequin, pascale.hennequin@lptp.polytechnique.fr,ou pascale.hennequin@cnrs-dir.fr

Christine Labaune, christine.labaune@polytechnique.fr



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Pour le meilleur et pour le pire


L’homme sait bien ce qu’il doit au Soleil : la vie, tout simplement. Sans sa chaleur et sa lumière, pas un radis, pas une forêt, pas un macaque, ne seraient apparus sur Terre. Nous autres, les humains, n’avons d’ailleurs jamais manqué de le célébrer, de manière plus ou moins ostentatoire, depuis des millénaires. Si on lui accorde des vertus spirituelles – dieu en Égypte et en Grèce antique, mais aussi chez les Aztèques et les Incas –, il fut aussi utilisé très tôt pour ses vertus curatives. « L’héliothérapie, ou utilisation thérapeutique de la lumière du soleil, était monnaie courante dans la Rome antique », rappelle Bernard Andrieu, chercheur au Laboratoire de philosophie et d’histoire des sciences-Archives Henri-Poincaré (Laboratoire CNRS Université Nancy 2). « Les bains de soleil, pris au solarium des thermes, étaient ainsi conseillés pour le soin de l’arthrite et… de l’obésité ! » Plus tard, à partir des années 1850, les petits tuberculeux d’Europe abandonnent leurs corps pâlichons à la morsure du soleil sur le conseil des médecins. « Tout cela n’aura jamais guéri personne », précise Alain Sarasin, chercheur à l’unité « Stabilité génétique et oncogenèse » (Laboratoire CNRS Université Paris 11 Institut Gustave Roussy) de l’Institut Gustave Roussy, à Villejuif. « Mais sans doute l’effet antidouleur et antidépresseur de ses rayons lors d’expositions à petites doses, comme cela a été prouvé récemment, aura contribué à installer une image positive du soleil, synonyme de bonne santé. » Et puis, il faut le rappeler, son rayonnement favorise la synthèse de la vitamine D, capitale pour la croissance et les os, peut guérir de surcroît certaines maladies de peau comme le psoriasis, et la régularité de son lever et de son coucher permet la fabrication de la mélatonine, hormone – dite du sommeil – qui régule les rythmes chronobiologiques.

Attention, bronzage !

Pendant des siècles, la relation de l’homme avec son étoile a donc été au beau fixe. C’est une curieuse mode née dans les années 1920 qui va faire des ravages : celle de se faire « cuire » au soleil. L’héliothérapie, qui ne s’intéressait qu’aux effets sur la santé, laisse place au bronzage. C’est maintenant la marque corporelle qu’il imprime qui devient peu à peu signe de bonne santé, de vitalité, de jeunesse… et de richesse. « Jusqu’alors, la peau tannée était synonyme du travail en plein air des paysans », rappelle Bernard Andrieu. Être pâle était l’apanage des classes sociales élevées, quitte à se tartiner de blanc de céruse, ultra-toxique, comme à la Renaissance. « Tout s’inverse avec l’apparition des loisirs de plein air, le tennis, le golf et la plage, où mademoiselle Chanel, la première, se fait bronzer. Les marques du soleil deviennent les signes extérieurs du luxe : celui d’avoir du temps libre pour s’y exposer. » Et puis, l’arrivée des congés payés en 1936 fait de cette mode élitiste un véritable raz-de-marée : tout le monde veut se faire bronzer. La « toast attitude » est lancée et atteint son paroxysme dans les années 1980, avec à la clé les risques de cancer de la peau que l’on connaît désormais (lire ci-dessous). Aujourd’hui, la prise de conscience est réelle. Même si la pâleur, toujours synonyme de mauvaise santé dans nos civilisations occidentales, peine à regagner ses galons, les canons sociaux du bronzage ont évolué : il ne faut plus être « cramé » mais juste « hâlé ». Au-delà de l’évolution sanitaire, Bernard Andrieu y voit « une prise de conscience écologique de l’homme dans le système solaire ». « Le bronzage à outrance était une illusion de contrôle de l’énergie solaire – fabuleusement puissante – sur le corps lui-même », explique-t-il. « Mais la crise écologique et la modification climatique sont venues replacer le soleil, la Terre et l’action de l’homme dans une relation d’interaction réciproque. » Par exemple, nous regardons désormais le soleil comme une source d’énergie pour nos maisons, nos voitures, etc. Nous prenons en compte et acceptons les effets de la nature – et de notre étoile – sur nous en réfléchissant à l’utiliser de la manière la plus avisée possible. En somme, entre le Soleil et nous, après le culte et la bronzette, serait tout simplement venu le temps de l’harmonie.



Les mauvais coups du soleil
On compte aujourd’hui trois fois plus de mélanomes, le plus grave des cancers de la peau, qu’il y a vingt ans. En France, plus de 7 400 cas étaient diagnostiqués en 2005 dont près de 20% ont abouti à un décès rapide. « Nous savons que la moitié de ces mélanomes sont dus à l’exposition au soleil, les autres étant probablement liés à une prédisposition génétique », précise Alain Sarasin, qui rappelle la cruelle absence de traitement efficace à un stade évolué, au contraire des autres cancers cutanés – les carcinomes –, pratiquement dix fois plus nombreux, mais plus facilement dépistés et guérissables. L’augmentation de tous ces cas de cancers, dont les mélanomes, qui commencent souvent par l’apparition ou la modification de grains de beauté, est donc directement liée à nos comportements. En cause, les rayons ultraviolets (UV) du soleil. « Longtemps, on n’a blâmé que les seuls UVB, très énergétiques, responsables des fameux “coups de soleil” et capables de pénétrer dans les cellules et de casser leur ADN », explique le chercheur. Mais les UVA, jusqu’alors connus pour leur effet destructeur des fibres de collagène, responsables des rides et de l’affaissement de nos jolies peaux, sont à présent fortement soupçonnés d’agir de concert avec les UVB comme agents cancérigènes. Or, « quelles que soient les crèmes protectrices, pratiquement aucune ne contient d’anti-UVA vraiment efficace, à moins d’être opaque une fois étalée, car ces rayonnements sont très proches de la lumière visible », insiste Alain Sarasin. Quant au bronzage, « barrière » naturelle fabriquée par la peau, il ne filtre qu’une partie des UV et ne limite que partiellement le risque de cancer. Et les cabines où l’on va se faire rôtir en ville, en pensant « préparer sa peau soleil » ? Tout faux ! Leurs UVA ne procurent certes pas de coups de soleil, mais ce bronzage, plus superficiel et peu protecteur, ne s’accompagne pas de l’épaississement de la peau qui fait « bouclier » en cas d’exposition naturelle. Les UV des cabines ne font donc que s’ajouter à ceux du soleil, et l’effet cancérigène est renforcé. Au total, seul comportement efficace : arrêter la « toast attitude »…

Conseils de prévention : www.e-cancer.fr/soleilmodedemploi/

Charline Zeitoun

Contact :

Alain Sarasin, sarasin@igr.fr



Bernard Andrieu, bernard.andrieu@wanadoo.fr

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