Le sergent simplet travers les colonies françaises



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XIII

À LA RÉSIDENCE1


Le général se fit prier. Mais de la logique des faits, il résultait qu’il était l’esclave de Marcel. Aussi bientôt il se rendit et se mit en marche, suivi, à longueur de fusil, par le Français.

Au bout d’une demi-heure, tous deux passaient entre les tours de brique qui défendent la « Porte dite de Tamatave » et s’engageaient dans les étroites ruelles de la ville.

Ruelles ne donne pas une idée de ce que sont ces sentiers établis au bord des gradins de granit sur lesquels Antananarivo se développe en étages. Sinueuses, encombrées de pierrailles, côtoyant des ravines et des précipices, elles sont les voies de communication les plus incommodes que l’on puisse voir. Le peuple qui les a établies semble avoir joué la difficulté.

Afin d’ôter à son guide et prisonnier toute envie de fuir, Dalvan le débarrassa du mince baudrier au bout duquel ballottait son sabre, lui attacha les poignets et conserva en main l’extrémité de la lanière de cuir. Durant cette opération, le général se lamentait.

Les doigts du sous-officier avaient effleuré son épiderme, et il gémissait :

– Tu me communiques la lèpre.

– Tais-toi ! ordonna Simplet. Tu n’es pas sûr d’être malade ; mais si tu geins encore, tu peux être certain que je t’embroche.

– Ah ! maudit soit le jour où les méchants esprits m’ont jeté sur ta route !…

Un coup de crosse coupa la parole au malheureux Hova, qui repartit, tenu en laisse par Marcel.

Tout en avançant avec précaution, il maugréait in petto. En somme, son mécontentement était excusable : un général, habitué à parler en maître à ses soldats, réduit tout à coup à l’état de chien d’aveugle ! La métamorphose n’avait rien de récréatif.

De détours en détours, les promeneurs atteignirent la rue Centrale, large voie allant du bas de la montagne au palais de la reine. Là encore, Dalvan fit halte.

Passant son fusil en bandoulière, après avoir retiré la baïonnette, il prit celle-ci de la main droite, détacha son captif et lui passa amicalement la main gauche sous le bras.

– Dans cette grande avenue, dit-il, on peut rencontrer du monde. Il est inutile que l’on s’attroupe autour de nous. En avant ! mon gros Hova. Tu sais que ma baïonnette te menace !

Certes, Ikaraïnilo ne considérait la lame triangulaire qu’avec un respect voisin de l’effroi, mais le contact de son compagnon lui causait une répugnance aussi grande. Il eut une velléité de résistance.

Une bousculade le calma sur-le-champ. Il se soumit encore. Après tout, en rentrant chez lui, il se ferait désinfecter, brûlerait ses habits, de façon à se débarrasser de toutes souillures.

L’ascension commença.

L’avenue centrale est une succession de paliers et de pentes raides, qui ne présentent qu’une lointaine ressemblance avec nos rues les plus accidentées.

Enfin les deux hommes débouchèrent sur la place d’Andohalo, où se tiennent les kabars et les foires de Tananarive. À leur droite s’élevait une construction d’aspect élégant.

– La Résidence, prononça le général.

Tenant le bras de son captif, Dalvan lit une courte station. Toutes les fenêtres étaient brillamment éclairées, et les accords d’un orchestre passaient dans l’air en bouffées joyeuses.

– Ah çà ! on danse’?

Le Hova ne répondit pas. En regardant mieux, on apercevait dans l’ombre une foule grouillante, plèbe tananarivienne prenant sa part de la fête.

– Arrive ! et surtout pas un mouvement pour t’échapper.

Sur cet ordre, entraînant son compagnon, Simplet fendit le flot de curieux et parvint auprès du factionnaire qui gardait la porte.

– Camarade, où est le chef de poste ? demanda-t-il.

Le soldat sourit en entendant la langue maternelle.

– Sous le porche, à gauche.

– Bien !

Quelques pas encore et le jeune homme se trouva devant un sous-lieutenant, commandant la garde du Résident.

– Mon lieutenant, commença-t-il, l’homme qui m’accompagne est mon prisonnier. Il faut que tous deux nous voyions Son Excellence le Résident sur l’heure, car nous avons à lui apprendre des choses si graves que tout retard mettrait en danger, non seulement la vie des Français établis dans l’île, mais encore la domination de la France elle-même.

L’officier esquissa un geste d’incrédulité.

– Croyez-moi, mon lieutenant. En septembre dernier, j’étais sergent en activité. Si je vous trompais d’ailleurs, il vous serait aisé de me punir.

Il parlementa et déploya tant d’éloquence que le chef de poste se laissa persuader. Il conduisit Marcel et le Hova dans un salon d’attente.

– Restez là. Je préviens le Résident.

– Sans attirer l’attention des invités, je vous en prie, recommanda encore Dalvan.

Le lieutenant inclina la tête et sortit. Simplet était ravi. Mais le sentiment d’Ikaraïnilo paraissait tout autre. Les sourcils froncés, la tête basse, il ne bougeait non plus qu’un terme. Un rictus farouche tirait ses lèvres, découvrant ses dents aiguës noircies de laque, selon l’usage hova.

– Général, tu peux t’asseoir, fit malicieusement le sous-officier en lui avançant un siège.

À ce moment la porte s’ouvrit, et dans l’encadrement un homme d’une cinquantaine d’années, grand, à la figure bonne et énergique, élargie par des favoris gris, se montra. Marcel rapprocha les talons et salua militairement :

– Vous avez demandé à me parler, dit lentement le nouveau personnage.

– Pardon, Excellence, il y a erreur.

– Erreur ?

Le Résident eut un regard sévère.

– Parfaitement, continua le jeune homme sans se troubler. J’ai sollicité la faveur d’une audience, afin de faire parler ce singe que je vous présente.

Et pointant sa baïonnette vers le Hova.

– Lève-toi devant Son Excellence. Bien… Monsieur le Résident, je vous amène Ikaraïnilo, 16e honneur, général chargé de la surveillance de la léproserie.



Il fit une pause, puis avec un accent si profondément gouailleur que le représentant de la France à Madagascar comprit qu’il se jouait devant lui une comédie dont la clef lui manquait, il termina :

– La léproserie d’où je sors – il étendit ses mains en pleine lumière. – Vous le voyez, j’ai les mains en triste état… La lèpre, Excellence, l’affreuse lèpre !

Il tournait le dos au général et montrait au résident un visage souriant, qui contrastait avec ses paroles lamentables. Changeant de ton :

– Excellence, veuillez prendre place. Ce que va vous apprendre mon compagnon est d’une importance capitale, et peut-être…

– Je reçois ce soir et ne puis vous donner longtemps… Le premier ministre Rainilaiarivony est au nombre de mes invités.

– Lui ! s’écria Dalvan, vraiment c’est une chance !

– Que voulez-vous dire ?

– Vous allez comprendre, Excellence.

Et revenant au général, la baïonnette menaçante :

– Ikaraïnilo, ordonna-t-il d’une voix grave en scandant bien ses paroles, raconte à M. le Résident de quelle façon les Français doivent être égorgés, au signal qui partira du palais de la reine.

Il s’interrompit. Le plénipotentiaire était près de lui, les yeux étincelants :

– Quels mots avez-vous prononcés ?

– Ceux qui expriment la vérité… N’est-ce pas qu’elle est intéressante ? Mais vos minutes sont brèves… Hâtons-nous… Allons, général, parle.

Le Hova leva ses paupières, un défi dans le regard.

– Non, articula-t-il nettement.

– Non ?

– Non.


– Alors, une piqûre !… Une simple piqûre…

Et brandissant son arme, Dalvan fit mine de transpercer son adversaire. Celui-ci poussa un cri étranglé.

– Non, pas cela, pas cela !

– Parle donc.

– Oui, je parlerai.

Ses velléités de résistance étaient vaincues. La lame empoisonnée qui miroitait devant lui en avait eu raison.

Le Résident assistait à la scène, sans la comprendre ; mais sa sympathie était pour le jeune allié qui lui apportait la preuve du complot. Dans son cerveau un travail rapide se faisait. Il n’avait rien appris des préparatifs homicides du gouvernement hova. Quelle responsabilité eût injustement pesé sur lui devant l’histoire, si les Malgaches, imitateurs inconscients des Siciliens, avaient eu leurs vêpres madécasses !

Maté, Ikaraïnilo parlait :

– Après-demain, à la nuit, une fusée verte s’élèvera au-dessus du palais. De montagne en montagne le signal sera répété, portant à tous les soldats l’ordre de courir sus aux Européens. Les troupes, cantonnées à peu de distance, marcheront sur Antananarivo ; des réserves de poudre et de plomb remplissent les caves du palais. Elles seront distribuées aux guerriers.

Le Résident tira le cordon d’une sonnette. Le lieutenant entra aussitôt.

– Lieutenant, commanda-t-il, faites prier le premier ministre de me rejoindre ici. Avec quatre hommes vous vous tiendrez prêt à venir à mon premier appel. Que nul ne sorte de cette habitation.

L’officier s’éloigna pour exécuter ces ordres.

– Le premier ministre ! gémit le général, je suis perdu !

– Non pas, riposta vivement Marcel. De ce jour, tu es protégé Français. Je suis certain que Son Excellence ne me contredira pas.

– Et vous avez raison.

Ikaraïnilo parut soulagé d’un poids énorme. Décidément le faux lépreux avait du bon, puisqu’il veillait à la sûreté de ceux qui servaient ses desseins.

La porte se rouvrit, livrant passage au premier ministre malgache Rainilaiarivony. Grand, maigre, le crâne dénudé, le visage sillonné d’innombrables rides, l’œil inquiet, fuyant, le grand dignitaire était revêtu d’un uniforme couvert de broderies, de décorations.

– Qu’est-ce donc ? vous me demandez en grand mystère, mon cher Résident ?

Sa voix aigrelette sonna faux dans le silence.

– Il se passe des choses graves, répliqua froidement le plénipotentiaire français.

Le ministre leva au ciel ses bras maigres.

– Des choses graves ! Aurait-on molesté quelqu’un de vos protégés ? Dites-le. Justice sera faite.

Un sourire éclaira le visage du Résident :

– Je suis heureux de vous entendre parler ainsi.

– J’ai donc deviné juste ?

– Presque…

– Je ne saisis pas bien…

– Pourquoi je dis presque ? Je m’explique. Ce n’est pas un de mes protégés qui est menacé, mais tous mes protégés de Madagascar et la France elle-même, dont je suis le représentant.

Les paupières de Rainilaiarivony papillotèrent, son regard parcourut la salle avec l’expression effarée d’un renard traqué. Mais déjà le Résident barrait la porte, et Marcel, appuyé contre la fenêtre, jouait avec la baïonnette de son remington.

Le Malgache essaya de ruser. Ses mains se serrèrent, sa physionomie prit le masque de la stupéfaction.

– Que me contez-vous là ? fit-il, les Français courraient un danger ?

– Terrible. Demain à la nuit, la population se levant en masse doit les assaillir traîtreusement et les anéantir.

L’accusation était nette ; mais il est dans le caractère hova de mentir.

Le dignitaire haussa les épaules.

– Contes à dormir debout. La population n’agirait que sur l’ordre de sa reine et…

– Et le mouvement a été préparé par la reine et par celui qui, d’après la Constitution, est forcément son mari. Vous, monsieur le premier ministre.

– Moi ?

– Vous-même.



– Et vous croyez cela ?

Le Résident ne répondit pas tout de suite. Rainilaiarivony se figura qu’il hésitait :

– Non, vous ne le croyez pas. C’est tellement absurde de penser que nous, qui aimons les Français et vous particulièrement, nous allons vous tendre un guet-apens… C’est un fou, ou un malheureux ivre de vin de palme qui vous a fait ce rapport. En toute autre circonstance, je mépriserais pareil adversaire, mais cette fois, l’allégation est trop grave ; il faut qu’il soit puni. Amenez-le en ma présence, que je le confonde…

Sur un signe du Résident Marcel s’avança :

– Ce misérable est présent, c’est moi, et il vous défie de le confondre.

Le Hova s’était arrêté court au milieu de sa tirade. Ses paupières tremblotaient de plus en plus…

– Quoi ! c’est vous qui ?…

– Moi-même.

– Mais cette comédie est odieuse, clama Rainilaiarivony, s’adressant au Résident. J’accepte votre hospitalité. J’entre dans votre maison, aussi confiant que si elle était mienne. Et vous, que je croyais mon ami, vous auquel j’étais lié d’affection comme l’eau et le riz…

La comparaison malgache, la plus haute expression de l’amitié puisque le riz croît et cuit dans l’eau, fit long feu.

– Vous soudoyez des aventuriers pour m’insulter, continua le sec personnage, et vous pensez que je mettrai ma parole en opposition avec celle de cet individu ? Détrompez-vous. L’injure part de trop bas pour que je daigne me défendre.

Dalvan avait interrogé son supérieur du regard. Celui-ci fit un mouvement de tête qui pouvait s’interpréter :

– Allez !

Aussitôt, le sous-officier s’inclina, et d’un ton respectueusement ironique :

– Vous vous méprenez, monsieur le premier ministre, on ne vous demande pas de vous défendre.

– Ah bah !

– Ce serait trop difficile. Il vous sera plus aisé de vous accuser.

– Leno-Reno ! gronda le Malgache.

– Cela veut dire ? interrogea Simplet.

– Drôle !

– Fort bien. Le plus drôle des deux ce sera vous, quand vous avouerez votre petite combinaison assassine.

– Avouer cela, moi ? jamais !

– Jamais… Serment d’amoureux, cela n’a aucune valeur politique. Voyons, voulez-vous, oui ou non, vous exécuter ?

Rainilaiarivony haussa les épaules, mais étendant une main menaçante vers le Résident :

– Monsieur, dit-il, je me plaindrai à votre gouvernement. Je doute qu’il approuve les procédés dont vous usez.

– Il fait le malin, interrompit Marcel, cela ne durera pas longtemps. Il parlera.

– Comment ?

C’était le Résident, quelque peu inquiet des suites de l’aventure, qui posait la question.

– Vous allez voir. C’est simple comme bonjour.

Et en aparté :

– Quand un truc est bon pour des soldats et des généraux, il ne peut pas être mauvais pour un Ministre.

Sur ce, il fit un pas vers l’accusé et lui mit ses mains sous les yeux. Aussitôt l’effet accoutumé se produisit. L’époux de la reine poussa un cri et, la face convulsée par le dégoût, se jeta précipitamment en arrière.

– Bon, déclara le sous-officier, premier point acquis : j’ai la lèpre ; second point, faites bien attention. Je mets ma baïonnette en contact avec mes plaies. Ceux qu’elle blessera seront sûrement la proie du fléau… Ceci posé, monsieur le ministre, je vous enferme dans ce dilemme : ou bien vous garderez le silence et je vous embrocherai, ou bien vous parlerez et vous éviterez la lèpre.

Négligemment il se rapprochait de Rainilaiarivony terrifié.

– Grâce ! bredouilla celui-ci.

– Volontiers, avouez.

Puis faisant osciller la lame aiguë, ce qui provoquait de la part du Malgache les plus amusantes contorsions :

– Je vais vous aider. Est-il vrai que, sur votre ordre, les milices hovas mobilisées sont réunies à peu de distance de la ville ?

Le ministre grinça des dents, il se ramassa comme pour bondir sur son interlocuteur, mais la baïonnette s’approcha de sa poitrine.

– Oui, fit-il d’une voix rauque.

– Bien. Est-il vrai que le signal de la destruction des Français doit partir du palais ?

– C’est vrai.

– Que ce signal est une fusée verte ?

– Oui encore… Ah ! qui donc nous a trahis ?

– Que les caves sont bondées de poudre et de balles pour les soldats ?

– Oui.


– À la bonne heure. Reposez-vous – et souriant au Résident qui écoutait – Vous le voyez, Excellence, mes renseignements sont exacts.

Le représentant français hocha la tête d’un air songeur.

– Oui, murmura-t-il, comme se parlant à lui-même, le complot est évident. Il n’aura pas lieu à la date fixée, mais dans quelques semaines il éclatera soudain. Comment réduire ces gens à l’impuissance ?

– C’est bien simple.

Il leva la tête. Dalvan était auprès de lui, les lèvres encore ouvertes du passage de son axiome favori.

– Votre Excellence veut-elle me continuer sa confiance pendant cinq minutes ?

– Ma foi, au point où nous en sommes, il y aurait injustice de ma part à me défier de vous. Je vous donne carte blanche.

– Si vous vouliez y ajouter du papier de même couleur, des enveloppes, de l’encre et un porte-plume ?

Sur un coup de sonnette du Résident, on apporta les objets réclamés par le sous-officier. Celui-ci les disposa sur la table, plaça une chaise devant et appela Rainilaiarivony.

– Monsieur le ministre, prenez donc la peine de vous asseoir ici, dit-il en balançant son arme d’une façon significative.

Et le Hova ayant obéi.

– Vous êtes le mari de la reine ?

– Parfaitement.

– Veuillez donc lui écrire une lettre très tendre, non une froide épître d’époux blasé, mais un poulet galant de fiancé. Priez-la de venir vous rejoindre ici.

– Mais ce n’est pas l’usage…

– Ce n’est pas l’usage non plus de communiquer la lèpre à l’aide d’une baïonnette, et cependant… Mais je ne veux pas réitérer mes menaces, je suis persuadé de votre bon vouloir. Allons, écrivez gentiment à votre chère femme… et surtout trouvez un prétexte assez adroit pour qu’elle se décide à se mettre en route au milieu de la nuit, car si elle hésitait, votre position deviendrait extrêmement dangereuse.

Rongeant son frein, Rainilaiarivony écrivit à sa royale moitié un billet dont le Résident prit connaissance.

– Êtes-vous satisfait, Excellence ? demanda Simplet.

– Oui, ceci est parfait.

– Alors continuons.



Il allongea la main vers le ministre qui faisait mine de se lever et qui, à ce simple geste, se rassit précipitamment.

– Je désire de vous encore un petit autographe. Écrivez au chef de vos Tsimandos d’expédier, au reçu de ce papier, des courriers vers tous les généraux commandant les troupes. Ils leur porteront l’ordre de se rendre à la Résidence française pour y déposer leurs armes.

– Écrire cela ? gronda le ministre.

– Par la vertu de ma baïonnette, dépêchez-vous.

Et tandis que le Hova, fou de rage impuissante, traçait l’ordre qui désarmait ses régiments et rendait toute révolte impossible pendant de longs mois, Marcel, que le Résident remerciait avec effusion, l’interrompit :

– Ne parlons plus de cela, Excellence, cela n’en vaut pas la peine. Expédiez le petit mot à la reine. Elle viendra. Vous la garderez prisonnière, ainsi que ce vilain magot de ministre, jusqu’à ce que vous ayez procédé au désarmement de l’armée ennemie. Alors vous les laisserez libres sous la condition qu’ils fassent transporter à Tamatave, pour être remises à nos navires de guerre, les provisions d’explosifs et de projectiles accumulées dans les souterrains du palais. J’ai l’air de vous donner des conseils, pardonnez-moi ; vous savez mieux que moi ce qu’il convient de faire… mais j’étais emporté par le raisonnement.

Trois quarts d’heure s’étaient à peine écoulés, que la reine arrivait avec une faible escorte et apprenait avec stupeur qu’elle était prisonnière. Aussitôt un exprès quittait la Résidence, chargé de la dépêche adressée au chef des courriers.

Les invités du Résident, auxquels on avait fait dire que le premier ministre était parti accompagné de son hôte, s’étaient retirés en se demandant quel événement avait pu déterminer cette brusque retraite. Après les explications indispensables, le représentant des droits français à Madagascar allait donner l’ordre de conduire ses prisonniers dans les appartements où ils seraient gardés à vue.

– Excellence, un instant encore, implora Dalvan.

Son interlocuteur le questionna du regard.

– Oh ! simple amour-propre d’auteur. La pièce qui s’est déroulée devant vous aurait pu être un drame. Nous en avons fait un vaudeville, il faut donc qu’elle finisse gaiement.

Et venant à Ikaraïnilo, immobile à côté du premier ministre :

– Messieurs, dit-il, dans cette soirée où j’ai eu l’honneur d’entrer en relations avec vous, il est advenu à diverses reprises que mes mains ont effleuré vos vêtements. Ces pauvres mains sont en pitoyable état et, sans nul doute, vous vous proposez de brûler vos habits afin d’éviter le microbe de la contagion. Je prétends vous épargner cette dépense. Messieurs, ce que vous avez pris pour l’effrayante lèpre est tout simplement la trace des épines de l’ortie zapankare.

Du coup le Résident éclata de rire. Quant aux indigènes, rien ne peut rendre l’expression de leurs physionomies. C’était de la colère, de la honte. Le sous-officier les avait bernés, bafoués. Il les avait amenés à se livrer pieds et poings liés en les épouvantant avec une piqûre d’ortie.

On les entraîna dans les salles de la Résidence transformées en prison. Marcel demeura seul en face du Résident. Ce dernier s’avança vers lui, les mains tendues.

– Monsieur, dit-il lentement, aujourd’hui vous avez fait acte de grand patriote et d’homme d’esprit. La France a contracté une dette d’honneur envers vous. Elle la payera, je m’y engage pour elle. Veuillez m’apprendre le nom du sauveur du protectorat.

Mais Dalvan secoua la tête.

– De nom, je n’en ai plus depuis que je me suis imposé une mission de justice – puis les lèvres distendues par un sourire – mais j’espère mener ma mission à bonne fin, alors, je reprendrai mon nom, et dame ! il ne me serait pas désagréable qu’il fût un peu honoré… Comment faire ?

Il se frappa le front :

– Ah !… un moyen. Excellence, vous me laisserez partir tout à l’heure. Vous consentirez, n’est-ce pas, à me donner un guide pour me conduire à la demeure du Tsimando Roumévo, mon frère de sang ? Demain, j’aurai quitté la ville. Alors faites venir un homme qui habite Antananarivo. C’est mon ennemi mortel, mais il sait mon nom ; il vous le dira… et si le succès couronne ma mission…

– Vous pourrez compter sur moi comme sur vous-même… Il sera fait ainsi que vous le désirez.

Un coup discret fut frappé à la porte.

– Qu’est-ce encore ? grommela le Résident. Entrez.

Un soldat parut ; il tenait à la main une lettre.

– C’est un soldat de la léproserie qui vient de l’apporter pour Votre Excellence.

– Donnez… C’est bien, allez.

Le troupier se retira et le Résident, ouvrant la missive, chercha la signature :

– Canetègne, dit-il.

Simplet poussa une exclamation.

– Ah !

– Qu’avez-vous ?



– Ce Canetègne… Monsieur le Résident, vous m’avez promis de me renvoyer tout à l’heure.

– Et je tiendrai ma promesse. Après le service que vous m’avez rendu ce soir, je ne me reconnais pas le droit de vous contrecarrer en rien.

– Je vous remercie. Eh bien donc, ce Canetègne est l’ennemi mortel dont je vous parlais à l’instant.

– Lui ?


– Oui, Excellence.

– Alors, je connais votre nom.

– Vous…

– Oui : blond, teint rose… Marcel Dalvan ; j’ai votre signalement. Vous accompagnez une jeune fille, coupable d’un vol que…



Une pâleur subite décolora les joues de Simplet. D’une voix frémissante :

– Vous blasphémez, monsieur le Résident… elle, voleuse ?

Et rapidement, en phrases hachées, ardentes, il raconta l’odyssée de sa sœur de lait, l’infamie du négociant, la recherche d’Antonin Ribor, détenteur de la preuve de l’innocence d’Yvonne.

Tandis qu’il parlait, le Résident parcourait la lettre de l’Avignonnais. Elle relatait le complot. Dans un style amphigourique, le commissionnaire narrait complaisamment au prix de quels dangers il l’avait surpris. Il insistait sur l’horrible métier de violateur de sépultures qu’il lui avait fallu faire. Marcel se tut. Son interlocuteur lui tendit la missive.

– Lisez et déchirez. La prose de ce personnage ne mérite pas un autre sort. Pour vous, monsieur Dalvan, croyez à ma gratitude et à ma profonde estime. Je souhaite que vous réussissiez à confondre votre ennemi, à rendre l’honneur à cette jeune fille que, sur une note de justice, j’ai injustement accusée comme les autres.

Et défaisant le ruban rouge fixé à sa boutonnière, il l’attacha à la vareuse de Simplet.

– Excellence… vous n’y songez pas, bredouilla le jeune homme tout troublé.

– Si, demain, je télégraphierai le récit sommaire des événements. Un inconnu a sauvé le protectorat français d’un désastre. J’ai attaché à sa boutonnière, assuré d’être approuvé par le gouvernement, le ruban de la Légion d’honneur. Cette nomination figurera sur les listes de l’Ordre, jusqu’au jour où la mention « Inconnu » sera remplacée par le nom d’un brave.

Il prit le jeune homme par le bras, l’accompagna jusqu’au corps de garde, et après avoir désigné un soldat pour le guider vers l’habitation de Roumévo :

– Allez, monsieur, dit-il, et bonne chance. C’est un ami qui vous serre la main.

Un moment plus tard, Simplet, suivant de près son conducteur, s’enfonçait de nouveau dans les ruelles sombres de Tananarive.

Marcel venait de réduire les Hovas à l’impuissance pour près de deux années, donnant ainsi à la République française, le temps de préparer l’expédition qui devait nous rendre maîtres de Madagascar1.



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