Les effets des systèmes et des outils multimédias sur la cognition, l’apprentissage et l’enseignement


Des effets limités sur les apprenants ?



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Des effets limités sur les apprenants ?


Les effets mesurés par les recherches47 sont-ils à la hauteur de ces attentes ? Il faut reconnaître qu’ils sont très souvent décevants, et que les résultats des différentes recherches sont très contradictoires.

Trois types d’effets ont été évalués, selon les recherches48 :

– les effets sur la quantité et la qualité des textes produits ;

– les effets sur les processus d’écriture, et en particulier sur la révision ;

– les effets sur le contexte pédagogique.

La quantité et la qualité des productions


L’ensemble des recherches qui prennent en compte la longueur des textes produits montre que les textes écrits par des élèves sur traitement de texte sont un peu plus longs que ceux qu’ils écrivent au crayon, du moins lorsque les élèves ont acquis une familiarité du clavier. Les élèves passent en outre plus de temps à écrire dans la première situation que dans la seconde (Cochran-Smith, 1991).

En revanche, en ce qui concerne la qualité des écrits, les résultats sont décevants. La plupart des recherches concernent ici des étudiants de l’enseignement supérieur ou des adolescents. Elles montrent rarement une amélioration de la qualité des textes produits lorsqu’on utilise le traitement de texte, si ce n’est par rapport à des critères de présentation formelle49 (Cochran-Smith, 1991). Par exemple, la comparaison entre des lycéens qui ont utilisé le traitement de texte pendant un an dans le cadre de l’enseignement de l’écriture n’écrivent pas mieux que ceux du groupe témoin qui a utilisé le papier et le crayon (Dalton & Hannafin, 1987). Bangert-Drowns (1993) note que sur trente-trois études analysées (dans trente-deux articles), une seule aboutit à des résultats négatifs significatifs, dix indiquent des résultats statiquement significatifs en faveur du traitement de texte. Mais, à deux exceptions près, il s’agit de petits effets positifs.


Les processus d’écriture

La planification


Plusieurs recherches menées sur des étudiants du début de l’enseignement supérieur ou des scripteurs expérimentés mettent en évidence qu’on planifie moins sur traitement de texte qu’en utilisant le crayon (Cochran-Smith, 1991).

L’expérience d’Espéret et de son équipe (Espéret, 1995) concerne des élèves de troisième et cherche à étudier les effets du traitement de texte sur la planification. La méthode utilisée est celle des pauses. La mesure de la durée des pauses et leur localisation, la vitesse d’écriture sont déterminées par le traitement cognitif mis en jeu et en rendent compte. Les résultats sont peu concluants. Les différences entre les deux groupes sont très limitées et disparaissent au bout de plusieurs mois : l’usage du traitement de texte a peu modifié les stratégies de planification des élèves ; et une fois familiarisés au logiciel, ils reviennent à leurs habitudes de planification manuscrites.

Snyder (1994b), qui observe et compare deux classes analogues de huitième année, l’une utilisant le traitement de texte, l’autre pas, ne constate aucune différence dans le comportement des élèves, ni en ce qui concerne la planification, ni en ce qui concerne la révision. La seule variable qui semble intervenir est la nature de la tâche : les élèves, dans l’une et l’autre classe, planifient peu leurs textes narratifs, davantage leurs textes argumentatifs. Quand ils révisent des narrations, ils ne modifient que la surface du texte, dans les textes argumentatifs, ils cherchent à clarifier.

Le traitement de texte ne semble donc pas un outil particulièrement favorable à la planification et à son apprentissage. Mais les effets dans le domaine de la révision apparaissent limités, là où pourtant la croyance en l’efficacité de cet outil est particulièrement répandue.


La révision


Les possibilités qu’offre le traitement de texte de transformer facilement son texte sont sous-employées par les scripteurs. Le déplacement, en particulier, est très peu utilisé. Pouder, Temporal et Zwobada-Rosel (1990) et Plane (1994) soulignent que les élèves de primaire qu’elles ont observés ne procèdent à aucune opération de déplacement. On remarquera cependant que cette opération, sur papier également, est celle qui apparaît le plus tard (Fabre, 1990). De manière plus générale, les pratiques habituelles des jeunes rédacteurs sur papier sont peu affectées par le passage au traitement de texte (Greenleaf, 1994 ; Piolat & Roussey, 1990 ; Snyder, 1994a). Concernant le déplacement, y a-t-il une difficulté indépassable chez des enfants de cet âge ou bien le traitement de texte, dans certaines conditions d’utilisation, peut-il apporter une aide ? Une étude menée par une professeur des écoles stagiaires dans le cadre de son mémoire professionnel indique, au cours d’une modeste activité d’organisation d’un texte descriptif scientifique sur les planètes, une différence notable entre des dyades d’enfants utilisant le traitement de texte et des dyades travaillant avec le papier et le crayon (Orriger, in Crinon & Legros, 2000) : la cohérence des textes se trouve améliorée, du moins chez les bons élèves, c’est-à-dire ceux qui ont acquis des compétences en matière d’organisation des textes descriptifs.

Mais revenons aux effets plus globaux de l’utilisation du traitement de texte sur la révision. Owston, Murphy et Wideman (1992) constatent un retour plus fréquent sur l’écriture, une amélioration globale, et surtout moins d’erreurs locales. L’amélioration locale est aussi une des conclusions de la revue de question de Snyder (1993).

Une étude expérimentale réalisée à Lausanne par Nicolet, Genevay et Gervaix (1992), portant sur des élèves de douze à treize ans à qui on avait proposé une activité de révision d’un récit, montre également que le traitement de texte favorise les corrections locales. Globalement les élèves travaillant sur traitement de texte ont moins modifié les textes initiaux que ceux qui ont travaillé sur papier ; sur traitement de texte, les sujets ont privilégié les corrections de forme (accords, prépositions, style) ; sur papier, ils se sont attachés au sens, procédant à des déplacements et des remplacements. L’une des conclusions importantes qui se dégagent de cette étude est donc que l’utilisation du traitement de texte amène une focalisation sur les corrections de surface, au détriment des corrections plus globales, concernant le sens et l’organisation d’ensemble du texte.

L’étude de Plane (Plane, 1994 ; 1995 ; 1996a ; 1996b ; 1997) est une étude écologique qui analyse de manière qualitative des pratiques de classe et les effets de propositions didactiques, à l’école élémentaire cette fois. Elle a essayé dans des classes deux types de situations. Dans le premier, toutes les tâches sont réalisées directement et uniquement sur ordinateur ; dans le deuxième, elle a fait alterner des phases d’écriture sur traitement de texte et des phases de travail sur version papier. Ce second dispositif s’est révélé particulièrement adapté à l’apprentissage de la révision. Elle relève, sur une activité de production d’annonce en CE1-CE2, la richesse et la diversité des modifications apportées aux différents moments de l’écriture : travail métacognitif mettant en relation les opérations effectuées et les résultats sur le texte ; développement de pratiques expertes (relecture des versions intermédiaires, comparaison de plusieurs essais, consultation de documents de référence, sollicitation d’interventions critiques extérieures…). L’ordinateur a servi de “ médiateur50 ” dans l’apprentissage, mais les effets constatés sont à mettre au compte de la démarche proposée autant qu’aux potentialités de l’outil.

Révision de surface plus que de sens, meilleure révision lorsque les élèves font des aller-retour entre l’écran et les sorties d’imprimante : on peut relier ces résultats aux difficultés de la lecture sur écran : le scripteur qui révise sur écran n’a pas une vision d’ensemble de son texte, dès que celui-ci dépasse quelques lignes. Réviser un texte implique de lire la version antérieure du texte produit (Hayes & Flower, 1980 ; Hayes, 1996). La difficulté à se décentrer de la production, à se situer en lecteur de son propre texte est une difficulté majeure de la révision. Il est cependant difficile, sur l’écran, de se faire une image globale du texte, qui “ s’enroule ” et auquel on n’a qu’un accès séquentiel. Le papier permet, mieux que le déroulement de l’écran, un accès parallèle aux différentes parties du texte et favorise ainsi une révision “ pour le sens ”. Et les scripteurs, au fur et à mesure que s’affirme leur expertise, évoquent de plus en plus, quand on les interroge, le besoin d’une vue globale sur leur texte (Severinson Eklundh, 1992).

Une recherche de Piolat, Roussey et Thunin (1997) donne des arguments supplémentaires à cette analyse en mettant en évidence les avantages de la page : cette présentation allège la tâche du lecteur, lui facilite la localisation des informations et aide à la mémorisation. Piolat, Roussey et Thunin ont en effet comparé, avec les méthodes de la psychologie expérimentale, deux types de présentation d’un texte sur écran, par pages ou sur des fenêtres déroulantes (scrolling), et les effets de ces modes de présentation sur la lecture et sur la révision de textes. Les performances des sujets, dans une tâche comme dans l’autre, sont meilleures dans la condition “ pages écrans ”. Les sujets y font en particulier plus de corrections globales.

Les facilitations qu’offre le traitement de texte pour corriger, insérer ou déplacer des éléments d’un texte déjà écrit ne semblent donc pas suffire à en faire un outil de révision efficace. La question de la “ lisibilité ” du texte se pose. Cette lisibilité a été acquise, pour le livre ou le journal, à l’issue d’une longue évolution historique (Cavallo & Chartier, 1997 ; Vandendorpe, 1999). Il n’en va pas encore de même pour les écrans51.

La métacognition


L’activité d’écriture comporte des dimensions métacognitives et les scripteurs expérimentés sont capables de faire preuve d’une activité réflexive sur leur propre production (Gombert, 1990). On a vu plus haut que l’influence du traitement de texte sur la révision était volontiers mise en relation avec un effet métacognitif.

La recherche que Jones et Pellegrini (1996) ont conduite sur des élèves de première année de l’école élémentaire compare les effets des relations sociales et du média sur les processus métacognitifs dans une tâche d’écriture de récits. Les vingt élèves de la classe sont couplés par dyades pour écrire : dans un groupe, les dyades sont composés en fonction des affinités des enfants (dyades “ d’amis ”), mais pas dans le second groupe. Chaque dyade écrit alternativement sur papier et sur traitement de texte (quinze séances de chaque type). Les chercheurs ont analysé les récits produits et les conversations entre coéquipiers au cours de la tâche. Leurs résultats montrent un effet du média sur la qualité du texte (les textes écrits sur ordinateur sont plus denses et plus cohésifs), mais également des effets cumulatifs du média et des relations entre pairs sur la métacognition : les “ conversations métacognitives ” (caractérisées par un emploi plus fréquent d’expressions comme “ I think, I know, I guess ” ou des articulateurs logiques, “ although, because ”) sont plus nombreuses lorsque les enfants ont travaillé sur le traitement de texte, et dans les dyades d’amis plus que dans les autres dyades. En outre elles diminuent au cours de l’année, au fur et à mesure que la maîtrise de la tâche augmente.

Intérêt donc d’une explicitation par les apprenants eux-mêmes de l’activité mentale qu’ils sont en train de mener. Et rôle, indirect, du traitement de texte dans la structuration de situations pédagogiques favorables à des dialogues métacognitifs. Première pièce à verser dans le dossier des rapports entre introduction du traitement de texte et modification du contexte pédagogique.

Le contexte pédagogique


C’est un effet bien établi du traitement de texte que de modifier l’attitude et la motivation des élèves. Plusieurs auteurs attribuent à cet élément l’essentiel des effets positifs constatés, en particulier sur la longueur des textes. Les élèves, lorsqu’ils sont interrogés, déclarent qu’ils aiment utiliser l’ordinateur pour écrire, qu’ils ont moins peur d’être jugés négativement, qu’ils ont l’impression de progresser et qu’ils sont fiers de leurs productions sur ordinateur (Cochran-Smith, 1991 ; Hawisher, 1989). Aussi n’hésitent-ils pas à passer plus de temps sur leur travail. Des auteurs ont également noté une plus grande concentration sur la tâche (Landreville, 1995 ; Cochran-Smith, 1991). L’effet de motivation n’est d’ailleurs pas inhérent au traitement de texte, il est souligné à propos de divers usages de l’ordinateur (voir la revue de Grégoire, Bracewell & Laferrière, 1996).

Mais la présence du traitement de texte ne change pas seulement l’attitude des élèves face à l’écriture, elle amène des modifications radicales dans la façon dont se déroulent les cours et dans les interactions au sein de la classe.

Caillot-Gary et Glykos (1993) exposent un travail mené pendant plusieurs mois avec des élèves de cinquième. Les effets sur les productions sont peu spectaculaires, mais les auteurs mettent en évidence la coopération accrue entre élèves, dès lors que le manque d’équipement oblige à travailler à plusieurs sur un même ordinateur ; la discussion sur les textes à l’intérieur des groupes de travail semble avoir été bénéfique pour les élèves les plus faibles.

Snyder (1994b) compare deux classes de huitième année, qu’elle a suivies pendant une année scolaire. La méthode quasi expérimentale (pré-test et post-test) est complétée par des observations, des questionnaires et des entretiens. Les deux classes sont du même niveau, ont la même enseignante et pratiquent les mêmes activités d’écriture. La première classe utilise le traitement de texte, les élèves de la seconde écrivent au crayon. Cette recherche étudie l’influence de l’outil d’écriture 1. sur les textes produits (narratifs, argumentatifs et informatifs) ; 2. sur les processus d’écriture ; 3. sur les contextes d’enseignement-apprentissage en comparant les deux environnements de classe. L’hypothèse émise est que l’usage du traitement de texte modifie les relations dans la classe et que l’effet sur les productions est à mettre en relation avec cette modification du contexte pédagogique. Les résultats ne montrent pas de différence en ce qui concerne le comportement d’écriture ; mais la qualité des textes (et en particulier des textes argumentatifs) produits par le groupe utilisant le traitement de texte est meilleure. Les différences de contexte pédagogique entre les deux classes sont considérables : la classe travaillant avec papier et crayon est plus centrée sur l’enseignante et passe plus de temps à écouter des explications magistrales ou des cours sur les genres (l’enseignante s’y déclare d’ailleurs plus à l’aise et plus efficace !), alors que la classe utilisant le traitement de texte offre plus d’interactions entre les élèves concernant la tâche et de conseils individuels de la part de l’enseignante. Dans la classe avec traitement de texte, les élèves sont plus mobilisés, plus actifs, moins faciles à distraire. C’est là aussi qu’on constate le plus d’expérimentations et d’exploration des possibilités d’écriture.

Greenleaf (1994) relève les changements importants qu’amène l’introduction d’ordinateurs dans une classe de lycée qu’elle a observée avant et après. Il s’agit de modifications introduites par l’enseignant dans l’organisation de sa classe, mais aussi de changements importants dans les comportements de certains élèves, en conflit permanent avec les autres et qui se mettent à collaborer avec leurs pairs après l’introduction du traitement de texte. On pourrait évoquer ici l’analyse qu’Oury et Vasquez (1971) font des outils et des buts d’activités dans la pédagogie coopérative (imprimerie, correspondance, etc.). Ils agissent comme des médiations pour casser l’enfermement dans une relation pédagogique duelle et permettent aux enfants d’évoluer.


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