SOUVENIRS DE 14 JUILLET :
Une décision choquante, une année, l’invitation spécifiait que les enfants n’étaient pas admis. Toute silhouette menue, gaie, joyeuse, se faufilant à travers la foule des gens sérieux était interdite d’accès. Elle présentait pourtant une symbolique cette silhouette, la fête du 14 juillet ne réunissait pas que des vieux, elle s’adressait aussi à la jeunesse. Directive du Quai ? Quelle intelligence de gardien de square a inspiré cette interdiction ? Les enfants n’ont jamais été nombreux, ils n’ont jamais bouffé tous les petits fours, culbuté un Premier ministre, fait un croc en jambe à un général, versé du coca cola dans les poches d’un chef de la police, pincé les fesses de la femme d’une Excellence, bref, perturbé la cérémonie. J’ai mal accepté cette interdiction, approchant du grand âge, je sais que bientôt je vais retomber en enfance.
Une année, un Ambassadeur m’accoste, il est petit, pourtant il en impose. Je l’apprends, il représente une Grrrande puissance en dépôt de bilan. Je n’ai rien contre les petits, je ne suis moi-même pas très grand. Et j’aime son pays. J’aime entendre sa langue. Je place Dostoïevski au-dessus des plus grands écrivains de tous les temps. Je lui parle des sommets de plus de 7000 mètres des montagnes du Pamir que j’ai gravis. Pic Korgénievskaïa, il opine, pic Lénine, pic du Communisme, son visage se glace. Me prend-il pour un Soviet ? Je n’ai chanté leurs louanges que pendant une période fort courte de ma vie et il y a soixante ans de cela. Il y a prescription. Et puis je ne connais pas les nouveaux noms de ces pics. Je l’ai revu, je n’avais pas de couteau entre les dents, mais je n’ai pas tenté de le saluer, son regard m’a fui. Suis-je responsable si les anciens dirigeants de son pays ont baptisé de noms ridicules les grands plus de sept milles mètres de leurs anciennes colonies ?
Une fin de fête, près de la sortie, une Française inconnue. Nous voilà dégoisant sur les grands peuples de l’histoire, une de mes marottes du moment. Est-ce l’effet du champagne ? je buvais alors et mon subconscient avait glissé à ma lucidité que le champagne offert gracieusement pouvait être une incitation à assister à ces fiestas nationales. Quoiqu’il en soit, je dis à cette dame : << Le Français n’a jamais été un des grands peuples de la terre. >>. Elle me questionne : << Quel peuple alors l’a été ? >>, je lui dis :<< Le peuple grec, le latin, le peuple britannique. >>. La dame sourit, le monsieur qui est à côté d’elle opine. Elle me présente :<< Mon mari, l’Ambassadeur d’Angleterre. >>. Conséquence : nous serons invités, le temps d’une législature d’Ambassadeur du Royal Kingdom, à chaque fête qui se déroulera dans les salons et les jardins de l’Union Jack. Hélas, je n’ai jamais eu l’occasion, et je le regrette, de poser à cette dame fort sympathique et à son Excellence d’époux, la question : << Que devient un grand peuple, lorsque, vieillissant, il devient satellite, simple vassal, taupe dans l’Europe, d’une de ses anciennes colonies ? >> << Chaque fois que j’aurai le choix entre le continent et le Grand large je choisirai le Grand large >>, a dit un politique aux expressions originales et fortes qui a dirigé ce pays pendant les années de guerre.
Conversations entre résidents, je capte des mots, des phrases :
- Buddha jayanti, soixante et quatorze photos, toutes excellentes…
- Le tiar ? Imaginez une ville éclairée par des milliers de lumignons. C’est sublime !
- Dasagn, tout ce sang qui coule, c’est…, c’est atrocement merveilleux.
- Gauthakarma, la lutte contre les mauvais esprits dans les champs, les maisons. Il y en a une en terres bothïas, elle est encore plus folklorique.
- Vous partez en trekking ? A Thamel, vous trouvez tout, des vêtements et du matériel, oui, des grandes marques à des prix dérisoires. Discussions de ceux, de celles qui dès leur arrivée savent tout. Eternels pigeons d’élite à la crédulité himalayenne. Trop nombreuses insignifiances en désir de reconnaissance par autrui par l’acquisition d’un vernis à base de folklore. Des mots en moi : gnian, gnian, poncifs, clichés. J’ai donné, le Népal ce n’est pas que cela, c’est quelque chose de plus puissant.
CROQUIS 15.
Avant la prise du pouvoir par le dernier roi, Gyanendra, il était banal d’être accosté par une haute personnalité politique, un militaire de haut grade, courtoisie et merveilleux sourire népalais à fleur de lèvres. Une conversation s’ensuivait. Je me souviens d’un officier qui m’avait abordé et s’était présenté :<< X, général. >>. Je n’avais pas osé lui répondre : << Sigayret, caporal du génie. >>, mes états de service étant inexistants et les souvenirs que j’ai laissé à mes supérieurs au cours de mon service militaire ayant été plus que négatifs. Nous avions échangé le genre de banalités que s’offrent des hommes heureux de rencontrer une sympathie disponible. Puis est venue la guerre civile, puis est venu le régime despotique, et les Français qui avaient instauré une République, qui avait coupé le cou de leur roi, n’ont plus été gens fréquentables. Les militaires présents à notre fête nationale sont devenus rares. Quel rôle a joué ce sympathique militaire dans la lutte contre les Sans-culotte népalais ? Qu’est-il aujourd’hui ? A-t-il une étoile de plus ? Est-il relégué dans les oubliettes de l’avancement ?
14 JUILLETEN France :
T.V.5 est présente sur les chaînes télé de Kathmandu. Je regarde. Soudain, sur l’écran, une tribune, des visages graves. L’heure n’est pas aux rires ni à la simple gaieté. On le pressent, quelque chose de sérieux se prépare. Et voilà un défilé, celui du 14 juillet évidemment, il faut être un pauvre émigré comme moi pour ne pas être au courant. Vague après vague, passent des engins, des hommes sur des engins, des hommes qui marchent. Des hommes qui ont appris à faire ce que tous les militaires du monde apprennent à faire, marcher au pas. L’éducation au service du saccadé, de l’absence de réflexion, de l’obéissance immédiate. La musique militaire accompagne, c’est une musique bien rythmée, une musique pour mécanique bien huilée.
CROQUIS 16.
Il y a du robot dans l’homme. Plus surprenant, le défilé des élèves de l’X. Ces épaulettes, ces cordons et ces boutons, ces accoutrements qui en disent long. On dirait d’anciens gendarmes ayant rajouté des dorures sur des uniformes neufs. Jusqu’aux jeunes polytechniciennes qui sont déguisées en cantinières pour bivouacs de luxe. Et ces nuques rigides, ces bras en mouvement de métronome, ces regards fixant un horizon de fierté, de droiture et d’obéissance. Parmi les grandes intelligences de la nation dans un spectacle de majorettes ! Oui, on le sait Polytechnique est une école militaire, elle a été fondée en 1794, en pleine guerre, mais nous sommes en 2008. Des hommes sont allés sur la lune, il y a des vies humaines dans l’espace, on a découvert les antibiotiques, l’A.D.N., le scanner, on fait des enfants in vitro, on résout en quelques secondes des systèmes d’équation possédant plus de 500 inconnues, l’église n’est plus qu’un théâtre d’ombres, son influence est insignifiante… Et surtout, l’efficacité militaire n’est plus dans une démarche mécanique et un costume de garde-chasse parvenu ou de portier d’hôtel kathmandouite. Qu’il est triste de voir ces intelligences ainsi fagotées L’efficacité militaire, on la juge aujourd’hui à la dextérité dans la manipulation d’un clavier de computer, dans la résolution d’équations de trajectoires calculées au millième de secondes. De plus, l’histoire vient de nous l’apprendre, la plus puissante armée du monde est impuissante face à quelques fanatiques possédant une vieille berline et quelques kilos d’explosifs.
Si la présence de ces jeunes était vraiment obligatoire, on aimerait voir ces brillants Q.I. défiler en désordre, portant simple blue-jean. Qu’il serait réconfortant de les voir aller, papotant, chahutant, souriant à la foule, lui adressant des saluts chaleureux. Comme il conviendrait à des intelligences supérieures, libres, fières de leur indépendance, de leur savoir en liberté d’expression, et non, affublées de costumes d’opérette, soumises à ce ridicule pas cadencé.
Hélas, c’est toute la France militariste qui est captivée par ce spectacle. Et nos intelligences se prêtent au jeu ! D’autres grandes écoles aussi s’associent à cette coutume du port d’un costume. Hommage conscient ou inconscient, direct ou indirect, volontaire ou involontaire, rendu à tous les bouchers de l’histoire : Attila, Napoléon, Hitler, Staline parmi les plus efficaces, Ben Laden, Bush parmi les plus minables. Du sang à la une, le vol d’un faucon attire plus le regard que celui d’une colombe.
Le Français est donc dans la rue, il aime la musique militaire, les coups de tambour font oublier la médiocrité, effacent le doute. Casanier, trop gras, il allume la télévision. Et au lieu de sourire tristement, il cautionne ce spectacle d’un autre siècle. Malgré ses bravaches, malgré ses discours, qu’il soit de droite ce qui explique, qu’il soit de gauche, ce qui étonne, le Français aime l’uniforme. Il aime le clinquant, la rigidité, l’obéissance, la droiture du corps, bref, il est resté militariste. Combien de noms de généraux, de maréchaux, parmi eux de sinistres chevillards appliquant des théories périmées, ayant envoyé à la mort des millions de pauvres cons, mon grand père en était un, baptisent le bitume de places, d’avenues, les pelouses de parcs. Oui, je sais, le pauvre type a son monument, il a même une flamme, un gros bec bunsen qu’on laisse allumé. Mais il n’a pas sa renommée affichée, étalée, moulée sur fonte hier, peinte en bleu aujourd’hui à toutes les entrées de rues. Notre Inconnu reste un relégué, un anonyme, un pauvre couillon qu’on vient saluer de temps en temps, pour se mettre en avant en prononçant un discours, en réalité.
Rêvons à une France libérée de son nationalisme ringard, effaçant ces noms de galonnés morts dans leur lit, une France fière de valeurs nouvelles, inscrivant sur les plaques : Inconnu mort pour rien… Ou : mort pour quelques mètres de terres agricoles, un chemin des Dames, une terre appartenant à d’autres. Ou : officier X, mort pour l’Indochine, pour l’Algérie, pour rien… Tous les gradés responsables ? Non, il y a des intelligences subtiles dans l’armée, il n’y a pas que des intelligences d’adjudant de caserne et des tueurs. Et, au-dessus des militaires il y a, la démocratie l’a voulu, des politiques. Responsables ? Non le politique n’est jamais responsable ou très peu souvent, depuis qu’a été créé le Tribunal punissant les crimes commis contre l’humanité. Alors, tous ces crimes impunis ? C’est ainsi, il faut les inscrire à la colonne pertes et profits de la démocratie. La quatrième république a vu passer vingt-deux ministres de la défense, dix-sept ministres de l’intérieur, quatorze ministres de l’Outre-mer.
CROQUIS 17.
Je m’enfonce plus avant dans la pensée anarchiste. Le 14 juillet, c’est quand même l’anniversaire de la prise de la Bastille par des Sans -culotte se battant contre l’armée royale qui est loin d’être celle des Va nu-pieds superbes. L’armée a toujours été du côté des puissants, de l’ordre établi. Le 14 juillet n’est donc pas la fête de l’armée de l’état, c’est même la fête symbolique de sa défaite. Si l’on désirait une journée de fête dédiée à cette armée pourquoi ne pas en avoir créée une. Le 14 juillet devrait donc être la journée des Sans-culotte et des pauvres types qui se sont battus pour améliorer le sort des misérables. Alors rêvons à un défilé qui grouperait des sans-abris, des smicards ayant à charge une famille, des mères de famille ne pouvant acheter une paire de chaussures à leurs enfants, des pères qui refusent un tour de manège au leur – j’ai été de ceux-là lorsque nous habitions en France - des jeunes en fin de cursus scolaire cherchant un emploi, de simples pauvres, des émigrés en quête d’une régularisation de situation, tous ceux qui sont relégués sur les bas côtés des réussites sociales, qui sont dans le caniveau de l’absence d’illusions, qui vivent dans un désespoir silencieux. Et j’imagine à leur suite les délégués d’un syndicat unique ayant pour but la défense des vrais misérables, ceux définis par le rapport somme mensuelle disponible au nombre de personnes à charge et non la défense d’un toujours plus jamais atteint. Cadres, classes moyennes, comptez-vous ! Ensuite, suivant ces derniers, les représentants du ( seul ) parti d’extrême gauche, celui qui n’a nul besoin de slogans mais affirme comme but sa volonté de détruire le pouvoir de l’argent, la nécessité d’une générosité collective, effective, le non bavardage. Avec eux, encore, dans cette marche solennelle, des prix Nobel, des grands enseignants, des chercheurs, des juristes, des grands intellectuels, des représentants d’associations humanitaires, de véritables grands sportifs, des anti-footballeurs en quelque sorte - on en trouve chez les gymnastes, quelques uns chez les alpinistes, des gens d’églises du genre pape-figue, tous les croyants ne sont pas inféodés à un dogme affligeant de nullité et à quelques vieillards portant chasuble. Bref, des représentants de ceux qui font une France estimable parce qu’ils sont avant tout, honnêtes, consciencieux, qu’ils dédaignent le clinquant, le riche, qu’ils s’intéressent aux pauvres.
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