QUELQUES NOTES SUR LE NEPALAIS :
Il y a les philosophes, les anthropologues, les sociologues… et il y a l’homme de la rue. Je suis un homme de la rue, un homme de chemins plutôt et qui s’adresse à des hommes de chemins : des trekkeurs, ou à des hommes de chemins escarpés : des alpinistes. Je suis de ceux qui ne se posent pas des questions du genre : La vie a-telle un sens ? Je place mon être hors du néant, je ne médite jamais, il m’arrive de médire, je soigne mon égo pour qu’il soit bien dodu et souriant. Pourtant, je m’intéresse aux individus, à l’homme en société, à l’Etranger surtout, et c’est pourquoi j’essaye de parler du Népal et du Népalais avec un autre ton que celui qu’utilise le touriste, le curieux de folklore, le rédacteur lambda de revue de montagne ou de trek ou de guide touristique. Ceux qui se contentent de répéter les on-dit, se complaisent dans le gnian gnian, ne viennent que quelques années, font trois tours de treks et de Bodnath et puis s’en vont. Mais la tâche est difficile, les individus, les pays, changent, ils sont comme les cours d’eau, tantôt calmes, tantôt agités, tantôt furieux. Tout est dans la raideur de leur lit. Les mouvements sociaux, les guerres, la soumission plus ou moins grande à une religion, la perception plus ou moins aiguë de son niveau de misère, les cités grandissantes, son propre vieillissement… sont aux hommes ce que la raideur du lit est aux cours d’eau. En matière politique et sociale, les groupes primitifs coupés du reste du monde, vivant en autarcie, ne sont agités que de colères individuelles. Les nations en mutation lente comme les riches sociétés démocratiques occidentales sont également calmes, sans cascades, bien qu’elles soient quelquefois agitées par de faibles friselis de mécontentement. Les pays sous régime dictatorial dans lesquels les citoyens sont contraints à l’immobilisme, sont comme l’eau contenue dans des barrages : immobiles, mais ils accumulent une énergie potentielle créée par la gravitation-révolte contenue. Par contre, les sociétés dans lesquelles existent des clivages puissants, des grandes inégalités sociales, sont sans cesse agitées de remous, de rapides, de tourbillons. Les pays du Tiers monde sont de ceux-là. Ils sont sans cesse soumis à des révolutions-maëslstroms. Le Népalais, population misérable dans son ensemble, qui a vécu dans un pays aux frontières fermées, puis a appris l’existence de sociétés ayant d’autres modes de vie que la sienne, qui a été conduit à la lutte armée et à deux révolutions successives, est, dans ce sens, un individu qui mérite quelques lignes qui aillent au-delà de la simple curiosité touristique, de la mièvre extase folklorique.
Transcrire les caractéristiques du peuple népalais, je ne suis pas qualifié pour les donner, mais je m’intéresse aux hommes et j’ai beaucoup voyagé. Que reste-t-il de ces voyages ? Mémoire, faculté merveilleuse, l’oubli, son antonyme. Des souvenirs, ils sont ce qui reste quand on a tout oublié. Ils sont par strates, parfois si profondément enfouies, qu’elles ne réapparaîtront jamais, mais certaines affleurent et ressurgissent en masse ou en filon. Souvenirs de moments forts ou étranges :
- je suis assis à la terrasse d’un motel en bordure d’une autoroute de Los Angelés, un énorme cabriolet duquel descendent deux immenses policiers, vêtus de noir, colt à la ceinture, s’arrête devant moi. Les deux policiers se dirigent nonchalamment vers le bar pour boire un verre de jus d’orange. Chose faite, ils reviennent à leur paquebot, enjambent les portières et, avant de reprendre la route, ils lancent un joyeux coup de sirène. Et j’ai pensé à des gendarmes français, uniforme clair, sous képi, sagement immobiles à côté de leur Estafette garée sur le bas-côté d’une route départementale. Images comparatives de la France et des U.S.A.
- voici deux gendarmes, encore, mais ceux-là sont en mission de surveillance dans un rassemblement festif sur un sol de latérite rouge de Nouvelle Calédonie. L’un deux, soudain victime d’un magistral coup de poing donné par un colossal Canaque, ils le sont tous, et se retrouve étendu sur le sol, proprement k.o., sous le regard inquiet de son collègue cherchant désespérément des alliés parmi nous, les quelques Français présents, incapables de réagir. Acte provoqué par l’ingestion d’alcool, mais reflétant la haine accumulée contre nous. Quelques jours avant, un autre Canaque me montrant une colline m’avait dit : << Je voulais construire ma case ici, mais on ne m’a pas donné l’autorisation. Mon père pourtant a fait votre guerre. Et cette terre est à nous, le minerai que vous tirez du sol et que vous vendez est à nous. Il ne sert même pas à construire des ponts, on traverse sur des bacs…>>.
- ces quelques jours de juillet passés à Papeete, promenade sur une plage étroite où poussent des cocotiers et des pins. Face à nous, la lagune émeraude puis l’Océan d’un bleu intense, mystérieux. En bordure de la ville, des minuscules enclos de bambous adjacents abritent, le temps d’une danse, un ou deux musiciens, quatre à cinq énormes autochtones des deux sexes devenant pour quelques minutes d’une légèreté invraisemblable.
- cette flânerie trop courte, au Brésil, à Rio de Janeiro, à Copacabana, sur le Pain de sucre avec toi Sylvéria plus belle encore qu’une belle métisse et qui aimait la France.
- nous sommes au Chili, nous avons quitté Santiago, notre voiture va droit au sud, traverse une multitude de rios sécos. Nous voilà sur les rives d’un autre rio, large et profond, en eau celui-là où une religieuse à cornette pêche au filet.
- nous voilà au Pérou, à Lima, chez le docteur Pinsas, ami du couple Martine et Jean Jacques Rolland. Le docteur raconte la vie de son père médecin sur l’Altiplano. Et nous écoutons des inimaginables histoires d’Indiens en lutte contre l’autorité minière. L’ascension de quelques voies difficiles me les fera oublier et je n’ai pris aucune note !
- retour de sommets, une mine en Bolivie, une troublante atmosphère. La troupe arrive, disperse des mineurs, la misère reste. Demain… La Paz une stratification sociale parfaitement ordonnée. Ses riches au bas de la colline, ses pauvres étagés en misère croissante jusqu’au rebord de l’Altiplano.
- une importante société industrielle grenobloise, davantage je crois pour me remercier de quelque service rendu que pour la rémunération d’une étude que j’ai réalisée pour elle, me paye un voyage en Tunisie. Un peuple apaisé. Rêve de retraite avant l’heure.
- Moscou la soviétique. Moscou by night. Une heure de queue pour avoir place dans un restaurant ! Cet ivrogne qui nous accoste à la sortie : << What contry ? >>. << La France >>. << Ah ! La France ! Victor Hugo, Emile Zola, Charles de Gaulle…>>. Et se superpose soudain le souvenir de ce chauffeur de taxi de Los Angeles qui, se retournant à peine, nous a posé la même question : << What is your country ? >>. Mais à ma réponse :<< France >>, a répondu << Where is it ? >>. Et la France était en ce temps présente dans le monde, de Gaulle la dirigeait !
- Asie centrale. Nous soignons nos pieds meurtris de froid en dégustant chapatis et fromages blancs dans des yourtes. Une pièce ronde vêtue de feutre posé sur une ossature futuriste. Les tentes de montagne, demain, auront de ces poutraisons. Un poêle central, des tapis sur la circonférence, des couleurs, une ambiance chaleureuse. Peu de peuples ont autant le sens de l’accueil, le Français moins que tous ! De nuit, pour revenir au camp, nous traversons des ruisseaux paisibles sur des cagettes à légumes lestées, tenues par une ficelle que nous jetons, avant chaque pas, devant nous, en guise de gué. Des visites : Ouzbékistan, Kazakhastan, Khirghizstan, Tadjikistan. Des villes : Samarkand, Boukkhara, Osh, Tasken, Douchambé. La belle guide-interprète russe dépassée, ravie par notre groupe de Français indociles, amusée, séduite, aimante un peu sans doute. Regards appuyés, doux, regards-promesses que l’on n’oublie jamais.
- et ceux de ce curieux peuple groenlandais, de cet impénétrable peuple groenlandais. Paul Emile Victor en a donné une image fausse qu’a redressée Jean Malaurie. Un peuple trop facile de contact, trop rapidement disponible, un peuple ambivalent, colonisé sans l’être, qui chasse encore le phoque, navigue au milieu du pack dans des barques à moteur, vit dans des chalets danois, achète dans des supermarchés… Deux d’entre-eux, sur leur bateau de pêche et de chasse, nous sauveront d’une noyade prévisible alors qu’en tenue d’alpiniste, grosses chaussures aux pieds, nous tentons de traverser à la rame, sur un minuscule you you en caoutchoug, un fjord sur lequel la tempête se lève. J’ai appris en lisant Inuk, le livre du père Buliard qui a vécu quinze ans avec eux, combien était faux le portrait idéalisé qu’on a tracé de ces hommes, et ridicule l’affirmation que l’homme ne devait jamais se couper de ses origines.
- Yougoslavie elle était encore. Bords de l’Adriatique, plages de galets, îles désertes proches. Espagne sous Franco. Parlotte avec un Catalan hôtelier, il m’offre : << une cigarette russe >>, son regard me fixe : << De La guerre >>, son regard va au loin : << Il n’en reste presque plus >>. Et Rome dans une longue escale. Un seul jour pour visiter Rome !
- Pakistan : Karachi, Islamabad-Rawalpindi. Porteurs Baltis fanatisés par le sardar. Fin d’expédition, il reste de l’argent : << Vous, le cook et le sardar, voulez-vous venir avec nous à Islamabad ? >>. Ils pleureront ces ayatollahs lorsque nous les quitterons, des larmes d’amitié qui se perdront dans leur barbe broussailleuse.
- et des pays et des hommes effleurés du regard, au cours d’escales, au cours d’autres voyages, dans des villes : Hong Kong, Darwin, Colombo, des océans, des mers, une Mar minor, dans le port de Singapour un navire rongé de rouille. Et la minuscule Fidgi !
Des hommes, j’en ai côtoyé dans des faces très raides, très hautes. Ils souffraient comme moi, ils avaient peur comme moi, leurs pieds, leurs mains, gelaient comme les miens, mais parfois une exaltation nous faisait oublier peines et maux, la fatigue toujours. Voici des hommes morts, des cadavres, raidis de froid ou mutilés, atroces. Les regardant, je pensais, chaque fois : Toi, un jour, demain, tout à l’heure peut-être ! Dirigeant mon bureau d’études, autodidacte, j’ai connu l’injustice. La faute que je n’ai pas commise mais que l’on m’attribue. La trahison d’un associé, gagne petit jouant l’homme d’affaires, hyène plus que fauve…
Et les Népalais aujourd’hui !
J’ai écrit que le Népalais n’avait pas encore conscience d’appartenir à une nation. Faut-il s’en étonner ? Chez nous, des Corses, des Bretons, des Catalans, des Basques sont encore plus régionalistes que Français. La politique, l’économique, interviennent dans cela mais le sentiment aussi. Quelle stupidité dans ces discours vantant la nécessité de conserver ses origines, ses liens avec sa région. Que de connerie dans les phrases du type : << Il ne faut pas acculturer >>, << Il ne faut pas se couper de ses racines >>. En vertu de ce principe, que doit faire l’arrière petit fils d’un provincial qui est venu habiter Paris, Lyon, Marseille… il y a un siècle, et qui n’a plus d’attaches avec le lieu d’origine de ses aïeux ? La France étant citadine à plus de 75 %, il ne doit plus rester beaucoup de véritables provinciaux soucieux de ne pas perdre leurs véritables racines. Les habitants des E.U. doivent-ils toujours rêver à leur Angleterre d’origine ? Il faut abandonner ces raisonnements étroits, il faut au contraire clamer que l’avenir est, dans un premier temps, dans la fierté d’appartenir à une nation, dans un deuxième temps dans la fierté d’être citoyen d’un regroupement de nations, dans un troisième temps d’être un citoyen du monde. Adolescents, je parle pour vous, je suis sérieux, lisez le texte sur l’utopie. Dans tous les cas, aujourd’hui, l’avenir est dans la perte de son identité régionale. Il faut tout faire pour sensibiliser les hommes à leur destin futur, celui d’êtres ayant pris conscience qu’ils vivaient sur la même terre, une terre commune. Qu’ils doivent vite acquérir une culture internationale, une religion internationale. Ceci acquis, disparaîtra toute forme de contestation primitive allant du barrage de tomates au saccage de Préfectures, toute forme de violence utilisant la kalachnikoff ou l’explosif. Mais si ceci s’applique à des Occidentaux en mal d’identité qui pourraient trouver dans l’internationalisme une manière de sortir de leur médiocrité, il s’applique surtout aux pays du Tiers monde dans lesquels les groupes ethniques ne se sentent pas solidaires de la nation à laquelle ils appartiennent. Nous l’avons écrit, le Népal en est un. Evidemment, il faut permettre à ces groupes d’atteindre un niveau de vie suffisant sans lequel aucune dignité n’est possible. La dignité acquise, il faut que tous acquièrent une véritable culture du groupe plus forte que celle de l’ethnie. Il faut que tous aient le désir de posséder, but suprême de l’homme en société, la conscience d’être membre d’une communauté la plus large possible. L’Europe pour les Français d’aujourd’hui, un Népal véritable nation pour les Népalais d’aujourd’hui. Revenons sur le Népal fédération de peuples ? Verra-t-on dans une fédération népalaise une région de Bothés, pauvres parmi les pauvres, majoritairement illettrés, qui vivent sur une bande de plus de 800 km de long, souvent large de moins de dix kilomètre ? Ou une fédération de la minorité Tharu ? Ou une de Madgi qui vivent éparpillés le long des torrents ou des fleuves népalais ? Même la minorité sherpa poserait problème, les Sherpas du Khumbu n’ont plus rien de commun avec leurs semblables des collines comme le Solu ou des villes. Une fédération de régions ? Dans un pays qui mesure en hauteur, en certains endroits, cent kilomètres ? Il faut mettre fin aux rêves et aux discours passéistes. Le régionalisme n’est bon que pour les spécialités alimentaires : vive les tripes de Caen, les calissons d’Aix, le touron catalan, le saucisson de Lyon, la tartiflette de Haute Savoie, le gratin dauphinois, le cassoulet toulousain… Ces plats, pourquoi pas, diplomatie et nécessités touristiques obligent, dégustés en regardant quelque danse locale en costume d’époque. Voilà du bon régionalisme. En attendant les regroupements de nations crions : vive la Nation, vive le jacobinisme. Vive un Népal nation.
Plus de cinquante ethnies habitent le Népal, plus de cinquante langues sont parlées au Népal ! On lit même : une centaine ! Il ne faut pas considérer cela du seul point de vue touristique comme étant une chose heureuse. Il s’agit au contraire d’une véritable catastrophe. Ces clivages causés par le non mélange des populations, lui-même causé par l’archaïsme, la volonté de dirigeants et par l’absence de routes. Chose étonnante ? Non. La France, avant qu’elle soit devenue une véritable nation était également composée de peuplades fermées sur elles même, ayant chacune ses caractéristiques, ses coutumes, ses costumes, son dialecte. L’endogamie devait être la règle, on ne devait pas voir souvent un Breton se marier avec une Alsacienne, une Auvergnate avec un Basque… Au Népal, la domination par les gens de castes a favorisé les clivages. Conserver la division pour régner, ces gens de caste ont établi leur suprématie face à des tribaux illettrés, l’exercice de leur pouvoir n’étant orienté que vers un seul but, leur enrichissement. Leur désintérêt de créer une nation népalaise est démontré par l’état dans lequel se trouve le pays cinquante ans après l’ouverture de ses frontières. Mais ces mêmes gens de caste sont divisés en deux groupes, il y a d’une part les bahuns ou brahmanes d’autre part les chétris - ou ksatrïas, les K.C. - tous deux formant les dominants face à des tribaux dominés. Deux castes bien distinctes possédant chacune son pouvoir :
- à l’une, le pouvoir que donne la connaissance des textes sacrés et celle d’un parfait langage nécessaire pour diriger un pays, pour conserver la main mise sur la haute administration. Il y a mille façons de vassaliser des masses analphabètes, de se faire craindre par elles, de se faire obéir par elles, il y a plusieurs manières de réduire au silence. Les Newars le savent, qui, eux, ont longtemps dirigé la vallée. Henri Michaud était sévère avec les Brahmanes indiens qu’il nomme les Brahmes, il écrit : << Ah ! Ils peuvent se vanter, les Brahmes, d’avoir fait du beau travail. Pendant plus de deux mille ans, ils sont arrivés à abaisser, à avilir deux cents cinquante millions d’hommes ( population de l’Inde à l’époque)… Dès qu’on les voit arriver avec leur fameux cordon sur le ventre, on les interroge, on met leur inénarrable bêtise à l’épreuve. >>. Le Népal n’est pas l’Inde, mais j’aime bien Michaud. Quel style ! Quelle justesse dans ses descriptions, que d’originalité, de poésie à chaque page, que de fraîcheur littéraire. Et ce pointillisme littéraire, et cette manière de passer du coq à l’âne, et ces mots phrase !
- à l’autre caste, l’épée, c'est-à-dire la domination par les armes. Les membres de la famille royale font partie de cette deuxième caste. Sont-ils tout puissants ? Les tentatives du roi Mahendra pour modifier l’administration sont restées vaines. A Golfutar, dans notre maison, au cours d’un repas, en pleine période de monarchie absolue, un membre de la famille royale répondait à un tribal qui lui disait courageusement : << Vous savez, nous aussi nous sommes Népalais >> : << Nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons. Si vous saviez l’inertie des bahuns lorsque nous essayons de leur imposer un changement ! >>.
Tout cela perdure et il n’est même pas certain que le maoïsme parvienne à le modifier.
Donc, une grande diversité de Népalais, mais il y a une unicité de la nature humaine, la pâte humaine est la même en tous lieux. Les différences sont apportées par la société, ses us et coutumes, par le régime politique, l’absence de lois dans les pays de non droit, les lois dans les pays de droit, l’esprit cartésien dans les pays occidentaux, l’école quand il y en a une, les croyances religieuses, les obligations ou les tabous et les interdictions qui leur sont liés… Mais aussi le climat et ses saisons : il y a des climats émollients comme il y a climats qui tonifient. Le lieu de résidence intervient, l’individu n’est pas le même s’il vit dans des mégapoles ou à la campagne, s’il vit en partie basse de La Paz ou sur les hauteurs proches de l’Altiplano, dans les quartiers résidentiels de nos villes ou dans les quartiers populaires, dans les quartiers populaires ou dans les banlieues où se concentrent les immigrés. Et viennent les caractéristiques propres au caractère de chacun, celles-ci plus ou moins développées. L’ambivalence est aussi une constante dans la nature humaine. Il y a en tout individu un capital patience et un capital colère, une agressivité à fleur de peau ou une agressivité contenue, une envie de farniente et une envie d’actions, une quête de spiritualité et un goût pour le vulgaire… Chaque caractéristique pouvant tour à tour émerger ou disparaître, s’endormir, s’éveiller. La nature humaine se caractérise par une très grande plasticité.
Que de fadaises et de stupidités ont été exprimées et écrites pour la description de ce peuple népalais. La plupart de celles montées en épingle inspirées souvent par des contraires : nous sommes irascibles, le peuple asiatique est patient, nous sommes violents, le peuple népalais est non violent… Ou par notre manière d’être, de vivre : notre siècle est celui du matérialisme, le peuple népalais est imprégné d’une haute spiritualité, notre façon d’élever nos enfants est lamentable, le peuple népalais, lui, sait élever ses enfants … Jusqu’à la beauté des montagnes qui est exagérée : << Ah ! Le Machhapuchare. Ah ! L’Ama Dablang >>. Ces sommets ne sont pourtant pas plus beaux que la Verte, les Drus, la Dibona. Tant pis si Sagarmatha n’est qu’une grosse bouse, notre éminent Mont Blanc l’est également mais lui, au moins, est blanc. Tant pis si le Nuptsé, la sud de l’Annapurna… ne sont que des barrières tout à fait semblables, abstraction faite de leur hauteur et de leur altitude – mais comme pour la gent féminine, haute taille n’est pas synonyme de grande beauté - à celles de la face sud de la Meige, de la face nord des Grandes Jorasses… La réalité s’exprime dans une jolie phrase de l’alpiniste Benoït Renard : << l’Himalaya du Pakistan, c’est le massif de Chamonix, l’Himalaya du Népal c’est le massif des Ecrins >>. Personnellement, j’affirme que les plus belles montagnes du monde sont dans la Cordillère blanche au Pérou. Conséquences de ces exagérations, de ces regards de taupes, l’absence de clairvoyance, le ridicule, la niaiserie. Mais qu’importe au touriste lambda la vérité, il faut qu’il s’extasie, le coût du voyage, le récit qu’attendent ses amis restés en France l’imposent. Plus rare est le discours critique mais il existe, on insiste sur le négatif. Ce genre de discours est classique dans la bouche des nationalistes, des bigots, des bilieux et des sots. J’ai entendu un jour à Durbar square, à Bodnath, répété par la même personne à Pashupathinath et à Swayambunath : << Nos cathédrales et nos églises, c’est quand même autre chose ! >>. Ce qui est vrai : << C’est autre chose >>. La stupidité, elle, est universelle.
Mais ce peuple népalais a des caractéristiques étonnantes. Une des plus remarquables, bien qu’à Kathmandu elle subisse une érosion due à l’accroissement de la cité, ailleurs parce que la guerre a créé un état d’esprit de suspicion, parce que certains ont répandu le bruit que l’étranger était un indésirable, est à mes yeux la spontanéité et la qualité de son sourire. Je cite à nouveau l’écrivain Henri Michaud : << Quel soulagement quand on arrive chez les Népalais, quand on voit un sourire, le sourire naturel qui vient à vous, qui attend de vous son retour heureux, et vous prie de vous désimprégner, de vous départir par charité de votre méditation… Ce sourire du Népalais, le plus exquis que je connaisse, exquis, pas excessif, troublant, mais ravi, sans arrière pensée, pur >>. Michaud, quelle plume ! Se départir de sa méditation ! Il est sympa Michaud, il aurait pu parler de maussade, de renfrogné. Un sourire exquis qui vient à vous, c’est chouette. Il y a tant de sourires qu’il faut arracher ou qui restent à peine dessinés, des sourires en cul de poule, des sourires condescendants, des sourires de pitié… Et combien d’absences de sourires chez les Occidentaux ! Promenez-vous en France, visitez Paris. Vous en avez aperçu un ou deux ? C’est un exploit, courez vite gare de Lyon, postez-vous à l’arrivée des trains de banlieues. Observez, si vous êtes un individu normal, vous aurez peur.
Le sourire est la fleur de la courtoisie, cette étonnante courtoisie qui est un trait marquant du peuple népalais. Avec l’absence de rugosité. Vous êtes au milieu d’une foule népalaise elle est liquide. Nos foules sont râpeuses. Elles transpirent la hargne. Jusqu’à la misère népalaise qui est souriante, qui semble souriante.
Ensuite je placerai la patience comme signe distinctif surprenant. Non, je n’ai pas indiqué la non violence, le peuple népalais est un peuple aussi violent que les autres. La violence est dans ses fibres comme elle est en tout individu. Vous en doutez, regardez un film népalais, les pugilats y durent deux fois plus longtemps et les coups donnés ou reçus sont deux fois plus forts que ceux que l’on voit dans les films de cow-boys américains. La non violence du Népalais, sa douceur, dont on a tant parlé est artificielle, elle n’est pas innée, elle est culturelle. .Je me souviens de mes premiers étonnements il y a 25 ans de cela, j’avais en moi les images transportées par les touristes gnian gnian, en ce temps nous l’étions tous, d’un peuple paisible et voué à la non-violence. Alors, qu’elle fut ma stupeur de voir avec quelle brutalité un mari battait sa femme devant tous. Une année, à Kanti path, j’assistais à une séance de boxe, un voleur pris sur le fait recevait une dégelée de coups de poings… Plus tard, le mouvement maoïste confirmait que le peuple népalais était bien un peuple guerrier, brutal. Simplement, ce peuple est plus patient, il n’extériorise pas immédiatement sa colère, son temps de réponse à la violence est long. Que d’exemples :
- dans le domaine politique il a fallu attendre 1990 pour que se produise la première véritable révolution, 1996 pour voir se créer la People’s Liberation Army.
- observez les nuisances créées par la circulation de véhicules. Vitesse excessive, klaxons trop puissants utilisés sans motif sérieux, stationnement anarchique… Les Népalais conduisent mal, ne respectent aucune des mesures de prudence élémentaires, les chauffeurs tuent, sur route, dans la traversée des villages, en ville, les jeunes fils à papa découvrent l’agréable vacarme que fait leur moto quand on enlève quelques ailettes du pot d’échappement… Ces façons de conduire dénotant d’ailleurs un évident manque de maturité sociale. Et bien, personne ne se révolte, ne barre de routes, ne défile en demandant que soit respecté un minimum du code de la route. Ké garné ?
- observez l’état des chaussées ! Ké garné ?
- pollution sonore, les voisins mettent la puissance de leur poste de radio au maximum : Ké garné ?
- Des embouteillages causés par la goujaterie de certains chauffeurs de bus ou à cause d’un laxisme inspiré par la faiblesse ou parce que le lobby des transporteurs ou de certains commerçants est puissant. Ceci est vrai même dans Thamel qui vit pourtant du tourisme : voitures, motos trop rapides, utilisation continue du klaxon alors que le piéton devrait y être roi… Ké garné ?
- la suppression de toute circulation dans certains quartiers serait bénéfique à tous, commerçants compris…
A tout cela le Népalais répond par la placidité et des ké garné fatalistes.
- Rares sont les manifestations de mécontentement, de revendications auprès des élus. Depuis plusieurs mois l’essence et le fuel sont rares, les chauffeurs de taxi, de minibus, de bus font plusieurs heures de queue. Le matitel, fuel domestique, l’est également, les femmes font la queue plusieurs heures… Qui peut se flatter d’avoir entendu dans une de ces queues des paroles de révolte ou de mécontentement contre les responsables, car il y a des responsables.
La tolérance, fille de la patience, voilà un domaine ou le Népalais, comme tous les Asiatiques d’ailleurs, s’élève au-dessus des autres peuples. Signalons le fait que dans l’absence d’agressivité il y a souvent une forme de désintérêt pour l’autre, cette tolérance est donc plus indifférence que philosophique. Appliquée au domaine religieux, elle se lit : << L’autre pense ça. Ah ! Quel dommage ! Il pourrait penser comme moi >>. Suivant cette tolérance, ou marchant à ses côtés, il y a le syncrétisme : mélange de doctrine, fusion de croyances, œcuménisme disent les dictionnaires. Un des plus remarquables exemples de syncrétisme est l’imprégnation des bouddhismes de croyances hindouistes, tantrisme inclus. Religion des collines, comptez-vous. Du sud au nord en zones aux contours flous se côtoient des religions en tâches de buvard. Bouddhisme pur, hindouisme pur, bouddhisme-hindouisme gurung, newar ou tamang… Un autre exemple de syncrétisme est donné par le mariage des bouddhismes mahayana à la religion bon. Syncrétisme, valeur dont est dépourvu l’Occidental. Chez nous les opinions, les croyances sont délimitées par des cloisons rigides qui sont autant de barrages à la compréhension et de source de luttes. L’autre qui pense autrement est un ennemi, une personne à combattre par le verbe ou s’il le faut par les armes. Ici, souvent, une opinion ne détruit pas l’autre, elle la phagocyte sans hâte.
Le Népalais, en insistant sur le fait que ce sont les femmes qui supportent le fardeau des tâches familiales et agricoles, l’homme étant plus porté à la parade, à la parole, à la gestion du social, du politique, à la prêtrise sous toutes ses formes, à l’alcool souvent, est un peuple courageux. Portages, travaux des champs, travaux de construction de bâtiments - il y a une absence quasi complète d’engins mécaniques qui exécute le travail pénible – rien ne lui fait peur. C’est un peuple qui vit majoritairement dans des cases au confort inexistant, des taudis dénués de tout confort, absence d’eau et d’électricité. Composés trop souvent d’une seule pièce de trois mètres par cinq dans laquelle sept personnes s’entassent. Et dans cette pièce, le couple copule, un enfant naît, une personne meurt… devant tous. A signaler : l’acceptation de l’inconfort, de la promiscuité sont des caractéristiques que possèdent les gens pauvres. Ici, la promiscuité est permanente dans les maisons, dans les transports en commun, dans les foules, dans les lieux publics…
La sobriété de maintien du Nordique, l’exubérance du Latin ! Autres caractéristiques humaines. Le Népalais de caste et par mimétisme, le Népalais des collines, peu le Népalais bothé, est le Méridional de nos Méridionaux. C’est un grand bavard, un esclave de la redondance. Il allonge, il délaye à l’extrême, répète des mots, des phrases, qui n’apportent rien de plus à son discours. Et il parle vite, vite, écoutez des hommes politiques, les présentateurs de télévision ! Bahuns compte-vous. << Ah ! Celui-là est allé à l’école longtemps, il parle vite, je ne comprends rien à ce qu’il dit >>. Il utilise aussi la mimique, la gestuelle en renfort de l’expression verbale. On peut même dire que ce mode d’expression est, à lui seul, un langage. Une expression de visage et un geste de la main pour : << Qu’y-a-t-il ? >>, << Qu’en est-il ?>>, un autre pour : << Restons en là >>… Le dandébat-merci est très peu utilisé mais quel geste pour recevoir un don ! Des mains ouvertes qui ne prennent pas, qui reçoivent ! Donc, un peuple bavard. Au-delà de l’imaginable. Du moins celui des plaines et des collines, je le répète, celui des piémonts himalayens est plus sobre, moins loquace, plus réservé. Vous doutez de tout cela ? Rendez vous à une réunion politique, à une quelconque assemblée, une fête donnée pour célébrer quelque héros d’un jour. Un politique, un président, un hôtelier, un responsable d’association prend la parole, puis un autre, puis un autre et cela continue jusqu’à épuisement d’orateur. Et tous parlent interminablement. Chaque discours peut durer une demi-heure à une heure ! Débit lent au début, s’accélérant ensuite, se précipitant enfin. Les mots, les phrases, se suivent sans espace de temps, elles pleuvent à l’image des gouttes d’eau des pluies de mousson. Il en est ainsi pour nous lors de grandes colères, mais eux ne sont jamais en colère, ils font ce que l’on attend d’eux. Ils récitent du par cœur évidemment, du préparé pendant de longues heures, de l’élaboré pendant des mois dans le silence de sa chambre, de son bureau, de son magasin. Nous sommes à Pokhara, à table, une quinzaine de personnes qui venons de passer la journée ensemble pour saluer l’élection d’un nouveau Président. Les discours ont duré deux heures, tout à été dit. Non ! Au milieu du repas un se lève. Il prend la parole, le verbe prendre est ridicule il faut dire il impose sa parole. On ne lui demande rien mais il l’impose. Il commence, il parle pendant vingt minutes. Qui écoute ? Qui opine ? Acquiesce ou critique ? Personne, nous sommes tous plongés dans une sorte de béatitude, d’état second. Nous continuons à manger, les serveurs continuent de servir. L’orateur se rassie. Un type en manque pensez-vous ? Non, un autre se lève et commence un autre discours. Mais que peuvent-ils bien dire pensez-vous ? Ils ne disent rien ou plutôt ils ne disent rien qui n’ait été dit dans le premier discours. Chaque discours est le duplicata de celui de l’autre, la voix seule change. A cet égard les discours des membres de la N.M.A, l’association de montagne, sont plus courts, moins huilés, ils sont même parfois lus laborieusement. Une raison : la plupart des membres de la N.M.A. sont des Sherpas.
Ce peuple, qui affichait une volonté d’indépendance vis-à-vis des contraintes collectives, qui était incapable de retenir et de respecter une date et une heure de rendez-vous, a pourtant été capable, en quelques années de se plier aux programmes minutés qu’impose un trek, ceux des transports par avion compris. Et dans ce domaine il faut saluer les Sherpas. Ce sont eux qui, les premiers, se sont adaptés aux coutumes, à la précision occidentales. Quel dommage que dans les années 1950, lorsque le Népal a ouvert ses portes, ils n’aient pas dirigé le pays. Si cela avait été, ce pays aurait bien été le plus riche de l’Asie.
A côté de cela le curieux et le critiquable. Les classiques marques de politesse sont inconnus. Vous êtes dans un magasin, des clients attendent, un quidam arrive, il s’infiltre, passe au premier rang et d’une voie forte questionne, exige. C’est souvent une personne de caste ! Ah ! bon ! << Tribaux, écartez-vous, Je suis là. >> Au milieu d’un trottoir peu large, deux personnes parlent, indifférentes au dérangement qu’elles causent. Sur la route, nous l’avons dit, on peut utiliser le mot goujaterie. Les queues de poisson, les démarrages et les arrêts brusques sont nombreux. Quant aux lieux d’arrêt ! Le Népalais pense : << La route est à moi >>, comme << Le magasin est à moi >>. Enfant, on ne lui a pas appris les règles de la politesse élémentaire, que les autres autour de soi avaient aussi droit à un espace vital, à s’exprimer, qu’une priorité née de l’ordre d’arrivée existait, que la liberté de chacun s’arrêtait aux portes de la liberté de l’autre. Droits de l’adulte, du vieillard, de l’infirme, du professeur ne sont pas bafoués, ils sont ignorés, couper la parole à quelqu’un, s’immiscer dans une conversation, se précipiter sur une place libre, lors d’un lunch, remplir son assiette aux limites de ce qu’elle peut contenir … sont choses coutumières
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Perdure encore la croyance que le peuple népalais – comme d’ailleurs le peuple tibétain - est un peuple possédant une haute spiritualité, est un peuple plus idéaliste que les autres. Je le réfute. Les peuples népalais et tibétain sont imprégnés du même matérialisme que nous. Il ne faut pas confondre assiduité à des pratiques religieuses, répétition de gestes, de phrases incantatoires même si elles portent leur nom local. Il ne faut pas confondre, asservissement d’une personne illettrée à des croyances religieuses, la simple piété, avec spiritualité ! La spiritualité de l’homme est une chose intérieure, elle est indépendante du milieu et des coutumes et des pratiques. Faire le tour de grosse mottes de terre revêtues d’enduit teinté en ocre en faisant tourner des cylindres, aller porter des grains de riz et un radis au pied de la statue d’une déesse, attacher une ficelle à son poignet ou à son cou, répéter dix fois la même formule en changeant de voix, rester immobile dans des postures, se concentrer, faire le vide dans sa tête… ne sont pas des indices de haute spiritualité. Je ne m’attarde pas sur le fait que bien des marques de spiritualité sont dictées par le simple intérêt : << Je viens vous prier, vous, dieux ou déités, ou saints-bodistavas, vous tous qui avez des pouvoirs, faites que je souffre moins, que je sois riche, que mes enfants ne soient pas malades, donnez-moi une bonne réincarnation, accordez-moi un proche nirvana >>. Le fait de déclarer << Ma religion est une source de bonheur. >> est-il un indice de spiritualité ? << L’équilibre éternel par la destruction de mon moi. >> un autre ? Sur ce point, religion ou philosophie ? Faudrait savoir. Si c’est une philosophie qu’a-t-elle de commun avec la spiritualité ? Tout cela hélas, ne serait pas grave, ne serait qu’un jeu pour adultes meublant leur emploi du temps, leur masquant leur inutilité, s’il ne faisait oublier la misère ! La religion, opium du peuple, géniale formule qui ne s’applique pas qu’aux religions révélées. Spiritualité de placébos, voilà la vérité ! Vénération de prophètes-philosophes, voilà la vérité ! Noter le, les dieux sont parfois baptisés déités pour ne pas effaroucher le matérialiste occidental. De plus, sous cette spiritualité, percent l’animisme, l’occultisme, le fétichisme, l’exorcisme. Et toujours des écrits en grand nombre, un Kangyur, une Bible, un Coran, un Mahabarat, une Thora…. Tout un fatras de révélations d’une lamentable banalité qui n’ont pas grand-chose pour inspirer la véritable spiritualité. Le niveau d’instruction, le niveau de vie, le moyen de transport individuel, le loisir, feront décliner la puissance des églises orientales comme ils ont anéanti les nôtres. Bodnath, Pashupathina, Swayambunath, Lumbini, ces Lourdes orientaux, ne seront que des lieux de tourisme ? Que de gnian gnian, de niaiserie, de myopie, voire d’hypocrisie en nous Occidentaux qui ont mis des siècles à nous dégager de pseudo spiritualités !
Le Népalais a été décrit par des générations de touristes comme étant un bon éducateur. << Vous avez-remarqué avec quelle douceur ils élèvent leurs enfants ! >>. Ces admirateurs ingénus ont évidemment été influencés par le ridicule laxisme prôné par les habitants de l’U.S. L’enfant roi, l’enfant traumatisé à vie par une semonce, une gifle ou une fessée. Stupidité et myopie associées pour refuser l’indispensable part de dressage nécessaire à une bonne éducation des tout petits qui éviterait bien des problèmes de délinquance dans nos pays. Qui permettrait aux enseignants d’exercer dignement, efficacement, avec bonheur leur profession. En réalité, le Népalais est tout à la fois laxiste et trop sévère. Vous doutez ? Allez traîner dans les écoles, dans les familles, le soir.
Pays de droit et esprit cartésien. Ce que nous appelons l’esprit cartésien, cette tentative de rigueur dans le raisonnement, cette discipline dans la façon d’agir ou de se comporter vis-à-vis des autres, n’existe pas ici. Ceci se vérifie tous les jours quand on vit au Népal. En dehors du domaine touristique où, je l’ai écrit, les patrons d’agence et leurs cadres ont appris à respecter un calendrier et des horaires - voilà d’ailleurs une excellente chose que leur a apporté le monde occidental - Arriver à l’heure d’un rendez-vous est bien rare ici. Des humoristes disent que le Népalais arrive parfois à l’heure mais le lendemain. Quant à être un un pays de droit ! Si un tel pays est celui où les législateurs écrivent et votent des lois qui sont appliquées par la police, les fautes sanctionnées par la justice, le Népal n’est pas encore un pays de droit. Leur manière de conduire, la façon d’agir de la police le démontre mais il en est ainsi pour tout, parler de corruption nous conduirait trop loin. Quand on vit dans un pays occidental on oublie la puissance de ces mots, quand on vit au Népal on subit leur absence de réalité.
Viennent à nous pour décrire le peuple népalais les mots paradoxal, contradictoire, ambivalent. Ce peuple lent devient fou dès qu’il est au volant d’un véhicule. Ce peuple marcheur impose, pour éviter quelques mètres de marche, que les bus et les taxis s’arrêtent n’importe où. Ce peuple courtois au sourire légendaire peut être maussade, impoli, brutal. Ce peuple lent à la violence se lance dans une guerre civile qui dure dix ans. Ce peuple religieux est un des plus mercantile de la terre. Ce peuple est tout à la fois patient et impatient. Il est aussi crédule, malgré des croyances religieuses fortes. Quelque sadou dans une banlieue nord de Kathmandu avertit la population qu’un séisme va se produire. Il précise la date et l’heure. Toute la population du quartier, bouddhistes inclus, arrête de travailler la veille : << A quoi bon puisque le séisme va détruire tout ce que nous faisons. >>. Le travail reprendra lorsque la police aura mis le prédicateur en prison ! Ce peuple qui ne possédait qu’une armée de défilés a créé deux véritables armées de combat. A signaler, au touriste peu au fait de la réalité : d’un côté des forces de l’ordre équipées par les E.U., l’Inde, l’Angleterre, de l’autre des Va-nus pieds qui n’ont été armés par personne, qui étaient armés de simples koukris avant qu’ils aient pu prendre quelques armes à leurs adversaires.
Le peuple népalais a changé, il a évolué, il s’est durci. Du fait du vieillissement, de l’enrichissement d’une partie de sa population, de l’accroissement de la population urbaine, mais aussi du fait de la guerre. Le perçoivent plus que les autres ceux qui l’ont vu vieillir, l’aident depuis longtemps. Aujourd’hui s’il y a moins de sourires au Népal, il y a un grand espoir dans le peuple, celui de voir la révolution atteindre quelques uns de ses objectifs. Qu’en sera-t-il demain ? Quoiqu’il en soit, ce texte fera-t-il prendre conscience à des Occidentaux amoureux du pays, de ces réalités en face desquelles le folklore, la pseudo spiritualité, pèsent bien peu ?
Je le souhaite.
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