LES 14 JUILLET :
CROQUIS. 14.
Kathmandu, le 14 juillet : soirée de fête offerte par l’Ambassade de France au Népal. J’y suis allé, je n’y vais plus.
Le soir du 14 juillet
Je reste dans mon lit douillet…
En présence de son Excellence, monsieur l’Ambassadeur de France au Népal, se réunissent, ce soir là, les membres de la communauté française et des invités népalais de marque. Il n’est pas rare d’y croiser le Premier ministre du Népal, quelques ministres, des officiers généraux… Petits gâteaux, charcutailles, fromages, champagne, une Marseillaise… Il y a du sympathique dans cela, pourtant je n’y suis pas à l’aise. Je préférerais une autre présentation de la France, celle qui montrerait une France estimable, qui donnerait une image des Français différente de celle que donne cette soirée. Des Français se complaisant dans l’auto satisfaction, la bouffe, la médiocrité, l’insignifiance. Il existe au Népal une autre France que celle qui papote, et partout sur la terre, des Français qui ont d’autres motivations que celles de déguster des petits fours en buvant des canons de rouge ou de blanc. Tout cela est à l’image d’une assemblée qui fête la victoire d’une équipe de football. Or, il y a des Français qui sont capables d’enthousiasme pour autre chose que les matchs de football. Je verrais bien des présentations de réussites françaises : courts métrages et posters accompagnés de textes explicatifs. Le T.G.V., les fusées Ariane, les Airbus, E.d.F., la Sécurité sociale, oui, notre exemplaire Sécurité sociale, une chose extraordinaire pour ce Népal sans lois sociales, sans retraites… Je la cite, conscient de ses défauts, en pensant à tous les nécessiteux qu’elle assiste. Et aussi pour emmerder ceux qui n’ont qu’une bourse à euros à la place du cœur et préféreraient que l’on place l’argent que l’on dépense pour elle, dans l’assistance aux riches, dans la fabrication d’un deuxième porte avion qui finirait ses jours, oxydé, sans jamais avoir servi, dans quelque bassin de radoub désaffecté. Dans un pays d’himalayas, des photos et des commentaires sur notre Ecole nationale de ski et d’alpinisme, la meilleure des écoles de montagne assurément. Cette fête serait soutenue par une francophonie bien dans sa peau, car, longtemps encore, le français sera parlé. Fi des francophonies de bal musette qui font sourire les habitants des autres nations, les membres de l’U.K. en premier, les habitants des pays anglophiles, ensuite. Dans cette fête du 14 juillet, aucun poster nationaliste, rien sur nos avions et nos chars de guerre, ces engins de morts n’ont pas leur place dans la présentation d’une France humaniste, rien sur nos palais et châteaux qui ont été construits par des misérables pour la gloire et le bien être d’une minorité privilégiée. Rien non plus sur nos fromages, nos pinards, l’équipe des bleus, des verts, des blancs, des rouges. Rien sur le Mont Saint Michel, rien sur l’éclairage de la Tour Eiffel à la Jacques Tati. Pas de sourire de Joconde, le joufflu, les mamelles en collines ne sont plus de mode. Pas de cul de nos bergères en folies… On trouve aujourd’hui, dans de nombreux pays, de bons pinards, de succulents fromages, des culs de bergères aussi fermes sinon plus que ceux que l’on trouve chez nous.
Promenons nous dans l’exigence, cette fête n’oublierait pas ce par quoi elle existe : la symbolique du 14 juillet. Le 14 juillet c’est la prise de la Bastille, c’est l’abolition des privilèges, c’est la confiscation des immenses biens des nobles, c’est la rédaction des Droits de l’Homme. Il serait bon de voir placardé le titre de cette déclaration et quelques uns de ses articles.
DECLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN :
Décrétés par l’Assemblée nationale dans les séances des 20, 21, 23, 24, 26 août 1789, acceptés par le Roi.
Car, aujourd’hui encore, à l’étranger, perdure une grande admiration pour notre révolution. Cet Américain, dans les années 1994, me l’a rappelé au cours d’un dumji, fête d’été à Pangbotché. Il me parlait de la France avec respect, et il avait répliqué à mon, << La France décline. >> : << Pour nous démocrates américains, elle reste la France des Droits de l’Homme. >>.
Cette fête, ainsi présentée, serait saluée avec force par tous les Sans-culotte de la terre, et essentiellement par ceux d’ici. Dans ce Népal où se poursuit la deuxième révolution de son histoire, dans ce pays encore divisé en gens de caste et en tribaux, en classe dominante et en une multitude dominée, dans ce pays de misère, quel impact ! La France énoncerait quelques vérités. Dans les années 2005, ces vérités auraient ridiculisé les déclarations de cet Ambassadeur, inféodé à la puissance du fric et des armes, représentant du pays le plus puissant de la terre, qui assimilait fanatiques religieux et terroristes en quête d’une révolution aboutie. La saluerait un peuple :
- espérant un peu plus de dignité,
- en attente d’une réelle reconnaissance sociale,
- en quête de son bol de riz mais qui serait enrichi de quelques protéines. Dans les piémonts himalayens, des Bothés en quête, outre de leurs plats à base d’orge ou de pommes de terre, de quelques fruits évitant aux enfants des carences alimentaires aux effets irréversibles,
- souhaitant des locaux d’enseignement qui ne soient pas des étables,
- désireux de quelques lois protégeant les coolies, et de retraites évitant à des millions de vieillards la déchéance et la honte,
- rêvant d’une médecine à base d’hygiène, d’antiseptiques, d’antibiotiques et non de prières, de récitation de mantras ou autre formules incantatoires, de ficelles gri gri, de postures, de contorsion de chamanes, de tristes exorcismes moyenâgeux, de spiritualité sous papier cadeau.
Hélas ! Notre 14 juillet ne vise pas aussi haut. Son but est de réunir les quelques Français vivant au Népal et de présenter à quelques Népalais, notables du moment, qui, vérité mise au jour, y viennent surtout pour se remplir la panse, les représentants de la France officielle. Représentants, qui, d’ailleurs, ne font que passer en ne portant au Népal que la part d’intérêt laissée vacante par celle de leur carrière professionnelle.
Depuis quelques années, cette fête-cérémonie se déroule à l’hôtel Radisson, un des grands hôtels de la ville. Cet hôtel se caractérise par son absence d’architecture. Il n’est même pas prétentieux, il se contente d’être laid, franchement laid, c’est un parallélépipède, une masse de C.H.U. Mais il possède un très grand hall et il est proche de l’Ambassade de France, caractéristiques déterminant sans doute son choix. Il y a quelques années, cette fête se déroulait à la Résidence de France, lieu d’habitat des Ambassadeurs de notre pays. Le joli parc dans lequel se situe cette habitation, le vaste chapiteau abri, juillet est en pleine mousson, créaient une ambiance chaleureuse et champêtre qui atténuait la rigidité quelque peu nationalisme fané de ce rassemblement. Ce temps est terminé, le notable népalais, le Français résident, doivent s’accommoder des échos d’une Marseillaise faisant, non pas onduler le gazon d’une joyeuse pelouse, mais vibrer la masse d’une ossature en béton armé surdimensionnée.
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