Les recommandations en cours d’adoption
Les recommandations de la publication 60 de la CIPR [CIPR 1991] remplacent celles du document ICRP Publication 26 [CIPR 1977]. Ces recommandations ont aussi fondé la directive Européenne adoptée en 1996 [C.E. 1996], qui est en cours de transcription dans les pays de l’Union Européenne. Le champ d’application de la Directive recouvre à peu près celui de la CIPR, à l’exception de l’exposition du public au radon (objet d’une recommandation séparée) et de celle des patients aux expositions médicales (objet d’une séparée).
Les bases : Dangers et estimation des facteurs de risque
La recommandation s’appuie sur les données disponibles en 1990 sur les effets "déterministes" (antérieurement appelés non-stochastiques), la cancérogenèse (données rassemblées en grande partie par l’UNSCEAR [UNSCEAR 1988]) et les effets "héréditaires". Les dangers considérés sont les mêmes qu’antérieurement. En revanche, le coefficient de risque pour la probabilité de cancer par unité de dose augmente fortement, essentiellement parce que l’hypothèse du risque absolu constant a été rejetée par les données d’Hiroshima et Nagasaki (cf. Tableau I).
Pour construire une relation dose-effet, les coefficients de risque ajustés sur les données de base, sont ensuite extrapolés et appliqués à d'autres populations pour le calcul des risques "vie entière" ou dans d'autres conditions d'exposition. Certaines hypothèses sont relatives à la démographie (le risque croît avec l'espérance de vie), d'autres à la façon d'extrapoler d'une population à l'autre, des jeunes à l’ensemble de la population, ou encore, d’irradiations localisées aux irradiations globales, etc... Quelques données animales ou in vitro sont utilisées (par exemple pour l’équivalence neutrons-rayons X et gamma, ou pour discuter l’effet du débit de dose). Des jugements de valeur entrent aussi dans le choix de l’indicateur (probabilité de décès plutôt que perte d’espérance de vie, agrégation d’effets mortels et non mortels).
La seule règle d’extrapolation explicite (mis à part celles sur la nature du rayonnement) est celle du Facteur d'efficacité de la dose et du débit de dose ("dose and dose rate effectiveness factor" : DDREF). Les données épidémiologiques utilisées pour quantifier portent sur des populations exposées à des doses relativement élevées, et surtout délivrées en un temps bref (cf. Figure 1). La CIPR postule que, pour les rayons X et gamma, I'effet par unité de dose est moins important à faible dose et faible débit de dose. La CIPR utilise un facteur 2 depuis 1977. Il est à noter que des valeurs plus fortes avaient été suggérées (3 à 10) Le DDREF doit être appliqué à des doses inférieures à 0,2 Gy ou à des débit de dose inférieurs à 0,1 Gy h-1 .
Les coefficients de risque de décès par cancer après irradiation du corps entier sont valorisés en termes de probabilité de décéder à cause d'un cancer radio-induit :
5 % Sv1 pour une population de tous âges, au moment de l'exposition ;
4 % Sv1 pour une population de 18 à 65 ans.
Ces coefficients correspondent à des niveaux de risque assez élevés. Appliqués aux irradiations naturelles et médicales en France ils signifient que 12 000 décès par cancer sont à attribuer à ce facteur de risque. Les coefficients de risque “ génétique ” pour toutes les générations à venir sont :
- 1 % Sv1 pour une population de tous âges,
- 0,6 % Sv1 pour une population de 18 à 65 ans.
Une grandeur a été construite pour prendre également en compte le risque de cancer non mortel en pondérant la probabilité de survenue de ce type de cancer (essentiellement peau et thyroïde) par un indice de perte de qualité de vie. Ce facteur pondéré est ajouté aux facteurs de risque de décès et risque d'effets héréditaires. Le "détriment sur la vie entière" ainsi calculé est de :
7,2 % Sv1 pour une population de tous âges,
5,5 % Sv-1 pour une population de 18 à 65 ans.
Ainsi la mesure du risque fait appel à des choix qui relèvent de la gestion, comme celui de l’indicateur. La perte d’espérance de vie aurait aussi bien pu être choisie. L’évolution des données à Hiroshima et Nagasaki ayant eu une influence assez faible sur celle-ci, la baisse des Valeurs Limites d’Exposition aurait été minime, ce qui démontre l'importance des choix “ non-scientifiques ”.
La mesure du risque ; doses et équivalents de dose
Certains coefficients ont évolué depuis 1977 mais la démarche générale reste la même. Elle consiste à dériver, à partir d’une grandeur physique (la dose absorbée), des “ doses équivalentes ” qui permettent d’exprimer dans une unité commune des expositions par des rayonnements de nature diverses, reçues par des organes divers. Il s’agit d’indicateurs, à visée de gestion, basés sur une équivalence en risque. Ils sont à la base des règles opérationnelles.
La dose absorbée est la grandeur dosimétrique de base. C’est une grandeur physique (notée DT pour Dose "Tissu"), définie comme l'énergie déposée par unité de masse. Son unité est le joule par kilogramme (Gray, noté Gy).
De nombreux effets biologiques dépendent aussi de la nature du rayonnement. La CIPR définit des facteurs de pondération de la qualité du rayonnement pour calculer une dose pondérée appelée dose équivalente à l’organe (HT = R WR .DT,R où DT,R est la dose absorbée dans l’organe T due au rayonnement R, dont la construction est illustrée Figure 2). Le nom est le Sievert (Sv). Ces facteurs de pondérations sont déduits le plus souvent de données animales, voire in vitro. Comme les WR sont sans dimension, l'unité en est encore le joule par kilogramme, mais il ne s'agit plus tout à fait d'une grandeur physique (cf. Tableau II) Parmi les évolutions pouvant avoir une implication importante dans la pratique, il faut noter l'évolution de la pondération des neutrons, qui passe de 10 à 20 dans une grande partie du spectre d’énergie. Enfin, la dose efficace permet de sommer les expositions à différents organes. Elle est égale à la somme des doses équivalentes aux organes pondérés par les facteurs de pondération des organes:
E =
A partir des facteurs de risque par organe, et donc de résultats épidémiologiques, la CIPR établit les contributions relatives des différents organes (tableau III).
Tableau : Facteurs de pondération WR
Nature – énergie
|
WR
|
Photons (toutes les énergies)
|
1
|
Electrons, muons (toutes les énergies)
|
|
Neutrons < 10 keV
|
5
|
10 keV100 keV
|
10
|
100 keV2 MeV
|
20
|
2 MeV20 MeV
|
10
|
> 20 MeV
|
5
|
Protons > 20 MeV
|
5
|
Particules (, fragments de fission, noyaux lourds)
|
20
|
Figure : Construction de la dose efficace
Tableau : Facteurs de pondération WT
Tissus ou organes
|
WT
|
Gonades
|
0,20
|
Moelle osseuse
|
0,12
|
Colon
|
0,12
|
Poumon
|
0,12
|
Estomac
|
0,12
|
Vessie
|
0.05
|
Seins
|
0,05
|
Foie
|
0,05
|
Oesophage
|
0,05
|
Thyroïde
|
0,05
|
Peau
|
0,01
|
Surface osseuse
|
0,01
|
Autres
|
0,05
|
La dose efficace collective est calculée en intégrant la dose efficace pour tous les individus exposés et sur toute la période d'exposition. Elle repose, comme d’ailleurs la dose équivalente sur l’hypothèse de linéarité de la relation dose effet. C’est un indicateur de risque collectif, mesuré en Homme-Sievert (h.Sv).
Une caractéristique importante du système de radioprotection apparaît ici, à savoir que l’outil de base de l’évaluation des pratiques de terrain, la dose, est un indicateur qui résulte des hypothèses sur l’évaluation du risque.
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