Audition d'Elisabeth CARDIS Centre International de Recherche contre le Cancer (Organisation Mondiale de la Santé) Que pensez-vous des études épidémiologiques déjà menées ?
Les études menées s'intéressent à différentes sources d'exposition aux radiofréquences : téléphones mobiles, exposition professionnelle, exposition résidentielle. Leurs résultats sont contradictoires. Les études de cohorte en milieu professionnel sont celles pour lesquelles nous disposons du plus de recul. Or, les résultats ne sont pas cohérents d'une étude à l'autre : certaines constatent une augmentation de cas de leucémie et de cancers du cerveau, d'autres aboutissent au résultat contraire.
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Etude sur l'exposition en milieu professionnel et les tumeurs cérébrales
Trois études rapportent une augmentation de risque de tumeurs cérébrales :
L’étude de Szmigielski (1996) en Pologne montre systématiquement des augmentations de risque de cancer mais elle est très difficile à interpréter car les méthodes ne sont pas claires.
L’étude de Grayson (1996) est une étude cas-témoins à l'intérieur d'une cohorte aux Etats-Unis; les personnes ont été interrogées par questionnaire. 230 cas et 920 témoins ont été inclus au sein de l'Air Force américaine. L’étude montre unun risque relatif de cancer du cerveau de 1,4 pour ceux qui ont été exposés aux radiofréquences, mais aucune relation avec le niveau d'exposition.
L’étude de Thomas (1987) est aussi de type cas-témoins ; elle comprend 435 cas et 386 témoins et s’appuie sur une matrice emploi/exposition. Le risque relatif de cancer du cerveau est de 1,6. Une analyse plus détaillée révèle toutefois que cette augmentation du risque est seulement présente chez les travailleurs qui, en plus de l'exposition aux micro-ondes, travaillaient dans le domaine de l'industrie électrique et électronique et que le risque de cancer du cerveau est augmenté chez ceux qui ont travaillé dans cette industrie, qu’ils aient ou non été exposés aux micro-ondes.
A partir des études cas-témoins et de cohorte il est donc difficile de conclure à une augmentation du risque de tumeur cérébrale ou de leucémie en milieu professionnel. Néanmoins, la plupart de ces études souffrent de problèmes méthodologiques et en particulier aucune n'a vraiment une bonne caractérisation individuelle du niveau d'exposition.
b. Etudes sur les expositions en milieu environnemental et risques de leucémie et de cancer du cerveau
Ces études s'intéressent par exemple aux risques de tumeurs autour de stations de transmission radio, télévision etc. La plupart ne montre aucune augmentation du risque, et les niveaux d'exposition n'étaient pas très élevés.
c. Etudes épidémiologiques sur les utilisateurs de mobiles et les risques de cancer
Ces études sont récentes étant donné que les mobiles eux-mêmes sont apparus récemment. Or, il est nécessaire de disposer d'un délai suffisamment long pour qu'une tumeur éventuellement induite par les radiofréquences émises par les mobiles puisse se développer et être observée.
L’étude de Hardell et al. (1999) sur les risques de cancer du cerveau porte sur 233 tumeurs du cerveau. Les résultats révèlent deux éléments :
• aucune augmentation de risque de cancer chez les utilisateurs de mobiles (risque relatif de 0,98), par rapport aux témoins ;
• un excès de risque non-significatif de 2,5, sur la base de 13 cas de tumeurs, dont trois bénignes, localisées dans des lobes proches de l'antenne du côté de la tête où la personne tenait son téléphone.
Néanmoins, il est difficile de conclure en raison des problèmes méthodologiques de cette étude : elle est basée sur un faible nombre de cas et uniquement sur des cas toujours en vie de six mois à un an après leur diagnostic, de sorte qu'une grande proportion de tumeurs éligibles n'a pas été incluse dans l'étude.
L’étude de Muscat et al. (non encore publiée mais figurant dans le récent rapport de l’Académie des Sciences)40 sur les risques de cancer du cerveau porte sur 450 cas de tumeur du cerveau aux Etats-Unis. Elle parvient à deux conclusions :
• aucune augmentation de risque chez les utilisateurs de mobiles ;
• faible augmentation pour un type particulier de cancer.
Contrairement aux conclusions de l'étude de Hardell, cette étude ne décèle pas d'augmentation des tumeurs situées dans le lobe proche de l'antenne.
Toutefois, cette étude présente également des limites. Elle comprend encore trop peu de cas. En outre, le mobile est un phénomène moins répandu aux Etats-Unis qu'en Europe. Enfin, l'étude a été menée trop tôt sachant que les cas ont été recrutés entre 1994 et 1998, période durant laquelle la proportion d'utilisateurs de mobiles dans la population globale était relativement faible. Le fait que cette étude ne note pas d'augmentation ne signifie donc pas pour autant qu'il n'existe pas de risque.
L’étude de Dreyer et al. (1999) sur les risques de cancer porte sur une cohorte de 285 000 abonnés aux Etats-Unis (mobiles analogiques et téléphones fixes de voiture). Deux décès par tumeur du cerveau et quatre décès par leucémie ont été décelés, ce qui conduit à des SMR très faibles. Il est difficile de conclure car le suivi des cas est trop court (un an seulement) et le nombre de cas est trop faible.
L’étude de Morgan et al. (2000) sur les employés de Motorola s'intéresse à tous les appareils de communication mobile, pas uniquement aux mobiles. Elle porte sur une cohorte de 196 000 employés de Motorola suivis de 1976 à 1996. Elle définit trois niveaux d'exposition en fonction du type de travail effectué par les personnes étudiées, mais elle ne comprend pas de détermination individudelle de l'exposition. Globalement, elle constate à la fois un déficit de décès par rapport à la population générale, aussi bien pour tous les cancers que pour la leucémie ou les tumeurs cérébrales, et une absence de relation dose-effet.
Une analyse plus détaillée révèle que parmi ces 196 000 personnes, peu d'entre elles sont exposées (17 000 personnes exposées fortement ou modérément), avec seulement 17 tumeurs cérébrales (dont trois chez les personnes fortement exposées) et 21 leucémies (dont 5 chez les personnes fortement exposées).
En conclusion, actuellement, du point de vue des études sur les utilisateurs d'appareils de communication mobile émettant des radiofréquences, il est trop tôt pour conclure quoi que ce soit.
II Discussion avec les membres du groupe d’experts
Q : Sur quel fondement scientifique repose le regroupement des tumeurs bénignes et malignes dans l'étude cas-témoins de Hardell ? En outre, il est vrai qu'il est trop tôt pour voir des effets. Cependant, selon Muscat, les hypothèses sur les processus de cancérogenèse iraient vers un rôle promoteur et non initiateur, si bien que dans ces conditions les délais en jeu sont plus courts que s'il s'agissait d'un initiateur. Est-ce un paramètre à prendre en compte ?
R : Les deux questions sont liées. On pense que si les radiofréquences ont des effets, ceux-ci se produisent dans la promotion ou progression de la tumeur, à savoir l'augmentation de la division cellulaire etc. qui peut se manifester aussi bien dans des tumeurs bénignes que malignes. C'est pourquoi il est important de s'intéresser aux deux types de tumeur. Je pense néanmoins que dans l'étude du CIRC, nous ferons des conclusions séparées pour les deux types de tumeur. L'étude de Hardell comprend des effectifs tellement faibles qu'il a été nécessaire de combiner les deux types de tumeur.
Q : Le texte de Hansson-Mild sur l'étude de Hardell souligne que sur les 13 cas de tumeur, 9 étaient exposés au téléphone NMT, 3 à la fois aux téléphones NMT et GSM et un seul au téléphone GSM. Le type de téléphone utilisé vous paraît-il donc discriminant ?
R : Les NMT sont des téléphones analogiques qui étaient en situation de monopole jusqu'en 1992 puis des téléphones numériques se sont développés. Par conséquent, les résultats reflètent les délais entre les expositions. Ainsi aux Etats-Unis, contrairement à la France, rapportée à la population générale, la proportion de personnes ayant utilisé le NMT est supérieure à celle ayant utilisé le GSM.
Q : Que peut-on dire sur l'hypersensibilité de certaines populations ?
R : Selon Hansson-Mild, certains symptômes semblent être liés au temps d'utilisation. Il s’agit de résultats intéressants, mais d’une seule étude Je reçois quant à moi de nombreux témoignages de personnes se plaignant de maux de tête, de nausées, d'échauffement de l'oreille, mais ce n'est pas mon domaine et il m’est difficile d’interpréter ces observations.
En quoi les données scientifiques actuelles relatives au risque de cancer associé aux CEM-RF justifient-elles l'engagement de l'importante étude du CIRC ? Quel est le calendrier ?
A partir des études menées en milieu professionnel, nous ne pouvons pas conclure qu'il n'existe pas d'effet. Toutefois, s’ils existaient, ces effets seraient faibles au niveau d'exposition qui nous intéresse pour les utilisateurs de mobiles. Cela étant, un risque faible au niveau individuel pourrait signifier néanmoins un nombre important de cancers dans le monde étant donné le développement exponentiel des mobiles .
Q : Dans vos critères d'appréciation sur le caractère cancérogène des RF, vous avez pris en compte les travaux expérimentaux qui pourraient appuyer l'hypothèse que des effets peuvent se produire. Quels sont ceux qui confortent votre hypothèse ?
R : Il est également difficile de conclure à partir des travaux expérimentaux. Le seul risque est probablement un risque de promotion ou de progression. Si c'est le cas, la période de latence peut être courte, de l'ordre de cinq ans, de sorte que nous devrions disposer du recul nécessaire pour le voir dans le cadre d'études épidémiologiques démarrant actuellement.
Q : Le CIRC engage une étude internationale importante dont les résultats seront disponibles dans trois ou quatre ans.
R : Nous ne disposons pas encore du financement complet. Nous avons un financement partiel de la Commission européenne, des financements nationaux, et nous recherchons des financements complémentaires auprès d'industriels. Ces derniers sont notamment en discussion avec l'Union Internationale Contre le Cancer depuis un an. L'UICC pourrait s'occuper de la gestion des fonds apportés par les industriels mais nous n'avons pas encore obtenu de contrat acceptable qui garantisse l'indépendance de nos travaux. Si dans les prochains mois nous parvenons à trouver le financement complémentaire, nous devrions obtenir les résultats des premières études nationales en 2003, puis les résultats finaux internationaux en 2004.
Q : Notre groupe d'experts doit faire des recommandations sur les modes de financement de la recherche dans le domaine des champs électromagnétiques ; pourquoi rencontrez-vous des difficultés à établir des bases de financement claires avec les industriels ?
R : Les contrats que proposent les industriels contiennent diverses conditions : possibilité d'arrêter le financement de l'étude si les travaux ne sont pas effectués correctement, nomination des membres des comités scientifiques qui revoient les travaux, révision des textes 60 jours avant leur publication... Or, selon notre protocole international les résultats sont confidentiels jusqu'à leur publication, seule une copie de l'article peut être envoyée de manière confidentielle - avec l'accord du journal qui publie - au maximum une semaine avant sa publication.
Q : Comment s'effectuera la mise en phase de la publication des résultats définitifs de cette étude avec l'évaluation par le CIRC du cancer et des radiofréquences, qui reposera sur l’ensemble des données disponibles ?
R : La date d'évaluation des monographies est fixée à 2003. Mais d'ici un ou deux ans, nous allons revoir l'état des connaissances scientifiques et décider s'il est trop tôt pour effectuer une telle évaluation. L'étude Interphone est indépendante des monographies. Ces dernières sont réalisées par une autre unité du CIRC.
Q : Existe-t-il d'autres études en cours sur le même sujet ?
R : Il existe une étude cas-témoins du National Cancer Institute aux Etats-Unis qui porte sur 800 cas et 800 témoins diagnostiqués entre 1994 et 1998, à une époque où le pourcentage d'utilisateurs de mobiles était relativement faible et où seuls les téléphones analogiques étaient utilisés41. Deux études de cohortes d'utilisateurs ont également été menées en Finlande et au Danemark.
Nous voulions inclure la leucémie dans l'étude Interphone mais nous n'avons pas encore de financement pour le faire. Des études leucémie indépendantes seront peut être menées. En effet, les rayonnements ionisants, voire les très faibles fréquences, étant considérés comme facteur de leucémie, c’est par analogie que certain chercheurs pensent que les radiofréquences pourraient également être facteurs de leucémie puisque la moelle osseuse du crâne est exposée aux radiofréquences lors de l’utilisation de téléphones mobiles..
Q : Comment allez-vous procéder pour combiner les données des questionnaires et les résultats de la dosimétrie effective ?
R : Dans l'étude de faisabilité, nous avons essayé d'identifier les facteurs déterminants pour le niveau d'exposition (le nombre d'appels, la durée de l'appel, l'utilisation du contrôle de puissance...). Nous commençons un processus de quantification et développons une sorte d’indice d'exposition.
Q : Existe-t-il des études en cours s'intéressant à d'autres pathologies que le cancer liées à l'utilisation des téléphones mobiles (les céphalées par exemple) ?
R : C'est un domaine que je ne suis pas beaucoup, je ne sais pas.
Dans l'attente des résultats de cette étude, l'état des connaissances justifie-t-il l'adoption de mesures visant à réduire l'exposition aux CEM-RF en deçà des niveaux actuellement autorisés (ICNIRP, UE) ?
Les niveaux d'exposition dus aux mobiles et aux stations relais sont plus faibles que les normes actuelles. La plupart du temps, les mobiles émettent à moins de 5 % de leur maximum de puissance, les émissions sont donc plus faibles que les niveaux établis par les normes. En l'absence de certitude sur les effets, il faut adopter un certain principe de précaution mais il est difficile de savoir sur quoi se baser pour le faire. Par exemple, il est recommandé de minimiser l'utilisation de mobiles par les populations plus sensibles telles que les enfants. En la matière, le principe de précaution est basé sur une analogie avec le risque encouru par les enfants exposés à d'autres facteurs que les mobiles : les enfants sont plus sensibles pour nombre d'expositions (produits chimiques, rayonnements ionisants...).
Q : Les représentants des acteurs industriels s'appuient sur l'avis de l'OMS relatif au principe de précaution et l'interprètent parfois de la manière suivante : « Si nous respectons la réglementation fondée sur des données scientifiques établies, il n'est pas nécessaire de modifier notre position ». L'OMS aurait elle voulu dire que seules les données scientifiques parfaitement établies sont des bases sur lesquelles on élabore des réglementations et qu’il n’y aurait pas de raison d’adopter un principe de précaution ?
R : Cela m'étonne que l'OMS émette un jugement si catégorique.
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