Marie LaFlamme Tome 2



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Chapitre 4

D

urant les plus jolis jours du prin-
temps, alors que les Parisiens se sou-


riaient au jardin des Tuileries, trop heureux
d’oublier, le temps d’une promenade, leur
intérieur sombre et empuanti par les pesti-
lences qui montaient des eaux croupies des
rues, Simon Perrot songeait qu’il aurait dû
essayer de se trouver un poste de concierge
aux Tuileries plutôt que de gaspiller ses
talents au Grand Châtelet. Empêcher la
canaille de pénétrer dans les jardins n’était
guère épuisant, ni dangereux, et il aurait eu
tout loisir de lutiner les dames puisqu’elles
y venaient sans leur mari, jugeant ridicule
de se promener en famille.


Il y aurait peut-être rencontré une mar­quise ou une duchesse ayant meilleure nature qu’Armande de Jocary! Plutôt que de le réconforter quand Chalumeau, son supérieur au Châtelet, s’était attribué tout le mérite de la capture de Guy Chahinian, la baronne de Jocary s’était moquée de son




amant, lui disant qu'il n’avait qu’à s’adresser directement à Jacques Tardieu au lieu d’en aviser d’abord son supérieur hiérarchique.

  • Mais le lieutenant Chalumeau l’aurait su!

  • Ton lieutenant n’est pas plus lieute­nant que moi ! Alors que Jacques Tardieu, lui, l’est véritablement. Si tu l’avais été trouver, Chalumeau n’aurait pas pu t’en­lever le bénéfice de l’arrestation. Et tu aurais eu une autre charge.

  • Celle de mousquetaire ! avait grogné Simon.

La baronne avait hoché la tête en signe d’assentiment, puis elle avait soupiré osten­siblement avant de dire qu’elle ne pouvait hélas pas intercéder pour son jeune amant auprès du lieutenant criminel.

  • Mais pourquoi ?

  • Tu sais bien que le jeu est défendu.

  • Le lieutenant criminel ignore qu’on joue ici. Et un marquis fréquente votre salon !

La baronne avait haussé les épaules.

  • Oui. Un marquis. Un seul. Qui ne se vantera jamais de faire rouler les dés chez moi...

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  • Mais vous m avez dit que vous aviez bien gagné l’autre soir au lansquenet et à la brusquebille. Vous savez l’avarice du lieu­tenant criminel? En l’invitant à un bon souper, vous arriveriez à le persuader que c’est bien grâce à moi, et non à Chalumeau, qu’un dangereux criminel a été arrêté ! Et nous partagerions la récompense !

  • Qu est-il devenu, le prisonnier ? avait demandé la baronne pour éviter de prendre une décision au sujet de Simon.

  • Il a été torturé.

  • Il est mort ? Il a avoué ?

  • Quelques brûlures avec un tisonnier ne tuent pas nos patients. Et celui-là n’a pas voulu reconnaître son crime. Il nie tout ! Il nie même que c’est moi qui l’ai arrêté ! Je l’aurais étranglé de mes propres mains si M. Tardieu ne nous avait empêchés de poursuivre l’interrogatoire. Depuis il a visité le prisonnier deux fois. Et il veut que nous le nourrissions assez ; il ne doit pas mourir.

  • Personne n’avait payé pour son entre­tien depuis sa capture ?

Simon avait ricané.




  • Si, mais Chalumeau trouve que le Puits est trop humide pour y descendre. Il garde l’argent. Et m’en donne la moitié. Le prisonnier nous a déjà rapporté plusieurs livres : on paie davantage pour le grand maître d’une secte d’hérétiques.

  • Une secte d’hérétiques ?

  • Chahinian est le grand maître d’une société secrète.

La baronne avait battu des paupières, inspiré profondément.

  • Mais tu m’as dit que tu avais arrêté un meurtrier !

  • Oui, Chahinian a tué l’apothicaire Jules Pernelle qui l’avait dénoncé.

  • Mais M. le Lieutenant criminel ne s’est pas déplacé deux fois pour un vulgaire sicaire !

  • Je le sais ! C’est pourquoi je veux que justice me soit rendue : la récompense pour cette arrestation me revient! Chalumeau dit que j’ai procédé sous ses ordres, mais il ment!

Armande de Jocary s’était emportée; son amant était un crétin pour avoir laissé pareille occasion lui passer sous le nez !

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  • C’est ta parole contre la sienne, mais crois-moi, Chalumeau n’aura pas plus que loi de récompense; le lieutenant criminel ne déboursera pas une pistole pour vous remercier de cette capture. Ce serait pis pour lui que de s’arracher le cœur. Tout Paris s’amuse de l’avarice de Tardieu et de sa femme. Oublie cette histoire ; tu n’avais qu’à marchander sa liberté avec le prison­nier quand tu le tenais. Tu aurais pu assuré­ment t’acheter une charge plus importante. Mais tu es décidément trop sot.

Simon Perrot avait blêmi, serré les poings et quitté la chambre de sa maîtresse si pré­cipitamment qu’il avait heurté sa sœur qui gagnait les appartements de la baronne. Il n’avait même pas pris la peine de la saluer, ni de ramasser la petite glace italienne qu’il avait fait tomber d’une table en bois de violette. Michelle Perrot s’était penchée, avait saisi le miroir d’une main tremblante. Avant de le remettre en place, elle avait aperçu son visage et songé quelle avait bien vieilli depuis son arrivée à Paris au début de l’année et que sa pâleur pourrait trahir le tumulte qui l’agitait; elle s’était aussitôt

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frotté les joues pour aviver son teint. La baronne ne devait pas deviner quelle avait entendu sa conversation avec Simon.

Quand Michelle avait salué sa tutrice, celle- ci, allongée sur le lit gauche de lalcôve, avait à peine tourné la tête pour lui signifier quelle pouvait commencer à jouer de la flûte. La musicienne avait énoncé les pièces quelle avait choisies pour la soirée et attaqué un menuet de Lulli. Au cours de la pièce, elle avait commis deux erreurs, et la baronne s’était étonnée de ces maladresses inhabituelles.

  • Avez-vous un souci, ma fille ?

  • Je m’inquiète pour Josette, qui n’a guère mangé aujourd’hui.

  • Elle est grosse ; c’est coutumier dans son état.

  • Elle dit que son fiancé ne l’a pas vue plus d’une heure depuis des jours.

  • Votre frère songe à s’établir; il n’a pas de temps à lui consacrer. Qu’elle bénisse déjà le Ciel qu’il accepte de l’épouser.

  • Simon aurait-il été accusé de séduc­tion s’il l’avait abandonnée avec l’enfant?

La baronne s’était de nouveau tournée vers Michelle, surprise de ses questions.

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  • Pourquoi vous en inquiéter ?

La jeune flûtiste avait rougi, honteuse d avoir presque souhaité que son aîné soit condamné. Si l’idée que Simon puisse être incarcéré avec des criminels de toutes sortes la faisait frémir d’horreur, le sentiment chaque jour confirmé de la cruauté de son frère rem­plissait d’une terreur grandissante et elle en venait à prier qu’on empêche Simon de pour­suivre ses méfaits. En séduisant la pauvre Josette, il avait blessé si méchamment Marie quelle était partie en Nouvelle-France, mais il ne témoignait d’aucun remords et ne cachait guère ses relations coupables avec la baronne alors que sa future dormait sous le même toit.

Grâce à une ruse, Michelle avait amené la baronne à persuader son frère d’épouser Josette et elle avait espéré ne plus jamais avoir à intervenir de cette manière dans la vie de son aîné, même si elle savait per­tinemment que le triste mariage qu’il contractait ne le rendrait pas meilleur. Ses vœux n’avaient pas été exaucés. Ce qu’elle avait ouï derrière la porte de la chambre de la baronne était pis que tout; Simon était responsable de l’arrestation de Guy

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Chahinian, cet homme que M. Le Morhier tenait en la plus haute estime et dont il pleurait la disparition depuis des jours !

  • Alors, mademoiselle, me direz-vous ce qui vous ronge ? Votre frère épousera cette gourde dont vous vous souciez tant dans une semaine. Que voulez-vous de plus ?

  • Rien, madame la Baronne.

Armande de Jocary s’était levée d’un

bond et avait empoigné Michelle par les épaules, la serrant à la faire crier.

  • Vous n’avez pas commis semblable sottise ?

  • Quelle sottise ? avait bredouillé la musicienne.

La baronne avait relâché Michelle aussi brusquement qu’elle l’avait attrapée et avait plissé les yeux : et si sa protégée avait été séduite par le marquis ?

  • Est-ce le marquis ?

  • Mais quel marquis ?

  • Si M. de Saint-Onge vous a séduite sous mon toit, je demanderai réparation !

Michelle Perrot, malgré la peine que lui avait causée à l’instant son frère, n’avait pu retenir un éclat de rire.

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  • Personne ne m’a connue, madame. Et personne ne le fera jamais non plus.

La déception se lisait sur le visage de la baronne qui avait imaginé promptement à quel chantage elle aurait soumis le mar­quis, mais elle s’était informée cependant des intentions de la flûtiste.

  • Qu’entendez-vous par là ?

Michelle s’était approchée de l’unique

fenêtre de la chambre, faisant mine de se pencher afin de mieux percevoir les bruits de la rue.

  • Ecoutez, c’est la cloche de Saint-Louis ; l’office est terminé. Je dois aller retrouver le maître de chapelle. Il souhaite que je joue une aria de Charpentier à la grand-messe de l’Assomption.

  • Nous verrons cela. Partez maintenant.

Michelle s’était retirée aussitôt, embar­rassée par tous les mensonges qu’elle avait proférés en si peu de temps et qu’elle ne pourrait même pas confesser dans la journée puisqu’elle n’irait pas à l’église Saint-Louis, comme elle l’avait prétendu, mais chez les Beaumont, rue des Vieilles-Etuves- Saint-Honoré. Elle n’avait pas balancé plus

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dune minute avant de décider d’informer les Le Morhier; le capitaine saurait où trouver Guy Chahinian. Mais elle lui apprendrait avant qu’il était le chef d’une société secrète.

En quittant la rue du Bourubourg, Michelle avait été éblouie par la lumière qui inondait la rue de la Verrerie ; forcée dès l’après-dîner d’allumer une chandelle car la demeure de sa tutrice, construite en lon­gueur, n’était percée que d’une ouverture sur la façade, la musicienne se disait sou­vent qu’il aurait été plus aisé de déchiffrer ses partitions sur la place publique. Il lui arrivait même parfois d’envier les saltim­banques qui jouaient de la musette et de la vielle à roue à la foire Saint-Germain.

Bien quelle n’ait eu guère d’hésitation à révéler aux Le Morhier le crime dont Simon s’enorgueillissait, Michelle avait mis du temps pour rejoindre le capitaine et sa femme car l’idée de trahir son frère lui répugnait. L’apparition d’un mousque­taire du Roi, au carrefour du Tiroyen, avait fouetté opinément sa volonté : elle s’était rappelé que Simon avait menti à tous quand il avait prétendu qu’il faisait partie de la

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garde royale. Qu’y avait-il de vrai dans ce qu'il avait conté à la baronne au sujet de Guy Chahinian?

Le capitaine Le Morhier avait écouté Michelle Perrot sans l’interrompre, et quand elle s’était tue après avoir versé quelques pleurs dans les bras de Myriam Le Morhier, il n’avait rien trouvé à dire, trop saisi par ce qu’il avait appris. Il savait depuis longtemps que Guy Chahinian avait une double vie : à Nantes, l’orfèvre avait admis que certains dangers le menaçaient et qu’il refusait de se confier à quiconque afin de préserver ses amis des mêmes périls. Le capitaine avait cru aussitôt que le Parisien était huguenot ou juif et il avait respecté sa réserve même s’il lui avait avoué que la mère de Myriam avait échappé de peu aux persécutions catholi­ques. Il n’avait jamais songé que Chahinian était le maître d’une secte d’hérétiques !

  • Michelle, qu’as-tu entendu d’autre chez la baronne ?

  • Je vous ai tout dit, monsieur. Votre ami n’a pas disparu dans la Seine comme vous le redoutiez. Il a tué l’apothicaire qui l’avait dénoncé et mon frère est arrivé au

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moment où il commettait son forfait. Et il n’y avait pas de témoins car mon frère les aurait assurément mandés pour confirmer qu’il était bien l’auteur de l’arrestation; Simon tenait à la récompense. Croyez-vous que l’hérésie rende mauvais? M. Chahinian me paraissait sage; j’ai peine à croire qu’il se soit conduit comme une brute. Il était si bon avec Marie...

Roulant soudainement des yeux effarés, Michelle avait balbutié : « Marie ! oh, non ! » avant de s’évanouir. Myriam Le Morhier avait profité de ces minutes d’inconscience pour consulter son époux.

  • Nous devons lui avouer astheure la vérité. Elle devait la pressentir puisqu’elle a si bien accepté que Marie ait quitté Paris sans l’embrasser. Elle ne nous a pas inter­rogés une seule fois sur son départ précipité. Elle préférait croire que Marie se retirait pour pleurer Simon...

  • Alors qu elle fuyait Paris pour ne pas le dénoncer ! Je me demande encore pour­quoi je ne l’ai pas retenue ici et forcée à dire ce qu’elle avait vu dans la boutique de Jules Pernelle !

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  • C’est que vous aimez bien notre fils Victor...

  • N’aurait-il pas pu s’enticher de Michelle plutôt que de Marie ? Elle est si douce. Est- ce possible qu’elle soit née du même sein que ce serpent de Perrot ?

  • La faire souffrir en lui apprenant que son frère est un meurtrier me rebute, avait chuchoté Myriam Le Morhier en pas­sant un flacon de vinaigre sous le nez de la musicienne.

  • Nous lui avons caché les faits aussi longtemps qu’il était possible...

  • Mais vous aviez tout deviné, hélas, et notre ami croupit au fond d’un cachot, blessé, malade...

Le capitaine avait juré.

  • Morbleu! Ce maudit Chalumeau a empoché l’argent que j’ai remis au prêtre pour Chahinian en jurant que notre ami se portait bien !

Myriam Le Morhier avait secoué la tête vivement, refusant l’image qui s’impo­sait à elle, celle du bourreau appliquant le tisonnier sur le torse du prisonnier. Une fois, deux fois, dix fois. Odeur de chair

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grillée. Il lui semblait entendre les hurle­ments de Chahinian.

Les gémissements de Michelle Perrot qui revenait à elle l'avaient arrachée à ses pensées morbides, et c’est avec bien des ménagements qu’elle lui avait parlé du témoignage de Marie : cette dernière avait vu Simon poignarder Jules Pernelle avant d’arrêter Guy Chahinian.

  • Vous saviez donc que mon frère est un assassin ? avait dit la musicienne d’une voix étrangement calme. Cela devait arriver un jour. Simon a toujours été malfaisant. Et Marie... éprise de lui au point de préférer fuir la ville plutôt que de témoigner contre lui ! Que deviendra M. Chahinian ?

  • Je crains que ce ne soit bien malaisé : Marie est en route vers la Nouvelle-France, avec notre fils, et ne reviendra pas de sitôt. Je me reproche depuis son départ de ne pas l’avoir gardée ici afin quelle lave M. Chahinian des accusations de meurtre, mais je sais maintenant que c’est moins le crime dont on accuse l’orfèvre qui le tient au fond d’un cachot que son hérésie. Sinon, il aurait déjà été exécuté.

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Myriam Le Morhier se tordait les mains avec anxiété ; elle voulait aider Guy Chahinian, mais son époux serait soup­çonné d’être membre de la confrérie que dirigeait Chahinian s’il demandait à le voir au Grand Châtelet. Par la faute de Marie LaFlamme, leur fils Victor était parti vers un autre continent; elle ne voulait pas perdre également son mari.

Quand le capitaine s’était levé pour raccompagner Michelle Perrot chez la baronne, elle lui avait fait jurer de ne pas s’arrêter devant la sinistre prison. Martin Le Morhier avait acquiescé, mesurant lui aussi le péril auquel il s’exposerait en révé­lant son amitié pour Chahinian. Il avait simplement répété que Marie avait causé la perte de l’orfèvre.

  • C’est une gueuse, une vermine, un poison, une plaie, une sorcière et...

  • Taisez-vous ! Ne prononcez jamais ce mot ! avait fait sa femme en se signant. Vous savez pourquoi Anne LaFlamme a été condamnée au bûcher !

  • Sa fille le méritait mille fois plus qu’elle !

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  • Vous êtes injuste !

  • Soutiendrez-vous que vous ne vous rongez pas les sangs pour notre fils qui a été assez fou pour la suivre ?

Myriam LeMorhier avait souri tristement.

  • Raccompagnez Michelle, mon ami, et revenez-moi plus vite que notre Victor...

Obéissant, Martin Le Morhier avait quitté Michelle Perrot en face de l’église Saint-Gervais. Il éprouvait le besoin de se recueillir et aurait aimé parler à l’abbé Germain, son compagnon de toujours. Il lui aurait demandé quels dangers repré­sentait l’hérésie, s’il mettait sa foi en péril en conservant son amitié à Guy Chahinian ou s’il serait encore un homme digne d’es­time en l’abandonnant. Il songeait à Jules Pernelle et se demandait comment l’orfèvre supporterait d’être trahi une seconde fois.

Il était ressorti de l’église sans avoir eu de réponse. Il avait traversé ensuite la place de la Maison-de-Ville, gagné la Seine, dénombré les embarcations qui remontaient son cours, remarqué avec dégoût qu’une écume rosâtre flottait à la surface de l’eau. Il s’était alors souvenu des explications

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