Marie LaFlamme Tome 2



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de Guy Chahinian : cette mousse écœu­rante provenait du faubourg Saint-Marcel où les bouchers jetaient, du haut du Pont- aux-Tripes, leurs ordures sanglantes dans la Bièvre, alors que les tanneurs et les mégis- siers y lavaient leurs peaux chaulées.

Comment demeurer dans une cité où les habitants ne sont pas épouvantés par de telles saletés? Qu’il tardait au capitaine de revoir la Loire ! Il devait maintenant rentrer à Nantes; il avait déjà trop traîné à Paris sans avoir rien pu faire pour ce pauvre Chahinian.

Bien qu’il sût que son épouse se ferait du souci s’il tardait trop, Martin Le Morhier avait longé la Seine jusqu’au pont des Tuileries et s’était promené dans le jardin sans voir les sourires de certaines dames qui auraient aimé attirer l’attention de cet homme de belle prestance dont le pourpoint gris en ratine de Beauvais, orné de galants en soie souris, avouait une bonne aisance. Le capitaine avait croisé ces nobles et ces bourgeoises sans cesser de penser à sa femme. Il redoutait d’affronter son regard. Il savait qu’elle lèverait sur lui ses yeux

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vairons où il lirait toute la compréhension du monde sans même qu’il lui dise ce qu’il envisageait de faire pour Guy Chahinian.

Après le souper où même le potage de chapon de pailler au riz et les pistaches lis­sées ne l’avaient distrait de sa morosité, le capitaine avait ainsi expliqué à son épouse qu’ils allaient rentrer à Nantes.

  • J’ai dépensé bien de l’argent pour l’en­tretien de notre ami. Et je veux continuer. En payant cette fois Tardieu. Mais je ne peux faire mieux. Qu’adviendrait-il de vous si j’étais incarcéré à mon tour? Et mes navires? mes marchés ?

  • Et notre fils? ajouta Myriam Le Morhier.

  • Notre fils est un ingrat et un insensé !

  • Il aime Marie LaFlamme.

Le capitaine avait gémi sans retenue.

  • Il y a des milliers de jeunes filles dont il aurait pu s’enticher et il aura fallu que cette... cette bourrique lui tourne la tête.

  • Cette bourrique ?

  • Personne au monde n’est plus têtu qu’elle, vous le savez. Comment n’a-t-il pas

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vu les charmes de Michelle Perrot ? Elle est douce, aimable, douée, et ne se bute pas stupidement !

  • * *

En ce soir de la mi-juillet, la baronne de Jocary se retenait de battre sa pupille ; la chaleur qui renforçait la puanteur de l’air, l’absence, samedi, de Mme de Bruant pourtant fidèle depuis plusieurs semaines à son salon — et au reversi —, le mariage de Simon avec cette idiote de Josette, tout concourait à la pousser à bout, mais Michelle dépassait les limites ! Comment pouvait-elle lui manquer ainsi de respect?

Il y avait maintenant une semaine que la jeune fille lui avait annoncé qu’elle vou­lait se retirer au couvent des Visitandines de la rue Saint-Antoine, et aucune menace, aucune supplique, aucun argument ne l’avait fait changer d’idée. Elle soutenait qu'elle renonçait aux frivolités du monde afin de prier pour le salut de son frère.

  • J’ai entendu ce qu’il vous disait, il y a quelques semaines, à propos d’un prisonnier qu’il a arrêté et torturé au Grand Châtelet.

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Mon aîné est un bourreau qui doit plaire à Satan, mais je ne peux le lui abandonner si aisément et j espère que mon sacrifice lui sera compté à l’heure du Jugement dernier.

La baronne avait affirmé que Simon Perrot faisait son devoir ; le prisonnier était un criminel qui méritait son sort.

  • De plus, cet homme est un héré­tique : en jugeant si mal votre frère, vous embrassez la cause de l’athée. Est-ce digne d une femme qui prétend prendre le voile ? Je ne crois pas que Jeanne de Chantai ait fondé son couvent dans le but d’y accueillir des esprits forts !

  • Ce n est ni à vous, ni à moi, ni à Simon de juger de l’âme du prisonnier. C’est avant tout un homme, et je ne peux accepter que mon frère soit l’instrument de sa mort.

  • Vous êtes sensible, Michelle-Angèle, et c’est un atout pour une musicienne. Insufflez donc vos émois à votre jeu et ne vous souciez plus de votre aîné : comment nourrirait-il sa famille s’il ne travaillait plus au Grand Châtelet? Y avez-vous songé? L’existence n’est pas aussi douce pour lui que pour vous...

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  • Je le sais, et je ne nourris pas de haine envers lui, que de la pitié. Cest pourquoi j entrerai au couvent.

  • Et si je refuse? Je suis votre tutrice, ne l’oubliez pas ! Je vous ai tout offert, le vivre, le couvert, des robes, des cours de musique !

Michelle avait soutenu le regard furieux de la baronne sans sourciller.

  • Vous y avez trouvé votre compte; votre salon est maintenant bien fréquenté. J’ai attiré le monde ici, il ne repartira pas quand je n’y serai plus. Chacun a pris l’ha­bitude de jouer chez vous et plus personne ne m’écoute.

«Plus personne sauf le marquis de Saint-Onge», avait songé la baronne. Si cette petite sotte quittait sa maison, on n’y reverrait plus le marquis. Et si on ne l’y trouvait plus, Armande de Jocary pouvait parier que ses amis l’imiteraient; tous ses efforts pour s’implanter à Paris depuis le début de l’année seraient réduits à néant. Pourquoi fallait-il donc que ce marquis se soit révélé un sincère mélomane? Elle avait cru au début qu’il faisait semblant de venir applaudir les prodiges musicaux de

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Michelle pour mieux battre les cartes après son récital, mais elle avait dû déchanter : le marquis misait peu, se contentant d’une partie ou deux de triomphe ou de papillon, et priait ensuite Michelle de jouer de nou­veau, tandis que ses amis, heureusement, étaient plus acharnés et disputaient de lon­gues parties même après son départ.

Sa fureur contre Michelle augmenta quand celle-ci lui dit qu’elle préférait, après mûre réflexion, rejoindre les Filles de la Charité plutôt que les Visitandines.

Les Filles de la Charité ! Pourquoi pas sandrière à l’Hôtel-Dieu? L’espace d’une seconde, la baronne songea que c’était tout ce que sa pupille méritait ; courir la ville afin de recueillir les cendres pour la les­sive des draps gâtés. Michelle regretterait alors son choix! S’imaginait-elle qu’il était aisé de s’occuper des orphelins crasseux que Vincent de Paul s’était mis en tête de recueillir ? Cette pauvre fille était une sotte ! Une sotte qui lui gâchait l’existence ! Car si elle persistait à rejoindre les Filles de la Charité, la baronne n’aurait plus aucun pouvoir sur elle. Durant la semaine, elle

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avait rencontré le confesseur de Michelle, qui lui avait promis de décourager la jeune femme de prendre le voile, et la baronne était rentrée chez elle rassérénée. Voilà qu'on lui parlait maintenant de Vincent de Paul ! Cet homme qui avait refusé que ses servantes soient religieuses afin quelles échappent à l’autorité de l’archevêque ! Qui pourrait-elle soudoyer pour convaincre Michelle de renoncer à la vêture ? Tout en contenant son envie d’étrangler sa pupille, Armande de Jocary constatait qu’il ne lui restait qu’une solution : Simon devait abandonner son poste de geôlier au Grand Châtelet et expliquer à sa sœur qu’il était honteux d’avoir fait souffrir tant de pau­vres gens. Il devrait la convaincre qu’il s’en repentait sincèrement.

La chose ne serait pas aisée.

Simon Perrot se fâcha, jura, insulta la baronne, et refusa de quitter la prison tant que sa maîtresse ne lui obtiendrait pas la charge de mousquetaire du Roi.

  • Pauvre sot! fulmina Armande de Jocary, à bout d’arguments. C’est le marquis de Saint-Onge qui aurait pu t’aider ! Par

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affection pour ta sœur ! Je l’avais quasiment persuadé ! Mais par ta faute, Michelle renon­cera à la vie et ne jouera désormais que pour des enfants dépenaillés et pouilleux !

  • Ma sœur est folle ! Je l’en empêcherai !

  • Comment? Tu l’enfermeras? persifla la baronne. Elle refusera alors de jouer et le marquis oubliera mon salon. Et toi, tu ne porteras jamais la casaque bleue des servi­teurs du Roi ! Tu dois assurer ta sœur de tes regrets et lui promettre d’adoucir le sort de Guy Chahinian avant de quitter le Châtelet.

  • Mais que vais-je devenir?

La baronne s’emporta de nouveau.

  • Tu ne penses qu’à toi ! N es-tu pas bien traité chez moi? Je te loge, je te nourris, ainsi que ta femme. Que te faut-il de plus ? Qui t’a donné ce gousset de chevreau, cette chevalière d’argent, cette rhingrave en fla­nelle anglaise? Tu t’inquiètes de ton sort? N’oublie jamais qu’il est lié au mien ! Ce sont les amis du marquis qui paient ces ten­tures de brocatelle, ces glaces, ce guéridon ! Et les viandes que tu dévores, les poulets que tu déchires, la piquette que tu bois jus­qu’à plus soif! Si ta sœur ne joue plus pour

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le marquis, tu te retrouveras à la rue aussi pauvre que ces gueux dont tu as la garde au Châtelet. Et ne mise pas sur le trésor de Marie LaFlamme, elle n’est...

  • Le trésor ? Quel trésor ?

La baronne blêmit; encolérée, elle s’était trahie et avait trop parlé. Mais Simon lui faisait tourner les sangs et elle devrait se faire appliquer tantôt des ventouses pour retrouver une certaine maîtrise. En moins d’un mois, M. Barantin, docteur régent, l’avait visitée trois fois pour lui adminis­trer sa médecine et la patiente commençait à comprendre que le plaisir que lui donnait Simon ne compensait pas tous les tracas qu’il lui occasionnait. Admettre qu’elle s’était fourvoyée à ce point sur son compte, même si elle avait su dès le premier jour quelle avait affaire à une brute, ne l’aidait pas à conserver son calme, et elle se repro­chait de succomber encore à l’emprise sen­suelle du jeune homme.

Simon lui secoua le bras.

  • Parlez-moi de ce trésor !

  • Il n’y a rien à en dire, sinon que ta sœur m’a conté qu’une Nantaise que vous

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connaissez, Marie LaFlamme, lui a affirmé quelle sera bientôt en possession d une somme élevée.

  • Marie ? Elle serait riche ? dit Simon éberlué.

  • C est une fable, assurément !

  • Où est-elle ?

  • Marie ?

  • Non, tonna Simon, ma sœur! Elle parlera, sinon...

La baronne s’efforça de rouler d’un index nonchalant un serpenteau qui flattait sa joue gauche, et mit quelques secondes pour dire à son amant qu’il lui obéirait et sui­vrait son plan à la lettre. Il ne terrifierait pas sa cadette, mais l’entretiendrait de ses remords concernant Guy Chahinian.

Simon s’exécuta. Non par respect pour la baronne, mais afin de disposer Michelle à lui parler du trésor.

Si la musicienne avait été naïve autre­fois, elle ne se faisait plus aucune illusion et savait, en écoutant son frère lui dire qu’elle ne devait pas se sacrifier pour le salut de son âme, qu’il obéissait à sa maî­tresse ou à son propre intérêt. Elle avait

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donc plus de pouvoir quelle ne se le figu­rait ? Elle pousserait son avantage : à force de voir les invités de sa tutrice ruser pour gagner, elle avait appris l’art de la dissi­mulation. Elle se fit plus crédule encore que Simon ne l’avait osé espérer et réussit à verser des pleurs de bonheur sur la conver­sion de son frère.

  • C’est le plus beau jour de ma vie et ma joie sera complète quand tu auras donné à M. Chahinian le billet que j’écrirai tantôt. Il doit savoir que je prierai pour son salut. Je lui ferai même parvenir une petite somme pour son entretien.

  • Tu es bien charitable, et tes bontés te seront comptées au Ciel. Je veillerai à ce que les derniers jours de ce prisonnier soient plus doux.

  • Les derniers jours ? s’affola Michelle.

  • C’est un criminel; il sera bientôt exécuté.

  • Mais tu as dit que le lieutenant criminel l’avait visité par deux fois : M. Chahinian ne peut être un vulgaire sicaire si M. Tardieu n’a pas encore pro­noncé la sentence de mort.

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  • Le lieutenant criminel croit que Guy Chahinian sait faire de l’or et il espère découvrir son secret. Mais comme il me semblait étrange qu'un meurtrier n’ait pas été condamné, j’ai fourré un mouchard avec l’orfèvre. Chahinian s’est vanté d’avoir abusé M. Tardieu; celui-ci découvrira tôt ou tard la supercherie. Et il se prononcera pour la roue... A moins qu’on n’intercède pour le prisonnier.

  • Mais comment ?

  • En payant le lieutenant pour qu’il « oublie » Chahinian. Mais il faudrait une somme fabuleuse... Des milliers de livres. Un véritable trésor.

Michelle baissa les yeux ; elle venait de comprendre quel but animait son frère. Et comment elle pouvait réussir à retarder la condamnation de Guy Chahinian.

Elle soupira en feignant le désespoir.

  • Si on savait où trouver Marie !

  • Marie ?

  • Marie LaFlamme ! Il paraît qu’elle a hérité d’un trésor à la mort de sa mère.

  • Un trésor? s’écria Simon.

  • C’est ce quelle m’a dit.

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  • Quand l’as-tu vue ?

  • Avant son départ de chez Mme Beaumont, au début du printemps, répondit Michelle. Elle était venue au Palais de Justice ! Elle a voyagé avec les Le Morhier.

Simon frappa sa paume ouverte de son poing droit.

  • Pourquoi ne m’en as-tu rien dit ?

  • Marie m’a fait promettre de tenir cette nouvelle secrète tant que tout l’argent ne lui aurait pas été versé. J’ai vu de mes yeux qu’elle avait un diamant gros comme une prune à son doigt !

Simon se rapprocha de la fenêtre : il suffoquait de rage. Comment pouvait- il être affublé d’une sœur aussi sotte? Il respira lentement avant de demander avec un sourire grimaçant pour quelle raison Marie dilapiderait sa fortune pour un criminel ?

  • Parce que c’est Guy Chahinian qui a informé Marie de l’existence de son trésor. Sans lui, elle n’aurait rien. Dépenser quel­ques milliers de livres pour le tirer de son cachot ne l’embarrassera guère. Elle sera aussi riche que bien des princes.


  • Comment Chahinian est-il mêlé à cette histoire ?

  • Guy Chahinian a assisté Anne LaFlamme dans ses derniers instants et cest à lui quelle a révélé l’existence du trésor.

  • Pourquoi n’a-t-il pas gardé ces rensei­gnements pour lui ? Il aurait pu s’emparer du trésor...

  • Il ignorait à ce moment qu’il s’agissait d’un trésor : Marie m’a dit que sa mère lui avait fait transmettre un message en forme de charade. Marie a ensuite révélé l’astuce à Guy Chahinian, car elle avait une dette envers lui. Mais ils ont tout de même dû fuir Nantes.

Simon acquiesça, mais se promit de faire parler Chahinian en attendant de retrouver Marie.

  • Je ne parlerai pas du mouchard au lieutenant criminel et il s’imaginera que Chahinian pourra lui livrer ses secrets d’alchimiste tant que nous n’aurons pas retrouvé Marie. Elle seule peut sauver le prisonnier. Je ferai en sorte qu’il soit mieux traité. Le visage de Michelle s’illu­mina; elle avait réussi à obtenir un délai.

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Elle s’efforcerait de convaincre le marquis de Saint-Onge d’aider Guy Chahinian. Les arguments qu’elle emploierait à ces fins lui étaient encore inconnus mais le Très-Haut l’éclairerait. Elle prendrait ensuite l’habit.

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Chapitre 5

M

ère Marie de l'incarnation regardait
s’éloigner la jeune femme que lui avait


présentée sœur Sainte-Blandine et à laquelle
elle venait d’annoncer quelle irait à l’Hôtel-
Dieu soigner les malades.


  • En l’absence de Mgr de Laval, j’ai obtenu pour vous, du révérend père Lalemant, l’autorisation de pénétrer dans l’enceinte du monastère où vous verrez mère Catherine.

Si Marie s’était alors inclinée respec­tueusement, elle questionna sœur Sainte- Blandine dès qu’elles furent hors de la vue de la Mère supérieure.

  • Et ma fille Noémie ?

  • Elle restera avec Emeline Blanchard, comme convenu. Vous ne voudriez tout de même pas la garder à l’hôpital où tous les malades l’approcheraient? Vous pourrez l’aller voir quand vous voudrez; à votre âge, marcher deux lieues se fait aisément.

  • Deux lieues ? Emeline m’a pourtant dit qu’elle vivrait à côté de la rivière.

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  • Elle verra assurément la Saint-Charles, mais la famille Blanchard habitera plus près de Sillery que du cap aux Diamants. Remerciez le Ciel que leur recruteur n’habite pas Château- Richer ou, pis encore, Ville-Marie ! Vous ne reverriez alors votre fille qu’une fois l’an.

Sentant l’agacement qui haussait d’un ton la voix de sœur Sainte-Blandine, Marie changea habilement de propos en disant que mère Marie de l’incarnation lui avait paru d’une grande sagesse, mais qu’elle n’aimait guère son teint.

  • Je ne sais ce dont elle souffre, le flux hépatique, la colique ? Elle devrait boire des tisanes de perce-muraille ou de fenouil.

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