Marie LaFlamme Tome 2



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Elles traversèrent en silence le monas­tère, le chœur et la chapelle avant d’accéder à l’hôpital. Marie nota que sa jeune guide marquait un temps d’arrêt avant de pousser la porte du pavillon, comme s’il lui répu­gnait d’entrer dans cette salle.

Marie se figea, mais elle se détendit rapi­dement malgré le spectacle peu agréant ; elle

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avait vu bien pis une heure plus tôt. Et cet après-midi d’automne où elle avait été cher­cher sa mère au lazaret alors qu elle soignait des pestiférés...

  • Sœur Sainte-Blandine ma affirmé que vous n’aviez pas de cas de contagion ici.

  • C’est la vérité. Nous n’avons pas le droit d’accueillir ceux qui sont atteints de la lèpre, de la vérole, de la peste, de la teigne ou de la gale. Ou du flux de sang.

  • A qui s’adressent-ils alors ?

  • Ils demeurent chez eux, murmura la religieuse.

« Et ils y meurent », pensa Marie. Et si elle soignait tous ceux qui étaient refusés à l’hô­pital ? Comme Anne LaFlamme le faisait au lazaret ? Il y avait les risques de contagion, certes, mais si la mère avait été préservée des miasmes, pourquoi la fille n’aurait-elle pas hérité de sa résistance ? En visitant les malades dans leurs lits, elle éviterait d’être cloîtrée à l’Hôtel-Dieu, elle échapperait aux offices religieux et elle pourrait aller voir Noémie entre deux visites. D’ailleurs, il fal­lait bien qu elle soit rémunérée pour payer sa nourrice.

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Marie éprouva un malaise en songeant à sa fille adoptive ; elle était partagée entre l’ennui douloureux que lui causait leur récente séparation et le soulagement qu’elle s’avouait difficilement de retrouver sa liberté d’action. Elle aimait Noémie, vrai­ment, mais les circonstances qui la faisaient mère étaient très différentes de ce qu’elle avait imaginé quand elle rêvait d’avoir un enfant. Elle s’était vue berçant tendrement le fils de Simon, qui aurait été si beau qu’il aurait fait fondre les réserves de Nanette ; comme Anne, la vieille nourrice aurait fini par apprécier Simon, d’autant plus qu’il aurait renoncé à être soldat et décidé de tra­vailler au port de Nantes afin d’être plus près de sa petite famille. Elle aurait eu plus tard trois autres enfants, tous aussi jolis que le premier, et sa fille se serait intéressée, comme elle, comme Anne, à la botanique et à l’anatomie. Elle aurait lu l’épais cahier de notes qu’Anne avait légué à Marie et appris maints secrets pour guérir. Ainsi, elle aurait deviné aisément que la femme qui venait de vomir de la bile à trois pieds d’elle souffrait de la tierce légitime. Elle aurait soigné cette

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fièvre avec des décoctions de fiel de terre et lui aurait fait boire de la verveine bleue. Et Marie aurait été fière d’elle. Mais Anne était morte. Nanette aussi. Simon marié. Et elle, exilée avec une enfant à charge. Elle sursauta quand on lui tapota le bras.

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Chapitre 6

V

oici mère Catherine, fit la jeune
nonne.


Marie ne put réprimer une réaction de surprise : la première Hospitalière était une femme encore jeune... Sœur Sainte-Blandine avait tenu des propos si élogieux au sujet de mère Catherine, louant sa grande piété, son sens du devoir, sa fidélité à la Nouvelle- France, que Marie s’attendait à rencontrer une vénérable aïeule.

Marie Catherine de Simon de Longpré avait à peine trente ans et son sourire d une exquise affabilité la rajeunissait encore. Marie LaFlamme lui sourit franchement tout en mesurant la dévotion de l'Hospitalière : jolie comme elle l’était, elle aurait pu jouer les coquettes avec succès, épouser un homme de la meilleure qualité et s’assurer une existence des plus agréables. Au lieu de cela, elle avait tout sacrifié pour venir nettoyer des plaies, faire la soupe, laver des draps, et prier pour l’âme des habitants qui décédaient dans ses bras.

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Renoncer au monde par choix demeu­rait étonnant pour Marie, mais cela ne l’in­triguait pas autant que le regard de mère Catherine. Plus serein qu’un lac étale, plus doux que les pierres que la Loire polit chaque jour, plus gai que le chant des merles et si sombre, si triste, si inquiet. Quels sentiments se livraient bataille dans le cœur de la reli­gieuse pour qu elle présentât un air apaisé et traqué tout à la fois ?

Marie se sentit malgré elle remuée par la grâce qui émanait de mère Catherine et elle s’agenouilla devant elle en baissant ostensible­ment la tête. Mère Catherine eut un petit rire.

  • Relevez-vous, ma fille, ou je ne croirai pas ce que mère Marie de l’incarnation me conte.

  • Qu’est-ce qu’elle dit? Elle ne me connaît... Marie s’arrêta, rougissante.

  • Ah, voilà qui vous ressemble davan­tage, fit la jeune nonne. Mère Marie m’écrit que vous avez fait preuve de beaucoup de témérité durant le trajet de mer. Et de cou­rage, et de talent. Et autant d’orgueil.

Marie continua difficilement à sourire, mais elle avait envie de dire qu’elle, elle

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n’avait pas renoncé au monde. Elle avait envie de plaire, de s’amuser, d’être estimée et elle réussirait à obtenir l’admiration de chacun des habitants de la Nouvelle-France. Sans exception et avant un an !

  • Vous voulez soigner nos malades, dit mère Catherine. Fort bien, mais vous savez qu’on ne vous donnera que le vivre et le couvert. Et que vous devrez accepter cer­taines de nos règles.

Marie gonfla les joues avant d’expirer trop bruyamment. L’Hospitalière ne s’en offusqua ni ne s’en amusa, faisant comprendre à la jeune fille que ses appréciations ne change­raient rien à son offre : c’était à prendre ou à laisser. Soit elle se conformait à ce qu’on attendait d’elle, soit elle pouvait chercher ailleurs à s’employer. Marie s’inclina en se disant quelle imposerait ses volontés dès qu’on verrait de quoi elle était capable.

  • Mon seul désir est de guérir les malades.

  • D’où vous vient ce désir ?

Marie expliqua que sa mère était une sage-femme et une empirique particulière­ment douée et quelle l’imitait naturellement.

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Se remémorant les paroles de sœur Sainte- Blandine, elle précisa que sa mère croyait qu’on peut toucher plus aisément le cœur d’un malade.

  • Le malheureux nous honore de sa confiance et le temps est venu alors de l’amener à une plus grande piété. Ma mère écoutait avec grand respect les avis du père Germain qui venait visiter les malades au lazaret. Elle est morte maintenant, mais je vénère sa mémoire en poursuivant sa mis­sion. J’ai appris à guérir en imitant ma mère et en lisant ses carnets, mais j’ai aussi servi chez un apothicaire, à Paris, qui a bien voulu m’éclairer sur la fabrication des remèdes.

  • Un apothicaire ?

Marie hocha la tête avec assurance.

  • Oui, comme le frère Florent Bonnemère. M. Pernelle était mon oncle et un honnête homme. Vous savez que les apothicaires sont souvent méprisés par les médecins, et il est vrai qu’il y a bien des charlatans qui vendent des pilules à des naïfs. Mais mon oncle appartenait réellement à ce corps de métier et il devait transmettre son savoir à son fils quand celui-ci a été tué à Paris.

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Je me suis offerte pour l’aider à préparer les poudres, les diachylons, les sirops. Ma mère m’avait déjà appris à cueillir les plantes, mais j’étais bien aise d’avoir l’oc­casion d’étudier secrètement les huiles, les métaux et les pierres. Je sais fort bien que les femmes n’ont pas droit à cet enseigne­ment et qu’il est condamnable que je sois allée contre la loi mais ai-je vraiment eu tort? Je ne vois pas tant de médecins, ni de chirurgiens, ni de barbiers, ni d’apothi­caires dans cette pièce. Que des malades... cet homme, au fond à droite, souffrait de la colique en embarquant à Dieppe; je lui ai administré une tisane d’herbe aux ladres. S’il a été le premier à être ainsi incom­modé, il n’a pas été longtemps le seul et j’ai dû partager mes maigres ressources entre les malades. Je n’avais qu’une petite besace quand je suis montée à bord de l'Alouette.
Et le trajet a trop duré.

Mère Catherine écoutait attentivement Marie : cette fille parlait couramment, assurée de son fait, et cette fermeté était une qualité non négligeable pour une aide- soignante. Elle saurait convaincre les

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malades de lui obéir. L’Hospitalière se doutait que Marie n’était pas aussi pieuse qu’elle voulait le faire croire, mais le Très- Haut ne l’avait pas guidée à l’hôpital sans motif : si Marie savait soigner les chancres et les fluxions, elle avait bien besoin, elle, des secours de la religion, et mère Catherine songea qu’elle et ses sœurs pourraient apprivoiser la Nantaise et la ramener vers Dieu. Si elles réussissaient à convaincre les Sauvagesses des bienfaits de la foi, elles tou­cheraient un jour le cœur de Marie.

  • Bienvenue, Marie, nous vous loge­rons ici quelque temps et nous verrons si vous vous accoutumez à votre charge. Et à notre règle... Vous porterez comme nous ces robes et ces tabliers gris.

Marie se retint de soupirer, mais mère Catherine devina ses pensées et dit en sou­riant à demi :

  • Je sais que les jeunes femmes aiment à porter des couleurs plus gaies, et qu’ainsi vêtue vous ressemblerez comme nous à quelque vieille chevêche. Mais, ajouta-t-elle plus gravement, j’ai cru entendre que vous étiez veuve.

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Pour éviter de répondre, Marie baissa la tête et fixa le bout de ses souliers jusqu’à ce que mère Catherine, entendant sonner l’angélus, convie la jeune femme à prendre son premier dîner avec les sœurs.

  • Peut-être avez-vous envie de vous reposer avant le repas ? Vous devez être encore bien lasse du trajet de mer. Ou voulez-vous vous recueillir dans notre chapelle ?

Marie parcourut la pièce d’un œil plus curieux que dégoûté et elle répondit d’un ton où l’on percevait une pointe d’impa­tience qu’elle préférait se mettre céans à l’ouvrage.

  • Ici, au moins, je me sentirai utile.

Elle conta à mère Catherine ce quelle avait

vu juste avant d’entrer à l’Hôtel-Dieu. Puis elle frissonna.

  • Je me sentais si impuissante... Pauvre, pauvre femme. C’était horrible !

  • Nous prierons pour cette malheu­reuse, fit l’Hospitalière d’une voix rauque. Et pour son meurtrier.




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A la fin de l’après-midi, tous les habitants de Québec avaient commenté le meurtre de Suzanne Dion, puis chacun était retourné à son ouvrage, les champs n’attendent pas et personne ne pouvait se permettre de chômer, sauf les marins qui attendaient le départ de leur vaisseau. Victor se dirigea nonchalamment vers la place publique car il espérait y voir des Indiens. Il trouva sans peine le fort des Hurons, situé entre la cha­pelle et le château du Gouverneur, juste en haut de la côte de la Montagne. Il gravit cette pente abrupte avec entrain, heureux de pouvoir marcher en tous sens, de courir sans heurter un canon, des râteliers ou des voiles, et de jouir en solitaire, alors qu’il dépassait le cimetière, de la vue grandiose qui s’offrait à son regard de voyageur. Il n’avait pas à entendre les commentaires de Le Duc qui avait son idée sur tout, ni les exclamations stridentes d’Agathe Souci. Il lui sembla qu’il n’avait pas ressenti pareille paix depuis des mois et il se demanda un instant s’il ne resterait pas à Québec, puis­qu’il s’y trouvait si bien. Il regarda le fleuve avec étonnement. « La Grande Rivière qui

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marche », ainsi disaient les Indiens. Victor essayait de croire que le Saint-Laurent n’était pas une mer. L’eau se rétrécissait bien à la hauteur de Québec, mais c’était une eau ample, brillante de vagues et de moutons d’écume... Victor songea que le capitaine Le Morhier ne le croirait pas quand il lui écri­rait qu’il avait navigué sur un fleuve aussi large que le grand large.

Après avoir passé un long moment à contempler le panorama, il se dirigea d’un pas rapide vers la palissade qui délimitait le carré des Hurons. Que leur dirait-il? Comment devait-il les aborder ?

Victor ralentit en passant devant l’en­trée du fort indien et s’arrêta une toise plus loin, se demandant s’il avait le droit de pénétrer dans l’enclos. Peut-être les Sauvages le chasseraient-ils avec des flè­ches et des pierres? Il n’avait pas bien compris pourquoi ces Indiens vivaient sur la place publique : étaient-ils prisonniers ou invités par les autorités? Venaient-ils de s’installer ou habitaient-ils les lieux depuis des années ? Parlaient-ils le français ou s’exprimaient-ils seulement dans leur

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dialecte? Il entendit alors une jeune fille répondre à une femme dans une langue qui l’amusa car, abondamment ponctuée de voyelles, elle ressemblait à un bon rire. Les mots étaient tantôt très longs, tantôt très courts, et Victor écoutait avec ravis­sement ce curieux rythme quand la jeune Indienne, se taisant soudainement, courut vers lui.

Ils s’observèrent en silence. Victor avait le sentiment que la fille se retenait de pouffer. Quand il lui sourit, elle éclata de rire en désignant la barbe du Français. Victor flatta plusieurs fois son menton en répétant le mot « barbe ». La jeune Huronne rit de plus belle. Comme ses dents étaient saines ! songea le Nantais. Peu de Françaises pouvaient sou­rire ainsi sans se déparer, que ce soit place Saint-Pierre, quai de la Fosse ou la place des Vosges. Peu de Françaises avaient les cheveux aussi noirs, aussi lisses, et Victor n’en avait jamais connu qui les tressassent en y mêlant des plumes de taille et de cou­leur variées. Et aucune Française ne mon­trait ses genoux avec tant d’impudeur; la tunique, si elle couvrait bien le corps,

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laissait voir les jambes entre les pointes que formaient les queues des peaux. Ces pans de cuir voletaient, s’emmêlaient, s’écartaient sur les genoux à chaque mouvement de la Huronne. Même s’il s’efforçait de regarder le visage de la fille, Victor avait grand mal à détacher les yeux de cette chair insolite, brune, souple, lumineuse, qui pointait sous la peau effrangée.

  • La barbe ! dit la jeune Indienne.

  • Ma barbe? Me diras-tu ce que...

Antoine Souci, qui sortait du fort huron,

intervint :

  • Pour les Sauvages, nos poils sont un signe d’idiotie. Toi, avec une barbe aussi drue, tu es assurément un sot... Enfin, pas pour Françoise, qui nous connaît mieux, mais pour les anciens.

  • Françoise ?

  • Elle s’appelait Mani Menahakakni ou nikak?... On l’a trouvée du côté des Abénakis, dans un archipel. Tu avoueras que Françoise est plus aisé à retenir !

  • J’ai reçu le baptême, fit la Huronne en joignant les mains. J’ai appris le catéchisme chez mère Marie.

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Victor sourit à la jeune fille, troublé d en­tendre parler si harmonieusement sa propre langue. Il s’attendait à s’exprimer par gestes, comme il l’avait fait parfois à Nantes quand il rencontrait l’équipage d’un navire hollandais ou portugais, et voilà qu’en ce pays du bout du monde, une fille, une jolie fille, habillée de peaux aux broderies étranges, était toute prête à lui réciter une prière. Il était à la fois déçu et charmé, à la fois curieux et timide. Il aurait peut-être eu l’audace de demander à la Huronne de répéter comment on l’appelait avant son baptême si Antoine Souci ne l’avait bousculé.

  • Viens avec moi chez Boisdon, je te rendrai tes peaux !

  • Chez Boisdon ?

  • Au cabaret. Il appartient à Denys de La Ronde, mais je dis toujours Boisdon. C’était le nom de l’ancien tenancier. C’est en bas. Tu dois être passé devant, tantôt. Il n’a pas d’enseigne car il n’en a pas besoin ; il n’y a guère de cabaretiers à Québec. J’espère qu’il lui reste à boire avec tous ceux qui sont venus se rincer la gorge après avoir vu le cadavre !

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  • Le cadavre ?

  • Celui de Suzanne Dion ! Tu ne sais pas ? Viens, je te raconterai.

Sans lui laisser le loisir de réfléchir, Souci attrapa Victor par l’épaule et l’entraîna si prestement que ce dernier eut à peine le temps de dire adieu à la jeune Indienne.

Celle-ci souriait encore quand les hommes poussèrent la porte de chez Boisdon. L’in­croyable barbe de Victor Le Morhier l’avait amusée, mais sa réserve l’avait intriguée bien davantage ; il y avait dans son attitude quelque chose qui lui rappelait le cerf. Cette manière, peut-être, de regarder un point fixe, loin devant soi, sans que rien n’échappe des alentours? Ou alors cette fière immo­bilité qui lui donnait naturellement une sorte de supériorité? Ce Blanc, avec ses yeux de la couleur des ailes du grand héron, un gris lumineux, profond, qui n’avait rien de commun avec les tristes robes des reli­gieuses, ce Blanc qui n’était pas si pâle avec tous ces poils dorés et un teint cuit par le sel et les vents de la mer, était loin d’être repoussant. Mani espéra seulement qu’il ne demeurait pas trop longtemps chez Boisdon.

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Elle savait qu’il ne quitterait pas la taverne en état d’ébriété car le tenancier avait juré d’empêcher l’ivrognerie, le scandale et le blasphème, mais elle avait vu trop souvent des hommes continuer à boire de l’eau- de-feu, cachés dans des coins sombres de la ville basse. Elle savait que son frère, qui avait bu un demi-flacon, avait cédé cinq peaux de loup-cervier, après qu’on lui eut promis le reste de la fiole. Ce soir-là, elle avait été réveillée par les protestations des autres membres de la tribu qui essayaient de dormir tandis que son aîné tambouri­nait sur les pieux de la palissade en enton­nant des chants guerriers.

Elle le regardait maintenant, alors qu’il montrait à son fils comment émonder un arbre ; Saouaretchi avait des gestes déliés et son couteau glissait sur l’écorce du peuplier si vivement que, n’eussent été les éclairs qui désignaient régulièrement le fer, on aurait cru que l’homme caressait l’arbre. L’enfant riait à chaque branche sectionnée. On devinait que son père l’initiait à ce travail autant par plaisir que par nécessité. Il sou­riait, même dans l’effort, tant il s’amusait

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