Erda ou le savoir


L'école comme anticulture



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4.9.L'école comme anticulture

On pourrait s'imaginer que l'université est une sorte de temple du savoir. Ainsi que les grandes écoles. Or l'acquisition d'une culture est bien, c'est du moins l'expérience que j'en ai, la dernière préoccupation des étudiants. Obtenir un diplôme est la seule préoccupation.

Un exemple vécu : en 1962, je sors de l'Algérie, à peu près indemne, au moins physiquement et je prends le premier boulot qui s'offre à moi, et qui me permet de sacrifier à ma paresse naturelle, et la fâcheuse tendance à ne faire que ce qui me plaît : un poste de prof de sciences physiques en lycée. Je n'ai que 12 heures de cours. Je n'ai aucun diplôme pour occuper cette fonction, mais je l'ai déjà dit, à cette époque l'éducation nationale se satisfaisait de peu, l'important pour elle était de boucher les trous. J'ai deux collègues certifiées, donc vraies profs qui m'étonnent par leur totale incompétence. En fait elles ne comprennent pas grand chose à la physique qu'elles considèrent comme une sorte d'art divinatoire qu'il faut faire apprendre par cœur aux élèves. C'est seulement un peu plus tard que l'une d'entre elles se laissa aller à quelques confidences : en fait elle n'avait rien compris à la physique, ne s'intéressant qu'à la chimie, et avait passé ses certificats touchant à la physique en apprenant tout simplement par cœur les tranches de cours qui lui étaient impénétrables.

En 1958, je suis hébergé à la cité universitaire, et je fais mon footing quotidien dans le parc Montsouris ; j'y rencontre un étudiant en médecine avec qui je discute de choses et d'autres. Un jour j'évoque les méthodes moralement très contestables de mes petits camarades de l'école d'ingénieurs pour facilité l'obtention du diplôme convoité, et bêtement je dis : au moins en médecine il faut avoir la vocation. Ricanement du futur toubib : « non mon vieux c'est seulement pour le fric, de toute façon, ce que nous apprenons ne sert pratiquement à rien, c'est à l'hôpital que les choses sérieuses commencent, et que nous commençons à apprendre ce métier. »

Dans le milieu étudiant que j'ai fréquenté, il y avait une expression pour désigner ceux qui croyaient à la culture : les branleurs d'idéal. Goebbels disait, si l'on en croit la légende : « quand j'entends le mot culture je sors mon revolver ». Mes petits camarades disaient : « Quand j'entends le mot culture, je déboutonne ma braguette. » Mais c'était l'époque où la fermeture éclair n’était pas généralisée à cet endroit.

4.10.Mime ou l'essence du système

Mime est le frère d'Albérich. C'est lui qui, avec sollicitude élève Siegfried qu'il a recueilli après le mort de Sieglinde. Ceux qui ont avancé que Mime était une caricature du juif avaient sûrement raison. Nous en avons examiné les preuves dans la première partie, mais cela ne nous intéresse pas. C'est la caricature du professeur que nous allons considérer.

Rappelons quand même les motivations du (anti)héros wagnérien. Mime a donc trouvé Siegfried voué à la mort puisque sa mère est morte en le mettant au monde. Pas par hasard, bien sûr Wotan est déjà là, sous sa forme terrestre, veillant au destin de son jeune héros. Pourquoi lui choisir Mime comme précepteur ? Il faudrait le demander à Wagner lui-même qui n'en savait peut-être trop rien. L'histoire est déjà assez laborieuse comme ça ne la compliquons pas. Toujours est-il que Mime, qui a une revanche à prendre sur son frère abominable, trouve là une occasion rêvée de devenir le maître du jeu : élever Siegfried, reforger pour lui l'épée Notung, le conduire au Dragon ; tuer le dragon est un jeu d'enfant pour le héros, il ne reste plus qu'à occire ce dernier, en l'empoisonnant par exemple, ou en lui coupant la tête avec sa propre épée durant un sommeil provoqué. Siegfried mort, l'anneau, le heaume et le trésor deviennent la propriété du misérable méprisé de tous, qui devient alors le maître absolu. Un joli programme, mais malheureusement pour lui le magicien Wotan, est encore sur le coup et c'est lui qui règne encore.

Je ne reviendrai pas sur le symbolisme de l'épée que le malheureux Mime tente désespérément de ressouder. Siegfried réduit en poudre, ne gardant que la substance, et reconstruisant l'épée nouvelle selon son inspiration. Enfin c'est ce que héros croit. Car nous savons que c'est le magicien Wotan qui une fois de plus tire les ficelles.

Je ferai ici de Mime la caricature non pas du professeur incapable d'enseigner à l'élève qui, déjà le dépasse, mais du système lui-même qui ne sait que se reproduire identique à lui-même.

« A mon grand dégoût, éternellement, je ne trouve que moi-même / dans tout ce que je fais / .../ je suis incapable de façonner autre chose que des esclaves. » (La Walkyrie, acte 2 scène 2.). C'est Wotan qui parle, mais Mime et le Wanderer ne sont-ils pas ici engagés dans la même galère. Mime ne peut que réparer l'épée brisée, rafistoler l'ancien, Wotan ne peut rien créer qui le dépasse condamné donc à rester figé sur ses pensées.

Université, incapable de se réformer, de tenir compte, dans un délai raisonnable, des progrès de la science d'une part, et connaissance de l'homme d'autre part. Rien de fondamental n'est changé dans les formations des enseignants : un bourrage de crâne d'une multitude de connaissances aussi vite oubliées qu'apprises. J'ai déjà évoqué le cas de cette prof agrégée qui n'avait même pas compris le contenu d'un cours de seconde.

En 1962, un prof agrégé n'avait pratiquement, au cours de sa formation jamais entendu parler de relativité et de mécanique quantique. Faux va-t-on me dire ? Je corrige : ceux à qui j'ai posé la question. Sans la finalité d'une agrégation est d'enseigner dans le cycle élémentaire c'est-à-dire jusqu'au bac. On trouvait dans le cursus mathématique le calcul matriciel et tensoriel, mais comme des machins ne servant que d'obstacles dans la course à l'agrèg. A quoi ça sert ? A trier les candidats. En fait calculs matriciel et tensoriel sont les outils nécessaires à l'élaboration de la mécanique quantique et de la relativité générale. Pour fixer les idées, rappelons que les mémoires fondateurs de ces théories clés de la connaissance scientifique datent de 1905, 1915, pour les relativités restreinte et générale388, des années 1920-1930 pour les diverses formes de théories quantiques.

Si je donne ces exemples, c'est pour souligner que l'aspect culturel de la formation est totalement occulté. A côté de cela le savoir-faire théorique concernant le contenu des connaissances classiques du moment est développé à l'extrême. Avec cette idée stupide venue de la sagesse populaire : qui peut le plus peut le moins. Certes si vous pouvez soulever un sac de 100kg, vous pouvez soulever un sac de 50. Mais cette belle logique ne tient pas dans le domaine de la connaissance. Vous pouvez parfaitement résoudre à merveille un système d'équations différentielles pour déterminer l'évolution d'un phénomène physique389, et raconter les pires âneries sur un banal problème d'équilibre de forces du niveau de la seconde (expérience rapportée plus haut, et que j'ai moi-même constatée).

Et surtout, on initie ces profs d'élite à la rigueur. Bien sûr tout doit être parfaitement démontré et les enchaînements logiques parfaits ; or les formateurs oublient deux choses :

- quand on débute dans l'étude d'une discipline, sauf pour les surdoués, on ne comprend pas grand chose à ce qui se passe, et la rigueur apparaît comme une machine à enculer les mouches.

- cette rigueur est totalement artificielle car, ni les systèmes d'axiomes sous-jacents à la théorie développée ne sont explicités, ni les procédés licites de déduction ne sont clairement définis.

Tous ceux qui ont fait l'expérience d'aborder une théorie nouvelle pour eux le savent bien ; ça commence dans la purée. Il y a une foule de termes dont le sens est assez éloigné du sens commun. Il faut le plus souvent se forger des outils personnels aidant à la compréhension, se méfier des images métaphoriques, claires pour l'auteur, mais qui ne font souvent que jeter le trouble et rendre le discours un peu plus impénétrable.

Quel est le but de Mime ? Faire de Siegfried un instrument. L'instrument, nous l'avons vu, c'est celui de la conquête de l'or. Mime bavarde de tout, prétendant initier l'adolescent à la connaissance. Connaître ses origines, forger l'épée, lui montrer le chemin qui mène au monstre. Voilà le but, accomplir l'exploit grâce à lui. Et jusqu'à là Mime à raison, c'est lui qui a sauvé l'enfant dont la mère est morte en le mettant au monde, qui l'a nourri, protégé, réchauffé. Mais l'Or, l'anneau, le Tarnhelm, Mime n'en dit mot. Ainsi la société, grâce à l'université forment les élites dont elle a besoin : on parle de culture de défense de l'homme, de justice, de rayonnement de la nation ; mais les vraies raisons ne sont jamais dévoilées. Les mêmes que celles qui animent Mime : l'Or, la puissance, le voile qui permet de dissimuler les vraies motivations. Mais le gentil étudiant, qui lui n'aura pas à affronter le dragon ne recevra qu'un or frelaté, une puissance subalterne, et devra se voiler la face pour ne pas voir les conséquences réelles de ce qu'on lui demande d'accomplir ; par exemple l'ingénieur en armement qui met toute son intelligence à imaginer les engins de plus en plus meurtriers.




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