Extrait des minutes secrétariat greffe du Tribunal de grande instance de toulouse



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II-5-2-1 : la simplicité du processus explosif :
Pour apprécier l'explication des experts judiciaires, reprise par le magistrat instructeur, il paraît nécessaire de rappeler dans un premier temps de quelles informations les experts disposaient, d'évoquer l'état des connaissance et notamment celle de la société Grande Paroisse, avant d'examiner l'expérimentation à laquelle M. BERGUES a procédé.
- II-5-2-1-1 : les données :
Il paraît nécessaire de rappeler l'évidence : comme l'a indiqué à l'audience M. Lattes, professeur de chimie cité par Mme Mauzac, "pour parvenir à une explication (scientifique), il faudrait que je puisse disposer de l'ensemble des éléments des produits qui se trouvaient dans ce hangar."
Tenue à une obligation de maîtrise des risques et donc à la maîtrise des procédures qu'elle avait mise en oeuvre sur son site afin d'assurer traçabilité des productions, flux des matières y compris des déchets, mais également à l'obligation en cas de sinistre de renseigner les pouvoirs publics sur les produits en cause et les circonstances de la catastrophe, la société GP qui exploitait un site SEVESO devait être en mesure de renseigner la DRIRE et donc les

enquêteurs sur le contenu d'une benne déversée à l'intérieur du bâtiment, siège de la détonation, 20 minutes avant celle-ci.

La CEI, émanation de l'exploitant, tentera vainement d'identifier les produits : comme nous l'avons vu ci-dessus c'est l'une des missions qu'elle s'était assignée

(La suite de l'enquêtedevra s'efforcer d'établir une liste exhaustive des produits qui pourraient y avoir été apportés, même en quantité minime, et de leur caractéristiques. " et La suite de l'enquête devra s'attacher à vérifier si du produit résiduel d'un de ces emballages aurait pu réagir de manière exothermique avec le contenu du magasin 221") ; elle se heurtera, comme les enquêteurs et experts aux propos évolutifs, contradictoires du témoin capital, M. FAURE, et à ceux embarrassés de celui censé le contrôler lors de cette opération, M. Paillas.
Alors, devant la difficulté de la détermination des données de base, deux solutions s'offraient aux enquêteurs :
- renoncer en constatant que l'on ne saura jamais précisément les produits en cause,

- tenter de reconstituer en retenant les éléments acquis (humidité du box, produits se trouvant dans le box) et raisonnables (configuration du système par couches...).


De fait, tout en missionnant des laboratoires aux fins de réaliser, de manière confidentielle (les résultats ne seront transmis à l'institution judiciaire qu'en 2004, suite à la découverte par suite d'une indiscrétion, de résultats obtenus par le laboratoire du CNRS de POITIERS, susceptibles d'intéresser la manifestation de la vérité) à des essais... dont l'exploitant devait espérer qu'ils seraient négatifs, la société Grande Paroisse transmettra à la DRIRE un rapport de la CEI en date du 18 mars 2002 excluant la piste chimique au prétendu motif de la perfection du système en amont... qui le garantissait contre toute possibilité d'un croisement de produits incompatibles dans le box du bâtiment 221.
En réalité, il n'en est rien et la société GRANDE PAROISSE, incapable de présenter le moindre renseignement utile sur cette benne, nonobstant son obligation légale, par un tour de "passe passe", audacieux mais habile, reproche aux enquêteurs, experts, magistrats de chercher à cerner ce qu'il en est.
-- II-5-2-1-1-1 : les éléments acquis :
Ainsi que nous l'avons considéré ci-avant, les éléments que l'on peut considéré comme acquis sont essentiellement les suivants :
- une couche de nitrate humidifiée sur le sol du box où sera déversée la benne blanche litigieuse,

- des tas de nitrates déclassés séparés par un muret, mais situés à proximité l'un de l'autre,

- ont été déposés dans le box du 221, 10 tonnes de NAA, adossées au muret, outre une tonne de NAI,

- sont stockés dans le silo principal entre 400 et 450 tonnes de nitrates déclassés, avec environ 75% de fines d'ammonitrate et 25% de nitrate technique,

- la possibilité que la benne litigieuse contienne notamment (secouage de divers sacs ou pelletage de divers produits) du DCCNA (collecte de la sacherie usagée étendue à toute l'usine, présence d'un Grvs contenant les poches des fûts de dérivés chlorés, outre un Grvs de DCCNA non décontaminé contenant encore quelques dizaines de grammes de produits chlorés à l'intérieur, ainsi que M. DOMENECH l'a déclaré aux enquêteurs), du NAI (qualité NAEO) et

(ou) de l'ammonitrate,

- le fait que cette benne soit déversée entre 15 et 30 minutes avant la catastrophe.
-- II-5-2-1-1-2 : l' incertitude sur la composition des produits placés dans la benne :
L'analyse des différentes déclarations de M. FAURE et de M. Paillas, relève du casse tête :
* M. FAURE est requis le 23/09/2001 par la CEI, alors qu'il revient pour la première fois sur le site en compagnie de ses supérieurs afin de récupérer ses affaires ; il est décrit par M. Clément comme particulièrement troublé à la sortie de cet entretien : il est en larmes : ce point n'est pas contesté par M. DOMENECH.
Le compte rendu d'entretien (cote D 5812) note :
" dans la matinée a procédé (entre 8h30 et 9 h) à la vidange d 'une benne de criblage silo 14 (confirmée par carnet du camion). Ultérieurement, a vu Paillas pour demander l'autorisation de vider une petite benne issue de la récupération de produits des sacs en plastiques divers, sacs contenant toutes sortes de produits (bâtiment DEMI-GRAND, ancien laboratoire). Cette benne avait été remplie la veille ou l'avant veille par M FAURE (récupération sur le sol cimenté). M FAURE a vidangé cette benne entre 9 h 30 et 10 h. Aucune des deux fois où il est entré dans le 221 il n'a observé de fumée ni senti d'odeurs particulière. La vue à travers le bâtiment était normale..."
Il convient de souligner que les comptes rendus des entretiens que la CEI a eu avec M. Paillas (cote D 5812), adjoint au chef de service expéditions, sont édifiants sur l'embarras de l'intéressé qui, rappelons le n'avait pas informé les policiers de l'existence de cette entrée exceptionnelle de produits, intervenue 30 minutes avant la catastrophe :
- Le 1710/2001, M. PAILLAS explique au sujet des entrées dans le 221, "autres sources : pas de contrôle préalable : "les prestataires connaissent le produit" ; il a été averti du retour de 500 kg en provenance magasin sacherie... "
- le 2/10/2001 M. PAILLAS est réentendu par M. DOMENECH de la CEI : il lui indique "confirme qu'il a donné accord à M. FAURE pour recyclage des fonds de sacs récupérés en lui disant `fais bien attention que ça doit être des nitrates. ..."
- le 4/12/2001, devant les policiers, M. PAILLAS indique que M. FAURE "m'a téléphoné le 20 /09/2001 à mon bureau pour me demander s'il pouvait rapatrier du produit de son atelier... il n'a pas précisé la quantité du produit qu'il m'a dit avoir récupéré parmi les sacs vides" (cote D 2122).
Il résulte de ces comptes-rendus d'entretien :
- l'embarras de M. Paillas relativement à cette opération, dont il prétend n'avoir été que simplement avisé, avant de concéder l'avoir autorisé, ce qui est différent ;

- le fait que les inspecteurs sécurité industriel qui composent cette CEI relèvent l'absence de contrôle préalable d'une entrée non conforme aux consignes de l'usine,

- le fait que le contenu de la benne est constitué de fonds de sacs récupérés : s'agit-il là des propos tenus par M. Paillas confortant les dires initiaux de M. FAURE, ou le fruit "subjectif' de la transcription des propos tels que l'intervieweur les comprend ?
* M. FAURE est entendu par Mme GRACIET et Mme Fournie le 28 septembre 2001: les enquêtrices prennent des notes à la volée, toutes les deux :

Le compte-rendu d'entretien de mme GRACIET (scellé JPB 219) relève : "ce jour là le 21/09 on recycle des sacs d'engrais vides — IO -, ensachage industriel mais il reste un peu de produit ces sacs sont stockés dans un bât conditionnement Melem) posés sur le sol cimenté ---# qd il est vidé on nettoie



il restait beaucoup de produit a pris une benne de 7 m3, il y avait 500 kg de produit (nitrate d 'ammo) comme il y avait besoin vidage de la benne au bât 221.
1- Cette opération se fait depuis pas longtemps (1 an environ) et n 'est pas.. Les sacs sont récupérés par l'ent. Trève (ou Forinserplast) pour les amener à l'extérieur (.)

Il s 'agissait de récupérer les sacs plastiques vides et les GR VS était mis en place depuis un an mais le contrat devait être mis à jour et renouvellé le contrat ne le prévoyait pas pour l'instant. Bennes bleus : 18 urée ACD et RF... même projet en cours —# on y récupérait des sacs d'acide cyanurique des sacs d'urée, des sacs de mélamine --' bât demi-grand (bât conditionnement mélem) les sacs (tous) —+ récupérés par l 'ent treve dans le fond de benne : on trouvait, tout mélangé - tous les fonds de sacs + morceaux de bois en petites quantités + papiers

Mais le jour de l'AT - grande partie d'un big bag NAO (nota bene ou Nitrate d'ammonium étiquette Orange, nom commercial du NAI de GP) qui avait été mis avec les autres sacs par erreur

- demande d'autorisation au service expéditor. Accordée.(••)

Récup des sacs avait été traitée avec Ledoussal. (. )

Dernière opération

les bennes vont dans tous les ateliers, elles servent à mettre des DIB : la benne (la dernière)

était propre.

Des sacs venant de acide cyanurique étaient portés au dépôt melem avec benne blanche sacs sté de transport fond par terre = nettoyé --# benne 7m3 (blanche) --f est retsée 3 jours au bât sol du bât 221 = le sol était cimenté du produit est imprégné dans le sol."
Le compte-rendu du même entretien réalisé par Mme Fournie (scellé JPB 222) relève:
"... recyclage sac engrais vide benne couleur bleue 15 m3 - sac 25 kg Nitrate industriel - big bag lundi-mardi

- benne 7 m3 chargé à main = pelle = 500 kg

(••)


Sacs transportés par benne bleue et vidés sur le sol cimenté sté Treve qui manipule les sacs

(••)


Benne bleue 15 m3 imposée par atelier expédition depuis 1 an sacs plastiques et GR VS contrat en cours avril 2000

(••)


ACD --i acide cyanurique big bags ) sacs dans bennes vertes RF --# atelier mélamine ) retrait à la main

(•)

- bascule de la benne vidage sur le sol = avec un peu de morceau de bois

(••)


W transport exceptionnel = avec petite benne 7 m3 amené avec autorisation RCU

(••)


- 1 °apport = vers 8h30 - 9h30 stock de 14

- 2 °apport = déchets sacs vers 10 heures..."
Il paraît remarquable d'observer qu'alors qu'aucune coordination n'est intervenue entre la CEI et les inspectrices du travail, ces deux missions d'enquête recueillent dans des termes voisins les déclarations de M. FAURE quant au contenu de la benne litigieuse, à savoir "des déchets ou fonds de sacs." . Les deux enquêteurs emploient le pluriel s'agissant des produits ou sacs ou déchets déversés.
Mme GRACIET interrogeait une nouvelle fois M. FAURE le 15 octobre 2001 . Au sujet de la collecte de la sacherie usagée, l'inspectrice du travail notait ceux-ci :

"...ACD et produits chlorés les sacs étaient récupérés et amenés au melem (335) ACD : benne particulière à ACD et produits chlorés cartons ou autres souillés étaient lavés avant d'être retriés puis relavés

- les sacs lavés étaient mis dans la benne --# verte

- il pouvait rester un peu de produit dans les sacs M FAURE le signalait pour les produits chlorés grande attention portée.

Benne verte —vidée à la main au MELEM (de l'initiative de M. FAURE) en général, pas de produit

si du produit : était ramené au bureau de SIMARD dans un bidon.

Ce qui se fait depuis un an :

recyclage des sacs plastiques et GR VS de toute l'usine : ramassage dans 4 endroits :

IO

18 urée

ACD

RF

Avant ce ramassage tout partait en décharge"

Au sujet de l'extension du contrat qui limitait la collecte aux sacheries D'IO et d'I8 :

"pour les autres---i dans l'esprit de la valorisation des déchets.

(..)

un big bag d 'ammonitrate à moitié plein était au MELEM depuis le mardi

- big bag versé au MELEM

big bag récupéré

produit balayé et ramené avec la benne au 221 1/4 d'heure avant l'explosion.

Le contrat s 'était fait entre Ledoussal et Surca. M. Le doussal voulait qu'on récupère tous les sacs.

Toutes les 3 s, Treve ramassait les sacs.

Si produit à même le sol était balayé et lavé via les égouts —# ou ramassage dans des poubelles (sauf une seule fois sac d'ammo à moitié plein) ordures via la SETMI."
On peut donc noter :
- l'évolution des déclarations de M. FAURE sur le contenu de la benne (secouage de divers sacs; puis, un sac de NAI + déchets par terre ; puis, la qualité du nitrate change, ce n'est plus du NAI mais du NAA) constituée le 19/09 après le passage de la Forinserplast,

- mais également le fait qu'il pouvait trouver du produit chloré lors de ses manipulations de sacs qu'il ramenait à M. SIMARD, ce qui peut paraître contradictoire avec l'affirmation qu'il a faite l'audience selon laquelle il n'aurait jamais vu de sac de DCCNA à l'intérieur de ce local...


Dès lors que M. FAURE confirme à l'audience avoir eu l'occasion de ramener à M. SIMARD du dérivé chloré, point également confirmé par ce dernier, et que l'agent Surca indique, par ailleurs, qu'il procédait à la récupération des sacs usagés des ateliers sud à l'intérieur du 335, on peut raisonnablement considérer que du DCCNA arrivait effectivement à l'intérieur de sac dans ce local.
Entre temps, M. FAURE avait été entendu, le 11 octobre 2001, par des représentants de l'INERIS, assistés de M. Cats de la DRIRE. Il convient de noter que M. FAURE sera, à cette occasion "assisté" par un expert en chimie, inscrit sur la liste de la Cour de Cassation, missionné par son employeur.
Il ressort des notes prises par M. Cats (cote D 5615) :

"... puis benne dans demi-grand 7m3 blanche (dedans ammonitrate) big bag crevé - 500 kg. prend cette benne - voit M. Paillas ---* demande où mettre le produit (avant accident)

---fr sas 221 entre 9h45 et 10 h

(..) 1 fois autant

sac marqué "nitrate d'ammonium" - même sac du 10

dans benne blanche que produit big bag

(..)

-liche MELEM

n'avait pas de consigne - procédure."
Dès cette date, on comprend que M. FAURE, témoin capital de ce dossier pénal, à supposer qu'il puisse répondre en parfaite objectivité alors même qu'il a compris en sortant "en pleurs" de son premier entretien du 23 septembre 2001 que les enquêteurs de la CEI lui imputent une éventuelle responsabilité dans la survenance d'une catastrophe qui l'a personnellement profondément touché (sa maison située dans le secteur a été fortement dégradée etc...), se trouve sous le contrôle de son employeur qui s'inquiète vraisemblablement de voir sa responsabilité engagée alors même qu'au regard des consignes de travail ou des termes contractuels liant Surca et Grande Paroisse l'extension de la collecte des sacs usagés à l'ensemble des ateliers pose question...
M. FAURE ne sera finalement entendu utilement par la police que le 27 novembre 2001, puis ensuite à plusieurs reprises, sans que l'on puisse se faire une idée certaine de ce qu'il a déposé comme produits dans la benne litigieuse, en quelle quantité, ni de quelle façon.

Devant le tribunal, la parole de M. FAURE n'est pas plus libre : il est demandé à l'intéressé de déposer sous serment, ce qu'il a fait, sur des gestes dont il peut légitimement s'inquiéter de la suite qui pourrait être réservée par l'institution judiciaire, nonobstant le bénéfice d'un non lieu motivé en fait et en droit à son égard.

Nous avons déjà relevé l'embarras de M. Paillas, responsable des entrées dans le 221, qu'il omette de parler aux policiers le 23 de cette entrée atypique ou qu'il admette difficilement avoir donné son accord au déversement de la benne devant les membres de la CEI.
Par la suite, il tentera d'aménager la vérité en prétendant dans un premier temps aux enquêteurs n'avoir été informé que par téléphone, la veille du 21 septembre, de la constitution de la benne... qu'il n'aurait donc pas eu l'occasion de vérifier le contenu si on essaie de comprendre le raisonnement qui a pu animer l'intéressé pour tenir de tel propos, avant de concéder, in fine, qu'il avait été interpellé, sur le site, juste avant le déversement de la benne par

M. FAURE (D 2286).


Quoi que puissent dire M. PAILLAS et ses collègues de travail, qui font bloc derrière l'espérance que les salariés de l'usine ne sont pour rien dans la catastrophe, ses déclarations contradictoires et embarrassées signent indiscutablement l'interrogation qui a animé l'intéressé sur la possibilité que cette entrée ait joué un rôle dans la survenance de la catastrophe. Les aménagements de la vérité dont il fait preuve lors de son audition du 4/12/2001, ne suffit pas

bien évidemment à considérer acquis la présence de DCCNA dans la benne, mais démontre s'il en était besoin que cette opération "inhabituelle" sous l'angle de la méthode de l'arbre des causes, dont M. MIGNARD était le garant sur le site avant la catastrophe, avait du sens pour ces professionnels.


La défaillance de M. PAILLAS qui a également bénéficié d'un non lieu, quant à l'identification du (des) produit(s), à leur quantité et à leur éventuelle disposition à l'intérieur de la benne, ne permet pas au tribunal de déterminer précisément ce qu'il en est.

Faute pour la société GRANDE PAROISSE, exploitante d'un site SEVESO de renseigner les pouvoirs publics sur la composition d'une benne déversée au mépris des règles d'organisation interne sur un sol en aptitude à réagir, compte tenu de son humidification, il ne peut être sérieusement reproché par la prévenue aux experts d'avoir cherché la possibilité d'une détonation en retenant les éléments constants susvisés.


En d'autres termes, il est bien certain que si GRANDE PAROISSE avait respecté son obligation de maîtrise et aurait, préalablement au déversement de la benne litigieuse, appliqué les consignes d'exploitation qu'elle a instauré afin de maîtriser le risque accidentel, la tache des experts aurait été grandement simplifiée.
- II-5-2-1-2 : l'état de la connaissance :
Il convient de rappeler que l'incompatibilité de ces deux composés, connue depuis longtemps (cf La première réglementation limitant le taux de chlore dans la composition du nitrate), a été précisée par la thèse de M. GUIOCHON et les travaux de M. Louis MÉDARD révélant le danger de production de trichlorure d'azote.
La littérature scientifique n'ignore donc rien du danger que représente cette incompatibilité, productrice de trichlorure d'azote.

Ce composé, NCL3, se présente sous forme liquide ou gazeuse. Il s'agit d'un explosif primaire.


Liquide, il s'agit d'un explosif très sensible au choc, à tel point que les débats ont permis d'apprendre que cette sensibilité a conduit les pyrotechniciens à envisager de l'utiliser comme détonateur avant d'y renoncer en raison de sa trop forte instabilité qui ne pouvait garantir aux utilisateurs la sécurité d'emploi recherchée.
Gazeux, c'est un détonateur thermique : c'est l'un des très rares produits connus pour s'auto-initier en régime explosif (cote D 6721) ; s'il parvient à la température de 93°c, il détonne spontanément sans aucun artifice pyrotechnique.
Le professeur DOKTER, cité par M. BERGUES, indiquait à son sujet que la meilleure façon de manipuler le trichlorure d'azote, est d'éviter sa formation.

Les expériences auxquelles M. Barat et M. BERGUES ont procédé en qualité d'experts judiciaires, mais également celles du laboratoire du CNRS de Poitiers pour le compte de la défense, que M. PRESLES est venu présenter au tribunal, démontrent la grande dangerosité de ce composé que M. BERGUES qualifie d'insidieux : à ce sujet, le tribunal observe que cette dangerosité n'a pas échappé à nombre de commentateurs tels M.LEFEBVRE qui, soucieux de leur sécurité et adoptant le conseil de DOKTER, se sont gardés de tenter de reproduire les tirs, ce que le tribunal comprend parfaitement, mais limite considérablement l'intérêt de leur commentaire ; à ce titre, il est somme toute assez singulier de voir la défense faire appel à des scientifiques n'ayant pas manipulé le trichlorure d'azote pour commenter les derniers tirs de M. BERGUES, alors que plusieurs de leurs sachants (M. PRESLES, les techniciens de TNO et ceux de l'institut SEMENOV) y avaient été directement confrontés...


Il est pourtant objecté de manière très magistrale par les scientifiques cités par Mme MAUZAC, M. LATTES, M. GUIOCHON, censés porter la parole de la communauté scientifique, mais dont on comprend qu'ils n'ont pas pris connaissance de l'intégralité des travaux des experts judiciaires, que le risque serait hypothétique, au regard de l'idée qu'ils se font de l'explication retenue par le juge d'instruction, en raison d'une part de l'impossibilité de provoquer une réaction chimique entre deux solides, la nécessité d'un confinement pour obtenir la mise en détonation locale du gaz Nc13 et enfin l'impossibilité pour un gaz de parvenir à la mise en détonation d'un explosif solide en raison de son insuffisante énergie.
Quand on essaie d'analyser les réticences des chimistes français qui ont pu commenter fin 2001 /début 2002 cette piste pour le compte de la défense (MM. MEUNIER ET GUIOCHON ont été conseils scientifiques de la SA Total à cette époque là), avant de faire part de leur incrédulité devant la réussite des tirs 20 à 24 de M. BERGUES, on comprend qu'ils n'avaient, apparemment, intégré dans leur raisonnement que la seule détonation du Nc13 gazeux laquelle impose en principe un confinement, et écarté l'idée qu'une réaction chimique fortement exothermique (les résultats des essais de M. BERGUES, de TNO... démontrent une très rapide élévation de température du milieu réactionnel) intervenant sous un manteau de nitrate d'ammonium, puisse par des effets de convection/condensation permettre à la réaction de s'auto-alimenter jusqu'à parvenir à la température critique et engager le processus pyrotechnique.

Qu'en est-il de la connaissance concrète de l'exploitant, sur qui repose une présomption de connaissance des produits qu'il manipule ?

M. FOURNET, membre de la CEI, mais également directeur industriel chargé de la sécurité de la société Grande Paroisse, ancien directeur d'usine, déclare sans ambage au juge d'instruction (cote D 4745), que l'incompatibilité bien connue des produits azotés et chlorés avait conduit à la mise en place d'une barrière organisationnelle (le tribunal renvoie sur ce point à l'interrogation que l'on peut légitimement avoir sur le caractère réfléchi ou opportun de cette barrière). La lecture de l'étude de dangers de l'atelier ACD et des fiches de sécurité des dérivés chlorés qui y sont annexées confirme que la société Grande Paroisse n'ignore nullement l'incompatibilité marquée de ces composés, ni le caractère explosif du NCL3. Sur la seule année 2001, et au cours des huit mois précédents la catastrophe, pas moins de 3 accidents sont imputés sur le site au Nc13, dans des conditions il est vrai de confinement :
- 2 explosions sont relevées dans les canalisations de l'atelier Acd au début de l'été (scellé JPB 188);

- en janvier 2001, c'est l'explosion d'une pompe dans l'atelier nitrate, fort heureusement lors d'un arrêt, hors la présence du personnel, des projections de fonte ayant été propulsées à une dizaine de mètres ; cette explosion sera imputée par M. THECUA, ingénieur procédés de la société GP, au contact du nitrate d'ammonium et des particules de chlore dont était composé le joint de la pompe.


Il sera prétendu par M. FOURNET, devant le juge d'instruction qu'il lui est difficilement concevable qu'on ait pu envisager de regrouper au sein d'un même bâtiment des sacs provenant des secteurs nitrate et chlorure (cote D 4991), mais, le même, devant le tribunal, indiquera que pour autant seule l'incompatibilité en "solution" était connue.
Pour le tribunal, l'information de la connaissance de l'incompatibilité de deux produits doit conduire, raisonnablement, le responsable à éviter toute mise en contact des deux produits et ce quelque soit leur état (solide, liquide ou autres...) : si l'on comprend la déposition faite par M. FOURNET au juge d'instruction, le chef du département sécurité de Grande Paroisse partage ce point de vue.
La deuxième réflexion qui vient aussitôt à l'esprit et dont on doit penser qu'elle ne pouvait échapper à la sagacité des chimistes dirigeant l'entreprise... et pas simplement M. BIECHLIN, mais également au directeur industriel, M. PEUDPIECE, et à son adjoint, M. FOURNET, c'est que la caractéristique remarquable de l'hygroscopie du sel qu'est le nitrate d'ammonium devait logiquement conduire à éviter toute possibilité de prise d'humidité du produit. La question de l'humidité du bâtiment 221 a été posée lors des débats aux prévenus sans réponse claire à ce sujet ; le réexamen attentif de l'étude de dangers du bâtiment I4 atteste que ce point était également mis en exergue par l'exploitant. Rappelons que cette étude soulignait l'opportunité de maintenir sec le nitrate d'ammonium afin d'éviter les interactions avec d'autres produits ou matériaux susceptibles d'entraîner une décomposition. Ce point a été manifestement complètement perdu de vue au bâtiment 221, qui non seulement n'était pas chauffé mais était ouvert à tous vents (d'autan) et plaçait, de fait, le box en capacité d'interagir

avec tout produit déversé à son contact.


En d' autres termes, et à la lecture de cette étude de dangers concernant I4, la présentation faite par M. LATTES devant le tribunal sur les conditions d'interaction de deux composés chimiques, d'ordre général, s'avère caricaturale au vu des éléments du dossier :

1) le NA est hygroscopique,

2) le sol du box du 221 présente une couche de NA humide.
Quand on fait le rapprochement entre ces deux études de dangers, on ne peut qu'observer que la société GP disposait des éléments de réflexion de base qui aurait dû éviter la survenance de la catastrophe telle que la conçoit le juge d'instruction : il faut éviter toute mise en contact des produits chlorés et azotés incompatibles (étude ACD), dont l'un, le dérivé chloré peut décomposer au contact d'humidité (étude ACD) et le second, a cette capacité hygroscopique qui

facilite l'interaction (étude I4), sans s'intéresser à l'état solide ou non des deux produits.


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