L'abbé Jules



Yüklə 0,63 Mb.
səhifə4/7
tarix07.01.2022
ölçüsü0,63 Mb.
#79483
1   2   3   4   5   6   7
Le curé lui d’manda

Lari ra

Le curé lui d’manda :

Qu’as-tu sous ton jupon,

Lari ron

Qu’as-tu sous ton jupon ?

– Mon oncle !... mon oncle ! implorai-je... parlez-moi, regardez-moi...

Il continua, plus faiblement, sans bouger, tandis que sa main hachait la toile, ainsi qu’une patte de crabe :

C’que j’ai sous mon jupon

Lari ron

C’que j’ai sous mon jupon,

C’est un p’tit chat tout rond

Lari ron

C’est un p’tit chat tout rond.

Puis, il s’endormit d’un sommeil douloureux, coupé de réveils brusques et de sanglots.

En proie à une surexcitation extraordinaire, il passa une nuit mauvaise. La fièvre redoubla. Son cœur battait ainsi qu’une horloge dont le ressort se détraque ; il semblait que la vie se dévidait en un bruit de sonnerie affolée. Le délire mettait en son regard une démence terrible, en ses gestes une hallucination de meurtre. Mon père qui le veillait, aidé de Madeleine, eut beaucoup de difficultés à le contenir. Il voulait se lever, poussait des cris sauvages, tentait de se ruer contre un être imaginaire qu’il voyait et dont il suivait les mouvements désordonnés, avec une fureur croissante, de minute en minute. Il croyait que c’était le curé Blanchard.

– Tu guettes mon âme, bandit, hurlait-il... tu ne veux pas qu’elle s’éparpille dans les choses, voleur... qu’elle soit heureuse... Mais tu ne l’auras point... Elle est là (il montrait sa gorge serrée par un étranglement) ; elle est là... Elle me fait mal, elle m’étouffe... Pourtant, je ne la cracherai pas... Va-t’en... va-t’en !...

Et comme mon père, se penchant au-dessus de lui, essayait de le calmer.

– Chasse-le donc ! ordonnait-il... maintenant il s’accroche à la corniche, ses ailes étendues, toutes noires... Ah ! le voilà qui vole... qui vole... le voilà qui bourdonne... le voilà !... tue-le... Ah ! tue-le donc !... Tiens... il se cache sous mon lit, il le soulève, il l’emporte... Ah ! tue-le donc !... tue l’infâme curé.

Dans un autre moment, il pleurait, et, tout épeuré il se blottissait sous les draps, en un coin du lit, comme un petit enfant.

Vers le matin, il s’apaisa. Aux agitations de la nuit succédèrent un morne abattement, une prostration lourde de son cerveau et de son corps. Pendant trois heures, il sommeilla, secoué de soubresauts nerveux, sa pauvre tête hantée de cauchemars effrayants qui lui arrachaient des cris d’épouvante. En se posant sur nous, dans les interruptions de l’assoupissement, ses prunelles avaient des profondeurs d’abîme, et cette inquiétante, effarante, accablante fixité du mystérieux regard des bêtes qui viennent de mourir. Elles ne reflétaient plus rien de vivant sur leur convexité vitreuse, plus rien de la vie ambiante, plus rien de la vie intérieure. Et les paupières agrandissaient démesurément, autour de ces prunelles mortes, vides de lumière, leur orbe inerte et pâle. Un instant, il parut me reconnaître ; mais ce ne fut qu’une lueur passagère qui s’éteignit aussitôt...

– Mon oncle ! dis-je, mon oncle, je suis Albert... votre petit Albert... ne me voyez-vous pas ?...

Il continua de me regarder fixement et d’une voix douloureuse, sans articuler les paroles qui tombaient de ses lèvres, ainsi que des sanglots, il chantonna :



C’que j’ai sous mon jupon

Lari ron

C’que j’ai sous mon jupon...

À partir de ce moment, le cousin Debray ne se promena plus dans le jardin. Il restait dans la bibliothèque, l’oreille aux écoutes, apparaissant dans le couloir, au moindre bruit venu de la chambre. Chaque fois que mon père ou que ma mère sortaient, il était là, toujours devant eux, en face de la porte, les paupières bouffies, l’œil soupçonneux :

– Eh bien ?... Ça va toujours plus mal ?

– Plus mal, oui !

– Ah !... vous savez, il faudra mettre les scellés partout !

Chaque matin, la Poule lui apportait une bouteille de cidre, un pain de trois livres, des tranches de viande froide. Il mangeait dans la bibliothèque ; il y dormait aussi, la nuit, allongé dans le grand fauteuil de mon oncle, se réveillant toutes les heures, pour venir écouter à la porte, et se rendre compte des progrès de la maladie. Un soir, il eut avec ma mère une dispute qui commença très bas, s’éleva peu à peu, au ton violent de la colère et de la menace. Le capitaine disait :

– Vous savez... Il faudra mettre des scellés partout !

Et ma mère, impatientée de cette phrase qui revenait à tout propos, répondait :

– Qu’est-ce que cela vous regarde ?... D’abord, pourquoi êtes-vous ici, vous ?

– Pourquoi ! nom de Dieu ?... Pourquoi ?... Pour vous empêcher de voler, d’emporter les affaires chez vous.

– Moi ?... moi ?... criait ma mère... c’est vous qui fouillez dans les tiroirs !... c’est vous qui êtes un voleur... Que faites-vous ici ? vous n’êtes que son cousin !...

– Il manque de la vaisselle, de l’argenterie... Je vais prévenir le commissaire de police.

– Moi, je vous ferai jeter dehors par les gendarmes.

Il fallut que mon père vînt imposer silence au capitaine, qui se disposait à épuiser la série de ses jurons.

À mesure que l’état de mon oncle s’aggravait, le cousin Debray se faisait plus insolent, il était d’une méfiance hargneuse de garde-chiourme. Il surveillait mes parents, descendait aux plus bas espionnages, ne dissimulait point ses espérances cyniques. Toujours il grognait :

– Faudra qu’on mette les scellés, nom de Dieu !... Je suis sur le testament... Vous n’y êtes pas, vous autres... L’abbé se foutait de vous, nom de Dieu !

Il jugea même que la bibliothèque était trop éloignée de la chambre du moribond. Il installa le grand fauteuil dans le couloir, et c’est là qu’il passa, désormais, ses journées et ses nuits, en faction, l’âme réjouie par les plaintes, par les râles, par les halètements qui lui arrivaient du lit de douleur où mon oncle agonisait d’une épouvantable, hallucinante agonie. Nous l’entendions marcher, cracher, et jurer :

– Nom de Dieu ! faudra qu’on mette les scellés !

Un dimanche matin, je me rappelle, mon père et ma mère s’étaient absentés pour aller à la première messe de Viantais. Madeleine et moi nous veillions mon oncle. Depuis huit jours, il n’avait retrouvé sa raison que deux ou trois fois, – un éclair vite disparu. Et dans les courtes haltes de son intelligence, battue par toutes les suppliciantes folies de la fièvre, rien n’était plus douloureux que de l’entendre dire :

– Je suis content... je suis content de mourir si tranquille !... Quelle douceur de descendre ainsi bercé sur le grand lac de lumière... Pourquoi ne me fais-tu plus la lecture, mon petit Albert ?... Quand je dors, cela me charme... cela chasse la fièvre... Lis-moi un peu de Lucrèce !...

Son délire, durant les nuits mauvaises, avait eu, à plusieurs reprises, un caractère d’érotisme, d’exaltation sexuelle d’une surprenante et gênante intensité. Comme à l’époque de sa fièvre typhoïde, il avait prononcé des mots abominables, s’était livré à des actes obscènes. En ces moments-là, ma mère n’osait plus s’approcher du lit, dans la crainte d’une attaque imprévue, d’une brusque étreinte impudique, dont elle avait eu une fois beaucoup de peine à se dégager. L’abbé l’avait prise à la taille, l’avait attirée brutalement vers lui, et elle avait senti sur les lèvres l’haleine empestée et brûlante du fiévreux. Ce dimanche-là, il n’y avait pas une demi-heure que nous étions seuls, dans la chambre, Madeleine et moi, quand l’abbé, rejetant loin de lui draps et couvertures, se dressa devant nous, tout à coup, en une posture infâme ; puis, avant qu’il nous eût été possible de l’en empêcher, il quitta le lit, et, trébuchant sur ses longues jambes décharnées, la chemise levée, le ventre nu, il alla se blottir en un coin de la pièce. Ce fut une scène atroce, intraduisible en son épouvantante horreur... Ses désirs charnels, tantôt comprimés et vaincus, tantôt exacerbés et décuplés par les phantasmes d’une cérébralité jamais assouvie, jaillissaient de tout son être, vidaient ses veines, ses moelles, de leurs laves accumulées. C’était comme le vomissement de la passion dont son corps avait été torturé, toujours... La tête contre le mur, les genoux ployés, les flancs secoués de ruts, il ouvrait et refermait ses mains, comme sur des nudités impures vautrées sous lui : des croupes levées, des seins tendus, des ventres pollués... Poussant des cris rauques, des rugissements d’affreuse volupté, il simulait d’effroyables fornications, d’effroyables luxures, où l’idée de l’amour se mêlait à l’idée du sang ; où la fureur de l’étreinte se doublait de la fureur du meurtre. Il se croyait Tibère, Néron, Caligula.

– Qu’on les fouette !... qu’on les déchire ! hurlait-il.

De ses doigts recourbés en forme de griffes, il déchirait le vide, s’imaginant qu’il déchirait de vivantes chairs de femme ; ses lèvres s’avançaient en monstrueux baisers, suçant le sang aux plaies ruisselantes et rouges. Et c’était horrible, en cette frénésie paroxyste d’une chair moribonde, de voir ces deux yeux vides, fixes, sans un reflet de lumière et de pensée, ces deux yeux déjà morts qui s’élargissaient dans le cercle des paupières raidies. Enfin il tomba durement sur le parquet, et ses mains, autour de lui bondissantes et tâtonnantes, cherchèrent des proies d’amour.

Pétrifié d’abord par la terreur, je ne remuai point. Les idées en déroute, les membres rompus, avec cette sensation que je venais de descendre subitement dans un coin de l’enfer, j’aurais voulu m’enfuir. Une pesanteur douloureuse me retenait là, devant ce damné, lamentable et hideux. Cependant, lorsque je vis tomber mon oncle, je poussai un cri, appelai à l’aide le cousin Debray qui montait sa faction dans le couloir. L’abbé se laissa prendre sans résistance.

– C’est cela ! dit-il... Je vais dormir !...

Recouché, il eut de petits sanglots, de petites plaintes, au milieu desquels je distinguai l’air de la chanson qui revenait, dans son délire, comme une ironique et mélancolique obsession :




Yüklə 0,63 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   2   3   4   5   6   7




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©muhaz.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

gir | qeydiyyatdan keç
    Ana səhifə


yükləyin