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Section 2 : Un phénomène national ?



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Section 2 :
Un phénomène national ?


La bibliographie disponible, la plus visiblement en rapport avec notre sujet, suggère, en première lecture, que la plupart des démocraties industrialisées sont confrontées à un développement des AGC. Les terminologies varient mais semblent renvoyer à des faits suffisamment similaires pour être comparés. En Allemagne, le débat porte sur les "activités administratives informelles" et, plus généralement sur la "coopération" entre l'Etat et les entreprises1416. La Belgique tente de définir un cadre juridique permettant d'encadrer ces pratiques d'un nouveau genre1417. Aux Etats-Unis la "régulation négociée" a fait récemment l'objet d'une législation spécifique1418. Au Canada, les autorités expérimentent de nouvelles formes partenariales notamment pour l'aménagement du territoire1419. En Grande-Bretagne, les gouvernants britanniques utilisent différentes formes de pression pour susciter des négociations plus ou moins contraignantes pour les industries et l'on parle d'"Etat contractuel"1420. Le Japon connaît depuis vingt ans des "incitations administratives" ou "directives administratives", sans force juridique, utilisées dans les politiques économiques1421. Aux Pays-Bas, des conventions d'un nouveau genre suscitent de multiples débats et controverses1422. Une étude internationale conduite par l'OCDE montre également la généralisation des "accords volontaires" (volontary agreements)1423. Ces travaux pourrait conduire à considérer le phénomène partenarial comme une réalité sociologiquement normale présente dans tous les pays ou presque.

Cependant ces études, focalisées sur les pratiques administratives et les techniques de management publique sont affectées d'une faiblesse méthodologique : faute de comparer des configurations, elles prêtent peu d'attention aux contextes sociétaux plaçant ainsi sur un même plan des réalités très différentes. Pour le montrer, il suffit de comparer des politiques similaires aux Etats-Unis et en Allemagne.

Les AGC passent parfois en Allemagne pour une invention américaine : C. Guzy, étudiant les nouvelles formes de négociation (Verhandlung) et de conciliation (Vermittlung) qu'il réunit dans la notion de "médiation", considère que "le concept de médiation a été importé des Etats-Unis"1424. Cette interprétation est largement partagée en Europe où les chercheurs, s'appuyant sur les vélléïtés américaines de "régulation négociée" (Regulatory Negociation, dite "Reg Neg") et de "résolution alternative des conflits" (Alternative Dispute Resolution, dite "ADR") croient apercevoir une transformation historique du droit au regard de laquelle l'Europe serait à la traîne des Etats-Unis1425. Paradoxalement, le même discours est tenu aux Etats-Unis. Les contempteurs américains de l'"adversarial legalism" ne cessent de se réfèrer à des modèles européens pour stigmatiser la situation américaine, illustrer les vertus des régulations négociées et suggérer des réformes aux Etats-Unis. Cet écart allégué entre les deux continents est même parfois érigé en postulat : "Les comparaisons internationales des régulations sur l'environnement, la santé et la sureté ont identifié des “styles nationaux de régulation”, avec un contraste marqué apparaissant entre le style conflictuel des Etats-Unis et les approches plus coopératives qui prévalent en Europe de l'Ouest et au Japon."1426.

Au regard de ces points de vue contradictoires, il semble difficile de se prononcer sur l'étendue internationale du phénomène. Mais cette difficulté est en partie liée à l'imprécision des concepts utilisés. Si l'on retient ceux d'AGC et de phénomène partenarial, des contrastes apparaissent entre ces deux pays. Cette approche montre que le phénomène partenarial n'est ni inhérent à tout système de gouvernement ni spécifique aux configurations françaises de politiques publiques. Certaines politiques américaines illustrent ainsi l'existence possible d'un système de gouvernement très différent (§ 1). Comparativement, celles conduites en Allemagne, dans les mêmes secteurs, donnent lieu à une prolifération des AGC caractéristique du phénomène partenarial et surtout à une très forte et récente exposition publique de certaines activités conventionnelles justifiées par le "principe de coopération" (§ 2).


§ 1 - Des obstables à la proliferation des AGC aux Etats-Unis


La plupart des études disponibles sur le sujet convergent et montrent que les politiques américaines demeurent pronfondément marquées par "l'adversarial legalism" qui prend forme dans un système juridique laissant peu de place au droit non-directif observé en Europe et dans un contexte culturel valorisant la compétition des intérêts particuliers. Le phénomène partenarial trouve ainsi peu d'ancrage dans ce pays et les tentatives pour y introduire des politiques partenariales ("regulatory negociations") demeurent non seulement marginales mais sont de surcroît tenues en échec par la fréquence et le caractère déstabilisant des recours judiciaires. Les études consultées permettent de valider et prolonger la comparaison engagée par J.G. Padioleau entre "l'“incrémentalisme” européen et le dogmatisme américain." : "Faut-il surprendre ? Cette stratégie de l'accomodation s'oppose en définitive aux pratiques en vigueur outre-Atlantique."1427 Avec plus d'une décennie de décalage, l'observation peut être confirmée, précisée et complétée : le rôle prépondérant du système judiciaire laisse à ceux qui peinent à y accéder, du fait des inégalités sociales, le poids des "déficits de mis en oeuvre" (Implementation gap).
A - Le droit central et détaillé de "l'adversarial legalism"

L'étude de R. Brickman, S. Jasanoff et T. Ilgen1428, et celle de D. Vogel1429 permettent de couvrir un éventail assez large d'enjeux : la pollution atmosphérique, la qualité des eaux, le contrôle des médicaments mis sur le marché, les politiques relatives aux produits chimiques (notamment cancérogènes), la protection des consommateurs. L'analyse de D. Vogel fait ressortir, dans le sillage des travaux impulsés par J.J. Richardson1430, l'existence d'un style américain des politiques publiques qu'il compare au style observable au Royaume-Unis : "le système britannique, marqué par le secret, l'informel et l'accomplissement volontaire (volontary compliance), a prouvé qu'il n'était pas plus efficace pour contrôler les externalités associées à la croissance industrielle que le style de régulation, plus ouvert, légaliste et conflictuel adopté aux Etats-Unis."1431 Si l'on écarte provisoirement la question de l'efficacité, cette étude montre que les "lois et régulations" américaines sont plus abondantes, détaillées et contraignantes que le droit positif britannique. R. Brickman, S. Jasanoff et T. Ilgen aboutissent pour leur part à la même conclusion et la généralisent en opposant la situation des Etats-Unis à celle de trois autres pays : l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne : "la formulation américaine [des lois] est significativement plus ambitieuse et plus détaillée. (...) Par contraste, les législations européennes esquissent des objectifs beaucoup plus modestes et laissent les fonctionnaires libres de faconner leur propre approche procédurale de production normative (rule making)."1432 Cet écart suggère que le contexte américain devrait être relativement réfractaire à l'émergence des AGC et, par suite, au phénomène partenarial.

Les observations précédentes sur le droit américain (pour l'environnement, la consommation et la santé publique), son degré d'élaboration, son caractère très détaillé et contraignant pour les entreprises amène à penser que celles-ci sont, comparativement, moins influentes que leurs homologues européennes sur l'élaboration du droit positif. Constat paradoxale, puisqu'il concerne un pays réputé connaître, depuis longtemps, un système politique capitaliste dominé par le Business. Ce constat n'est cependant pas nécessairement contradictoire avec les modélisations existantes des relations entre les autorités publiques américaines et les groupes d'intérêts. Le phénomène de l'"agency capture", conceptualisé par G. Mc Connel en 19661433, décrit la situation d'Agences fédérales placées sous la dépendance des représentants d'activités privées qu'elles ont en charge de réguler. Cependant, la prédominance d'un groupe socio-professionnel, n'interdit pas les présence de groupes concurrents ; tout est affaire de degrés et de comparaison internationale : les associations de protection de l'environnement ou de défense des consommateurs sont plus puissantes aux Etats-Unis qu'elles ne le sont en Allemagne1434, et dans le reste de l'Europe. Les théorisations américaines les plus récentes font d'ailleurs un usage plus gradué du concept d'"agency capture" : les chercheurs tentent d'isoler des variables permettant d'évaluer des degrés d'autonomie ou d'indépendance des Agences1435. Le même constat peut être fait au sujet du "triangle de fer" (iron triangle) que décrivait T. Lowi en 19641436, dans le domaine de l'agriculture, marqué par la symbiose l'Agence administrative, la Commission du Congrès et le groupe d'intérêt. Sans rompre avec cette approche, G. Jordan, comparant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, constate dix ans plus tard, que le fer du triangle, aux Etats-Unis, soit s'est assouplit au cours du temps, soit est plus souple que cela n'avait été estimé intialement1437.



Qu'elle l'ait toujours été ou qu'elle le soit devenue, la représentation politique des intérêts particuliers dans le processus de formation des politiques américaines est donc nettement plus concurrentielle qu'en Europe. Les lobbies participant à l'élaboration des législations sont multiples et variés ce qui ne signifie pas qu'ils soient égaux en ressources (le Business reste prédominant) ni représentatifs de la totalité des intérêts sociaux. La compétitivité des groupes challengers constitue un paramètre important pour l'élaboration du droit américain dans ces domaines1438. Mais d'autres variables peuvent intervenir : en situation d'opposition entre le Congrès produisant la législation et la Maison Blanche désignant les responsables d'Agences fédérales, l'activité des parlementaires se caractérise par une certaine défiance vis à vis de cette dernière et se traduit par un renforcement législatif des ambitions et des contraintes inscrites dans le droit, par l'édiction également de normes dont le respect est susceptible d'être contrôlé par des tribunaux, réduisant d'autant les marges de manoeuvre et de négociation de l'Agence. Le processus de formation du droit américain et de sa mise oeuvre prend place dans un "carré" institutionnel reliant le Congrès, la Maison Blanche, l'Agence fédérale et le système judiciaire. Sur chacun de ces pôles s'exercent des pressions contradictoires et essentiellement conflictuelles1439. Les tribunaux, enrôlés dans la configuration par un Congrès puissant, interviennent à la fois en ce qui concerne la production du droit - toute norme édictée pouvant être déférées devant eux pour vice de procédure - et dans son application : la judiciarisation de la société américaines permet au juge de combler systématiquement les espaces vides du droit positif. Ce système rend ainsi extrêmement fragile toute AGC associant une Agence et un ou des groupes particuliers puisque tout accord de ce type peut être subverti par le recours judiciaire d'un tiers-exclu.
B - La valorisation sociale de la conflictualité politique

C.E. Lindblom1440, à juste titre, met en garde contre la tentation du "wishfull thinking" qui affecte certains auteurs, dans le sillage de A. Bentley ou D. Truman, tendant à réïfier la norme politique des "checks and balances" : de toute évidence les groupes d'intérêts ne sont pas égaux du point de vue de leur capacité à peser sur les processus décisionnels. Tous les individus, groupes ou catégories sociales ne sont pas en situation d'égalité pour faire valoire leurs intérêts sur ce grand marché que constitue un système de représentation politique fondé sur le lobbying. L. Cohen-Tanugi fait la synthèse d'observations accumulées de longue date en signalant "la sur-représentation du Big Business, et dans une moindre mesure des syndicats relativement puissants, au détriment des minorités et des groupes d'intérêts dépourvus de ressources financières ou de poids politique suffisants (consommateurs, écologistes, minorités éthniques, catégories défavorisées)."1441

Cependant, ces derniers ont des possibilités d'accès au processus décisionnel qu'ils n'ont pas en Europe. Ne s'agirait-il que d'idéologie aveuglante ? Certains sociologues, qui ne semblent guère pouvoir en être victimes, ont qualifié certains systèmes de gouvernement européens de "néo-corporatiste"1442 ; or, ces auteurs, ont toujours exclu les Etats-Unis du domaine empirique décrit par ce modèle y compris dans ses formulations les plus graduées1443. Par ailleurs, les politiques américaines de l'environnement (au sens le plus large) décrites par le modèle des "Advocacy Coalitions"1444 de P. Sabatier, - modèle contrôlé par un très grand nombre de chercheurs - mettent en scène, schématiquement, deux coalitions (économique et environnementale) relativement équilibrées dans leur confrontation, équilibre bien difficile à retrouver dans les configurations allemandes ou françaises des politiques de l'environnement. Figure typique des institutions américaines et tout aussi difficile à identifier en Europe, les "brokers" sont définis, dans ce modèle, comme des agents de l'Etat (fonctionnaires notamment...) soucieux essentiellement de trouver des compromis entre les lobblies concurrents et de traduire ces compromis en règles de droit. Les études comparatives déjà citées de D. Vogel d'un part et R. Brickman, S. Jasanoff et T. Ilgen d'autre part, insistent sur les possibilités beaucoup plus importantes qu'ont les groupes d'intérêts challengers (environnementalistes, consommateurs...) d'influer sur la production normative à Washington que dans les capitales européennes.



Même si elle peut biaiser certaines descriptions des réalités américaines, force est de constater que la norme politique des "checks and balances" nous éloigne singulièrement de celles qui président à l'instauration d'un système de gouvernement partenarial. Bien loin de faire l'apologie du système américain, certains chercheurs spécialisés dans l'étude du "management public" dénoncent le caractère constamment conflictuel des processus de régulation aux Etats-Unis et pronent des démarches nouvelles (partenariales) dont ils trouvent des illustrations à l'étranger, notamment en Europe. "Comparées aux autres démocraties économiquement avancées, observe R.A. Kagan, les Etats-Unis sont les seuls à prôner un mode de formulation et de mise en oeuvre des politiques publiques conflictuel [adversarial] et légaliste [legalistic], façonné par les interventions de l'appareil judiciaire."1445 S. Kelman insiste sur ce point : "Comparé aux autres sociétés, les Etats-Unis font un usage inhabituellement extensif des institutions conflictuelles [adversary institutions]. Nous sommes particulièrement tentés de porter le conflit, tant privé que public, devant la cour. Nous calquons la production administrative de normes et les auditions parlementaires sur le modèle de la confrontation judiciaire [the adversary trial]."1446 Politiquement très éloignés des auteurs précédents, le mouvement communautariste américain propose sa "solution communautaire" notamment en alternative au système en place de la résolution judicaire et pénale des conflits : les "communautés de quartier" se présentent ainsi comme des instances de médiation offrant une alternative conviviale pouvant éviter le recours à la police et à la justice1447. Quels que soient les a priori de ces auteurs, défavorables à la conflictualité, leurs observations recoupent exactement, sur ce point, les constats faits par d'autres, nettement plus admiratifs de la société américaine, depuis A. De Toocqueville1448 jusqu'à L. Cohen-Tanugi1449. Négativement ou positivement, les uns et les autres mettent en évidence la prédominance de normes sociales valorisant la conflictualité politique et judiciaire dans les configurations américaines et situant celles-ci aux antipodes du système de gouvernement partenarial.
C - Marginalité et mise en échec des AGC

Les normes sociales, juridiques et extra-juridiques, qui caractérisent les configurations américaines de politique publique permettent de comprendre en retour le caractère très marginale des expériences de politiques partenariales connues sous le nom de "regulation négociée". Lors d'un colloque, R.B. Stewart fut amené à exposer la situation américaine en ce qui concerne les AGC observées en Europe : "Il n'y a pas eu d'utilisation aux Etats-Unis des contrats et conventions relevant du modèle de la Convention relative à l'industrie metalurgique de base [Pays-Bas], par laquelle les autorités gouvernementales et l'industrie concernée passent un accord qui les lie et précise des limitations déterminées de pollution venant compléter ou se substituer à d'autres sortes de prescriptions en vigueur. (...) des contrats et conventions pour l'environnement tels que ceux actuellement développés en Europe n'ont absolument pas été expérimentés aux Etats-Unis""1450 Cherchant à interpréter cette différence frappante, l'auteur évoque plusieurs obstacles à l'apparition de telles conventions : l'attachement américain à la procédure de production normative (rule of law), la défiance du public à l'égard des "deals" entre le gouvernement et l'industrie concernée et surtout l'aptitude des environnementalistes ainsi que des tiers se constituant partie civile (third party plaintiffs) à récuser judiciairement non seulement l'adhésion du gouvernement à de tels accords mais aussi les échecs ou manquements dans la mise en oeuvre de ces accords dès lors qu'ils interviendraient en lieu et place de prescriptions par ailleurs applicables. Il observe également qu'a défaut de traditions corporatistes, les organisations patronales seraient peu crédibles quant à leur capacité à imposer le respect de l'accord à leurs adhérents1451. Dans un tout autre secteur de politique publique, celui de la gestion des personnels administratifs, G. Peters - là encore dans le cadre d'un colloque européen - fait une présentation allant dans le même sens : "La prédominance générale du secteur privé sur la culture politique, particulièrement celle des Etats-Unis, aurait pu être considérée comme un terreau fertile pour toute technique importée du secteur privé dans l'activité gouvernementale (government). Ce n'est cependant pas le cas, et les Etats-Unis aussi bien que le Canada ont d'une certaine manière impulsé moins d'activités managériales par le contrat que la plupart des autres démocraties industrialisées."1452

Les "regulatory negociations" (dites "Reg Neg") sont pourtant apparues, au début des années 1980 pour établir les horaires des pilotes de l'aviation civile tout en tenant compte de contraintes liées à la sécurité. Elles ont ensuite été développées dans les secteurs des politiques de l'environnement, des politiques de la santé et également en matière de contrôle des produits alimentaires et pharmaceutiques. Cette démarche concerne essentiellement les Agences administratives fédérales (Federal Aviation Administration ; United States Environmental Protection Agency ; Occupationnal Safety and Health Administration ; the Food and Drug Administration...). Telle qu'elle est décrite par E. Eisner1453, la régulation négociée ressemble beaucoup à ce que l'on pu observer lors de la première phase de formation de la politique partenariale "Semeddira" (Cf.: chapitre 1) avec cependant une différence notable : elle fait l'objet d'une formalisation juridique - le "Negociated Rulemaking Act" du 23 janvier 1990 - qui définit des règles de procédure. Cette démarche accorde un rôle prépondérant à l'Agence administrative, tenue a priori pour neutre, et définissant la liste des intérêts concernés qui seront représentés dans un Advisory Committee, sorte de comité de pilotage comparable à certaines AGC de catégorie n°2 observées en France. Le processus s'accompagne d'un vaste programme de communication publique destiné à amener le public à faire des observations ou critiques sur les décisions allant être prises. L'Agence administrative (qui dispose de pouvoirs de réglementation) peut à tout moment édicter les conclusions de ces négociations sous forme de normes juridiques : l'Etat valide ainsi des accords négociés en leur donnant autorité (AGC cat. n°6).

J. De Munck et J. Lenoble ont accordé une attention particulière à l'introduction des "regulatory négociations" aux Etats-Unis. Ils y voient le signe d'une transformation sans précédent : "cette transformation de la politique administrative américaine engage un métamorphose des conceptions classiques du droit."1454. Ces auteurs, comme d'autres en Europe, ont probablement surestimé l'ampleur du phénomène : la "régulation négociée" ressemble davantage, comme le mouvement communautariste, à un appel minoritaire à réformer un système de gouvernement fondamentalement réfractaire au phénomène partenarial. Les études américaines suggèrent, en effet, que la transformation reste très marginale et que la formule s'adapte au climat américain. Par exemple, avant de présenter quelques cas de "regulations négociées", R.B. Steward rappelle les caractéristiques générales des politiques américaines fondées sur la confrontation concurrentielle de groupes d'intérets multiples, sur l'édiction de règles juridiques détaillées et contraignantes et sur le rôle primordial des tribunaux dans la mise en oeuvre de ces politiques : "la majeure partie des contrôles de pollution et des régulation de déchets toxiques par l'Agence fédérale de protection de l'environnement sont développées par la voie d'un processus formalisé de production normative [formalized rulemaking process]"1455. L'auteur indique également que la plupart des règles édictées par l'Agence sont attaquées devant des Tribunaux qui trouvent très fréquemment des vices de procédure ce qui rallonge considérablement les délais d'intervention publique. C'est notamment pour raccourcir ces délais que certains acteurs américains souhaitent développer les "regulatory negociations" : ils espèrent créer ainsi ex-ante un consensus réduisant ex-post les recours judicaires De ce point de vue l'expérience semble vouée à l'échec: il se trouve toujours, note R.B. Stewart, des "non-participants" pour intenter un procès contre les décisions ainsi produites. En outre, les "tiers-exclus" pouvant aisément intenter des procès, ils restent présents à l'esprit des négociateurs comme risques permanents de contestation judiciaire ultérieure des accords passés La marginalité des régulations négociées tient ainsi à leur faible efficacité pour légitimer les consensus partiels qu'elles permettent de produire.

Ironie du sort, la "Reg Neg" ne semble être "efficace" que lorsqu'une norme juridique a déjà été édictée par l'Agence administrative et que celle-ci est attaquée devant un tribunal... alors que la démarche visait essentiellement à éviter ce résultat. La négociation prend alors la forme d'une conciliation préalable dont on sait qu'elle constitue une phénomène généralisé aux Etats-Unis : dans la plupart des affaires pénales, par exemple, la résolution judiciaire des conflits passe par une conciliation préalable ratifiée in fine par la sentence arbitrale 1456, Les "Reg Neg" échouent ainsi dans leur tentative d'éviter les procès mais aussi dans celle de raccourcir les délais d'intervention publique. La politique américaine de réhabilitation des sites contaminés par l'industrie ("Comprehensive Environmental Restoration, Compensation and Liability Act" dite CERCLA ou encore "Superfund Law"), après de multiples péripéties, fut conduite dans une optique d'efficacité destinée à contraindre les multiples parties concernées (propriétaires de terrains, utilisateurs de la décharge, producteurs de déchets, transporteurs de ces déchets...) à assumer leurs responsabilités financières pour réhabiliter les sites. La démarche suivie est destinée non pas à produire des normes impersonnelles mais des décisions individuelles : les américains parlent symptomatiquement d'"Alternative Dispute Resolutions" (dites "ADR"). Or l'alternative reste très conjecturale. Le "Superfund" est un un échec retentissant ("superfailure"), selon D. Mazmanian et D. Morel1457, du fait notamment des délais considérables pour aboutir à une décision collective impliquant plusieurs centaines ou milliers de personnes physiques ou morales (notamment tous les producteurs ayant pu déposer des déchets sur le site) : les difficultés concernent la définition des critères et degrés d'assainissement des sites (degrés de "propreté" à atteindre), le partage des responsabilités financières et la conception des liens entre cette politique et la politique générale de gestion des résidus industriels dangereux. L'étude d'un cas d'"Alternative Dispute Resolution" tentée à New-York à la fin des années 1980 est tout à fait révélatrice : la politique visait à associer "toutes" les parties concernées par la répartition des coûts et les dédommagements, en évitant de recourir à la voie judiciaire dont l'issue semblait incertaine aux autorités. Cette politique échoue, ce qui n'a rien d'exceptionnel1458, et les diagnostics récents1459 mettent en évidence, parmi les multiples facteurs d'échec, l'importance de la contrainte exercée par les "tiers-exclus" : les négociateurs sont peu enclins à faire des concessions alors que la contrepartie souhaitée (absence de recours judiciaires contre-eux) ne peut pas être garantie.


D - Le"déficit de mise en oeuvre" comme reflet des inégalités sociales

L'obstacle principal rencontré par les autorités américaines sur la voie des "regulatory negociations" est toujours celui des "tiers-exclus" recourant efficacement aux instances judiciaires pour faire échouer la démarche. Ce "grain de sable" que le système juridique américaine ne permet pas de l'exclure complètement amène le juge à sanctionner les "distorsions de représentation". Celles-ci en effet ne sont pas étrangères aux systèmes de gouvernement américains précédemment évoqués. Mais elles apparaissent sous des formes distinctes de celles observables en France ou en Allemagne. Elle sont liées au rôle des recours judiciaires dans la mise en oeuvre des politiques publiques, au caractère inégalitaire de l'accès au prétoire, malgré les tentatives pour réduire ces inégalités.

Les régimes juridiques américains de protection de l'environnement sont certes beaucoup plus ambitieux, détaillés et contraignants qu'en Europe, mais cela n'aboutit pas, constate D. Vogel1460, à des résultats nettement supérieurs en ce qui concerne la dépollution ou la réduction des nuisances. Ce paradoxe s'explique par l'importance des "déficits de mise en oeuvre" (implementation gap) particulièrement récurrents et sur lesquels les spécialistes américains de l'analyse des politiques publiques se sont focalisés depuis plusieurs décennies. Dans un étude célèbre de 1973, J. Pressman et D. Wildavsky montraient que, lorsque l'on passe du programme élaboré à Washington à sa mise en oeuvre dans une localité quelconque, rien ne se passe comme prévu1461. Dans la plupart des politiques relevant du domaine de l'environement industriel, le processus initial de décision est très centralisé : le domaine relève exclusivement de compétences fédérales. Cependant les autorités fédérales américaines ne peuvent pas disposer hiérarchiquement des moyens administratifs des Etats fédérés et l'Agence fédérale est très faiblement dotée en personnel susceptible d'effectuer des contrôles sur le terrain. Ceux-ci, qui ne peuvent être que ponctuels, sont suscités par des réclamations individuelles ou par des instances judiciaires saisies par des acteurs. L'effectivité de la mise en oeuvre des prescriptions réglementaires imposées aux firmes industrielles repose donc essentiellement sur l'action des citoyen ordinaires et groupes locaux qui saisissent les instances judiciaires (souvent pour obtenir une conciliation préalable rémunératrice). Dans ce contexte, la position économiquement rationnelle de l'industriel consiste à minimiser ces coûts de dépollution tant qu'ils ne leurs sont pas imposés par la menace potentielle (variable selon les sites) ou la contrainte effective d'une procédure judiciaire directement intentée contre eux. On comprend dès lors l'extrême irrégularité territoriale observée par D. Vogel, dans la mise en oeuvre des politiques américaines. R. Brickman, S. Jasanoff et T. Ilgen font la même observation : les ambitions affichées par les régimes juridiques semblent aussi importantes que la mise en oeuvre de ces régimes est territorialement disparate1462.



Or ces inégalités territoriales sont étroitement corrélées aux inégalités sociales qui affectent l'accès aux instances judiciaires et ceci malgré les dispositifs juridiques prévus pour faciliter cet accès aux plus démunis et protéger les droits de la défense. Ce n'est sans doute pas un hasard si les chercheurs américains sont les seuls à avoir développer la problématique du "racisme environnemental" et, plus généralement, celle de "l'équité" (ou plutôt de l'inéquité) en liaison avec ces politiques1463. De nombreuses études, très sérieusement étayées sur le plan statistique, ont mis en évidence une forte corrélation entre les caractéristiques ethniques et sociales des populations et la localisation des implantations d'installations industrielles polluantes ou dangereuses1464. Les consultants privés conseillant les firmes industrielles dans leurs stratégies d'implantation d'une part, et les chercheurs en sciences sociales d'autre part, constatent aussi qu'il est plus aisé d'implanter de telles installations dans des zones où les populations appartiennent aux catégories sociales disposant de moins de ressources (instruction, moyens financiers, aptitudes à la contestation...) pour concrétiser leurs oppositions. N. Tsao observe que pour les groupes démunis, le refrain du “Not-In-My-Back-Yard” tend à être supplanté par celui du “Always-In-My-Back-Yard1465. Il note aussi que les implantations négociées sur la base de compensations apportées aux populations locales seront plus aisées et / ou moins onéreuses dans des zones défavorisées que dans les autres. M. O'Hare, ardent défenseur des "théories de la compensation" favorables aux politiques partenariales, envisage cette possibilité - les populations nanties sont objectivement en situation d'acheter leur cadre de vie en rejetant sur les régions à population démunie la charge des nuisances - mais la rejette pour son caractère idéologique et conclut par une affirmation non moins idéologique : "Finalement, une bonne raison de ne pas essayer de forcer les riches à vivre près des raffineries ou de protéger les pauves de celles-ci est que, de toutes manières, on ne peut pas le faire."1466 Les politiques d'implantation ne sont pas seules concernées : les mêmes corrélations ont été établies dans le domaine de la politique des Etats-Unis de réhabilitation de sites contaminés : J.H. Hird1467, fait ressortir par des statistiques tout aussi précises et rigoureuses le caractère très discriminant de cette politique tendant à allouer les fonds considérables tendanciellement aux populations dont les niveaux d'instruction sont les plus élevés. La mise en oeuvre des politiques américaines, aussi ambitieuses soient-elles au niveau législatif, reste très faiblement effective et toujours extrêmement disparate sur le plan territorial. Or, là encore, c'est l'aptitude de individus et groupes locaux à se mobiliser qui semble expliquer les discrimination observées. L'accès au prétoire demeure inégalitaire et la mise en oeuvre des politiques publiques fondée sur la judiciarisation de la société crée des inégalités flagrante entre les territoires et entre les territoires.

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