Patrick Micheletti



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- Euh... Avouez que c’est difficile à comprendre...

- Mais il ne s’agit pas de comprendre, s’énerva Simone, il s’agit de croire !

La vache ! Elle est en train de traverser le miroir la fille du boulanger ou quoi? On est en pleine descente aux enfers, Heurteubise !

- C’est la religion du feu du ciel et de la colère de la divinité, s’enflammait Simone. Le maître est descendu tel un ibis gorgé de lumière. Il a creusé la terre avec son bec et fait jaillir une source étincelante. Il fait chanter les fleurs, il parle la langue Adamique d’avant la chute... Le maître enseigne que nos cauchemars sont comme le miroir de notre âme. Ils nous préservent de l’enfer en nous en dévoilant les horreurs, et ils nous guident sur le chemin de la rédemption.

Ca y est, elle pète un plomb la Simone... La tisane fait son effet.

- Ah bon ? M’éttonai-je.

- Oui, c’est vrai, embraya Monique, l’âme prend son envol vers le royaume des astres, nos cauchemars sont comme des portes qui mènent aux caves de notre subconscient...

- Ne vient de nous-mêmes que ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous et que ne connaissent pas les autres, récita Karine en tripotant le flacon bleuté.

- C’est beau ce que vous dites...

- C’est pas de moi, c’est de Marcel. Marcel Proust. Insomniaque et spasmophile au dernier degré. Bourré d’hypnotiques. Un vrai cauchemar. Je crois qu’il se couchait de trop bonne heure...

- Le pauvre, continuait Monique. Notre maître enseigne, je devrais dire enseignait, j’y vais plus, que les cauchemars véhiculent des ondes capables de paralyser le chagrin. D’autres rêves peuvent guérir les blessures de l’âme, ou libérer la circulation de l’énergie dans le corps.

- Paralyser le chagrin ?

- Oui, mais ce n’est pas si simple, il y a un enseignement à suivre, c’est difficile...

- Et... et ça coûte cher ? Demandais-je.

- Non, non... Pas vraiment... Enfin, on donne ce qu’on veut... Le maître dit que nos dons sont proportionnels à notre niveau de compassion et d’amour.

- Il dit ça, le maître ?...

- Oui. Chacun fait selon ses moyens et son degré de motivation dans sa quête de la divinité... Cela porte la vie vers les sphères de l’invisible, entre la lune et les étoiles, là où l’on peut accéder au temple...

- Le temple ?

- Le temple de la sagacité éternelle, oui, la terrasse de la dernière vision, de l’ultime lumière... On ne peut l’atteindre qu’en rêve, mais on n’y est jamais seule, on y retrouve les autres disciples…

- Ah bon, vous me rassurez, mais encore ?

Une lueur inquiétante brillait dans les yeux de Monique maintenant. L’étincelle du missionnaire.

- La frontière entre le visible et l’invisible est à l’intérieur de nous, vous savez... Nous sommes la source de nos rêves... Le temple est resplendissant de lumière. Il y a un gardien à l’entrée, il ne laisse passer que ceux qui sont sincères. Il faut entrer à l’intérieur, se diriger vers la piscine sacrée, et s’y plonger pour se laver de ses impuretés. Ensuite on peut se reposer sur un lit de pétales de roses et d’aiguilles de pin. Le maître indique la voie qui permet de descendre à l’intérieur de son moi. C’est un peu comme une échelle de corde, il faut quelqu’un pour la tenir, sinon elle vacille, et on risque de tomber...

- De tomber encore plus bas ? S’étonna Karine, c’est possible ?…

- Comment ça ?...

- Je veux dire... Ca doit faire mal...

- Oui, on peut être détruit intérieurement, comme une sorte de téléviseur qui implose a dit le maître, à cause du vide qui se crée alors à l’intérieur de notre moi...

- Un vide abyssal ?...

- Oui, c’est le mot qu’il emploie aussi pour le décrire. Comment le savez vous ?

- Je me doute, susurra Karine, c’est à la fois abyssal et fascinant...

- Oui, continuait Monique, ce sont des sphères inexplorées, des territoires inconnus de notre âme où l’on voyage à l’aide d’incantations... Il faut psalmodier le môtu, ça se prononce moutou, le réciter pendant quarante-cinq minutes pour atteindre la porte de la cave du subconscient, et quinze minutes encore pour en trouver la clé et espérer l’ouvrir... Des fois c’est plus rapide, ça dépend de notre degré de compassion et d’amour, de notre niveau d’enseignement. Il faut sans cesse répéter les exercices qui permettent de découvrir la lueur dans l’obscurité de la cave, si nous voulons guérir...

- Parce-que vous êtes malade ?

- Je crois, oui... Le maître dit que nous avons besoin de nous faire soigner, que sa mission consiste à nous soigner, mais ce n’est pas simple, c’est difficile à expliquer à des profanes...

En parlant de lueur, j’en aperçus une de drôle dans le regard de Karine quand elle se tourna vers moi. Si ce regard était le reflet de son moi intérieur, à mon avis, le fond de sa cave n’était pas fréquentable en l’état...

La conversation s’accéléra.

- Ah oui, grinçait Karine, il n’y a rien à comprendre, donc forcément, ceux qui réfléchissent et qui étudient perdent leur temps ! Ils se fatiguent les méninges pour rien ces andouilles, faut les prévenir, pas les laisser s’enfoncer, on va à la catastrophe, ils se rendent pas compte... Ca me désole... Il faut réveiller le docteur, le prévenir... Peut-être qu’il ne dort pas encore... Docteur !!

- Où voulez-vous en venir ?... Je ne comprends pas...

- Ah, vous voyez bien, vous le dites vous-même ! C’est parce que votre foi n’est pas suffisamment affirmée. Simone, ôtes-moi le doute : Au niveau de tes organes, tu as bien une vie sémantique ? Tes yeux, tes mains, Simone, qui tomberont en poussière après ta mort, ils survivront en tant que structures signifiantes. Je me trompe ? Cet obscurantisme me navre décidément... Comment arrivent les accidents de voiture ?... Je verse toutes les larmes de mon corps sur la misère prédestinationniste ! Un bon conseil, mesdames, et c’est valable aussi pour toi, Isabelle : Passez de la Praxis à la Sophia, vous me remercierez, plus tard, vous verrez...

Ca y est… Je l’avais dit… Ces deux pilules, c’était pas prudent…

- Les orages magnétiques émis par les taches solaires ont une influence néfaste sur vos chakras, continuait la rouquine, vous n’avez pas vu le jour au moment propice. Il y a un décalage vers le rouge, une vitesse de libération non maîtrisée. Hors de ma vue les fatalistes ! Réagissez ! La valeur de votre constante cosmologique est trop faible. Votre univers intérieur se replie sur lui-même. Il y a un risque évident de Big Crunch.

- De de quoi ?...

- De Big Crunch. L’inverse du Big Bang, vu dans un miroir asymétrique. En langage clair, la fin des haricots. Le phénomène est rarissime... Pas de chance que ce soit tombé sur vous...

- Vous... vous êtes sûre ?...

- Vous êtes de quel signe, Simone ?

- Sco... Scorpion...

- Un signe d’eau ! Je m’en doutais ! Damned !! Un signe de destruction par renouvellement... La maison 8... Tel Gilgamesh au huitième chant de l’épopée, vous devrez affronter les hommes-scorpions, vos démons intérieurs, avant de pénétrer le monde des enfers.

- Mais... mais je ne veux pas...

- Vous n’avez pas le choix, Simone, ni vous, Monique, ni toi, Isabelle... C’est le prix à payer pour accéder à la connaissance de soi.

- Pourquoi moi ? Demandai-je...

- Scorpion... Voyons un peu... Continuait Karine, ah, oui... Votre voyante a de bonnes sources, Simone. Nostradamus aussi a prédit votre accident dans ses fameuses centuries, quand il écrit : 

« Le Lyon jeune le vieux surmontera,

En champ bellique par singulier duelle

Dans cage d’or les yeux lui crèvera

Deux classes une, puis mourir, mort cruelle. »

- Qu’est-ce que cela veut dire ? Bredouilla Simone.

- Vous êtes dans une voiture juste au-dessus de Lyon, Simone. Je vois un homme plus âgé que vous au volant. Alors que vous longez un champ de blé, une voiture arrive en face. Le conducteur a perdu le contrôle. Il se déporte sur la gauche. Le choc frontal est inévitable. Le pare brise éclate, projetant des éclats de verre dans les yeux de l’homme assis à côté de vous. Dans la voiture qui vous percute, il y a un père et ses deux filles. Toutes les deux sont en classe de première, au lycée. Je ne peux pas raconter la suite... Non... Je ne peux pas...

- Le visage de Simone virait au vert...

- Mais... Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de cage d’or... S’inquiéta-t-elle.

- Vous avez bien une voiture jaune ? Jaune comme de l’or ?

- Pas du tout ! Elle est grise...

- Grise... Comme de l’or gris ?... Hélas oui ?... Je suis désolée Simone... Je n’aurais pas dû...

- C’est... c’est incroyable... Souffla Monique.

- Oui Monique, confirma Karine. Je dirais même que c’est sidérant... C’est Abyssal... Ne vous affolez pas, Simone, ce n’est qu’une simple prédiction. Méfions-nous des certitudes... Vous êtes responsable de votre destin. Vous seule pouvez, tel Gilgamesh, lui donner un prolongement exemplaire.

- Vous croyez ?...

- C’est une certitude.

- En tout cas, s’agita Simone, s’il y a une chose qui est certaine, c’est que je n’irai jamais à Lyon. Je ne vois pas ce que j’irais faire là-bas...

- Soyez prudente Simone, continuait la pythie rousse et pitoyable, méditez La Fontaine : « On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu’on prend pour l’éviter... » Cet accident pourrait tout aussi bien vous arriver en approchant un lion, lors d’un safari photo en Afrique, ou au zoo du bois de Vincennes, ou bien en arrivant à la gare de Lyon, allez savoir, peut-être en contournant la statue du lion de la place Denfert-Rochereau, ou même en vous étranglant après avoir croqué une barre chocolatée Lion... Si le Destin vient frapper à votre porte : Pom Pom Pom Pom, une seule issue : La musique des sphères ! Accordez votre thème à la résonance gravitationnelle de vos planètes respectives. C’est une condition sine qua non, c’est clair dans mon esprit, limpide, c’est lumineux ! Simone, je vois en toi !

- C’est vrai ?...

- Oui, Simone. Je vois en toi un état d’énergie minimal à l’intérieur d’une structure donnée.

- Ah bon ? Mais... C’est comment ?...

- C’est le vide.

- C’est pas gentil...

- Attends, Simone, tu n’y es pas ! Il ne s’agit pas du néant, ni même du vide en soi, du vide en tant que concept. Ce n’est pas n’importe quel vide ! C’est un vide fécond, unique, irremplaçable ! Le vide de Simone ! Un vide fluctuant où se meuvent tes énergies, un vide peuplé d’anges quantiques ! Tu es un océan, Simone, un océan de particules virtuelles ! Tu es à l’état minimal de ton être, à l’état minimal de l’espèce on peut dire, ne m’en veux pas, j’observe seulement. Ton vide n’est pas nul, Simone, il est non-nul. Tu es un atome de silence, Simone, non, surtout ne dis plus rien ! Tu romprais les charme ! Laisse-toi une chance de devenir un fruit mûr, une perle de champ scalaire… Tout le monde le souhaite, tu as cette chance… Oh elle est petite, certes, ne rêvons pas, la courbe de tes potentialités ne décrit pas une asymptote, mais la chance est réelle, au demeurant, dissymétrique et singulière, mais réelle...

- Qu’est-ce que vous racontez, fit Monique, vous n’êtes pas médium…

- Qu ‘en savez-vous ? Répliqua Karine. J’aurais besoin d’une confirmation sur la base des ondes… Un bilan zodiacal… J’aurais aussi besoin de voir vos thèmes, Est-ce que vous en avez sous la main ?

- Euh, oui, moi, je les ai, fit Simone en sortant un papier de son sac et en le dépliant sur la table.

Sur la feuille de papier, il y avait trois cercles rouges criblés de traits, de pointillés, de petits chiffres à peine lisibles et autres signes cabalistiques singeant une géométrie de cours préparatoire, dans la plus pure tradition ésotérique qui sait très bien depuis la nuit des temps que la meilleure recette pour impressionner le gogo, c’est de lui coller sous le nez force tombereaux de hiéroglyphes colorés, de lui farcir le crâne avec un vocabulaire délirant, de le gaver comme une oie à l’algèbre de pacotille, de le malaxer au rythme du tam-tam, de le saupoudrer à la danse rituelle, de le mettre a dessaler dans le chaudron magique, de l’initier au sacrifice du poulet, de le convertir à la multiplication des petits-pains, de lui beurrer les oreilles avec une voix suave et mystérieuse, mais néanmoins pleine d’assurance, l’air pénétré, du style : « Je vous dis ça c’est entre nous, personne n’écoute, ne le répétez surtout pas, non non, ne me faites pas de publicité, j’ai déjà trop de clients, le fluide m’épuise, vous comprenez... »

Ah j’oubliais : il faut le faire revenir à la fin, le client, à feu pas trop vif, tout de même, faut pas le griller, avec des petits oignons, le faire revenir encore et encore, avec son portefeuille surtout, et un joli feuilleté de billets à l’intérieur…

Et il revient le client, forcément. Il se dit que derrière autant de signes si savants et d’arcanes, il y a forcément quelque chose de profond, de révélé, rien que pour lui, de l’exclusif, du qui échappe au non-initiés, les pauvres gens, il faudrait les instruire, par charité, enfin un peu, pas trop non plus, ce serait donner de la confiture aux cochons, il ne le méritent peut-être pas...

Puisqu’on est incapables de comprendre ce qui est simple, autant faire semblant de comprendre ce qui est compliqué. Plus on se vautrera dans l’abscons et le n’importe quoi, plus on se mettra à l’abri des arguments sensés d’éventuels contradicteurs.

- Ecoutez-moi bien toutes les trois, prophétisa Karine, le monde est à portée de vos mains ! Si vous voulez le saisir, vous devez accéder à la symbolique ancestrale ! Vivez vos archétypes ! Ne craignez pas le dialogue avec les Dieux ! Sortez de vos chrysalides dogmatiques à la fin ! Vous avez vu ce jeune garçon qui a quitté la réunion tout-à-l’heure ? Son Soleil est en carré avec son Mars, c’est évident. D’où le conflit. Sa mère souffre de son Saturne, et elle exprime sa frustration.

- Euh... Et mes thèmes ? s’inquiéta Simone en poussant la feuille de papier vers Karine. Vous... Vous pourriez me dire ce que vous en pensez ?...

Karine posa sèchement sa main à plat sur la feuille de papier, ce qui nous fit sursauter.

- Je ne pense pas, annonça-t-elle, Je sens !... Voyons… C’est très Martien tout ça, très agité...

Je suis certaine qu’elle allait dire « du bocal », mais elle se retint au dernier moment.

- C’est vrai, approuvait Simone tristement...

- N’ayez pas peur, Simone, Monique, entrez dans l’espérance ! Comme l’enseignent si bien Jean-Paul et Jean-Marie ! Rien n’est écrit. Votre thème n’est pas votre histoire. Ce n’est qu’une structure symbolique, une initiation à soi-même qui va bien au-delà de la simple prédiction d’événements aléatoires. Deux thèmes identiques peuvent être vécus de manière totalement différente. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Claude Ptolémée, dans le Tétrabilos. Vous avez lu le Tétrabilos ? Non ? Aïe... Toi non plus, Isabelle ?... Navrant... Vous avez tort.... Et le Sci Vias, d’Hildegarde von Bingen ? Ca ne vous dis rien ?... Mes pauvres enfants... Comment voulez vous accéder aux développements de la symbolique Chaldéenne... C’est un métier !... Dans votre état, je prescrirais aussi la Somme Théologique, où l’on enseigne comment sagesse et raison peuvent dominer l’influence des astres.

Karine examina les graffitis quelques instants avec le plus grand sérieux, puis s’exclama :

- Mais ce ne sont pas vos thèmes !

- Comment ça pas mes thèmes ? S’étrangla Simone.

- Mais non, voyons, continuait Karine, c’est évident, regardez, ce sont les thèmes de la princesse Diana !

- Que... Quoi ?... Vous voulez dire Lady Di ?...

- Diana Spencer, parfaitement ! On vous a raconté des salades ! On aura découpé ces thèmes dans un magazine, sur Internet, je ne sais où, mais ce sont ceux de Diana, c’est évident, regardez, la date des transits, les positions dans le ciel, le 31 août 1997, à quatre heures du matin, à Paris...

- Je... je ne comprends pas...

- Vous ne comprenez pas ? Mais enfin ! Le 31 août, la date maléfique par excellence, le treizième pilier, la Mercedes, Monsieur Paul, les antidépresseurs... La dernière vision de Dianon, c’est l’eau de la Seine. Et puis ils sont entrés dans le tunnel… Pas étonnant qu’on vous ait prédit un accident de voiture...

- Mais voyons... c’est... c’est absurde ! S’insurgea Monique.

- Absurde ! Tonna Karine en pointant un index rageur vers les hiéroglyphes astrologiques, et ici, juste là, la lune maître du soleil natal, la fin de la vie, c’est absurde peut-être ? La lune noire à dix-huit degrés dix-sept dans la Vierge, c’est absurde aussi alors ? Mars maître en carré Uranus, ça vous cause pas non plus ? C’est un peu violent pourtant, non ? Ils étaient différents au natal, je le vois bien ! Ah, ici, le soleil conjoint Pluton et sextile Neptune, c’est édifiant ! Pluton, vous connaissez ? S’il se pointe au carré de Mars, c’est la cata ! La cata assurée ! Je vous l’affirme ! Diana était Uranienne, de notoriété publique. Bon d’accord, elle était aussi Saturnienne, je sais, mais c’est pas une raison ! Voyons… J’aime pas trop ces transits de Saturne qui dérivent aux angles du thème... Absurde ? Bien entendu… Et cette conjonction d’Uranus avec le Jupiter Masc, c’est absurde ? Saturne carré au MC solaar natal c’est absurde aussi, dans ces conditions ? Aïe ! J’ai la lune noire natale et Uranus natal dans l’axe deux ! C’est terrifiant... Mars maître de quatre, signe de mort et d’accident, absurde ?... Jupiter en quinconce à Mercure, tous les deux maîtres au carré, absurde ? Là, regardez bien : Vénus arrive ! A tous les coups elle va venir réactiver le semi-varré natal en se mettant au carré du soleil ! Absurde ?... Oui, il vaudrait mieux que ce soit absurde... Réfléchissez : Ca prouve bien qu’elle était avec son amant, non ? Vous étiez avec votre amant, Simone ? Non ? Alors ça ne colle pas... L’axe des portes va perforer la maison de la vie et perforer la maison des déplacements aussi ! C’est pas absurde, c’est rédhibitoire, mais ce n’est pas le pire...

- Ah bon, parce qu’il y a pire ? M’enquis-je, très intéressée...

- Le pire, c’est ça.

Elle indiquait un point noir au-dessus d’un des cercles.

- C’est quoi, « ça » ?

- Algol.

- Mais encore ?...

- Algol est une étoile fixe. Je sais, je sais, c’est un pléonasme, vu que toutes les étoiles sont fixes par définition, où à peu près, tout est relatif, je me comprends, cela va sans dire, mais je trouve que cela va mieux en le disant. Bref. Non contente d’être fixe, Algol est également maléfique !

- Maléfixe ! M’exclamai-je, très contente de moi.

- Isabelle ! Tu me navres… Je parle sérieusement… Cet astre est annonciateur de mort violente ! Je vous le demande : Algol conjointe à Vénus natale, avec exaltation de la troisième maison, en carré lune, carré Uranus, semi-carré Soleil maîtrisant la huitième maison, c’est encore de l’absurde peut-être, Hein, je vous le demande ?...

- Effectivement, commentais-je, on se demande...

Les deux autres restaient bouche bée.

- Ne soyez pas trop inquiète, rassura Karine, même si c’était vos thèmes, le cours des astres annonce, il ne fait pas, Plotin dixit. Les mouvements célestes sont les signes, pas les causes. Astra inclinant non necessitant, les filles. Les astres influencent, ils ne déterminent pas.

- Vous oubliez l’influence des fluides, intervint Monique.

- Bien observé, Monique, approuva Karine, imperturbable. C’est aussi un problème de fluides. Les fluides doivent rester confinés à l’intérieur d’une structure en forme d’icosaèdre, ceci pour éviter que l’activité des taches solaires ne vienne, comme à présent, affecter la qualité de votre sang, et déposer des cernes sous vos yeux. Mais ce n’est pas facile... L’icosaèdre devient instable, quand il est confronté aux données mnémiques. Il vaudrait mieux se contenter du dodécaèdre augmenté, l’Echinus, celui construit avec douze étoiles à cinq branches, ça c’est du stable, du régulier, on peut lui faire confiance, non ? Vous par exemple, Monique, votre corps sidéral approche les limites du sidérant. Il ne capte plus la lumière. Votre tête est gouvernée par le Bélier, les poisons pénètrent votre âme, Et Amicius Medoricum Fecit, je vous le dis, je ne peux pas faire le point exact, c’est ennuyeux, je n’ai pas d’astrolabe sous la main...

- Je ne sais pas si...

- Regardez cette eau, fit-elle en empoignant le verre qui se trouvait sur la table, ce n’est pas seulement de l’eau. Cette eau, chères amies, c’est Nammu, l’eau primordiale, le quatrième élément ! Tiens, au hasard : Prenez Isabelle, pauvre chère Isabelle ! Elle est du Verseau, un signe d’eau, on peine à le croire, n’est-ce pas ? D’où son apparence fragile, mais attention, ce n’est qu’une apparence, c’est le poids du fardeau qu’elle porte sur son épaule, l’eau de la vie, l’eau de la connaissance !

- Tu es sûre, Karine ? M’inquiétai-je...

- Et vous, mademoiselle, demanda Monique, de quel signe êtes-vous ?

- De la Vierge, répondit Karine en joignant ses mains. Naïve et pure comme vous le voyez... Je cherche désespérément à concilier intuition et logique...

J’ai manqué de m’étrangler avec une noisette.

- Ca va Isabelle ?

- Oui oui...

- Les Vierges, elles ont toujours l’impression qu’il leur manque quelque chose, fit remarquer Simone, ma sœur est Vierge aussi...

- C’est vrai, continuait Karine, pour ce qui me concerne, je fuis les tentations terrestres, telle cette jeune femme devant le précipice, peinte par Friedrich, j’évite de croiser le regard du serpent. Je cherche mon équilibre sur un tronc d’arbre instable pour franchir le ravin de la mort. L’épreuve accomplie, je me repose, je me déplace dans le continuum. Telle Nefertiti à présent, j’admire le lever Helliaque de Sirius au-dessus du désert. Je place l’ibis sur l’écliptique, et le singe cynocéphale entre les deux équinoxes. Là je me sens bien. Je peux prévoir les crues du nil. Ca ne me sert pas à grand-chose en Corrèze, j’en conviens aisément, mais c’est une satisfaction personnelle. Bon. Autre exemple : Prenez Alice, elle est avocate. Savez vous que 126 450 avocats sont nés au lever et à la culmination de Saturne ?

- Ah bon ?...

- Parfaitement ! Leur fœtus était doté d’un sélecteur d’influence astrales, ils ont choisi le moment opportun pour venir au monde, c’est évident ! Comme pour tout un chacun sur cette terre, leur ADN contient les sept métaux liés aux sept premières planètes. Leur ADN est un reflet du ciel. Bon. Je vous accorde que 225 380 éboueurs sont nés à un moment similaire, et 24 670 charcutiers aussi, mais l’explication est ailleurs... Dans une perturbation de la magnétosphère… Regardez une seconde le bracelet de cuivre que Monique porte à son poignet. La danse des électrons à l’intérieur des atomes de cuivre ne correspond-elle pas à la danse de la planète Vénus à l’intérieur du système solaire ?

- C’est dingue, commentais-je, en appuyant mon coude sur la table et mon menton dans la paume de ma main... C’était quoi ces champignons qui accompagnaient le rôti de veau ?…

- Certes, je m’égare, admit Karine, mais n’accusons pas le ciel à tort et à travers. Quand une conjonction se présente, il faut apprendre à faire avec. Les échanges d’énergies planétoïdiques sont parfois harmoniques, et parfois discordants, et c’est pire quand il y a des conjonctions multiformes, comme ce soir...

- Pourquoi ce soir ? S’inquiéta Monique.

- Parce que ce soir, la lune et Mars sont au même degré du zodiaque. L’émotion a rendez-vous avec la guerre, pas moyen d’y couper, pas la peine de vous faire un dessin ! Ah, je le sens... Le sentez-vous ? Ca ira mieux la semaine prochaine. Nous serons en Trigone. Les courants d’énergie planétaires circuleront plus harmonieusement. Patience et longueur de temps ! Trigone, carré, sextile, la géométrie de ma tête va devenir non-euclidienne à force de ployer sous le fardeau de ses contradictions ! Réagissons, mes sœurs ! Nous sommes les petites filles de Paracelse, les dérangées de la similitude ! Nos étoiles intérieures sont aussi dans le ciel, et aussi le chaos... Que vaut donc le remède pour la matrice des femmes si l’on n’est pas inspiré par Vénus, hein ? Je vous pose la question ! Et comment guérir les dérapages de la cervelle si on ne tient pas compte de l’influence Lunaire ? Quand je pense qu’il se trouve encore des médecins qui prétendent soigner sans prendre connaissance des horoscopes ! On croit rêver !


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