Patrick Micheletti



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- Je vous demande pardon, mademoiselle, sincèrement.


  • C’est moi qui m’excuse. Avez vous admiré ?…

  • Ne trouvez pas ma curiosité déplacée, mais si je me fie à la lecture de vos réponses, et aux quelques échos reçus de la fin de soirée d’hier, vous devez être un cas particulièrement intéressant...

- Monsieur, je suis à votre disposition...

- Hum... Je vois, mademoiselle, que vous me regardez avec un œil soupçonneux. Vous pensez que je manque d’expérience ? Quel âge croyez-vous que j’aie ?

- Je crois que tout au plus vous pouvez avoir trente ou trente-deux ans.

- Ah ! Ah ! Ah !... J’en ai quarante et un !

- Quarante et un ?

- Hé oui, vous voyez, un des effets de ma méthode est de me conserver ainsi rasé de frais et vigoureux !

- Ma foi, c’est vrai que vous pouvez encore faire illusion pour un quadra...

- Les voyages forment la jeunesse... En fait, je suis un médecin itinérant. Un jour ici, un jour ailleurs, au gré des stages de remise en forme, des séminaires anti-stress, ou des cures de rajeunissement, toujours à la recherche de nouveaux cas intéressants. Le cabinet, c’est pas mon style. Je laisse à d’autres le soin de s’occuper des maladies ordinaires, ces bagatelles de laryngites et de mal au dos, ces poussées de fièvre et ces coliques... Je veux de la maladie déroutante, de l’insaisissable, d’étranges vapeurs, des dépressions inachevées, des phénomènes respiratoires intermittents, des palpitations impalpables, couplées à la phobie des transports en commun, de bonnes angoisses métaphysiques, une petite hypertension orthostatique de derrière les fagots, avec léger vertige associé, bien entendu, un joli trouble anxieux, bien généralisé, de grosses boules dans la gorge, avec extinction de la voix, des syndromes pré-menstruels inédits, des étourdissements étourdissants, de bonnes angoisses, bien implantées, avec la nuit, des cauchemars hallucinants, du délire eschatologique, de la paupière en folie, du Tag, du Toc, des obsessions bien compulsives, des idées fixes, des rituels incontournables... Et puis le fin du fin, la cerise sur le gâteau, la patopophobie.

- La patopophobie ?

- La peur de la peur. L’angoisse d’être angoissé. Le Graal, quoi, l’Everest. Il n’y a rien au-dessus... C’est là que je me plais, dans l’impalpable, le malveillant, le noeud gordien des circonvolutions cérébrales... J’ai connu quelques succès, mais j’ai le triomphe modeste, et je crois bien que vous souffrez, comme tous les autres, de quelques-uns uns des symptômes que je viens de décrire. Vous voilà revenue de tous les médecins, désespérée, à l’agonie... Je connais les remèdes ! Je suis là pour vous rendre service...

- Je ne suis pas sûre d’être un cas aussi intéressant que vous semblez le croire...

- Voyons cela : Vous avez des palpitations, dites-vous ? Donnez-moi votre pouls. Mmmmmouais... Ce pouls est au moins aussi impertinent que vous, mais lui aussi, il va apprendre à me connaître... Vous avez vu beaucoup de médecins ?

- Quelques-uns uns...

- Et que vous ont-ils dit ?

- Que j’étais spasmophile...

- Balivernes ! La spasmophilie n’existe pas, n’a jamais existé, et n’existera jamais ! C’est un concept bidon que les médecins français ont inventé pour masquer leur ignorance. C’est pareil avec la soi-disant « Crise de foie », j’en passe et des meilleures...

- Certains disent que je manque de magnésium, d’autres de calcium, d’autres disent que j’intériorise trop, que je suis faite comme ça, que c’est endocrinien, constitutionnel, parasympathique et neurovégétatif à la fois, qu’il faut que je prenne sur moi, que je pense à autre chose, que je me relaxe, que j’aie une vie sexuelle épanouie, que je fasse du vélo, du yoga, de la natation...

- Ce sont des ignorants ! C’est de la tête que vous êtes malade ! Vous êtes une paniqueuse !

- Une paniqueuse ?

- Oui ! Que ressentez-vous ?

- Eh bien, j’ai parfois l’impression que je vais tomber dans les pommes, mais ça n’arrive jamais, je reste au bord, ça me prend dans la rue, au travail, au restaurant, dans le métro...

- Justement, la panique !

- Parfois, j’ai des extrasystoles, le pouls irrégulier.

- La panique !

- Je fais souvent des cauchemars, et je suis épuisée au réveil.

- La panique !

- Je sens parfois des crampes dans mes jambes et mes bras, comme des tremblements...

- La panique !

- Quelquefois, il me prend des douleurs dans le ventre, comme si cela faisait des nœuds...

- La panique ! Vous mangez équilibré ?

- Pas vraiment...

- La panique ! Pas de tabac ? Pas d’alcool ?

- Non monsieur.

- La panique ! Je parie que vous avez du mal à vous endormir et que vous vous réveillez en sursaut au milieu de la nuit ?

- Oui monsieur.

- La panique ! La panique vous dis-je ! Qu’est-ce qu’on vous a prescrit comme médicaments ?

- J’ai une ordonnance à renouveler pour du Magné B6...

- Ignorants...

- Calcium, huile de foie de morue...

- Ignorants !

- Quelques anxiolytiques...

- Ignorants !

- Bêta-bloquants...

- Ignorants !

- Oligo-éléments, fluor, cobalt, silicium, zinc, manganèse, sélénium, iode, fer, cuivre, or, argent...

- Ignorants ! Pas d’homéopathie au moins ?

- Si...

- Ignorants !



- Et des petites dragées, aussi, en cas de constipation, pour bien lâcher le ventre...

- Ignorants !

- Ah, oui, surtout aussi, mettre de l’eau dans mon vin, à tous les sens du terme...

- Ignorantus, ignoranta, ingnorantum ! Un verre de rouge de temps en temps, du bon, ça vous décrispera les neurones et tout le reste par la même occasion ! Une solide psychanalyse associée, quelques séances de psychothérapie bien ciblées, un stage de sophro, de la bonne et belle désensibilisation bien menée, un zeste de thérapie cognitive, et dans quatre ans, il n’y paraîtra plus ! Vos médecins sont des mulets ! On leur a collé des oeillères ! Je vous en indiquerai un ou deux en qui j’ai toute confiance, et nous pourrons prendre rendez-vous quand je passerai par Paris, pour faire ensemble le bilan.

- Vous me gâtez...

- Au fait, encore une chose, si j’étais vous, je prendrai mes distances avec cette jeune femme rousse qui vous accompagne...

- Et pourquoi ?

- Elle vous vampirise, j’en suis certain ! Elle irradie la panique et d’autres ondes encore à trois lieues à la ronde ! Méfiez-vous d’elle, c’est contagieux !

- Peut-être, mais j’ai besoin de mes amies.

- Vous avez aussi une coiffure que je me ferais changer si j’étais à votre place...

- Ah bon... Je ne vois pas le rapport...

- Ah... Ces mèches qui retombent dans vos yeux... Surtout le gauche... Faites vous couper les cheveux courts, cela dégagera votre joli visage, vous y verrez plus clair, surtout de l’œil gauche, vous vous sentirez différente, comme si une nouvelle vie commençait !

- Il n’y a pas urgence...

- Bien. Je suis fâché de vous quitter si tôt, mais je dois faire un aller-retour au village pour examiner une patiente qui semble souffrir de Toc.

- De Toc ?

- Trouble Obsessionnel Compulsif. Elle n’arrête pas de compter les poules de son poulailler. Vingt fois par jour. Elle a toujours peur qu’il en manque une. Au revoir, mademoiselle.

Karine m’attendait dans le couloir. Le médecin lui fit un petit signe de la main et un grand sourire hypocrite.

- Désolé mademoiselle, votre consultation est retardée d’une demi-heure. Une urgence, vous comprenez, une urgence…

- Alors, fit Karine, voilà un médecin qui paraît sympathique finalement ? Quelle est ton impression ?

- Sympathique, parasympathique, je ne sais pas trop... Il va un peu bien vite...

- Peut-être parce qu’il est sûr de lui...

- Ouais... Dans un premier temps, il me conseille de travailler sur moi pendant quatre ans, de me couper les cheveux, et de me séparer de mes amies.

- Ah bon...

- Oui. Mettre Jeanne d’arc sur un divan, en quelque sorte... Ca doit être son vieux fantasme... Je me demande si je ne préfère pas garder mes mèches, mes bonnes copines, et mes petits soucis... Tu as vu ce soleil… Tu sais ce que l’on va faire : On va demander un panier repas incognito à notre hôtesse, et on va pique-niquer près de la rivière.

- Mais… ma consultation…

- Plus tard. Je t’expliquerai. On va laisser un mot..

- T’es folle…
Notre escapade se prolongea. Karine y retrouvait ses racines, son élément. Le vent jouait dans les herbes autour d’elle. Souriante et mélancolique, elle regardait la rivière.

Elle semblait ailleurs.

A un moment elle me demanda pourquoi je la regardais comme ça, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. J’ai répondu « Parce que tu m’apaises… »

Mais il y avait autre chose. Quelque chose d’invisible que je sentais flotter dans l’air entre elle et moi. Quelque chose que je ne comprenais pas et qui me troublait. La présence d’une licorne ne m’aurait pas semblée incongrue. Autant que je me souvienne, il me semblait que je n’avais jamais rien contemplé d’aussi beau. Je ne sais pas comment le décrire. Elle avait une attitude poétique. Je crois qu’elle était en harmonie avec le paysage.

Nous avons fait une entrée très remarquée à la ferme. Tout le monde en était au dessert…

L’après-midi, pendant que Karine rencontrait enfin le médecin, je fus reçue en consultation par notre premier consultant, façon de parler, un aromathérapeuthe, qui était également, selon sa carte de visite, réflexologue, sophrologue, phytothérapeute et homéopathe à ses heures perdues…


Chapitre 13

Il me prit le pouls en regardant ailleurs, posa un doigt à l’arrière de mon crâne, puis me demanda de me déchausser et se mit à me tripoter le pied gauche jusqu’à ce que je m’agace un petit peu.

- Vous pouvez m’expliquer ce que vous faites s’il vous plaît ? Demandai-je poliment.

- Oh, c’est très simple : Je recherche les perturbations énergétiques de vos organes.

- Ah bon ?...

- Ne vous inquiétez pas...

- J’ai l’air inquiète ?...

- Ok... Ne vous énervez pas non plus... Voyez-vous, votre pouls me permet de connaître l’état de votre poumon, de votre rate, de votre estomac, et de votre gros intestin.

- Juste le gros ? Pas le petit ?

- Non, pas le grêle...

- Ah, oui, c’est le mot que je cherchais... Et mon pied gauche ?

- Sa palpation me permet de connaître l’état de vos reins.

- C’est fort... Et vous en déduisez quoi ?

- Je ne trouve rien de précis... Je dirais que vous avez la forme idiopathique...

- Je vous remercie !

- Ne vous agitez pas... Je ne fais que rechercher l’organe clef qui provoque votre blocage.

- Mais... Je ne me sens pas du tout bloquée... Juste cette envie de mordre par moments, le matin au réveil... Je suis fatiguée...

- Je comprends... Ces blocages prennent naissance dans la couche supérieure de votre corps astral. Ils sont associés à des perturbations électromagnétiques. Il y a conflit de polarisation… Vous avez certainement besoin de séances de Reiki ou d’acupressure… Ne parlons plus de blocage, c’est un terme courant pour évoquer la dystonie neurovégétative. Vos organes sont déconnectés. Je suis là pour vous aider à retrouver la sérénité.

- Vous êtes sur la bonne voie...

- Restez bien calme, je vous en prie...

- J’y travaille...

- Vous semblez... nerveuse.

- Je sais... C’est de ma faute. J’ai bu quatre cafés ce matin, et j’ai pris 500 milligrammes de vitamine C pour me réveiller. Ensuite, je suis allée à la fenêtre, et j’ai tué un lézard qui dormait sur le rebord, avec le tranchant de la main, crac, comme ça !

- Vous n’auriez pas dû...

- Tuer le lézard ?

- Non, abuser du café. C’est mauvais pour ce que vous avez...

- Je l’ai fait exprès.

- Ne faites pas l’enfant.

- Et maintenant ?...

- J’ai là votre questionnaire. Vous faites souvent des cauchemars ?

- Tout le temps...

- Par exemple ?



- Par exemple, je rêve de fourmis à miel, mais pas ne nuit verte, ni de neiges éblouies. Jamais. Ca c’est Arthur. Il a de la chance, Arthur… Je ne rêve pas non plus que dans mes nuits, je traverse des océans de cendre. Non. Ca, c’est Garou. Garou tout seul… Non, moi, je rêve de fourmis à miel. Je marche sur une plage, une lame de fond m’emporte vers le large, il y a des crabes rouges qui tuent, je tombe dans le vide, des chiens enragés m’attendent sur le sable pour me dévorer, je suis complètement nue, des tas de gens murmurent autour de moi, je ne sais plus ou me mettre, je suis trop enrobée, je devrais avoir moins de poils sur le dos, c’est ridicule… Je suis dans une salle de cinéma, il y a des gorilles sur l’écran, les gorilles me jettent des pierres, et puis ils sortent de l’écran, comme dans la rose pourpre, ils arrivent sur moi, et mes dents tombent, elles se réduisent en poussière, les chauve-souris aussi sont à mes trousses, je cours si vite que j’ai l’impression de voler, le ciel se couvre, les nuages virent au violet, je vois le régiment des anges descendre au dessus de la mer. La milice céleste s’abat sur moi. L’orage approche ! Le vent s’engouffre dans mes cheveux ! Je me réfugie sous un arbre, pauvre inconsciente, la terreur m’envahit... Je ne peux rien faire d’autre pour me protéger que replier mes bras sur ma poitrine nue. J’ai peur de ce cosmos qui vibre en moi ! Je lève les yeux au ciel avec angoisse, la tempête qui s’approche est comme le reflet de celle qui se déchaîne à l’intérieur de mon cerveau ! Il faut que je me cache dans le cerisier, mais les branches sont pourries. Des bébés minuscules sont attachés dans les racines du cerisier, ils hurlent, mais aucun son ne sort de leur bouche. Je me bouche les oreilles, je ne peux plus bouger, mes jambes sont paralysées, les chiens arrivent, ma voiture, vite, on me l’a volée, j’ai perdu mon argent, où sont les clés ? Je ne sais plus où se trouve ma maison, l’ascenseur est bloqué, il va tomber, il y a un trou dans la plage, je suis enterrée vivante, je ne peux plus respirer, le téléphone sonne, il y a un problème, c’est sûr… Je vois le chiffre 7, une boîte s’ouvre, et il en sort un marteau avec une paire de lunettes sur le manche, il me parle une langue inconnue, une langue orange, je ne peux pas lui répondre, mes lèvres sont cousues. Le ciel est rempli de soucoupes qui pleurent, j’ai bu de l’eau de javel, ma mère est en colère, il ne faut pas toucher l’eau de javel, il y a de la fumée partout, je ne sais pas d’où elle vient, un oiseau est venu mourir sur mon lit, une guêpe veut pénétrer dans mon oreille, j’entre dans les nuages, l’avion perd de l’altitude, mesdames messieurs veuillez regagner vos sièges, et attacher vos estomacs. Je ne meurs pas. Je ne meurs jamais en rêve. Je visite la bibliothèque Akachique, il y a des étagères à perte de vue, quelqu’un a jeté les manuscrits par terre, les tablettes d’argile sont brisées, une voix me guide, elle cherche à m’égarer, je vois le Styx dans un rayon de lune, il faut que je complète le puzzle, sinon, ils vont me trancher la tête ! Des araignées s ‘enfuient à la surface du lac, le rayon de lune devient un cercle de fer, un clown se déshabille et se moque de moi, puis il chevauche un arc-en-ciel, je vois des coccinelles et des spirales pleines d’étincelles, les chiens aboient, une boule de lumière flotte devant mes yeux, je ne vois plus rien, je me réveille en tremblant…

- Bigre…


- J’ai résumé, vous pensez bien…

- Hum… Voyons… Les chiens sont les gardiens des mondes souterrains, les messagers de l’inconscient. Ces rêves archaïques sont générés par votre cerveau reptilien.

- Oui, il y a des reptiles dedans aussi.

- C’était une image...

- J’entends bien, mais il y a quand même des reptiles. Pour le lézard, j’ai peut-être rêvé… Il ne faut pas marcher dessus, même pas en rêve...

- Pas étonnant que vous ayez peur de vous endormir...

- J’ai de l’insomnie parce que j’ai peur de m’endormir. C’est une histoire à dormir debout, je le sais.

- Tout cela vous perturbe...

- Ce qui me perturbe, c’est la disparition de mon « Je ».

- Que voulez vous dire ?

- Quand « Je » dors, quel est cet autre « Je » qui fabrique mes rêves ? « Je » devient-il un autre ? Pourquoi est-ce que « Je » ne peux pas l’empêcher ?

Il fronça les sourcils, se gratta un petit bouton qu’il avait sur le menton, mais ne proposa pas de réponse. Manifestement, il ne s’était jamais posé la question, et on ne lui avait jamais posée. Maintenant, il se la poserait. Na.

- Asseyez-vous là mademoiselle.

A côté de la chaise qu’il m’indiquait, il y avait une table de chevet sur la quelle étaient alignés toutes sortes de petits flacons colorés, et aussi des baguettes, un peu comme celles que l’on vous offre avec malice dans les restaurants chinois, et dont on essaie vainement de se servir comme d’une fourchette. Il y avait aussi une boîte de Kleenex. Tout ceci ne me disait rien qui vaille...

- Qu’est-ce que c’est ? Demandai-je.

- Ce sont des huiles essentielles. Je vais vous faire une application nasale. Rassurez-vous. Ca picote un petit peu, mais c’est très efficace, vous verrez.

Je n’étais pas sûre d’avoir envie de voir... Rien qui vaille, je le disais, mais cela m’intriguait. J’avais essayé des tas de choses, mais jamais ça. Un truc inédit ? Et si... Quelque chose de ridicule niché au fond de ma petite caboche murmurait : « On ne sait jamais... si ça marchait... c’est peut-être maintenant... » Comme se le disent tous ceux qui font la queue en permanence à la librairie du coin ou au bureau de tabac pour acheter leur dosette quotidienne de loto, de millionnaire ou de Tac-o-Tac, avec deux chances de se faire avoir, une fois au grattage, une fois au tirage...

- Ai-je droit à une dernière question ? Implorai-je.

- Je vous en prie, mademoiselle...

- J’insiste...

- Je vous écoute.

Ce naturopathe avait au moins une qualité presque aussi essentielle que ses huiles : Un certaine patience.

- C’est quoi au juste, des huiles « essentielles » ?

- C’est un des éléments du retour à la Spagyrie Paracelsienne. Le volet médical de l’Alchimie. Une approche holistique, si vous voulez...

- Ah ! Vous me rassurez... Mais je ne sais pas si j’y crois vraiment...

- Mais mademoiselle, s’agita-t-il, il ne s’agit pas de croire, il s’agit de comprendre. La plupart des gens confondent ésotérisme et occultisme. L’aromathérapie est une science. Elle applique les principes de la physique moderne, qui redécouvre comme par hasard la notion de coexistence matière-énergie.

- Euh... J’ai un peu de mal à vous suivre, mais mon amie Karine est ingénieur chimiste, et elle a un doctorat en physique nucléaire. Elle attend dans le couloir. Est-ce que je peux lui demander d’enter ? Je suis sûre qu’elle doit avoir des tas de questions à vous poser...

Il se demanda une seconde si c’était du lard ou du cochon, gratta de nouveau son sale petit bouton, mais dût flairer le piège, car il botta en touche :

- Je la verrai après vous… Une seule patiente à la fois, c’est ma règle de conduite. Pour en revenir à votre question, sans entrer dans les détails, je dirais que les champs de force de votre organisme vont être stimulés par l’énergie contenue dans l’essence issue de la distillation. L’application d’une très petite quantité suffit, car l’énergie concentrée est considérable. Chaque huile répond à des critères vibratoires spécifiques. Voyez ceci, c’est de l’Eucalyptus, ceci du Citron, ici du thym, de la lavande, de la mélisse, du Pinus Pinaster...

- Du Pinus Pinaster...

- Oui... Du pin si vous préférez... De la térébenthine...

- Ah oui... Euh... Je préfèrerais autre chose que le Pinus Pinaster, si c’est possible, je ne le sens pas...

- Je vais juste vous faire une petite application nasale de Citrus. C’est excellent pour le stress et l’insomnie. Penchez un peu votre tête en arrière. Ne respirez plus. Voilà.

Il m’effleura à peine l’intérieur de la narine gauche avec sa baguette enduite d’huile, mais cela me fit comme une décharge électrique dans le cerveau. Bon Dieu, mais c’est hypersensible cette région là ! Une puissante odeur de citronnelle m’envahit l’arrière gorge, les yeux me piquaient. Il me tendit un Kleenex.

- Voilà mademoiselle. C’est terminé. Les picotements vont passer très vite. Nous referons une petite application demain. Vous pouvez dire à la personne suivante d’entrer.

J’ai juste fait un petit signe de la tête et de la main en sortant, avec un sourire jaune citron, forcément. Ma tête tournait. Karine attendait assise dans le couloir avec Monique, Simone, le fils, la mère, et le PDG en détresse. L’ambiance semblait disons un peu frisquette...

- C’est à moi ? Demanda Karine. Je peux y aller ?

- Non, fis-je, c’est au tour de monsieur.

- Non, je crois que c’est à moi, insista Karine. N’est-ce pas monsieur ?

- Certes...

Je pris Karine fermement par le bras pour l’entraîner hors du couloir.

- Qu’est-ce qui se passe ? S’inquiéta-t-elle.

- Il se passe qu’on se tire d’ici. On se tire vite fait.

- T’es folle ! On va passer pour des cinglées... Il nous reste encore deux jours... On ne pourra jamais se faire rembourser... Qu’est-ce qu’ils vont penser ?...

- Je préfère passer pour une cinglée que le devenir vraiment. On se tire d’ici je te dis ! Fais tes bagages, on part en vacances !
On a expliqué piteusement à notre hôtesse anglaise que la mère de Karine était malade, et que nous devions repartir à Limoges. Je crois qu’elle n’a pas été dupe. Elle était désolée de ne pas pouvoir nous rembourser, espérait nous revoir, une autre fois, oui, c’est cela, une autre fois…

On a laissé une lettre pour le médecin, lui expliquant qu’on n’avait pas voulu le déranger en pleine consultation, mais un cas de force majeure, un imprévu, etc…

Après avoir péniblement réussi à boucler les valises de Karine, nous avons repris la voiture, et dans un premier temps, nous sommes descendues jusqu’au village où nous avons acheté une carte de la région. Nous avions deux jours devant nous pour faire une excursion avant de remonter à Paris.

Karine proposa la vallée de la Dordogne, une merveille à ce qu’elle en disait. Elle me montra du doigt la route qui longeait la rivière, puis remonta le long de la vallée jusqu’à ce qui lui semblait être le meilleur point de départ, une petite ville qui se nommait Argentat.

Chapitre 14

Nous avons atteint Argentat en fin de matinée sans aller vite. En musardant. Nous nous sommes installées à l’hôtel, puis nous sommes parties en balade.

Du pont qui enjambe la rivière, la vue s’étendait sur les quais, les vieilles maisons à tourelles ou à balcons de bois, et de magnifiques jardins en terrasses. J’étais surprise par la végétation. Il y avait des pommiers, des poiriers, des figuiers, des pruniers, des vignes vierges, d’autres non, des cerisiers, des tournesols, et même des pins parasols, des bananiers et des palmiers… J’en revenais pas… tout cela descendait en cascade vers la rivière, pareil qu’à Babylone ! Les toits des maisons, surtout étaient splendides. Karine m’expliqua que ces belles tuiles grises et patinées s’appelaient des Lauzes. Excellent. J’avais enrichi mon vocabulaire d’un mot.

Loin au-dessous de nos pieds, la Dordogne filait vers le sud, calme, sévère, indifférente. Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à Pierre Nicole. Un truc qui m’avait amusée dans les « Petits traités » La preuve qu’on peut s’amuser avec les petits traités. Je l’ai toujours dit.

Pierre Nicole avait deux phobies. Il avait peur qu’une tuile tombe d’un toit sur sa tête, et il ne pouvait pas traverser un pont sans fermer les yeux. Ici, il faut traverser ce pont de pierre vertigineux, pour cheminer ensuite sur le trottoir, juste au dessous de ces énormes tuiles de lauzes qui débordent des toits. Argentat, le cauchemar de Pierre Nicole…


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