Patrick Micheletti



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- Isabelle !

Les couleurs vibrèrent encore plus à la surface du mur, puis elles commencèrent à se dissiper. Elles devinrent floues, puis transparentes. Je ne distinguais plus que cette légère ondulation de l’air entre le mur et moi. Quelqu’un frappait à la porte. On m’appelait.

- Isabelle ! Isabelle, tu es là ?

Le Troll se leva d’un bond. Il semblait affolé. Mon cœur cognait dans ma poitrine.

- Karine ?...

Je n’ai pas peur. Je sais que je suis en train de rêver.

- Je ne peux pas rester, souffla le Troll, ton amie ne doit pas savoir que je suis ici... Ce n’est pas souhaitable... Ne lui dis rien, je t’en prie...

Et il disparut en détalant par la porte de la cuisine.

- Isabelle ! Ouvre cette porte je te dis !

J’ai réussi à me lever, mais j’étais comme ivre. A tous les coups j’étais entré « de travers » dans mon enveloppe charnelle... J’avais du mal à tenir debout.

- Voilà voilà...

Bon dieu la clef... Pourquoi cette porte était-elle fermée à clef ?...

- Isabelle ? Ca ne va pas ?...

- Ca va, ça va...

J’ai retrouvé la clef par terre, puis la serrure. Karine a poussé la porte et manqué de me renverser.

- Isabelle ! Mais qu’est-ce que tu fais ? Je te cherchais partout... Il fait une chaleur à crever ici...

- Ca va, je t’assure, tout va bien...

- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu trembles... Tu es complètement trempée...

Elle ouvrit les volets.

- On étouffe, ici... Pourquoi les volets sont fermés ? Quelqu’un a fait du feu dans la cheminée, c’est pas possible...

- Non, non... Je ne crois pas...

J’ai jeté un coup d’œil inquiet au mur du fond, mais il n’y avait plus rien. Même plus cette vibration de l’air. Rien que le mur de plâtre blanc. Mes lèvres tremblaient.

- Il y a des braises…Qu’est-ce qui s’est passé ? Demandait encore Karine.

- Rien, rien, je t’assure... J’ai fermé les volets... J’ai du m’assoupir et faire un cauchemar...

- Ca devait pas être triste comme cauchemar... Tu es trempée de sueur... Regarde tes cheveux... Viens, allons à la salle de bains.

Je me suis accrochée à son bras et je l’ai suivie. Elle a fait couler de l’eau dans le lavabo. J’ai rempli mes deux mains d’eau fraîche, j’ai aspergé Karine, puis je me suis aspergé le visage.

Et je riais, je riais !

Chapitre 25

Ma montre marquait dix heures quand j’ai ouvert les yeux sur elle le lendemain matin. J’étais surprise. Je n’avais pas dormi aussi tard ni aussi profondément depuis longtemps. J’étais collée contre le dos de Julien, scotchée à lui comme une ventouse. C’était chaud, c’était bon... Il paraît que la température interne des hommes est supérieure à celle des femmes. C’est pratique pour l’hiver quand on est frileuse, un homme, c’est comme une grosse bouillotte qui ronfle... Sauf que le mien, il avait les pieds gelés…

Il devait être réveillé depuis un bon moment, mais par délicatesse, il était resté là, immobile, pour me laisser dormir. Peut-être aussi parce qu’il se sentait bien ? Oui, c’est ça, il se sent bien avec moi, et c’est réciproque, alors pourquoi bouger ? Je me fais des idées ? Est-ce que je vis la même chose que lui en ce moment ? Je ne sais pas... Je peux peut-être éprouver ce qu’il éprouve... Nos sensibilités sont proches... Est-ce qu’il peut ressentir ce que je ressens ?... si je me rendormais aussi, je pourrais peut-être le rejoindre, comme dans le poème d’Aragon :


« Je me rendors pour t’atteindre

Au pays que tu songeas

Rien n’y fait que fuir et feindre

Toi, tu l’as quitté déjà... »


On ne s’est encore rien dit... Il faudra bien que je me décide à lui dire que je l’aime... Qu’est-ce qu’il va penser de moi ?

J’ai levé la tête. Son corps était chaud, sa respiration régulière et profonde, sa bouche légèrement entrouverte. En fait, il dormait.

Maintenant, c’est moi qui n’osais plus bouger.

Je ne me souvenais même pas être montée à la chambre hier soir. Je l’avais fait certainement dans un demi-sommeil. J’avais dormi longtemps, sans voir la nuit. C’est difficile à expliquer, mais quand on ne dort pas bien, on « voit » la nuit. La nuit n’est pas noire. Je pourrais même dire qu’on la « sent passer », en quelque sorte... Là, je n’avais rien pu voir, je n’avais rien senti passer. J’avais dormi d’un sommeil lourd et sans rêves. J’avais passé une bonne nuit.

Je me suis levée en faisant attention, je n’avais pas envie de rester au lit. Il y avait du soleil à travers les volets, et la dernière étape à savourer, la plus belle, la récompense. Je pouvais m’aventurer sur les méandres du fleuve, maintenant. J’avais trouvé mon Ariane. Me suffisait de veiller à garder ce fil tendu entre nous, ne pas le perdre.

Lorsque Julien se réveilla, il me chuchota quelques mots à l’oreille :

- Quelquefois, je me suis réveillé assez tard. Souvent, à peine la lumière allumée, mes yeux s’ouvraient si lentement que j’avais tout le temps de me dire : « Je me réveille ».

- T’es bête...

- Mon Albertine... As-tu remonté cette nuit les derniers degrés de l’escalier des songes ?...

- Allez, viens, on va être en retard...

Nous partîmes très tôt avec les canoës ce matin là, après un rapide petit déjeuner, et sans attendre les autres. Un peu hors-la-loi, certes, bien avant l’heure autorisée, mais ça valait la peine.

Cette dernière étape fut une pure merveille. Une sorte de récompense. Une succession de châteaux, de falaises, d’ombres et de reflets, de vols d’oiseaux, de plages de galets, de villages perchés dans le soleil…

Juste après Groléjac, la rivière entrait dans le cingle de Montfort. Une boucle immense et encaissée, dominée par le village et le château de Montfort. Il faisait froid. Le jour se levait et le soleil illuminait la brume entre le fleuve et les falaises. Les tourbillons et les petits rapides se suivaient de près, mais ils étaient devenus familiers.

Montfort, avec son château increvable, qui semble comme taillé dans cette roche qui le soutient, Montfort qui fut détruit en 1214 par Simon, puis reconstruit, et encore trois fois détruit et reconstruit, toujours debout planté là au-dessus des toitures de lauzes du village, moins belles qu’à Argentat les toitures, mais tout de même, c’est de la lauze... Et les vaches rousses, les ruisseaux bleus, comme sortis d’un conte de fées, le belvédère aérien de Domme, cent cinquante mètres au-dessus des plus jolis méandres de l’univers connu.

Les premiers hommes sont arrivés dans ces vallées il y a trente-cinq mille ans, et ils n’en sont jamais repartis. A Domme, du haut de ce balcon de rêve, on comprend mieux pourquoi.

En général, les hommes doivent s’adapter à leur environnement pour survivre, ici, c’est l’inverse qui s’est produit. Les ruisseaux et les rivières ont façonné le paysage pour l’adapter idéalement aux besoins de l’homme. Les plaines alluviales fournissent une terre riche et grasse où l’on peut tout cultiver, y compris quelques palmiers et bananiers, surtout décoratifs, mais quel plaisir…

L’eau coule partout en abondance, les grottes, les pitons rocheux et les falaises permettent d’aménager des abris sûrs ou des fortifications puissantes, les rivières sont poissonneuses, le gibier abondant, la douceur du climat autorise la culture de la vigne et des vergers, on trouve du minerai de fer pour fabriquer des outils et des armes, du bois pour se chauffer, de la belle roche tendre pour les habitations, et même de la truffe, comme la cerise sur le clafoutis...

Un jardin délicieux où le Seigneur a planté toutes sortes d’arbres beaux à la vue et dont le fruit était agréable au goût. Un fleuve sorti de la terre parcourt ce jardin. Le jardin des délices ? C’est ici ? Mais où est donc ce fameux arbre de la science du bien et du mal ?

On croit que c’est pour toute cette opulence que les Anglais, pendant des siècles, ont bataillé pour essayer de nous piquer cette région, mais pas du tout ! Je sais pourquoi. C’est parce qu’ici et nulle part ailleurs, au mois d’avril, on récolte les meilleures fraises de la planète. Qu’ils viennent donc en paix, il y a des fraises pour tout le monde...

J’ai cligné des yeux devant les puissantes tours de La Roque, qui semblent jaillir du flanc de la colline, J’ai admiré la forteresse de Beynac, lourde et austère, dominant la Dordogne d’une hauteur de cent cinquante mètres, prise par Richard cœur de lion en personne, racontait Marc, vous vous rendez compte, en 1194, c’est pas d’hier, puis à nouveau anglaise en 1360, et juste en face, sur l’autre rive, Castelnaud, tout au sommet de sa falaise, des murailles qu’il faut imaginer hérissées de canons, comme un défi, face à Beynac. Je vous le dis, moi : On s’est battu ici pendant des siècles pour posséder cette rivière qui n’appartiendra jamais à personne, cette frontière entre la France et l’Angleterre, ce couloir Huguenot, tenu d’une main de fer par les seigneurs protestants au seizième et dix-septième siècle.

Pour l’anecdote, c’est ici même que Michael Crichton a situé l’action d’un de ses derniers romans. « Prisonniers du temps ». Une histoire de voyage dans le temps, forcément, le titre est parlant… Il a fait le bon choix, c’est l’endroit idéal. Les héros, des historiens et des archéologues, venus de l’Amérique propre sur elle du vingtième siècle, se retrouvent piégés en plein quatorzième siècle barbaresque et Franchouillard, pile poil à cet endroit, et en plein conflit armé entre les Français et les Anglais, juste avant la grande épidémie de Peste. Michaël achève son pittoresque récit en racontant qu’il a vu ici « de gros nuages noirs caresser la croupe des collines … » C’est dingue… Où est-ce qu’il va chercher tout ça ?… Je vous raconte pas la fin. Ca ne marquera pas l’histoire de la littérature de science-fiction, mais ça se laissera lire...

Ce pauvre Michael, victime d’un documentaliste étourdi, a juste confondu La Roque et Beynac... C’est pas bien grave, c’est le geste qui compte, on ne lui en voudra pas pour si peu. Quand j’étais petite, je croyais bien qu’Hollywood était une usine de chewing-gum... Tu peux revenir déguster une tartine de foie gras, Michael, c’est sans problème. Mais pas avec du rouge, hein ? Le foie gras, c’est avec du blanc liquoreux que ça s’apprécie…


Comme nous, la Dordogne musardait.

Elle traînait en route, offrant un terrain de jeu idéal aux mouches d’eau et aux martin-pêcheurs. Il est clair qu’elle se trouve bien par ici la Dordogne, et qu’elle n’est pas pressée de quitter la région. Elle paresse au soleil comme une couleuvre rassasiée, elle trace son chemin avec une patience infinie. Elle a le temps. Elle a tellement plus de temps que nous…

Ca y est ! J’ai compris ce que voulait dire Rimbaud quand il parlait de ces fleuves impassibles qui le laissaient descendre où il voulait…

Quelle chance de pouvoir dire autant de choses en si peu de mots…

Chapitre 26

Je n’ai revu le Troll qu’un an plus tard, à Paris. Il était assis sur les marches à l’entrée de la piscine de la butte aux cailles.

J’attendais Julien.

Julien m’accompagnait de temps en temps à la piscine, mais pas pour faire de l’aquagym, juste pour m’accompagner.

Il était venu me rejoindre depuis plusieurs mois déjà. Nous avions décidé de vivre ensemble, et il avait trouvé du travail dans une agence de voyages à Montparnasse.

J’étais enceinte jusqu’aux dents et je continuais mon aquagym conviviale avec ardeur, avec les copines, et aussi avec des exercices adaptés à mon état.


Spasmö était assis devant la porte de la piscine, les bras croisés sur les genoux, le bonnet sur la tête. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps, mais j’ai eu de nouveau cette sensation désagréable dans les jambes, ce sentiment d’impuissance qui revenait.

Quelque chose ne collait pas. Qu’est-ce que c’était un an pour lui ? Ce petit être qui n’avait pas d’âge semblait avoir pris un coup de vieux. Il avait ramassé un mégot dans le caniveau et le dépiautait entre ses doigts sans conviction. Je le regardais et je sentais ce lien entre nous, comme un fil tendu qui ne se serait pas encore rompu. Il était presque une partie de moi-même, au moins une partie de mon histoire. Je me suis approchée, mais pas trop. Il semblait différent, mais d’une manière curieuse, et son odeur était moins forte que dans mon souvenir.

- Bonjour isabelle.

- Bonjour.

- Ca a l’air d’aller plutôt bien pour toi on dirait ?

- Ca va mieux, c’est vrai, beaucoup mieux... Euh... Et toi ?...

- J’ai connu pire...

Il portait toujours les mêmes vêtements, mais ses doigts étaient moins sales, aussi, et son visage moins crasseux.

- Dis donc, tu t’es lavé ?

- Mais non...

- Mais si, tu t’es lavé, je le vois bien...

Il se mit à tortiller le mégot entre ses doigts avec nervosité.

- Mais non, enfin ! Arrête avec ça, c’est ridicule ! Les Trolls ne se lavent jamais !

- Je le crois pas... Tu t’es lavé pour venir me voir ?…

Il se glissa quelques débris de tabac dans la bouche et se mit à les mâchonner en regardant ailleurs.

- Balivernes... Grogna-t-il

- Pourquoi es-tu venu ?

- Rien de spécial... Je voulais juste savoir... Je voulais savoir si tu étais heureuse d’être guérie.

- Je ne sais pas si je suis « guérie », mais je sais que je suis heureuse, ça oui, je le sais.

- C’est quoi « être heureux » ?

La question me fit sourire doucement...

- C’est difficile à expliquer... C’est quelque chose que l’on ressent, comme le plaisir, la colère, ou la douleur. Il n’y a pas de réponse toute faite. Chaque être, quel qu’il soit, doit trouver sa propre réponse. Je crois que je suis heureuse d’avoir atteint un certain équilibre, une certaine sérénité. C’est assez simple, mais c’est beaucoup pour moi.

- Tu sais où tu vas maintenant Isabelle ?

- Non. Je ne sais pas où je vais, mais j’ai trouvé un chemin. C’est uniquement ce chemin qui m’intéresse.

- Est-ce que... Est-ce que j’ai réussi à t’aider ?

Je fus surprise par la question, et puis en y réfléchissant, je finis par dire oui.

- Oui, tu fais partie de ceux qui ont réussi...

Le Troll prit une grande inspiration et se leva en soupirant. Il paraissait comme soulagé. Il grimpa en haut des marches pour jeter un coup d’œil à l’intérieur de la piscine.

- on dirait qu’il y a de l’eau ici, beaucoup d’eau, marmonna-t-il. Et qu’est-ce que c’est que cette odeur insupportable ?

- Du chlore. Fais attention, c’est un désinfectant...

- Quelle horreur... Je me demande comment les humains font pour prendre du plaisir à se baigner là-dedans...

- Je me le suis longtemps demandé aussi... Mais dis-moi, tu n’es pas venu jusqu’ici simplement pour prendre de mes nouvelles ?

- Si.

- Je ne te crois pas.



- Tu as tort.

Quelque chose m’inquiétait. C’était un peu ridicule, mais je n’avais pas oublié ce que Julien avait dit à propos des Trolls et des bébés. Surtout ne jamais laisser un Troll s’approcher du berceau d’un nouveau- né. Je ne savais pas pourquoi, je ne voulais même pas le savoir. Je voulais juste que cela n’arrive pas.

Le Troll perçut facilement mon inquiétude :

- Tu n’as plus rien à craindre de moi, Isabelle, fit-il en revenant s’asseoir en bas des marches, je ne m’approcherai pas de ton enfant. D’ailleurs, je vais partir. Je retourne chez moi, en Norvège.

- Ah bon ? M’étonnais-je, à peine soulagée. Mais je croyais... Je croyais que cette malédiction te l’interdisait ?...

- La malédiction est levée. Il n’y a plus de malédiction.

- Ah bon... Je suis contente pour toi... Mais comment cela a-t-il pu se faire ?

- Avant de retourner dans son royaume de pacotille, la fée des eaux m’avait jeté ce sort pour me punir de l’avoir précipitée au fond du gouffre de Padirac. On peut toujours faire lever une malédiction, mais les Fées sont malignes... Pour me libérer, je devais accomplir un tâche réputée impossible pour un Troll. Je devais rendre quelqu’un heureux.

- Et pourquoi pas ?

- Les Trolls ne savent pas faire cela. C’est contre leur nature. Ils n’ont aucune raison de le faire. C’est un travail de Gnome ou de Farfadet, ce n’est pas un travail de Troll...

- C’est pour cela que tu es venu jusqu’ici ?

- J’avais besoin de savoir, et tu étais la seule à pouvoir me le dire.

- Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

- C’est quoi « longtemps » ?

Je n’avais pas la réponse.

- Que vas-tu faire, maintenant ? Ai-je demandé.

- Je vais partir. Julien arrive. Il n’est pas souhaitable qu’il me voie, ça lui rappellerait de mauvais souvenirs... Au revoir Isabelle.

Je me suis retournée, mais il n’y avait personne.

Je m’attendais voir le Troll se lever et s’éloigner en clopinant, mais il ne bougea pas. Il resta là assis sur les marches en souriant et sa silhouette commença à se dissiper. Je sentis quelque chose se détacher de moi, une chose qui retournait se perdre définitivement dans le passé. Je tendis la main vers lui comme par réflexe :

- Attends...

Attends…

Est-ce que tu es… Est-ce que tu es le troisième élément ?…

Trop tard. Le Troll avait disparu. Je savais qu’il était encore là, mais je ne pouvais plus le voir.

- Bonne route, murmurai-je, juste au moment où Julien arrivait.

- Qu’est-ce que tu fais, s’étonna-t-il, tu parles toute seule ?

- Non... Ce n’est rien...

- Ca ne va pas ? Tu as l’air perturbée... Ce n’est pas à cause de la piscine, au moins ?

- Non, ça va aller, c’est juste un peu de fatigue, c’est normal...

- Faut pas rester là, il pleut... Tu aurais dû attendre à l’intérieur... Tu pleures ?

Je me tapotais le ventre :

- C’est rien, c’est... c’est ce bébé...

chapitre 27

Julien avait toujours rêvé d’être le Père Noël.

Maintenant, il était Père Noël tous les jours puisqu’il avait épousé la Mère Noël… Il dit qu’il a trouvé le travail de sa vie. Que ça consiste à s’occuper de moi.

Merci. Oh oui, merci Julien !

Ce sont de bonnes résolutions… Je touche du bois, je veux y croire, mais il va aussi falloir s’occuper de quelqu’un d’autre maintenant…


Nous avons eu notre premier enfant le mois suivant. Un petit garçon prénommé Adrien. La grossesse s’est plutôt bien passée, mais j’étais morte de trouille quand il a fallu accoucher. Le syndrome de Monique… Entrer dans cette salle blanche, s’allonger sur le dos, avec tous ces petits hommes verts qui me suppliaient d’hyperventiler...

Si vous saviez, petits hommes verts…

Et puis ce fut le plus beau jour de ma vie. Le premier plus beau jour de ma vie. Et il y en aura d’autres. Maintenant, je le sais.
Cette année, Daniel et Christiane fait des infidélités aux Sables d’Ollones. Ils sont partis en Islande ! A force de m’entendre raconter des histoires de Trolls, Christiane a demandé de la documentation à l’office du tourisme, et s’est trouvée prise d’une furieuse envie d’aller contempler les geysers. Julien lui a vendu le voyage…
J’ai acheté un très belle reproduction de la vague, de Hokusaï, je l’ai faite encadrer, et je l’ai envoyée au docteur Marc Bayet, pour sa bilbliothèque. Il était ravi.

Véronique enseigne le Français au lycée Michelet de Vanves. Elle a repris l’aquagym avec ardeur. Elle ne parle jamais de sa vie sentimentale, et je ne sais pas poser ce genre de questions.


Aux dernières nouvelles, Norbert exercerait ses talents dans une filiale du côté de Hambourg. Il s’est remarié avec une Danoise…
Je n’ai plus entendu parler du petit facho méridional. Il paraît qu’il s’est très vite fatigué de la vie parisienne, et qu’il est reparti massacrer les lapins dans sa garrigue natale. Je sais qu’un jour les lapins lui tendront une embuscade, comme les vélociraptors dans Jurrasic Park. Un jour, les lapins le tueront.
L’été dernier, on a compté jusqu’à trois mille cinq cents canoës par jour au passage du pont de la Dordogne à Beynac. La preuve que le traitement est efficace, non ?
Parfois, je vais me promener au parc Montsouris avec Adrien. J’entre toujours par le portail de l’avenue Reille et je salue l’archange avec beaucoup de déférence. J’ai appris entre-temps que ce n’était pas un ange, mais un archange. Un chef, en quelque sorte, comme dans les rayons, au magasin.

Il ne faut pas commettre d’impair avec les anges. Ils sont jaloux de leurs prérogatives. Je le salue bien bas, en lui donnant du « Monsieur l’Archange », comme cela, je me dis que peut-être il nous épargnera, le jour où il pètera les plombs…


L’été dernier, Karine est allée en vacances au Canada avec son petit ami. Je crois qu’elle a enfin franchi la porte du septième jardin, celui du bonheur. J’ai reçu une carte postale des chutes du Niagara. Ca fait rêver… Et puis à son retour, elle m’a ramené un souvenir. Un Piège à Rêves traditionnel des indiens Cris de la baie James. C’est un très bel objet, un peu étrange, à accrocher au-dessus de son lit. Une sorte de suspension faite de plumes attachées à une baguette de bois, avec un petit filet circulaire au milieu, comme une toile d’araignée.

Les jolies plumes attirent les rêves qui errent inlassablement dans la chambre. Les rêves agréables sont assez fins pour passer à travers les mailles et rejoindre le dormeur dans son lit. Les cauchemars sont trop grossiers pour franchir les mailles du filet. Ils restent immobilisés dans le piège jusqu’au matin et sont détruits par la lumière du jour.


FIN




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