Une fois le débat relatif au renouvellement urbain placé à l’échelle de l’agglomération par les élus et les techniciens dans des formes où les accointances politiques locales et les proximités techniques permettent la production d’un document de référence (le protocole de 1998), la question de la démolition portée par les associations comme problème resurgit néanmoins de deux façons différentes sur l’agglomération lyonnaise. D’un côté, un nouveau projet fort est décidé en 2002 sur le quartier de la Duchère à Lyon, avec en particulier, la démolition d’une barre qui va cristalliser une très forte opposition d’un certain nombre d’habitants qui vont se constituer en réseau avec ceux de Bron. De l’autre, le marché du logement ne cesse de se tendre, la vacance diminue dans le parc social, c’est le début d’une nouvelle entrée dans la crise du logement qui va mettre pourtant longtemps à pouvoir être exprimée. Elle s’inscrit dans un contexte de très forte interrogation du côté des professionnels de la politique de la ville qui craignent avec l’annonce de l’ANRU, une césure forte entre question urbaine et question sociale, alors que socialement, c’est la masse de demandeurs de logements sur l’agglomération qui frappe. Plus de 40000 demandeurs sont alors recensés, dont une très grande part d’hébergés.
4.1. La Duchère
L’opération de renouvellement urbain de la Duchère devient avec l’arrivée de Gérard Collomb, maire de Lyon en 2001, l’un des projets majeurs de la mandature et de l’agglomération au même titre que l’aménagement des berges du Rhône, le carré de Soie ou encore l’aménagement du Confluent. Un GPV y est signé en 2001. En 2002, une bataille importante va se dérouler entre les habitants d’une barre concernée par la démolition et fortement mobilisés contre cette démolition. L’objectif de la convention ANRU signée en 2005 est de démolir près de 1600 logements d’ici 2012 et de faire chuter la part de logements sociaux sur le quartier de 80 à 60%. La reconstitution de l’offre prévoit 1600 logements en accession à la propriété, en location ou en résidences services (étudiants ou personnes âgées). L’offre de logements sociaux devra être reconstituée sur l’ensemble du territoire de la ville de Lyon pour 30% dans le 9ème arrondissement et pour 70% dans le reste de la ville hors 8ème arrondissement déjà fort doté en logements sociaux.
Derrière cet objectif d’affichage quantitatif s’est jouée une mobilisation importante portée par l’ancienne adjointe à la Politique de la ville de Gérard Collomb lorsque ce dernier était maire du 9ème arrondissement de 1995 à 2001. Elle s’est appuyée sur un collectif local, implanté de longue date dans le quartier : le GTI (Groupe de Travail Interinstitutionnel). Les habitants mobilisés avaient mal pris de découvrir lors de la présentation de la maquette du projet que certains de leurs immeubles étaient prévus pour démolition alors qu’ils n’en avaient pas été tenus informés. Cette deuxième opération importante de démolition sur l’agglomération a une autre ampleur quantitative que celle de Parilly, tout comme autrefois, les Minguettes avaient reposé des problèmes similaires à ceux d’Olivier de Serres mais à une autre échelle. La nécessité d’un débat d’agglomération sur le renouvellement urbain qui dépasse le cénacle des élus et des techniciens se fait sentir tout comme la CPHS obligeait à ouvrir la réflexion sur les questions de logement des immigrés.
4.2. Les Etats Généraux du logement
C’est par le biais de la crise du logement et de l’appréhension de sa réalité que le débat resurgit. La FONDA va prendre l’initiative d’un comité d’organisation des Etats généraux du logement et va lancer un premier manifeste en juin 2003 : « garantir le droit au logement constitue-t-il encore un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation ? » Ce manifeste sera signé par la quasi totalité des associations oeuvrant dans le champ du logement, de l’hébergement et de l’urgence sociale. Il s’inscrit dans un double moment de crise du logement mais aussi de baisse drastique des subventions à ces mêmes associations. Il est suivi d’un manifeste pour les Etats Généraux du logement à l’automne 2003 plutôt porté par des élus de l’agglomération (verts, alternatifs et PC) et signé par différentes associations. (AILOJ, ALPIL, AVDL, CLAJJ, CFCV, CGL, CNL, Demeurant Partout, Habitat et Humanisme, et la Fonda).
Ce n’est donc qu’au moment des Etats Généraux du Logement en janvier 2004, que le débat élargi relatif au renouvellement urbain pourra enfin avoir lieu : « on s’est parlé », telle est la satisfaction des organisateurs. Le constat partagé par les élus alternatifs et verts de l’agglomération était celui d’une absence de dialogue entre parties prenantes autour du renouvellement urbain. L’ALPIL, sollicitée par des élus, va prendre langue avec la mission Habitat, le vice-président chargé de la politique de la ville, Maurice Charrier soutiendra l’opération.
« Les Etats généraux, ça part d’une réunion avec des élus alternatifs et aussi deux élus du 8ème arrondissement très porteurs. On se dit, il faut faire des Etats Généraux, mais avec qui ? Il faut les politiques, les techniciens, les bailleurs, les habitants… Et tout le monde se met en route, c’est porté. Tout le monde se parle et ce qui divise c’est le renouvellement urbain. Ca a vraiment permis de relancer la machine à discuter… Et les ateliers du renouvellement urbain sont vraiment issus de ça. Je me souviens des premiers Etats Généraux qu’on avait fait en 1983, en fait, c’était une grande semaine du logement avec des occupations de logements organisés dans plusieurs quartiers de Lyon, mais c’était qu’associatif même si certains élus suivaient le mouvement, ça avait pas été facile, des travailleurs sociaux avaient été vidés de leur poste suite à cette semaine…
Les Etats Généraux, cette capacité à mobiliser le secteur associatif, les élus et les bailleurs , c’est quand même fabuleux cette mobilisation d’acteurs de nature très différente…
Même si les Etats généraux ne résolvent pas tout des contradictions du milieu associatif lyonnais, ils permettent la circonscription d’un espace de débat d’agglomération.
Que ce soit porté par le politique, c’est quand même une connerie, car si ça n’avait été qu’associatif, ça aurait permis de structurer le milieu associatif lyonnais qui a quand même une maladie congénitale, c’est sa division à Lyon. Quand vous y mettez les deux principales figures dans la salle, ça va finir en explosion ! Il y a des enjeux de leadership et de personnalités mais aussi le fait que tout le monde ne fait pas le même métier sans compter la concurrence, bref ! Si on avait fait différemment, on se retrouverait pas aujourd’hui avec deux lieux, l’un pour parler du renouvellement urbain avec les ateliers et l’autre plus sur les questions du logement avec le collectif logement Rhône.
Les Etats généraux du logement apparaissent comme un renouvellement du récit local du renouvellement urbain, comme s’il fallait ré-ouvrir la boîte noire du contre-projet de l’UC6a alimentée par la décision tranchée de la Duchère, comme s’il fallait continuer à tenter de rendre plus mesurée et agissable une situation de grande ambiguïté sociale. Chez tous les acteurs rencontrés, cette rencontre bénéficie d’une aura forte, d’une mémoire vive, fondement d’un nouvel agir collectif. Car avant la mise en débat, il faut des expériences, des conflits,des rancoeurs, des victimes, des porte-paroles qui souhaitent revenir sur le passé pour mieux construire l’avenir. Mais pour cela, il faut créer les lieux qui, favorisant la réflexion, vont être autant de ralentisseurs à l’action pour éventuellement la réorienter.
Les Etats Généraux, c’est important, car ça a donné une vue générale qu’on avait pas avant grâce à l’implication et la présence de multiples acteurs. Parce qu’une de nos difficultés, c’est quand même de construire une réflexion commune entre associations d’une part et la logique de défendre la participation des habitants, d’autre part. Certaines associations ont plus le temps de réfléchir que d’autres qui sont toujours le nez dans le guidon.
Les Etats Généraux vont surtout remplir une double fonction. D’abord ils vont publiciser la réalité de la crise du logement en France et sur l’agglomération lyonnaise en montrant la spécificité de cette crise et la manière dont l’agglomération tente d’y remédier. « La crise se manifeste également par une inadéquation entre les caractéristiques de l’offre tirée vers le haut et les caractéristiques de la demande tirée vers le bas du fait de la fragilisation d’un nombre croissant de ménages. »1 Michel Rouge insiste entre autres sur les effets de la demande. « La demande de logement social insatisfaite est importante : environ 40000 soit trois fois l’offre annuelle. »2 Ensuite, cette rencontre va permettre de partager avec l’ensemble des participants (plus de deux cents personnes) un certain nombre de constats, d’accords et de désaccords. C’est sur le renouvellement urbain que se font jours les plus vives oppositions : »sur le renouvellement urbain (rénovation urbaine, démolitions) se manifestent les divergences les plus importantes entre les décideurs, les acteurs et les habitants. L’objectif social du renouvellement urbain ne fait pas consensus ainsi que les modalités de prise de décision. »1 Ce dissensus mérite d’être débattu et les choses rebattues.
« Moi, ce qui m’étonne, c’est que tout le monde soit aussi étonné qu’on se parle ! Et encore plus les techniciens qui ont vraiment tenu à ce que les ateliers s’engagent derrière ! C’est vrai que les ateliers du renouvellement urbain ensuite sont un véritable lieu d’écoute et de partage. Charrier a posé une règle : on parle du terrain que s’il vient illustrer la problématique générale. Je suis étonné est-on vraiment sincère ? Mais les choses avancent, il y a un diagnostic partagé, on s’oppose proprement, on est dans un travail de co-élaboration. Evidemment que les ateliers se préparent aussi en coulisses entre techniciens et services de l’Etat, mais quand le sujet est mûr il passe à l’atelier. Le côté positif de cette affaire, c’est que les choses ne sont plus crispées comme on l’a connu à Bron !
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