Présentation par Patrick Bazin : Cette soirée est la première d'un cycle qui durera peut-être plusieurs années. Nous l'intitulons «L'Intelligence d'une ville»



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Bernard Comte : Merci. Nous avons tous pu nous rendre compte que l'exposé de Goulven Boudic nous renvoie à un problème historiographique, problème que rencontrent tous les historiens, qu'ils soient jeunes ou vieux : comment rendre compte de phénomènes de pensées où il y a à la fois des personnes en même temps que des idées dans leurs complexités ? Et moi, je peux témoigner, ce n'est pas parce qu'il a dit du bien de ce que j'ai fait que je vais lui renvoyer la balle, mais je peux témoigner du sérieux historique certain de son travail sur les archives d'Esprit avec des correspondances, avec beaucoup de choses, et il est un spécialiste de Sciences Politiques, mais il a travaillé vraiment en historien. Et en même temps - moi, j'en ai fait des expériences dans des domaines où j'ai été historien - ceux qui ont connu personnellement, par exemple, Jean Lacroix et le fonctionnement de son groupe, diront que oui, tout cela est sans doute vrai, mais il y a aussi autre chose, il y a aussi un autre aspect. Alors c'est l'intérêt, je crois, de la réunion de ce soir, d'associer, comme on le fait souvent aujourd'hui, des historiens avec des gens qui ont été des témoins, et le premier témoin va être Denise Lallich-Domenach à qui je donne la parole.

Témoignage: Jean-Marie Domenach par Denise Lallich-Domenach

Alors, évidemment, vous n'attendez pas de moi un discours objectif. Je ne suis pas l'historienne de mon frère, je suis sa sœur, et mon discours n'aura pas la hauteur intellectuelle des deux qui ont précédé et des deux qui vont suivre, cela vous reposera, ce sera la mi-temps.



Jean-Marie est né en février 1922. Il était le fils aîné d'une famille qui a compté neuf enfants. Il a été suivi très rapidement d'un frère, et puis je suis arrivée en 1924. Très jeune, c'était déjà un intellectuel, alors que mon second frère, au contraire, était un actif. Et moi, je naviguais un peu entre les deux suivant mes besoins : Jean-Marie pour les thèmes latins, et René pour les questions pratiques. Mes parents nous élevaient dans une confiance réciproque et nous laissaient une certaine liberté d'action et de pensée, ce qui était peu commun à l'époque. Mon père disait toujours qu'il nous éduquait pour nous rendre capables de se passer de lui. Il y avait, dans la famille, des rites, qui me donnent un peu envie de rire aujourd'hui, mais qu'à l'époque, nous n'avons jamais remis en question. Chaque semaine, le samedi, quand nous rentrons de classe, mon père était derrière son bureau et l'un après l'autre, nous passions avec le carnet de notes. Quand nous avions réussi le baccalauréat de rhétorique, qui était, à l'époque, le plus important, nous avions le droit de rejoindre nos parents au salon après le déjeuner du dimanche, de s'asseoir dans un fauteuil et de boire une tasse de café. C'était un rite de passage à l'âge adulte et, ma foi, cela a bien marché, à la queue leu leu, les neufs ont passé leur baccalauréat. Alors les garçons faisaient leurs études au collège des Jésuites de la rue Saint-Hélène, et quand Jean-Marie est entré en philosophie, il a commencé à se prendre un peu au sérieux, et il exigeait que nous frappions pour entrer dans la chambre qu'il partageait avec son cadet. Et par moment, moi j'avais envie de l'agacer un petit peu, et j'avais trouvé un moyen remarquable, c'était d'aller jouer du pipeau derrière sa porte. Je ne sais pas si vous avez jamais écouté le son du pipeau, c'est assez terrible. Alors j'étais ravie de le voir sortir en fureur, la main levée, mais cela n'est jamais allé jusqu'à l'affrontement parce qu'il n'aimait pas et ne savait pas se battre. Je pense qu'il était assez naïf dans la vie quotidienne, et nous en profitions un peu. C'était un travailleur passionné, nous avions souvent recours à lui, les uns et les autres, pour le latin, mais il ne nous écrasait pas du tout de son savoir. Je crois sincèrement que nous n'avons jamais été jaloux de sa réussite intellectuelle. Admiratifs, parfois. Je me rappelle - il n'y a que les Jésuites pour faire un truc pareil - l'avoir vu, dans le théâtre du collège de la rue Saint-Hélène, jouer Antigone en grec. J'avais trouvé cela très fort. Mon père aimait beaucoup aussi que le soir, nous récitions des poèmes, et je le vois encore, accoudé à la cheminée, et récitant « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. » (« Recueillement » de Charles Baudelaire, dans Les Fleurs du mal, 1857). Je trouvais cela très beau, et j'avais envie d'en faire autant. Et puis mon père chantait beaucoup - pas très bien, mais enfin il aimait chanter - et nous chantions souvent des chants un peu rebelles. Je me souviens très bien, par exemple, du chant au soldat du 17ème qui avait levé la crosse en l'air pour ne pas tirer sur les vignerons. Je me souviens du refrain : « Vous auriez, en tirant sur nous, assassiner la République ». Cela me paraissait superbe. C'est une éducation comme une autre. Et puis la légende familiale voulait que Dumnacus, qui était un guerrier gaulois, qui avait vaincu, à Angers, les Romains, soit notre ancêtre. J'ai d'ailleurs là une photo de sa statue parce qu'elle a été déboulonnée en 1940 pour faire des canons, et reconstruite, je ne sais plus en quelle année, et mon frère aîné, Jean-Marie, a trouvé le moyen de se faire inviter comme descendant à l'inauguration de la statue. César parle de Dumnacus dans la guerre des Gaules, je vous y renvoie. Donc vous imaginez, descendants de Dumnacus, l'effet qu'a pu nous faire la défaite et l'Armistice de juin 1940. Alors cela a été vraiment, et là, cette fois, sans plaisanter, une claque et une honte parce que nous étions élevés dans un patriotisme affectif, presque. Alors Jean-Marie est monté de classe en classe, depuis la 6ème, avec son ami Gilbert Dru, ils faisaient tous deux parties de la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), et il m'a dit plusieurs fois que le principe était « Voir, juger, agir » et que cela avait été important pour lui, que cela l'avait aidé à réfléchir et à se former. Dès 1938, il lisait Esprit, que Gilbert lui passait, et j'ai un mot où il dit que c'est quand même un peu trop « abstrait ». Gilbert Dru avait dix-huit ans, lui n'en avait que seize - il était en avance de deux ans dans ses études - et la revue lui paraissait quand même un peu difficile à avaler. Il a été en khâgne pendant la guerre de 1939-1940, et la khâgne est partie à Clermont-Ferrand, et il a eu comme maître Jean Guéhenno, dont il gardait un souvenir important, et puis, revenant à Lyon, il a eu le philosophe Jean Lacroix et l'historien Joseph Hours qui ont été pour lui des maîtres au sens le plus noble du mot. Mon père allait chaque année en Allemagne, il parlait l'Allemand et l'usine où il était ingénieur l'envoyait pour des raisons commerciales. Il a donc vu la montée du nazisme, et nous avait mis en garde très tôt. Je me souviens qu'au moment de Munich, il nous avait dit que c'était reculer pour mieux sauter, et cela le rendait furieux. Dès octobre 1940, cela a été, pour toute la famille, la révolte. Révolte contre le nazisme, puisque nous savions, nous. Il ne faut pas croire que toutes les familles françaises de l'époque savaient ce qu'était le nazisme. Ils voyaient ces garçons courageux, sportifs, disciplinés, etc., et ils admiraient, sans bien comprendre les fondements de la chose. Alors, nous, nous savions ce qu'était le nazisme, et nous n'en voulions pas, donc nous nous sommes révoltés très vite contre l'occupation, contre Pétain et contre le nazisme. Cela veut dire qu'il écrivait avec Gilbert des tracts assez simplets, que je recopiais, et nous en mettions dans les boîtes aux lettres, nous en laissions, enfin, nous savions bien que ce n'était pas comme cela que nous allions gagner la guerre, mais c'était une révolte. Puis, il a fondé, avec Georges Lecèvre, le Comité de Résistance Inter-Fac Lyon - Grenoble. Enfin, il est parti, à cause du STO, dans le maquis du Vercors en 1943. Il était passé par l'école d'Uriage, et ils ont fait une équipe qu'ils appelaient « Les Equipes Volantes du Vercors », ils passaient de maquis en maquis pour faire de la formation. Il a fait les batailles de la Libération dans un maquis du Tarn, sous les ordres du Marquis d'Aragon, dont il gardait un excellent souvenir. Il avait été admissible à Normale Supérieure Lettres et il avait loupé l'oral, et comptait bien le repasser. Et, au lieu de faire l'Ecole Normale, il a fait l'Ecole du maquis. Je ne sais pas s'il faut le regretter. Pendant les deux premières années de la guerre, il y eut, à Lyon, un vrai bouillonnement culturel. Jean-Marie et Gilbert Dru, avec d'autres camarades, ont fondé Les Cahiers de notre jeunesse dans lesquels ils essayaient, avec humour, comme vous l'avez dit tout à l'heure, et le plus adroitement possible, de faire passer leurs idées. Les Cahiers ont pris position contre le service du travail obligatoire, et ils furent interdits en juin 1943. Je me souviens que Jean-Marie, quelques temps auparavant, était allé avec Gilbert à l'Archevêché pour discuter du départ au STO : fallait-il partir, fallait-il se cacher, fallait-il aller au maquis ? Il était revenu très déçu et révolté contre ce qu'il avait vécu pendant cette réunion parce qu'on les avait poussés très fort à partir en leur disant que c'était un devoir de charité chrétienne envers les ouvriers qui partaient. Entre nous, par sécurité, évidemment, nous savions ce que chacun faisait, mais nous ne parlions pas de nos actions de résistance de peur d'une arrestation, sauf en cas de nécessité, bien sûr. Et j'ai appris avec stupéfaction, cinquante ans après la Libération, que nous avions choisi, pour mettre sur nos fausses cartes d'identité, le même nom. Et ce nom, c'était Duplessi / Duplessy, avec un i pour mon frère et un y pour moi - je trouvais que c'était plus joli dans l'écriture - et ce Du Plessis était un aviateur - je ne sais pas si les plus âgés d'entre vous se souviennent - que mon père admirait beaucoup. Et magie de l'imprégnation familiale, mon frère a choisi ce nom, alors qu'il adorait contredire mon père dans les discussions. Je crois que je peux dire que toute la vie de mon frère a été marquée par la défaite d'abord, et par la Résistance, comme celle de mon père avait été marquée par l'Affaire Dreyfus pour la révision du procès pour lequel il avait manifesté quand il était étudiant.

Pendant les deux premières années de guerre, j'ai vu passer à la maison des gens importants : Emmanuel Mounier, par exemple, mais ces gens étaient si simples et si gentils que je ne me suis pas douté, à l'époque, de leur notoriété. Un seul qui ne leur ressemblait pas et qui m'avait fortement déplu, c'est le philosophe Gustave Thibon qui était venu pour convertir mon frère à la révolution nationale. Nous, on avait souvent le droit d'écouter quand il y avait des gens intéressants, j'étais donc présente, et la discussion dans le salon avec mon père et Jean-Marie m'a laissé un souvenir d'ironie et de violence contenue. Gustave Thibon avait l'air fort bien nourri et il était assez plein de lui-même, et cela avait été assez pénible. Alors après la Libération, de retour à Lyon fin 1944, Jean-Marie s'est marié puis a dirigé la revue des forces françaises de l'intérieur, Aux Armes, qui avait été lancée par le Général Descours. En 1946, il est parti à Paris, et a rejoint Emmanuel Mounier et la revue Esprit. Si je veux essayer de le dépeindre un peu, je dirais qu'il était prêt à s'indigner devant tout manquement au respect de l'homme, prêt à relever les défis, d'où son engagement contre la torture en Algérie - qui a été difficile et qui lui a valu beaucoup de reproches - et contre l'inhumanité des prisons. Je crois qu'il avançait dans la vie avec beaucoup d'honnêteté, un peu de naïveté (c'est mon point de vue), et un certain sens de l'avenir. J'ai souvent pensé que ce frère qui fut très proche de moi avait parfois eu raison trop tôt et qu'il en avait souffert. Après son départ de la revue pour laquelle il avait travaillé pendant vingt ans, il a fallu s'adapter à une forme de vie qu'il n'avait jamais connue, et cela lui a été difficile. Depuis la Résistance, c'est-à-dire depuis ses dix-huit ans, il avait vécu, non pas dans la facilité, mais dans une forme de communauté de projets, et c'était porteur, même si cela n'empêchait pas les difficultés et les luttes. Il a été assez désorienté par cette nouvelle situation, puis il s'est adapté, et il a éprouvé un grand plaisir, après, à préparer ses cours pour l'école Polytechnique. Ses dernières années n'ont pas été faciles, il les a vécues dans une grande anxiété, et même sa mort lui a été dérobé, puisque, parti à l'hôpital parce qu'il se sentait vraiment très mal, un quart d'heure avant sa mort, le cardiologue et le neurologue lui ont dit qu'il n'avait rien et de ce rien, il est mort un quart d'heure après.

Alors nous lisions tous, dans la famille, évidemment, la revue Esprit, et nous en discutions beaucoup. Je me souviens d'un numéro audacieux qui était paru en 1947, et qui osait déjà poser des questions difficiles comme : l'Allemagne est-elle coupable ? Ou bien : que savaient les Allemands ? Mon mari et moi, dès 1947, nous allions aux rencontres du groupe Esprit avec Jean Lacroix où les discussions étaient toujours sérieuses, passionnées et enrichissantes. Et je suis restée une fidèle abonnée de la revue jusqu'au début des années 1980. A cette époque, Esprit était lue par des étudiants de formations très diverses, et moi, j'utilisais les articles pour travailler avec les éducateurs spécialisés ou des assistants sociaux. Puis la revue est devenue trop difficile à lire, trop loin de nos préoccupations, d'abord pour les étudiants, puis ensuite même pour moi. J'ai écrit à Paul Thibaut, j'ai essayé d'en parler avec lui, mais en vain. Il pensait que c'était moi, à cause de mai 1968, qui avais perdu l'habitude de lire des choses sérieuses, et nous n'avons pas pu aller plus loin. Alors très rares sont ceux qui, aujourd'hui, ont connaissance de cette revue. Au Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation, je rencontre des professeurs, d'histoire en particulier, et quand je parle de la revue Esprit ou de Mounier, ils ouvrent des grands yeux, ils ne savent pas de quoi je parle. Alors je le regrette, et mon plaisir est grand aujourd'hui de renouer avec cette revue et ceux qui s'en occupent, parce qu'elle a été pour moi vraiment une source de réflexion profonde et importante dans ma vie.

Bernard Comte : Tout le monde a apprécié la mi-temps souriante et pleine d'enseignement en même temps, comme vous savez toujours faire. Alors, on reste à Lyon, avec Robert Jourdan et le groupe Esprit du lendemain de la guerre.

Le groupe Esprit lyonnais par Robert Jourdan

Pour reprendre une distinction qui est aujourd'hui à la mode, ce que je puis dire sur le groupe Esprit relève, pour moi aussi, non de l'histoire mais de la mémoire, et d'une mémoire qui est très chargée affectivement, parce qu'établir une histoire sur des témoignages, on a que cela. Il n'y a pas d'archives du groupe Esprit de Lyon, n'est-ce pas. Alors il y a quelques survivants dans mon genre, qui essaient de se remémorer, de retrouver un peu l'élan qui nous emportait dans ce sens. Et probablement certains des auditeurs qui sont ici aideront cette mémoire, l'élargiront tout à l'heure. J'ai participé aux groupes Esprit, et je le mets au pluriel, parce que cela s'est fait en deux phases : quand j'étais étudiant, dans les années 1948-1952 environ, et puis plus tard, quand je suis revenu m'établir à Lyon, j'étais enseignant dans les années 1956, 1970-1980.

Etudiant, j'avais été élève de Jean Lacroix en khâgne, en première supérieure, et j'étais resté en liaison assez étroite avec lui et avec le groupe auquel je participais aussi, et nous avions fondé, à quelques-uns, un groupe universitaire d'étudiants qui travaillaient un peu de la même façon, mais avec une certaine autonomie, une autonomie de fonctionnement considérable, notamment sur la Fac de Lettres (en lettres, philosophie, histoire), on avait des gens. Et on débattait là, avant tout, de problèmes politiques dans un contexte qu'il faut se remémorer un petit peu, un contexte de guerre froide, et un contexte de bi-partisans ou tri-partisans (MRP, PC, Gaullistes). Nous étions proches, en général, des idéologies de type communistes, et le groupe Esprit nous permettait de penser cela, de réfléchir là-dessus, et de nous en libérer, comme on l'a vu plus tard. En même temps, il nourrissait de militants et de responsables le syndicalisme étudiant. Déjà auparavant, le groupe Esprit, il faut bien insister, Jean Lacroix en a été véritablement le pilier, le point de convergence, le point d'attraction et d'émanation. Et il y a, près de lui, quelques fidèles qui l'ont secondé, qui l'ont accompagné au cours d'un itinéraire qu'on nous décrivait tout à l'heure peut-être d'une façon un petit peu sévère en ce qui concerne les relations avec la revue, et l'activité du groupe Esprit, autour de Lacroix, c'était essentiellement des réunions, des discussions qui regroupaient trente, quarante, soixante personnes - une fois, on est monté à cent dix, cent vingt, on a dit qu'on arrêtait parce que cela devenait vraiment quelque chose de public, alors que là, cela gardait un caractère réservé, marginal, si l'on veut, et de ce fait, autonome. On donnait des nouvelles des activités des uns et des autres, quand cela valait la peine, évidemment, on revenait sur les articles de la revue, et puis on recevait des personnalités qui étaient porteuses de questions intéressantes. Je voudrais en citer quelques-unes quand même : du côté philosophique, par exemple Paul Ricoeur, bien sûr, mais aussi Eric Weil, Louis Althusser, Emmanuel Mounier ; du côté de l'économie, et c'est là que je dirai le plus, Christian Perroux, Henri Bartoli, et si l'on veut aussi, Milton Friedman ; et puis, du côté littéraire, Roland Barthes, Jean Pâris ; et du côté pensée religieuse, le pasteur Roland de Pury ; du côté sciences politiques, Georges Lavau, André Mandouze, pour dessiner un petit peu ces gens que l'on retrouvait chez Lacroix et avec qui l'on pouvait parler. Mais il pouvait s'agir aussi bien de membres du groupe qui faisaient part d'expériences intéressantes, quelqu'un qui revenait d'Algérie ou d'Espagne (l'Espagne était alors franquiste), et qui avait quelque chose à dire sur la question, quelqu'un qui était en analyse et qui pouvait en parler, quelqu'un qui venait d'éditer un livre ou simplement un article dans la revue, voilà ce sur quoi le groupe Esprit réfléchissait.

Donc vous voyez à peu près ce qui constituait la matière de la réflexion de ces groupes-là. De quel public s'agissait-il ? Comment était-il constitué ? Il y avait bien sûr pas mal d'intellectuels : des professeurs, des étudiants, mais aussi des gens qui étaient engagés dans des professions par exemple d'assistance sociale, de santé, des éducateurs au sens large, il y avait des gens qui étaient engagés dans des formations politiques, syndicales, sociales, donc c'était finalement très varié, très bigarré, et numériquement très variable d'une séance, à un mois déterminé, à l'autre, au mois suivant, on ne retrouvait pas nécessairement les mêmes personnes sinon, évidemment, Jean Lacroix et une partie de son assistance proche. De quoi profitions-nous dans ce groupe ? Je crois que pour en mesurer l'intérêt, il faut rappeler, au moins sommairement, l'état des opinions, des savoirs, des réflexions à cette époque déjà lointaine. Dans les années 1940, 1950 et même 1960, on était largement dans le flou. On était dans l'incertain, tiraillés entre des positions, des certitudes qui, pour certaines, depuis, se sont révélées illusoires, et qui, pour d'autres, se sont au contraire affirmées. Je prendrai le cas, par exemple, de l'économie. Quand j'étais jeune, au groupe Esprit, on avait en principe le choix entre une économie de type marxiste, on nous faisait lire Karl Marx, ou une économie à la Adam Smith, une économie de type capitaliste. Et tout à coup, on voyait arriver Henri Bartoli et Christian Perroux, avec une pratique de l'économie qui reléguait ces économies dans le passé, ailleurs, qui nous mettait en prise sur le réel. La politique, c'était Lavau, Mandouze, Edgar Morin, et évidemment Jean-Marie Domenach : je me souviens, par exemple, du choc qu'a été, pour beaucoup d'entre nous, à ce moment-là, ce que Domenach a pensé et a publié sur le titisme, sur le moment où est l'activité par laquelle Tito s'est affranchi de Moscou. C'était énorme. Il y avait quelqu'un qui pouvait faire le destin d'une nation qui ne relevait plus de ces gouvernements, de ces idéologies de l'Est. La psyché pareillement : c'était le Docteur Balvet, la psychanalyse qu'on connaissait très peu. Beaucoup de ces choses-là aujourd'hui sont acquises et sont devenues communes, mais, à l'époque, elles avaient besoin d'être signalées, affirmées, proposées à l'examen et à la réflexion critique, parce que c'était cela, avant tout, que l'on trouvait au groupe Esprit. On trouvait des gens avec qui parler et avec qui apprendre : apprendre à comment s'y prendre avec la psychanalyse, la politique, comment la penser. Ce n'était pas tellement les thèses qui nous intéressaient, je me souviens, c'était avant tout les méthodes, les démarches, dont ces gens étaient porteurs, et qui ne déteignaient pas sur nous, mais nous éclairaient sur des possibles, qui restaient ouverts, des gens engagés dans des activités.

Est-ce que l'on peut très bien parler de l'influence de l'activité du groupe sur le paysage lyonnais ? C'est très difficile, et c'est en même temps évident. Il est évident que, par exemple, les gens qui se sont retrouvés dans ce qu'on a appelé les « clubs » venaient pour une très grande part d'Esprit. Les « clubs », vous savez de quoi je parle, c'est-à-dire du Cercle Tocqueville à Lyon qui a une certaine importance dans le renouvellement de la pensée de gauche à Lyon, et également le club Jean Moulin à Paris qui publiait aussi, des livres qui procédaient à peu près directement de la pensée Esprit. Et il s'est constitué peu à peu, en marge du groupe Esprit, des « lieux de rencontres intellectuelles », comme ceux qu'a animé, à une certaine période, Jean-Marie Auzias, qu'étaient beaucoup plus braqués sur les problèmes d'ordre purement intellectuels et qui procédaient du groupe Esprit. Et je crois d'ailleurs qu'il y a là un phénomène qui est assez lyonnais, cette manière qu'ont les gens de se rencontrer pour discuter de chroniques sociales, du cercle pour la liberté de la culture, qui avait été animé par Robert Vial, ce sont des gens que nous connaissions, avec qui nous étions en contact, mais au contact de qui nous maintenions notre originalité.

Voilà, c'est à peu près ce que je puis dire, à des choses auxquelles j'ai été mêlé, et je me sens peu en mesure d'évaluer exactement l'impact, l'étendue, la profondeur de ce qui en a résulté à Lyon, mais je le sens, je n'ai jamais pu vivre que là-dedans. Je vous remercie.



Bernard Comte : Il est inutile d'insister sur le prix que représente une intervention comme celle de Robert Jourdan, puisque l'on a le témoignage depuis l'époque de la jeunesse, jusqu'à l'époque où lui-même a joué un rôle, il ne l'a pas dit beaucoup : il a assisté Lacroix dans les dix dernières années. Il a été le second de Lacroix pour la vie du groupe. Robert Jourdan est témoin, acteur, et puis maintenant distancier : il dit faire un travail de mémoire, mais c'est un travail de mémoire qui est déjà sur la pente de l'histoire avec une vision distanciée et critique.

Alors il nous reste à parler de la revue Esprit après Domenach et Lacroix, ce que va faire pour nous Guy Coq.



La revue Esprit après Domenach et Lacroix par Guy Coq

Merci Bernard, bonsoir à tous. J'espère que je passe pour philosophe, que je ne vais pas faire pleurer les historiens ou les témoins qui m'entourent. C'est étrange parce que la revue Esprit, au fond, est plus que septuagénaire, et pour ma part, je peux dire que j'ai cinquante ans de compagnonnage, à des titres divers, d'abord jeune lecteur, et c'est vrai que j'ai des souvenirs très émus de Domenach pendant la guerre d'Algérie, venant parler à des groupes d'étudiants en province. J'aimerais, avant de recadrer les choses, donner le salut d'Olivier Mongin qui est le directeur de la revue depuis fin 1988, ce qui fait un long bail maintenant que nous sommes en 2006. Il n'est pas encore au niveau de Jean-Marie Domenach, qui a fait 1957-1977, vingt ans, et entre les deux, il y a quelqu'un que l'on oublie un petit peu quand même, pour l'instant, c'est Paul Thibaud, de 1977 à 1988, donc, lui, a fait un bail plus court, ce qui a peut-être facilité sa vie après. Parce que le problème est quand même réel : quand Mounier est décédé, après Béghin aussi, on pourrait parler de l'histoire de la revue, il y a eu des passages difficiles, par exemple, de Domenach à Thibaud. Cela a été plus facile de Thibaud à Mongin. Mongin tient la revue de manière, à mon avis, remarquable, compte tenu des difficultés de cette période que je vais évoquer. Je voudrais aussi mentionner, parce que c'est vrai que nous sommes encore dans le centenaire d'Emmanuel Mounier, 1905-2005, et où, au titre de l'association « les Amis de Mounier », j'ai essayé de faire des choses. Au fond, notre gros problème, c'est que Mounier ne soit pas tout simplement oublié et soit de nouveau étudié dans nos écoles et universités, dans des lieux de formation comme une lecture possible, constructrice, pour des humains. Pour cela, mettre en circulation ses oeuvres. A la tête de cette association, j'ai appris qu'un auteur pouvait mourir, une seconde mort : quand on voit quelquefois des choses remarquables faites sur des auteurs, il y a souvent derrière un petit groupe de gens dévoués qui n'apparaissent pas, mais qui ont fait le travail. Dans un premier temps, je vais essayer de ne pas trop faire de l'histoire, et puis je reviendrai sur les temps forts de la revue dans la période récente.



Le premier accent important de la revue dans son présent - un présent qui est un peu à élastique quant à la durée - c'est une interrogation sur l'énigme de la démocratie. Avant de venir, j'ai revu certains compte-rendus de conseils de rédaction, etc., de ces années récentes : l'inquiétude sur la démocratie est constante. Il faut bien remarquer que 1989 met un terme à l'alternative de société globale d'une part et fait cesser le positionnement exclusif de la démocratie par rapport au totalitarisme. Et la démocratie devient un questionnement sur nous-mêmes. C'est ce qui apparaît dans les grands thèmes des animateurs principaux de la revue. Il s'agit au fond aussi de concilier la souveraineté, les droits de l'homme, l'état de droit et la démocratie. Et d'être lucide devant l'usure du jeu démocratique lui-même. Et, au fond, bien souvent, d'ailleurs, c'est assez étrange, pour moi, que le mandat de Mongin qui est, d'une certaine manière, le plus loin de Mounier, j'y reviendrai, est aussi celui où on entend le plus souvent l'écho comme d'une mémoire amie de Mounier. Car ce thème de l'usure démocratique, vous le savez, était un thème mounieriste très important. Et puis les contradictions de l'individu enfermé : l'individualisme sera-t-il plus responsable enfermé dans des intérêts particuliers. Avec Mongin, c'est aussi le thème du scepticisme qu'il faut dépasser. Le premier grand dossier qu'il a animé en janvier 1989 comme directeur s'appelait « Contre le scepticisme ». Il nous avait fait travailler à toute vitesse pour essayer d'argumenter ce thème, et le dossier comme très significatif de la marque de Mongin sur la revue qui, très vite après, bataillait avec Gilles Lipovetsky, L'Ere du vide : Essais sur l'individualisme contemporain (Gallimard, 1989), et Mounier et Mongin lui-même écrivant sur ce thème du vide, justement, contre le vide. Le sens de la communauté aussi : il y a, chez Mongin, l'inquiétude de la communauté politique, en quelque sorte, une société qui ne soit pas uniquement une gamme d'individus, mais qui ait du corps. Il y a chez lui le thème de la « désincorporation » que pourrait produire la démocratie, thème emprunté à Claude Lefort, mais à travers Lefort, venant de Maurice Merleau-Ponty, et à travers Merleau-Ponty, venant de Mounier. Voilà les choses telles qu'elles peuvent se dire du point de vue de l'histoire des idées. Depuis 2001, la question est celle d'un réveil de l'histoire, c'est le thème de l' « après 11 septembre » où, fidèle d'ailleurs à l'idée de Mounier, l'événement comme maître, la revue a su, à mon avis, être aussi interpellée par les grands événements qui ébranlaient l'histoire du monde. « La question de la dynamique de civilisation, je cite Mongin, qui a structuré progressivement l'institution historique des démocraties est redevenue d'actualité ». Et puis aussi l'interrogation sur le socle des valeurs démocratiques car, dit Mongin, « il s'agit de valoriser la démocratie, une valorisation historique post-totalitaire ». Mais en même temps, alors, chez lui et plusieurs des personnalités importantes qui l'entourent, l'interrogation sur les maux de l'homme démocratique et la réaction contre la peur du vide, justement, où Mongin questionne les passions démocratiques car, explique-t-il, bien sûr, les valeurs de la démocratie politique sont reconnues, révérées, etc., mais on oublie que l'homme concret de la démocratie peut être dans des situations pas forcément faciles à vivre, d'où les passions démocratives, peut-être les souffrances. Et la difficulté de cet homme de la démocratie et des mœurs démocratiques de reconstruire de l'espace politique. Deux formules de Mongin, citées à propos de son livre, La Peur du vide, tome 1 : Essai sur les passions démocratiques (Seuil 2003), comme vous le savez, il parle beaucoup des images, parce qu'il y a chez lui l'insistance sur le corps et l'incarnation : « passer de la peur de l'autre à la peur pour l'autre », formule forte me semble-t-il comme un mot d'ordre de son livre sur la peur du vide, « ne pas succomber à la tentation de désespérer du monde ». Dans un grand entretien avec Gérard Lurol, au début de son mandat, Mongin insistait bien sur ces passions démocratiques, il y a un tragique de l'histoire au plan individuel qui a un prix psychique difficile des libertés démocratiques. Etre l'homme de la démocratie n'est pas évident, il faut donc refuser de le mépriser, ne pas méconnaître nos mythologies contemporaines, même les plus méprisables, pour les examiner, d'où l'importance des images dans la réflexion de Mongin. On n'a pas remarqué que du point de vue de la réflexion sur le cinéma, il avait parfois des analyses qui étaient du niveau de grandeur de Roland Barthes.

Donc voilà le lien difficile entre les mœurs de la démocratie et les valeurs politiques de la démocratie. C'était un premier axe. Je vais faire plus vite les autres, parce que celui-ci me paraît très important.

Deuxième axe, c'est la mondialisation toujours en arrière-plan. J'interrogeais Mongin ces jours-ci, la mondialisation derrière l'Europe, penser l'Europe mais avec l'arrière-plan de la mondialisation, et c'est quelque chose d'important, mais ne pas oublier non plus la nouvelle question nord-sud dans ces problèmes de mondialisation et questionner la montée d'un monde multipolaire, tout cela fait allusion à des choses très importantes qui ont parues dans la revue ces dix dernières années pour ne pas remonter plus loin.

Troisième axe, la société incertaine. Je crois qu'autour de l'incertitude de l'individu démocratique très bien illustré par les travaux d'Alain Ehrenberg qui est un fidèle dans le groupe très inspirateur de la revue, il y a l'idée que l'individu démocratique peut-être met en crise la société, mais il est en crise en quelque sorte, et donc ce thème de la désincorporation démocratique de la société. Quel corps social ? Bien sûr, c'est une société plurielle, mais il ne faut pas qu'elle se désintègre, thème de la fragmentation reprise de Taylor, toutes les réflexions sur la banlieue, et aussi l'accueil considérable fait à des penseurs, à des intellectuels musulmans ou d'origine musulmane, je pense à Abdel Wahab Medeb, et à quelques autres qui ont un rôle important dans la revue, ou aussi le grand compagnonnage avec l'un des meilleurs penseurs sur l'Islam, Olivier Roy. Donc l'avenir du travail et la montée du droit sont aussi des thèmes autour de la société.



Il y a un quatrième axe, c'est la revue dans sa durée. Parce que l'on peut dire la chose suivante, et j'ai été témoin de la réconciliation de Mongin et de l'équipe et de nous tous à travers lui avec Paulette Mounier. Il est indiscutable que l'ère Mongin, sans du tout que ce soit une critique sur Thibaud dont j'ai souvent salué le travail formidable, est une ère de l'apaisement des relations avec Châtenay-Malabry. Comme dit Mongin, « de toute façon, il n'y avait pas de mérite, parce que moi, je n'ai pas été formé par Mounier, et je n'ai pas de compte à rendre avec le passé », écrivait-il en 1990, dans un grand entretien où il disait vraiment ce qu'il avait dans le ventre, enfin ce qu'il voulait faire à Esprit. Donc il n'y avait plus du tout avec lui de relations crispées. Et, du coup, une relation aussi apaisée avec Mounier est quasiment un intérêt neuf. C'est lui qui a invité à travailler sur la mémoire de la revue, au sens vivant, c'est-à-dire, se maintienne dans la mouvance d'Esprit la mémoire de Mounier. L'association, à cause de Mongin, se trouve, au fond, avoir un gros soutien de la revue Esprit, même si cela n'apparaît pas à toutes les pages de la revue Esprit, mais sans l'appui de la revue, beaucoup des choses que nous avons réussies, nous ne les aurions pas réussies. Et, écrivait Mongin à ce moment-là, « les gens de ma génération sont prêts à se confronter avec [Mounier] ». D'autres formules me paraissent tout à fait étonnantes, d'ailleurs en proximité avec Paul Ricoeur, il faut bien le dire, Ricoeur le savait, traitant des nouvelles approches de la personne dans la revue. Le thème même de la communauté est intéressant pour Mongin. Quand il invite à un retour sur Mounier, il invite à relire Mounier, je le cite, « il faudrait l'inscrire dans nos débats contemporains », mais en le dégageant d'une lecture superficielle qui était celle, peut-être, de certains mouvements, et je ne veux choquer personne, mais c'est vrai que, quelquefois, dans les mouvements, on instrumentalise un auteur, on fait une sorte de vulgate, moi-même j'ai plongé dans ce genre de vulgates aussi bien du côté de Mounier que du marxisme, donc cette espèce de nécessité de revenir à l'œuvre même, et Mongin a beaucoup aidé à la réédition des textes de Mounier, notamment les deux volumes en « Point Seuil » (correspondant partiellement au premier tome des Œuvres complètes), qui ont été à la fois l'acte immensément positif du Seuil, et malheureusement, un acte final, et après, le désert. Du côté du spirituel, car il est indiscutable qu'il y a eu d'ailleurs, dans ses dernières années, même du côté du christianisme, et à cause de Mongin aussi, une sorte de relation apaisée. Domenach n'était pas à l'aise car il avait quasiment été agressé par l'Eglise catholique, il a eu des périodes très difficiles. Thibaud n'osait pas aller plus loin, puis c'était une période très difficile, de ce point de vue, Mongin, marqué par tous ces retours aussi, était beaucoup plus décontracté sur ces affaires, et, de fait, on peut dire que son mandat représente une sorte de relation amicale, au fond, de l'esprit, avec le christianisme des fondateurs.

Après avoir marqué ces quelques étapes je conclurai pour dire qu'Esprit reste une revue indépendante. Je suis chaque fois furieux, et encore il y a deux jours, dans Le Monde, quand je ne sais quel plumitif écrit que « la revue est dans le sillage du Seuil ». Il n'y a rien de plus faux. Moi qui suis au Comité de la gestion de la revue, le Seuil n'a pas plus d'actions dans la revue que n'importe lequel d'entre nous, et d'autre part, j'ai envie de dire, mais je laisserai la parole à Goulven Boudic, que c'est le contraire, que c'est le Seuil qui a pressuré Esprit et les auteurs issus du mouvement Esprit pour ensuite l'assassiner, pour ensuite le trahir et le rejeter comme une vieille peau qui n'avait plus d'intérêt. Je sais que je parle publiquement. (rires) Donc il y a une sorte d'agacement devant ces gens du Monde qui doivent tout à la revue Esprit derrière leur fondateur Hubert Beuve-Méry, ces gens du Seuil qui devaient tout aussi au mouvement globalement, y compris leurs principaux responsables parfois, et qui, à un moment donné, ont simplement honte de leur passé. Alors je dis cela parce que, en même temps, je vois que dans la revue actuelle, ce n'est pas du tout la mentalité. La revue veut rester artisanale, elle est strictement indépendante sur le plan financier, c'est probablement la seule revue française dans ce cas, qui vit sur ses quatre ou cinq mille abonnés et sur ses dix mille exemplaires tirés chaque année. Elle reste une revue qui veut être généraliste. On peut discuter sur la difficulté, c'est un leitmotiv des lecteurs depuis toujours, et je suis d'accord d'ailleurs avec certaines critiques, mais la revue, c'est ce besoin d'orchestrer des savoirs différents sur le plan de la connaissance.



Je m'arrêterai là. Je ne fais pas le récit, dans le débat on pourra peut-être voir cela, des apparitions publiques dans la revue. Il y a toute une tradition d'engagement à la revue Esprit. J'ai eu le privilège, dans une longue période, de me trouver en consonance avec de grands engagements que prenait la revue ; à d'autres moments, il m'est arrivé d'être personnellement moins en consonance avec ces engagements, l'essentiel étant que le droit à la parole publique de chacun des membres du groupe soit respecté. Merci.

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