La recherche en sécurité routière
La recherche en sécurité routière se justifie par l'importance de l'enjeu en terme de santé publique. C'est donc la mobilisation sociale, mais beaucoup plus la volonté des pouvoirs publics qui justifie, promeut et garantit l'existence d'une telle recherche. Si elle s'est constituée à l'origine autour de quelques disciplines comme la statistique, la psychologie, les sciences de l'ingénieur et la biomécanique, les champs disciplinaires mobilisés sont aujourd'hui de plus en plus nombreux.
La complexité de l'appréhension de l'objet sécurité peut expliquer un tel foisonnement dans la mobilisation des compétences (dans tous les sens du terme), mais le prix à payer est certainement une difficulté à repérer ce type de recherche dans les institutions universitaires françaises.
La conséquence évidente de cet état de fait est une relative marginalisation de ces thèmes – jusqu'à une époque récente – dans la recherche académique de notre pays avec en contrepartie l'existence d'un réseau international, souvent très structuré de longue date, de chercheurs spécialisés en sécurité routière, surtout au niveau européen.
Au delà des origines disciplinaires pouvant qualifier les recherches, trois types de démarches peuvent être repérés reposant sur des points de vue aisément discernables sur la prévention.
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Tout d'abord, l'amélioration des performances de chacun des composants produit "évidemment" un gain en sécurité ; c'est une démarche résolument causale qui s'appuie sur des a priori de "bon sens". Mais ces a priori peuvent conduire à des actions aux résultats parfois inattendus, moindres ou même négatifs par rapport à ceux qui étaient espérés.
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Il est alors évident qu'il convient de s'intéresser au fonctionnement du système routier, en particulier aux rétroactions en œuvre, aux adaptations des comportements. Des méthodes de recherche inductives, de type "boîte noire" sont alors utilisées. Des relations mathématiques – sortes de "lois" de la sécurité routière – sont établies entre différentes grandeurs, telles la valeur des rayons en virage et les vitesses pratiquées, le pourcentage de diminution de vitesse et les gains en sécurité, les niveaux d'alcoolisation et les taux d'accident, l'énergie au choc et la gravité des blessures.
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Mais les approches précédentes ont leurs limites du fait du peu d'intérêt accordé à la compréhension même des processus en jeu. Il est, en effet, bien souvent nécessaire de prendre en compte la complexité du système pour pouvoir définir les modalités d'une action adaptée. Les hypothèses de l'analyse de la circulation urbaine portent sur les régulations effectuées par les conducteurs en terme de rétroactions. Un confort de conduite supplémentaire augmente les vitesses, la prise de conscience que la probabilité d'être sanctionné est minime autorise des comportements infractionnistes. Il est indispensable, pour pouvoir agir, de faire porter l'analyse sur les interactions entre éléments de façon à comprendre le fonctionnement du système. Il y a donc là un saut qualitatif allant de démarches très inductives jusqu'au recours à des modèles complexes pour interpréter cette réalité.
Intégration de la sécurité dans la conception des Espaces Publics
Au travers de la conception des espaces publics et des réseaux de circulation urbains, on peut voir comment
la prise en compte de la sécurité a pu évoluer dans le temps, s'appuyant parfois sur des principes contradictoires en fonction de l'évolution des principes de la conception urbaine ou des modifications institutionnelles.
La circulation dans la ville est nécessaire à son existence ; pour satisfaire cette fonction, un réseau spatialisé constitue un système viaire ouvert supportant de nombreuses fonctions, usages et modes de déplacement. Les
habitants comme les voyageurs se retrouvent dans cet espace.
La ségrégation des modes et la hiérarchisation des voies
Les objets physiques d'aménagement ont peu évolué : signalisation, trottoir, giratoire… mais il n'en est pas de même de la culture de l'aménagement qui va donner naissance à des conceptions de réseaux et à des traitements de l'espace public très différents selon les fonctionnalités privilégiées, les objectifs recherchés et le degré d'intégration dans le tissu urbain.
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La préoccupation principale des ingénieurs fut d'abord de concilier circulation et sécurité en ville, ce qu'il réalisèrent en séparant les véhicules lents de la circulation rapide, puisque différents modes de traction subsistaient encore au début du siècle. Puis, la sécurité a trouvé sa place dans les réflexions fonctionnalistes des urbanistes sur l'efficacité de la circulation automobile. Les principes de ségrégation des modes de transport et de hiérarchisation des voies se structurent progressivement lors des Congrès Internationaux d'Architecture Moderne.
Le rapport Buchanan, en 1961, étudie les problèmes posés par le développement de l'automobile dans la société moderne. Ils sont illustrés au travers de la comparaison avec l'hôpital où la circulation doit éviter des zones d'environnement (chambres, salles d'opération…). Parallèlement, en Suède, des universitaires de Göteborg tentent de conceptualiser un urbanisme sûr. Le guide SCAFT de 1968 listait les principes issus de cette réflexion.
L'intégration des modes et des usages
Vers le milieu des années 70, en réaction contre les politiques urbaines trop axées sur une répartition fonctionnelle de l'espace, émergea en Hollande l'idée de "woonerf" ("cours urbaine") qui révolutionna la conception des espaces publics urbains. Au travers des expériences qui suivirent, apparut toute l'originalité des idées mises en œuvre pour traiter l'espace public. L'intégration des modes et fonctions permet maintenant de faire cohabiter l'ensemble des usagers d'un même espace urbain dans le double objectif d'une bonne sécurité et d'un meilleure qualité de vie.
La conception basée sur ces principes de "traffic calming" et d'intégration des usages fut l'objet de nombreuses expérimentations et de projets de démonstration. Des bilans positifs du point de vue de la sécurité en furent tirés.
La littérature actuelle en matière de traitement de l'espace public permet de repérer quelques modèles techniques d'organisation des réseaux viaires considérés comme devant améliorer la sécurité routière. Ces modèles peuvent être différents selon les pays, par exemple en Hollande, en Allemagne ou au Danemark.
La sécurité dans la gestion urbaine
La littérature internationale fonde la pilotage de l'amélioration de la sécurité routière sur des modèles d'analyse de type "rationnel". Ces modèles mettent en balance le coût de chaque action et le gain qui peut en résulter. Les limites de ces démarches rationnelles résident toutefois dans celles de l'évaluation elle-même. Certaines actions sont aisément quantifiables par de telles approches, alors que d'autres - en particulier les plus globales - ont des impacts difficilement mesurables "toutes choses égales par ailleurs". C'est pourquoi la lutte contre les dysfonctionnements recourt de plus en plus à une gestion par objectifs. Le résultat prime alors sur les moyens de l'atteindre, la quantification du niveau cible (en sécurité routière le nombre de tués et le nombre d'accidents) permet de définir un tableau de bord. Beaucoup de pays se sont ainsi fixés des objectifs à moyen terme.
Les modèles rationnels constituent une référence pour l'action en matière de sécurité routière, mais ils ne sont pas suffisants. A ceci une raison évidente : même si l'insécurité est un problème de santé publique majeur, l'aménagement des espaces publics ne se fait pas dans le seul objectif de lutter contre les accidents de route : d'autres préoccupation interviennent quand il s'agit d'aménager la ville. La sécurité est, dans les faits, rarement poussée par les gouvernements en tant que telle, mais plus généralement associée à d'autres valeurs pour une meilleure qualité de la conception urbaine.
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