Nouvelles d’Amérique0
La gestion de la connaissance0
ou devancer l’ennemi par le savoir
Par le Colonel Jean-Claude BREJOT0
Du 18 au 21 octobre 2010, s’est tenue à Kansas City la conférence annuelle consacrée à la gestion de la connaissance (Army Operational Knowledge Management). Ce thème est devenu progressivement une priorité opérationnelle pour deux raisons essentielles:
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La complexité de l’environnement opérationnel, redécouverte lors des combats de contre-insurrection en Afghanistan et en Irak doit être comprise, pour agir avec efficacité, au plus petit niveau tactique,
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Le développement des réseaux informatiques militaires à diffusion verticale autant qu’horizontale à la disposition des combattants agit comme un multiplicateur d’efficacité.
Le Vice Chief of Staff of the Army, le général d’armée Peter W. Chiarelli, s’est déplacé au Kansas à cette occasion. Il y a d’ailleurs rappelé que dans le cadre de la modernisation de l’Army, le réseau militaire est la priorite numéro 1.
Mais, au delà du volontarisme qui appuie le développement du Knowledge Management, comment pourrait-il être décrit le plus concrètement possible à des lecteurs étrangers à cette capacité?
Trois approches complémentaires:
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Un réseau informatique militaire (appelé AKO pour Army Knowledge Online) qui est extrêmement puissant, disponible en métropole comme en opérations, classifié ou non selon l’accréditation de celui qui s’y connecte (à l’aide de sa carte d’identité militaire dotée d’une puce électronique). Il héberge ainsi une messagerie classique mais aussi et surtout des sites professionnels, des Blogs, des forums («Share what you know, Find what you need»), des sites d’organisations (comme celui du CALL pour le RETEX ou de l’entraînement), etc..., gérés par un système appelé BCKS (Battle Command Knowledge System). La philosophie qui alimente la gestion du réseau est de mettre à disposition des combattants tous les outils dont ils peuvent avoir besoin.
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Des équipes spécialisées dans la gestion de l’information constituées au sein des états-majors, y compris en opérations.
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Des exemples concrets:
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17 janvier 2008, Afghanistan: un membre du Forum consacré au COIN0, engagé dans la formation de la police afghane, demande des informations techniques pour pouvoir tester les RPG avant usage (5 ont déjà explosé au moment du tir tuant et blessant des tireurs). 53 membres de ce forum ont répondu, de nouveaux lanceurs furent distribués dans tous les centres régionaux et un programme d’entraînement amélioré.
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Autre exemple, mai-juillet 2006, Afghanistan: le général commandant la Joint Task Force 76 veut savoir combien de missions la 3rd BCT (Brigade Combat Team) a conduit pendant les 30 derniers jours et combien d’hélicoptères ont été utilisés. Pour faire les recherches de manière traditionnelles, il eut fallu 40 heures. Grace au réseau, l’officier KM a développé une approche permettant d’obtenir une réponse en 1 minute.
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Dernier exemple, août 2008: un rédacteur de doctrine utilise un forum pour la mise à jour d’un document (FM 3-28, Civil Support Operations). Il en résulte une réduction de la durée des travaux de 33% (de 6 à 4 mois). Le forum est accessible 24 heures sur 24 pour tous les membres du groupe de rédaction. Le nombre de réunions et donc de déplacements est diminué de 70%.
Ces exemples peuvent évidemment être multipliés. Mais celui des PTSD (Post Traumatic Stress Disorder) qui préoccupe légitimement l’Army et le corps des Marines a été choisi par le général Chiarelli pour illustrer toute la puissance du KM. Un forum professionnel est aujourd’hui consacré aux PTSD. Il permet de réunir des professionnels de la Défense (sur les théâtres d’opérations et aux USA), des chercheurs universitaires, des chercheurs en médecine et des médecins spécialisés, civils et militaires. Les premiers résultats de cette collaboration «en ligne» seraient prometteurs.
L’approche de l’Army est intéressante non pas par la puissance des moyens technologiques sans pareil qu’elle est capable de déployer, mais dans la philosophie qui préside au processus de gestion de l’information. Ainsi, il s’agit bien d’optimiser l’emploi d’un réseau électronique de toutes façons existant ne serait-ce que grâce à la «numérisation du champ de bataille». Par ailleurs, les jeunes générations sont très à l’aise avec ces technologies dites des échanges sociaux grâce aux forums ou aux Blogs. L’Army utilise donc les points forts de sa jeunesse à des fins d’efficacité opérationnelle.
Enfin, les combats de contre-insurrection exigent des prises d’initiative aux plus petits niveaux tactiques. Ceci suppose donc un accès à l’information partagée, verticalement mais surtout horizontalement, car plus rapide. Le Knowledge Management est bâti pour faciliter ce processus.
Leçons d’histoire
Par le Colonel Michel GOYA,
de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire
Malheur au vainqueur
Dans «De la guerre», Clausewitz décrivait la guerre comme l’affrontement de deux trinités associant chacune un gouvernement, un peuple et une armée. Dans son esprit, cela se traduisait par un duel gigantesque entre deux forces armées jusqu’à l’écrasement de l’une d’entre elles. Privé de leur centre de gravité, l’État et le peuple n’avaient alors plus qu’à se soumettre au vainqueur sur le champ de bataille. Ce schéma s’est trouvé mis en défaut lorsque les États n’ont plus affronté d’autres États, mais des «organisations» dont le centre de gravité n’était plus leur armée, généralement modeste, mais le soutien de la population, transformant le «duel» en «opération au milieu des gens».
Dans le cas de l’opposition entre Israël et le Hamas, cette asymétrie est encore accentuée par les particularités des deux adversaires. David devenu Goliath, Israël associe un pouvoir faible car instable, une armée très puissante et une population de plus en plus radicale0. Face à lui, le Hamas a un «pouvoir» déterminé jusqu’au fanatisme, une milice matériellement très faible et une population encore plus radicalisée que celle d’Israël0. Faute d’une volonté capable d’imposer une solution politique à long terme, Israël est piégé par cette armée à qui il doit sa survie et qui ne peut que lui proposer des solutions sécuritaires à court terme. Arnold Toynbee, parlant de Sparte, appelait cela la «malédiction de l’homme fort».
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