Statut des fonctionnaires : les premières pistes du projet de loi sur leurs droits et devoirs


#4 Revoir le code du travail : attention danger



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#4 Revoir le code du travail : attention danger

Pas touche au contrat de travail. Le contrat « agile », dernière variante des organisations patronales pour assouplir le CDI (pendant trois ans, un salarié pourrait être facilement licencié si l’entreprise traverse des difficultés économiques ou s’il n’atteint pas ses objectifs), n’a pas trouvé d’écho dans le plan de lutte contre le chômage de François Hollande. Néanmoins, pour donner davantage de « lisibilité » et de « prévisibilité » aux employeurs comme aux salariés, il y a matière à « simplifier » les règles d’embauche et de licenciement, a affirmé le chef de l’Etat.

Cela passera par le plafonnement des indemnités prud’homales qui sont accordées aux salariés en cas de licenciement abusif. Introduite dans la loi Macron, cette barémisation retoquée par le Conseil constitutionnel (au motif qu’on ne peut pas toucher d’indemnités différentes selon la taille de l’entreprise dans laquelle on travaille) revient dans le cadre de la future loi El Khomri qui sera présentée en mars. Elle ne devrait plus reposer sur la taille de l'entreprise mais seulement sur les critères d’ancienneté du salarié. Le futur barème sera-t-il aligné vers le haut, au risque de pénaliser les plus petites entreprises (la loi Macron prévoyait d’accorder jusqu’à 20 mois d’indemnités pour les salariés des entreprises de plus de 20 personnes, contre un an pour les autres) ou vers le bas, ce qui ravirait les plus grandes ? 

Le plafonnement des indemnités prud'homales n'aura aucun impact sur l’emploi

Quoi qu’il en soit, cette mesure, applicable aux seuls licenciements abusifs, envoie un signal fort aux employeurs : ils pourront provisionner, à l’euro près, le coût de la violation du droit. Mais surtout, in fine, elle ne devrait avoir aucun impact sur l’emploi. La « peur » du licenciement et du conseil des prud’hommes a beau être érigé en dogme incontestable – et invérifié - (le nombre de recours aux prud'hommes est pourtant en baisse, grâce notamment aux ruptures conventionnelles), elle ne fait pas le poids face à l’incapacité des employeurs à recruter, faute d’activité suffisante.

Les véritables changements sont plutôt à attendre du côté des conclusions de la commission Badinter, qui seront remises le 25 janvier à la ministre du Travail. Mis en place dans la foulée du rapport Combrexelle, la commission présidée par l’ancien garde des Sceaux doit fixer les règles de l’ordre public social, un socle de droits intangibles (smic, contrat de travail, durée légale du travail) auxquels on ne pourra pas déroger par accord, tout le reste étant renvoyé à la négociation collective. 

Dans un contexte de chômage de masse, donner plus de pouvoir à la négociation d’entreprise n’est pas une bonne nouvelle

Et c’est bien ce « reste » qui est préoccupant. Dans un contexte où le rapport de force est défavorable aux salariés, chômage de masse oblige, donner plus de pouvoir à la négociation d’entreprise n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Surtout si le projet de loi donne davantage de poids à l’accord d’entreprise pour organiser le temps de travail, les repos et les congés. Aujourd’hui, direction et syndicats peuvent déjà signer un accord pour baisser la majoration des heures supplémentaires de 25 % à 10 %, par exemple. Mais cette possibilité est encadrée par un double verrouillage de la loi et de la branche. Demain, l’accord d’entreprise deviendrait maître. Une entreprise et ses syndicats pourraient, seuls, décider du niveau de cette majoration. Sans compter que des interrogations subsistent sur l’éventualité de descendre en dessous du seuil des 10 %.

Par ailleurs, lorsque « l’intérêt de l’emploi » est en jeu, a précisé François Hollande, un accord collectif devrait aussi pouvoir s’imposer au contrat de travail. C’est déjà le cas pour les accords de maintien dans l’emploi (AME) ou les accords de mobilité. Les salariés qui refusent de signer l’avenant qui modifie leurs conditions de travail (gel des salaires, augmentation du temps de travail…) sont licenciés pour motif économique. Cette qualification sera-t-elle revue ? Ces salariés deviendraient-ils démissionnaires ? Auquel cas ils perdraient alors leurs droits à l'assurance chômage.

Enfin, quel sera le champ de « l’intérêt de l’emploi » ? Moins restrictive que les « graves difficultés » de l'entreprise qui conditionnent un AME, la formulation du chef de l’Etat ouvre la porte à des assouplissements futurs.

#5 Durcir les règles de l’assurance-chômage : contre-productif

« En France, la durée d’indemnisation est la plus longue d’Europe. » Alors que la convention d’assurance-chômage relève des partenaires sociaux et que l’exécutif n’est pas censé y mettre son nez, sauf pour l’agréer en bout de course, cette déclaration de François Hollande a pourtant tout l’air d’un cadrage. Et « hasard » du calendrier, les négociations sur la future convention doivent s’ouvrir dans les semaines à venir.

Une fois encore, les appels à réformer les règles « trop généreuses » de l’assurance-chômage sont nombreux. La Cour des comptes préconise de revoir les recettes (assiette des contributions, leur taux et modulation) mais aussi les dépenses (durée d’affiliation requise, durée maximale d’indemnisation et mode de calculs) de l’Unedic. Une urgence pour tenter de résorber la dette du régime qui pourrait atteindre 26 milliards à la fin de l’année.

« Revenir à la dégressivité des droits, ce serait accélérer le basculement des chômeurs vers la pauvreté ».

Parmi les hypothèses évoquées pour redresser les comptes, celle d’un retour de la dégressivité des droits – le montant des allocations décroissant dans le temps - revient dans le débat public. « Mais en période de faible création d’emploi, ce serait juste accélérer le basculement des chômeurs vers la fin de droits et la pauvreté », prévient l’économiste Mathieu Plane. « En 2001, on avait abandonné la dégressivité en contrepartie d’un raccourcissement des droits et d’un plan d’aide au retour à l’emploi (Pare), rappelle l’économiste Bruno Coquet. On voudrait y revenir sans rallonger la durée des droits ? Cela équivaudrait à taxer les chômeurs pour des dysfonctionnements dont ils ne sont pas responsables. Il existe en outre une étude empirique de l'Insee qui montre que la dégressivité ralentit le retour à l’emploi. »

Pour ce spécialiste du chômage, si certaines règles méritent d’être revues, elles sont très loin d’être responsables de la « faillite » de l’assurance-chômage. « Depuis 1983, on ne fait que réformer les paramètres d’un système qui par ailleurs n’est pas si généreux. Et cela ne résout en rien les problèmes de financement. Si on voulait vraiment s’attaquer à la dette, il faudrait diviser par deux les droits potentiels des assurés : passer de 4 mois à 2 mois pour qu’ils puissent s’affilier, de 24 à 12 mois pour la durée d’indemnisation et de 57 % à 47 % pour le taux de remplacement, soit l’allocation que touchera le demandeur d’emploi... Ce n’est socialement pas acceptable, alors que le régime général est depuis toujours excédentaire », explique Bruno Coquet. Selon lui, les comptes de l’assurance chômage sont grevés par toutes les dépenses publiques (régime des intermittents et des intériméraires, fonctionnement du service public de l'emploi...) que l’Etat lui a transférées. Et les solutions sont à chercher du côté des réformes structurelles, à commencer par une surtaxation des contrats courts. Des pistes qui ne sont pas à l’ordre du jour.


  • 1.Auteur de Que sais-je : les politiques de l'emploi, PUF 2014.


Jeunes adultes : attention fragiles ! Entretien avec David Gourion

Dans son dernier livre, le psychiatre David Gourion s’inquiète de la faible prise en charge du mal-être des jeunes. Comment prévenir la souffrance psychique chez les 15-30 ans ?

Certes, la plupart des jeunes se portent bien ; un récent sondage d’OpinionWay indique que 69 % des moins de 26 ans se disent optimistes quant à leur avenir. Mais pour une part non négligeable d’entre eux existe un réel mal de vivre. La consommation d’alcool et de psychotropes s’est aggravée ces dernières années, les tentatives de suicide et l’isolement semblent en augmentation chez les adolescents, la dépression toucherait 7 % des garçons et près de 17 % des filles dans cette tranche d’âge (1). Assiste-t-on donc à une progression du mal-être chez les jeunes ? C’est ce qu’affirme David Gourion, qui tire la sonnette d’alarme.



Vous affirmez que 25 % des jeunes entre 15 et 30 ans seraient concernés par un trouble psychique. Est-ce que les jeunes d’aujourd’hui souffrent plus que ceux d’hier ?

D’un côté, certaines études suggèrent que l’autisme, les troubles bipolaires, les troubles anxieux et la dépression ont beaucoup augmenté en l’espace de trente ans chez les jeunes. De l’autre, certains pensent qu’il n’y en a pas plus, mais qu’on les diagnostique trop facilement, sous l’influence de l’industrie pharmaceutique qui chercherait à commercialiser le plus de psychotropes possible. Sans entrer dans les querelles d’experts, je pense que certains troubles sont en nette en augmentation, principalement les addictions. La consommation d’alcool et de cannabis est de plus en plus précoce et fréquente, y compris chez les filles ; les pathologies liées au stress, comme l’anxiété, la dépression et les troubles du comportement alimentaire également. Dans mon livre, je cite une étude qui reprend les résultats d’un test psychologique, le MMPI, qui a l’intérêt de pouvoir comparer différentes générations au même âge puisqu’il a été développé dans les années 1930 par l’armée américaine pour le dépistage des jeunes recrues. Or, comme ce test continue à être très largement utilisé aujourd’hui, les mêmes questions ont donc été posées à des dizaines de milliers de jeunes, évalués à 20 ans. Très clairement, les scores de dépression ont augmenté, ainsi que les scores de la psychopathie, c’est-à-dire l’absence d’empathie, l’impulsivité et un faible sens moral.



Quelles sont les raisons de ce mal-être croissant selon vous ?

Notre environnement et nos habitudes de vie ont considérablement évolué au cours des dernières décennies. On estime par exemple aujourd’hui que seuls 30 à 40 % des jeunes Occidentaux ont une activité physique régulière et suffisante. Or, on sait que l’exercice physique a des effets très bénéfiques sur la régulation du stress. Avec les aliments industrialisés, la consommation de sucres rapides et de graisses saturées a beaucoup augmenté, ce qui a un impact négatif sur la neurogenèse, c’est-à-dire la capacité qu’ont les cellules du cerveau à se renouveler. On a également beaucoup décalé nos rythmes sociaux : les jeunes adultes se couchent de plus en plus tard, si bien que leur temps de sommeil moyen s’est réduit d’une à deux heures par nuit en l’espace de vingt ans. Enfin, la pression sociale s’est renforcée avec l’augmentation drastique du chômage chez les jeunes. À cela, il faut ajouter les problèmes croissants de solitude dans les grandes villes, aggravés par les cyberaddictions dans lesquels se réfugient beaucoup de jeunes désociabilisés.



Dans votre livre, vous soutenez également que le cerveau des jeunes est particulièrement vulnérable. Pourtant, c’est aussi l’âge auquel notre esprit est le plus vif…

Il est vrai qu’entre 15 et 30 ans, on a les plus hautes performances cognitives. Mais dans le même temps, pendant cette période, le système neuronal est complètement réorganisé, justement pour gagner en performance. 30 à 40 % des cellules du cortex cérébral sont éliminées, ce qui permet d’optimiser les réseaux neuronaux. Parfois, cette destruction neuronale se fait trop vite ou va trop loin, ce qui peut être le cas lorsqu’on est soumis à un stress intense, un traumatisme ou si l’on consomme des substances toxiques en grande quantité, comme le cannabis. À ce moment-là, les performances cognitives peuvent chuter. Consommer du cannabis quotidiennement avant l’âge de 15 ans peut entraîner des dégâts irréversibles. Dans la mesure où 80 % des troubles psychiques se déclarent entre 15 et 25ans, si l’on passe le cap de la trentaine sans avoir déclenché de trouble, il y a relativement peu de risques d’en développer après. J’ai donc un message à faire passer aux jeunes : protégez votre cerveau, surtout si vous êtes un peu sensibles sur le plan émotionnel et si des membres de votre famille ont souffert de troubles psychiques.



Vous déplorez le manque d’informations sur les troubles psychiques en France. D’après vous, 75 % des jeunes en souffrance ne reçoivent aucune aide. Comment y remédier ?

Les problématiques de la souffrance psychique restent encore aujourd’hui un peu taboues en France. Au fil des quarante dernières années, on a réussi à baisser drastiquement le nombre de morts sur les routes. Dans le même temps, le taux de suicides a augmenté de 25 %. C’est aujourd’hui la première cause de mortalité des 15-30 ans. Or, le budget consacré à la prévention du suicide en France ne représente que 1 % de celui dépensé pour lutter contre la mortalité routière. Il faut que l’on se réveille ! En Australie, les psys vont à la rencontre des jeunes dans leurs lieux de vie, par exemple des cafés dédiés, pour faire de la prévention. L’idée, c’est de ne pas arriver après la bataille, une fois que la souffrance psychique est déjà bien installée. L’intervention précoce porte ses fruits. Plus on attend, plus les petits symptômes risquent de devenir de grandes souffrances.



Vous dites qu’il suffit de trois questions simples pour détecter un risque de dépression.

Les gens ont souvent l’impression qu’il est très compliqué de parler de la souffrance psychique. Je propose d’aborder les choses très simplement par trois questions que tout un chacun peut poser à un ami, un collègue ou son enfant qui va mal. On peut ouvrir le dialogue simplement avec une phrase comme : « J’ai eu l’impression que tu étais plus fatigué(e) ou triste que d’habitude… » Cette question permet d’ouvrir une première fenêtre de parole. Ensuite, on peut devenir plus précis, en demandant par exemple : « Est-ce que tu arrives quand même à t’en sortir, à travailler, à faire les choses que tu aimes bien d’habitude, à t’amuser et à voir tes amis ? » Cette deuxième question permet d’évaluer l’impact du mal-être. Une souffrance que l’on arrive à gérer est de l’ordre d’une déprime passagère, une souffrance dépressive avérée envahit tout et empêche de fonctionner normalement dans la vie. Si le mal-être semble profond, il ne faut surtout pas hésiter à poser la question cruciale qui permet de s’assurer qu’il n’y a pas de risque de passage à l’acte : « Est-ce que tu souffres au point d’avoir envisagé de mourir ? » Cette question va déterminer la dimension d’urgence et d’intensité du mal-être. Lorsque les jeunes ont réellement des pensées suicidaires, leur poser la question les soulage, car ils ont l’impression qu’enfin, quelqu’un comprend leur souffrance. Dans ce cas, il est important de leur renvoyer que ce type de questionnements récurrents n’est jamais anodin et de leur conseiller de consulter rapidement un spécialiste.



David Gourion

Psychiatre, ancien chef de clinique à Sainte-Anne, il vient de publier La Fragilité psychique des jeunes adultes. 15-30 ans : prévenir, aider, accompagner, Odile Jacob, 2015.




Du neuf ?

par Alain Garrigou, 4 janvier 2016

Lire Serge Halimi, « Le Front national verrouille l’ordre social »,Le Monde diplomatique,janvier 2016.Les élections régionales de décembre 2015 ont laissé dans leur sillage une incantation unanime : les Français veulent du neuf. La principale incitation à participer semble avoir été de voter contre, contre la classe politique ou contre le Front national… avec des résultats contraires. Aussitôt, les dirigeants politiques ont dit combien ils avaient compris l’exigence, les commentateurs de plateau ont martelé le message et les jours suivants, la presse française et étrangère a poursuivi l’appel au renouvellement : du neuf ! Cela résonnait aussi comme un vœu pour la nouvelle année proche. On se sent ainsi partagé entre le doute sur les bons sentiments et l’envie d’y croire. Du neuf ! Mais qu’est-ce que le neuf ?

Nouveaux mots ?

Des mots, il y en eut beaucoup au soir de deux tours d’élections pour dire qu’il fallait du neuf. Beaucoup plus que d’habitude sauf que cela ne semblait pas tout à fait inédit. Quelques porte-parole politiques restaient d’ailleurs imperturbables dans leurs réponses toutes faites et leurs évitements programmés, comme s’il ne s’était rien passé qu’une consultation électorale de plus. Ils accentuaient ainsi le doute soulevé par les appels au neuf. Pourquoi seraient-ils suivis d’effets cette fois ? Malgré l’ampleur nouvelle, malgré l’émotion, n’était-ce pas un rituel régulièrement renouvelé ? On n’avait pas attendu ces élections pour proposer des changements de noms aussi importants que ceux des partis. Au PS, le premier ministre Manuel Valls l’avait déjà proposé en suscitant la bronca des fidèles des vieux fétiches. Les Républicains ont déjà abandonné leur ancien nom d’UMP sous la houlette de leur chef Nicolas Sarkozy, qui a ainsi rompu des associations négatives avec des affaires ou avec le PS (le FN ne peut plus brocarder l’UMPS). Trop tôt pour un nouveau changement ? Il reste des possibilités… pourquoi pas les Nouveaux Républicains ? Même le parti qui prétend incarner le renouvellement aurait l’intention de changer de nom si on en croit une déclaration récente de Marine Le Pen. Le rideau n’est pas encore levé sur le nouveau nom. Quant à tous les autres, ils sont déjà coutumiers du fait, à l’exception du PCF qui témoigne d’une fidélité sémantique record face aux vicissitudes. En fait de neuf partisan, on se prend ici à penser au nouvel OMO — la marque de lessive — que moquait Coluche en un autre temps.



Nouvelles têtes ?

Les élections régionales ont relancé le thème récurrent du rejet de la classe politique parmi les commentateurs. La perspective de l’élection présidentielle, où beaucoup redoutent un affrontement entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, donne à ce thème un air de cauchemar. La stabilité des dirigeants politiques a été mise en évidence depuis longtemps, par Robert Michels notamment (1) qui évoquait une logique oligarchique jamais démentie depuis un siècle. Aussi bien faut-il des événements dramatiques comme la deuxième guerre mondiale pour provoquer un profond renouvellement du personnel politique — en 1945, les quatre cinquièmes des députés furent élus pour la première fois. Ce n’était d’ailleurs pas le suffrage qui avait éliminé les anciens parlementaires mais les tribunaux qui les avaient condamnés à l’inéligibilité (2). La nouvelle génération politique se confirma comme la plus « résistante » jamais vue, puisqu’elle « dura » un demi-siècle. Il est vrai que ses élus étaient entrés jeunes en politique. François Mitterrand par exemple ne se retira qu’en 1995… Plus d’un demi-siècle de carrière !



Si l’on observe rapidement la classe politique actuelle, il faut bien constater que sans bénéficier d’une telle longévité, son entrée en politique est déjà ancienne : plus de deux décennies pour les principaux dirigeants. Beaucoup n’ont d’ailleurs jamais exercé d’autre métier que la politique, signant ainsi les progrès de la professionnalisation, selon une trajectoire banale : assistant parlementaire, élu local, député puis ministre… (François Fillon, Manuel Valls), ou n’ayant eu que des métiers d’attente (François Hollande) ou de précaution (Nicolas Sarkozy). En 2002, un observateur américain se moquait de la lutte entre Jacques Chirac, entré en politique dans les années 1960, et Lionel Jospin, à peine un peu plus tard. Soit depuis plus de trente ans. Il se trompait en n’entrevoyant pas le 21 avril 2002 et l’immixtion d’un tiers, Jean-Marie Le Pen, qui ne démentait cependant pas sa critique car il fallait encore remonter plus loin (le trublion fut élu député pour la première fois en 1956). L’ironie de l’observateur américain était en outre complaisante envers son pays dont le président d’alors (George W. Bush) était le fils d’un précédent (George H.).

Si le phénomène n’est donc pas spécifiquement français, la France arrive en tête en Europe au regard d’indicateurs comme l’âge des élus. Ces statistiques concernant les hommes politiques sont pourtant moins visibles que l’omniprésence médiatique de certains d’entre eux. Il arrive même qu’on oublie de faire disparaître des retraités (Jacques Chirac ou Jean-Marie Le Pen) de l’actualité. C’est d’ailleurs en ce sens qu’on réclame de « nouvelles têtes », puisque les visages s’installent sur les petits écrans avec une longévité lassante. Peut-être faut-il chercher là une raison forte de la dégradation rapide des popularités qui caractérisent les dirigeants, si l’on en croit les sondages qui y contribuent en rétrécissant l’offre politique à quelques têtes, et les sondés eux-mêmes, qui peuvent réclamer un renouvellement de la classe politique tout en se prononçant sur les mêmes figures imposées (3).

Nouvelles idées ?

Plutôt que des mots ou des têtes, l’appel aux nouvelles idées paraît toucher le cœur du problème : résoudre les problèmes dont les gens souffrent – le chômage, la pauvreté, l’exclusion, etc. Et là aussi, chaque initiative ressemble étrangement aux précédentes, comme si on avait épuisé toutes les solutions sinon pour annoncer un effort supplémentaire. En tout cas, rien de bien original ne semble émerger. L’idée du neuf serait plus convaincante si l’on pouvait décréter de nouvelles idées. Inventons de nouvelles idées ! En l’occurrence, on se satisfait généralement d’emprunter de vieilles idées à d’autres, à moins que l’on prétende avoir gagné la guerre des idées que certaines figures de la droite se vantent d’avoir remportée. On se demande toutefois quelles sont les idées de cette guerre, sinon de vagues recettes politiques pour gagner des élections toujours plus à droite, en chantant les vertus de l’autorité, du marché, le mal de l’Etat, de l’impôt, de l’immigration, de l’assistance. S’ils appellent cela des idées, on peut craindre qu’ils ne sachent pas ce qu’est une idée. Ils parlent de fantasmes, d’émotions, de peurs mais point de conception de la vie collective, de la justice, de l’efficacité, de la démocratie. Sans même parler de nouveauté, il n’y a là rien de bien construit. A leur décharge, il faut dire qu’ils ne reçoivent guère de secours de ceux qui font profession de penser et s’expriment publiquement, ces récurrents philosophes de plateaux qu’ils nomment intellectuels.

Mais peut-être y a t-il plus désespérant que ces appels sans substance au neuf ? Oui : ceux qui les lancent. Le neuf ? Un sujet de débat comme les chaînes d’information en continu les organisent rituellement et quotidiennement. Il n’est pas sans saveur d’entendre alors dialoguer sur l’évidence de ce désir de changement des Français un éditorialiste, permanent nomade des plateaux, et un permanent sédentaire, animateur de télévision. Il faut donc de nouvelles têtes, assurent-ils de conserve. L’exigence de réflexivité n’effleurant guère les auteurs de la suggestion, on pourrait ironiser sur l’ampleur du changement proposé. De nouvelles têtes sur les plateaux ? Ils n’y penseraient pas. En seraient-ils menacés, ils s’accrocheraient à leur place. Comme des parlementaires qui renvoient à leur légitimité démocratique et à leur dévouement pour justifier d’être toujours là, ils se justifieraient par leur talent : celle de commentateurs qui répètent toujours les mêmes « analyses », inchangées parce qu’on ne change pas de vision du monde par décision de volonté, et qui lorsqu’ils changent au moins de média le font quasi convulsivement comme pour se convaincre soi-même. Leur ubiquité est encore plus grande que celle des dirigeants politiques. Pourtant ces éditorialistes et meneurs de jeu appartiennent bien à la classe dirigeante, qu’ils fréquentent assidûment, sans mandats mais tout aussi inamovibles. S’invitant entre eux, de plus en plus, ils participent à la même loi de l’oligarchie qui organise la concurrence et la détruit, comme la concurrence économique tend à la formation de monopoles si des lois antitrust ne la freinent, à moins qu’il ne faille attendre que des révolutions bousculent tout.

La politique en crise se retrouve devant cette impasse de l’impuissance de la puissance. Si l’on est contraint à tout changer, c’est qu’on a perdu le pouvoir. Comment s’y résoudre sans commettre l’inacceptable sabordage, sorte de suicide collectif ? Les appels au neuf sont aussi creux que des prières dont on attendrait qu’elles soient exaucées. Dans l’ordre des idées, ils résonnent comme une proposition vaine sinon contradictoire : il faudrait de l’imagination, il faudrait inventer. Changement de générique. La professionnalisation politique s’est cependant tellement imposée que les cadets semblent avoir incorporé les tics de leurs aînés et se montrer plus roués encore que leurs mentors. Il faudrait d’ailleurs être injuste pour mettre tout le monde dans le même sac. On rencontre bien des élus qui ne sont pas coupés des citoyens, qui savent écouter et parler. Les entend-on ? Il existe aussi des propositions de changement qui parcourent la société. Sans doute tout cela concerne-t-il l’ingénierie politique : constitution, modes de scrutins, etc. Apparemment le plus facile, et pourtant difficile à faire. Si on étendait la réflexion aux conditions de changement – la seul manière crédible d’aborder la question –, il faudrait changer les procédures de sélection du personnel politique, les filières de reproduction sociale par l’école, les mécanismes de concentration du pouvoir dans les partis, les médias, l’Etat. S’en prendre en somme à des intérêts dont on sait qu’ils ne se laisseront pas facilement dépouiller. Résister à l’idée qu’il ne peut en être autrement, que c’est trop difficile et que finalement, les choses ne vont pas si mal. Aussi l’appel au neuf est-il équivoque : selon un réalisme cynique, il n’est rien de plus décourageant que les incantations ; dans sa version optimiste, il est une manière de dire qu’on n’est pas déjà condamné.

Alain Garrigou

NOTES 1 Consulter http://presse-inserm.fr/wp-content/uploads/2015/03/Portraits-dadolescents-mars-2015-1.pdf


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