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Chapitre 3 : Des PARTENARIATS dans leur droit



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Chapitre 3 :
Des PARTENARIATS dans leur droit


S'agissant d'étudier une configuration de politique publique fortement marquée par les normes juridiques qui structurent, en partie au moins, les relations entre les différents acteurs sociaux et qui constituent une référence omniprésente dans les descriptions de cette configuration par les acteurs-clefs, il pourrait paraître étonnant de ne pas étudier en premier lieu les conditions d'élaboration de ces normes. Les phases successives de rédaction des projets de lois et les débats parlementaires ne seront pourtant évoqués que de manière accessoire, pour appuyer la démonstration, et non en tant qu'aspect particulier de cette configuration. La raison de ce choix tient à la position adoptée, en France, par le législateur (au sens large : gouvernement + parlement) vis à vis de ces "politiques d'organisation" "qui s'attachent plus à la mise en place de procédures qu'à la définition de contenus"560. Le régime juridique de la protection de l'environnement industriel institue ainsi un système de gouvernement sectoriel particulier. Pour démontrer que le caractère partenarial de ce système découle directement (mais non exclusivement) des règles juridiques, il n'est pas nécessaire de retracer la délibération politique dont chacune est issue ; il suffit de les considérer comme des paramètres donnés quoique évolutifs. Ce qui nous intéresse, à ce stade de la réflexion, ce n'est pas l'origine mais la nature de ce système de gouvernement  ; or celle-ci est moins bien mise en évidence par l'étude de la formation historique des législations et réglementations générales que par l'analyse des conditions sociales, juridiques et non juridiques, dans lesquelles sont rendus les multiples arbitrages dont la succession et l'addition tracent finalement l'orientation proprement politique donnée à l'action publique.



Cette configuration de politique publique, en effet, est façonnée par un dilemme politique fondamental - irréductible ? - entre l'aspiration à une activité industrielle soutenue et l'aspiration à un état amélioré de l'environnement. Il n'est pas nécessaire non plus, pour notre démonstration, d'analyser en détail le processus historique de construction sociale de ce dilemme et les concepts qui en rendent compte. Il suffit pour l'instant de souligner son importance afin de mettre en évidence l'orientation générale donnée à ces politiques publiques : la solution qui a été retenue en France consiste à ne pas aborder frontalement ce dilemme dans le cadre de délibérations politiques de principe et de débats nationaux (Section 1). Un système d'arbitrages déconcentrés fondé sur des partenariats directs entre les établissements industriels et le secteur administratif compétent a été mis en place. Cette orientation, exprimée dans les lois de 1975 et 1976, structure un système de gouvernement partenarial et déconcentré (Section 2), qui donne à l'activité des fonctionnaires une visée essentiellement pédagogique en direction des entreprises industrielles (Section 3).

Section 1 :
Le dilemme politique
de l'environnement industriel


Notre interprétation des origines de la déconcentration des choix politiques peut être avancée sous forme d'hypothèse appelée à être étudiée plus précisément sur la base d'une analyse historique des mouvements sociaux et des fondements idéologiques qui inspirent les politiques de l'environnement industriel. Le choix de la déconcentration semble résulter fondamentalement de la difficulté rencontrée tant par les élus que par leurs électeurs à arbitrer en termes généraux entre des objectifs contradictoires de développement industriel et de protection de l'environnement. Faute de pouvoir ou de vouloir traiter le problème en termes généraux, au plan national, les délibérations politiques, souvent de manière implicite, renvoient la charge des arbitrages aux acteurs subordonnés ou locaux qui, pour leur part, ne peuvent prendre que des décisions ponctuelles, chacune de portée limitée à un cas particulier. Ce choix ne réduit pas le dilemme, il le transfère dans des configurations plus restreintes, le déplace vers des systèmes de décision déconcentrés.

§ 1 - Les termes d'un dilemme général


Durant les deux derniers siècles, "l'environnement" de l'industrie, tel qu'il apparaît dans les débats politiques et les lois, s'est progressivement étendu, passant de la promixité immédiate des riverains en colère (début XIXe) à celle plus éloignée de la santé dégradée des populations locales (fin XIXe) jusqu'à la prise en considération des atteintes aux éco-systèmes (milieu du XXe). Cette extension des intérêts protégés s'est accompagnée d'un approfondissement du fossé creusé entre les idéologies industrialistes qui ont rendu possible la croissance considérable du siècle passé et les nouvelles idéologies contestaires toujours minoritaires à la fin du XXe siècle. Or si la société industrielle, depuis le XIXe siècle, a connu beaucoup de mouvements contestataires remettant en cause telle ou telle de ses caractéristiques, elle en a connu peu mettant en question l'existence ou le développement de l'activité industrielle elle-même, par exemple sous cette forme radicale : "est-il logique d'aller industriellement, et au niveau de notre consommation de tous les jours, de progrès en progrès si ce doit être au détriment de notre environnement ?"561

Les Etats régionaux de l'environnement organisés en 1982 à l'initiative du Ministre Crépeau créèrent ainsi une occasion d'entendre ce type de contestation au sujet de la gestion des résidus industriels. Les associations de protection de l'environnement, très largement représentées, ont eu tendance "sinon à exiger, du moins à fortement recommander aux industriels de tout faire pour ne plus polluer, quitte à arrêter purement et simplement leur fabrication, quelles qu'en soient les conséquences pour notre économie et notre mode de vie et de consommation."562 Ce point de vue n'est pas l'apanage de quelques idéologues partisans ou de groupuscules mais se retrouve aussi dans le langage commun des citoyens ordinaires évoquant la question des déchets industriels ou protestant contre les nuisances engendrées par telle ou telle installation industrielle. La contestation écologiste ou simplement environnementale se traduit ainsi, et non sans une certaine contradiction interne, par un rejet de l'industrie non pas pour ses résultats consommables mais du fait des moyens qu'elle emploie pour les obtenir.

La contradiction est souvent soulignée par les entrepreneurs industriels et leurs représentants. Dans un rapport de 1991 au Ministre de l'industrie, Jean-René Fourtou, PDG de Rhône-Poulenc, présente ainsi ce qu'il considère comme l'enjeu principal des politiques relatives aux déchets industriels : D'une part : une aspiration générale et légitime des citoyens à bénéficier de conditions de vie toujours meilleurs (santé, habitat, loisirs, transports, etc...) impliquant des produits de plus en plus nombreux, toujours plus innovants et perfectionnés, [et une aspiration au] développement d'une industrie forte et compétitive créant des emplois et des ressources. D'autre part : une aspiration, tout aussi légitime, de ces mêmes citoyens à une meilleure protection de l'environnement dont l'expression extrême serait celle d'une société sans industrie."563 La critique omet néanmoins de distinguer les fins et les moyens et pourrait se voir opposer cette observation d'un militant associatif affirmant que "trop souvent, des raisons essentiellement financières retardent le remplacement d'installations obsolètes par des isntallations beaucoup plus performantes, et par là moins polluantes."564 Il faut remarquer cependant que les fractions de la population prêtes à arbitrer en termes généraux entre la croissance industrielle et la protection de l'environnement sont sans doute très minoritaires.

Or les termes de ce dilemme, tout au long de la période que nous prenons en considération (1975-1997), ne font que se renforcer : d'une part, la contrainte environnementale se renforce sur le plan électoral565 et administratif et se traduit par un flux toujours croissant de réglementations dont la charge et notamment les implications financières qui en découlent reposent sur l'industrie  ; "Il faut bien reconnaître, remarque à juste titre le député Destot, que, à court terme, cette charge supplémentaire se traduit par une pression accrue sur les disponibilités de l'entreprise, par une aggravation de son environnement économique"566. D'autre part, la période considérée voit se poursuivre la désindustrialisation du pays et l'augmentation d'un chomage issu massivement du secteur secondaire qui subit de plein fouet la montée en puissance de nouveaux pays industrialisés aux faibles coûts de main d'oeuvre et très peu regardants pour la protection de l'environnement.

Ce dilemme n'a donc rien d'abstrait. Il se retrouve de manière récurrente dans les arguments politiques qui s'opposent à l'occasion de conflits locaux mettant en présence un industriel pollueur et les populations avoisinantes. D'un côté les plaintes de riverains affectés dans leur vie quotidienne, craignant pour leur santé ou révoltés par ce qu'ils considèrent comme une atteinte inacceptable à leur intégrité morale, physique et juridique. Ceux-là sont alors dénoncés comme des extrêmistes par la partie adverse qui met en avant les difficultés économiques de l'entreprise et l'impossibilité financière de prendre en charge ces résidus sous peine de dépôt de bilan. En retour, les premiers ne manquent pas de décrier le "chantage à l'emploi". Entre ces deux positions, les personnes à la fois salariées et riveraines de l'entreprises expriment, comme l'a montré A. Guérin-Henni567 au début des années 1980, un embarras sous forme de discours lénifiants ou euphémisants. La même position charnière est occupée par de nombreux élus locaux tiraillés entre les gains économiques et sociaux liés à l'implantation d'entreprises industrielles et les revendications montantes des électeurs subissant le voisinage de ces entreprises.

Le dilemme réapparaît aussi de manière récurrente dans le droit positif : le décret d'application de la loi de 1976 précise en son article 17 que les prescriptions fixant les conditions d'aménagement et d'exploitation des installations classées "tiennent compte, notamment, d'une part, de l'efficacité des techniques disponibles et de leur économie, d'autre part, de la qualité, de la vocation et l'utilisation des milieux environnants ainsi que de la gestion équilibrée de la ressource en eau"568. Les circulaires ministérielles exposent ce dilemme sous forme de difficulté : "les industriels producteurs de déchets et les autorités administratives sont souvent embarassés lorsqu'ils ont à choisir (pour les premiers), ou à autoriser (pour les seconds) une solution techniquement et économiquement acceptable pour éliminer certains déchets."569. Quant il s'agit d'évoquer en quoi consistent les pratiques "acceptables", ces circulaires ne manquent pas de rappeler systématiquement la double contrainte à prendre en considération : "Les industriels ne peuvent, pour leur déchets, s'acquitter de cette obligation [d'élimination satisfaisante] dans des conditions convenables, tant au plan économique qu'au regard de la protection de l'environnement, que dans la mesure où (...)" (nous soulignons)570. Enfin, ce dilemme apparaît explicitement dans la transcription législative de deux principes affichés dans la conduite de ces politiques publiques : le "principe de précaution" et le "principe d'action préventive et de correction" insérés en 1995 dans l'article L.200-1 du Code rural : "Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adotion de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement supportable. Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleurs techniques disponibles à un coût économiquement acceptable." (nous soulignons)


§ 2 - Une descente en particularité


Face à ce dilemme général, la loi de 1976 (et également celle de 1975), conduit à la recherche de solutions particulières, au cas par cas, tendanciellement individuelles et locales. Cette orientation est ainsi justifiée par un représentant des industriels : "Chaque région du fait de son infrastructure industrielle et de sa géographie, chaque type d'industrie, sont en effet confrontés à des problèmes particuliers. (...) Face à une telle diversité, il n'y a ni solution universelle, ni solution type"571 Et, plus loin le même auteur note que "les problèmes à traiter sont trop complexes pour qu'une action globale, législative ou financière, initiée par l'Etat débouche sur toutes les solutions nécessaires"572. Cette orientation politique est traduite en droit par la multiplication des énoncés contradictoires ou approximatifs, par la marginalisation aussi des normes générales impersonnelles comme les "valeurs-limites" d'émissions, applicables à tous en fonction des rejets objectivement mesurés et peu propices à la négociation. Ces valeurs-limites existent en droit français ; elles ont généralement été prises sous la contrainte de directives européennes573.

La loi du 13 juillet 1992574 introduisant la notion nouvelle de "déchet ultime" dans la loi de 1975, souligne encore la pérénité du dilemme  ; cette notion exprime l'obligation faite aux producteurs de déchets de ne les stocker en décharge que lorsqu'ils ne peuvent plus être réutilisés ou réduits par des retraitements (toujours coûteux) ; cependant la loi subordonne le respect de cette obligation à la condition d'une possibilité économique suffisamment équivoque pour laisser ouverte la question des critères d'évaluation : "Est ultime au sens de la présente loi un déchet, résultant ou non du traitement d'un déchet, qui n'est plus susceptible d'être traité dans les conditions techniques et économiques du moment" (art.1-II). La caractérisation des "conditions économiques du moment" est ainsi implicitement renvoyée à l'appréciation des inspecteurs d'installation classée qui devront juger, in fine, du caractère ultime ou non des déchets acceptés dans les décharges.

Dans le même sens l'arrêté du 1er mars 1993 (dit "arrêté intégré") indique que "les prescriptions du présent arrêté qui ne présentent pas un caractère précis en raison de leur généralité, ou qui n'imposent pas de valeurs limites, sont précisées dans l'arrêté d'autorisation." (art.2, al.2, nous soulignons) ; or cette imprécision apparaît nettement dans les articles 44 à 46 relatifs aux déchets. Le procédé des valeurs limites de rejets imposées de manière générale à l'ensemble des établissements de telle ou telle catégorie n'est utilisé que pour les rejets directs et autorisés dans le milieu aquatique. En outre, en dehors des règles générales fixées par l'arrêté, celui-ci renvoit la charge des arbitrages aux autorités locales : "Les valeurs limites de rejet sont fixées dans l'arrêté d'autorisation sur la base de l'emploi des meilleures technologies disponibles à un coût économique acceptable, et des caractéristiques particulières de l'environnement." (art.21, al.1, ph.1). Dans ce cadre, les modulations possibles sont variées et nombreuses.

Ainsi, par un mouvement inverse à celui de la "montée en généralité" (formulation d'arguments de portée générale, utilisations stratégiques d'arguments impartiaux, processus de rapprochements nationaux d'associations locales...) que l'on observe dans la rhétorique des conflits locaux suscités par des atteintes à l'environnement, le traitement institutionnel des problèmes liés aux résidus industriels dangereux s'est construit très tôt et fondamentalement autour d'une "descente en particularité" réalisée concrètement par la remise aux autorités déconcentrées de l'essentiel du pouvoir d'arbitrage dont l'exercice caractérise l'activité gouvernementale et par la limitation des règles contraignantes de portée générale. L'orientation ne date pas de la loi de 1976 ; elle est réaffirmée à cette occasion comme le rappelle justement le rapporteur de la Commission des Affaires culturelles du Sénat : "Le préfet est la pierre angulaire de toute la nouvelle législation, comme il l'était d'ailleurs dans celle de 1917. Sa compétence est logique puisqu'il se trouve sur les lieux et peut mieux tenir compte des circonstances locales."575 Ce dernier argument est d'ailleurs en partie spécieux, puisque d'autres autorités publiques pourraient intervenir au plan local ; or, comme on le verra576, aux demandes réïtérées de décentralisation dans ce domaine a toujours été opposée une fin de non recevoir.



Mais la descente en particularité ne s'arrête pas, dans la hiérarchie administrative, au niveau du préfet ; elle renvoit la charge des arbitrages ultimes et décisifs à un service précis qui lui est juridiquement subordonné : la direction régionale des l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE). Comme on le verra, l'essentiel des décisions formellement prises par le préfet dans ce domaines sont "préparées" ce qui signifie généralement déterminées par la DRIRE. Or cette situation ne s'est pas construite à l'insu des Préfets mais apparaît dans le débat sur la réforme de l'administration territoriale de l'environnement à la fin des années 1980 comme une revendication explicite du Corps préfectoral qui s'oppose à la création d'un service départemental de l'environnement en s'inquiétant des "difficultés supplémentaires de coordination et d'arbitrage pour les préfets qui seraient systématiquement sollicités dans les conflits entre “aménageurs” et “défenseurs” de l'environnement"577. Autant dire que les pouvoirs d'arbitrage que des lois leur confèrent en la matière ne sont pas exercés par eux, ce que toutes les observations empiriques confirment.

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