Thèse Lyon 2


- L’inscription de l’enjeu économique dans l’agenda politique communautaire



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2- L’inscription de l’enjeu économique dans l’agenda politique communautaire


La volonté politique locale d’agir dans le domaine de l’économie se renforce à mesure que la crise se pérennise et que l’enjeu européen se fait plus fort et plus proche (Perspective du Traité de Maastricht et de l’Union économique) Elle est cristallisée par quelques élus comme M. Noir et F. Collomb. Le premier utilise ses relations parmi les chefs d’entreprises lyonnais et le recours à la thématique du développement international et métropolitain de l’agglomération pour conforter et légitimer son discours politique très novateur concernant l’intervention économique publique au niveau local. Il représente la nouvelle génération des quadras, la relève politique après les maires bâtisseurs : le maire entrepreneur. Le second est également très proche des milieux patronaux, en sa qualité de chef d’entreprise, mais s’il est favorable à une implication volontaire de la puissance publique dans le champ économique, il semble plutôt enclin à laisser les structures de représentation des intérêts des entreprises s’occuper du volet stratégique de la politique économique, dans la continuité du partage des tâches historique à l’œuvre au sein du système d’acteurs local (voir supra, 2ème Partie). Il représente ainsi plutôt un pont entre deux mondes, une sorte de transition entre les bâtisseurs et les entrepreneurs.

En l’absence de compétence officielle et de légitimité institutionnelle dans le champ économique, tout en s’inscrivant en complémentarité directe avec les actions développées par l’ADERLY, les responsables de la COURLY amorcent ainsi un virage stratégique dans l’énonciation et la conduite de la politique urbaine dans le seconde moitié des années 1980 (lancement de grandes opérations d’aménagement et d’urbanisme, mise en révision du SDAU), la plaçant de plus en plus au service du développement économique de la métropole. Ceux qui leur succèdent dans les années 1990 et 2000 ont en revanche la légitimité et la compétence légale avec eux pour énoncer une véritable politique économique locale.


Entre rhétorique métropolitaine et consécration légale

Au cours des années 1980, la proximité historique entre les élites politiques et les élites économiques lyonnaises (voir supra, 2ème Partie, Section 2) se recompose autour de l’arrivée au pouvoir local de nouvelles personnalités politiques. M. Noir notamment, bien qu’occupant un poste à responsabilité sous la seconde mandature de F. Collomb et appartenant à la même majorité politique que lui216, se positionne progressivement comme son plus sérieux adversaire pour la succession à la mairie de Lyon en 1989, en se servant précisément de ses fonctions d’élu chargé des affaires économiques pour rallier les représentants des entreprises et une partie de la classe politique sous sa bannière. Il attaque ainsi le premier magistrat lyonnais sur son terrain, celui des entreprises et du monde des affaires, en faisant du rayonnement métropolitain et de l’internationalisation de l’économie lyonnaise ses principaux chevaux de bataille.

Les principaux élus communautaires en charge des questions de développement comme J. Rigaud et M. Noir, politiquement proches des milieux économiques lyonnais, placent très tôt l’agglomération lyonnaise sur le marché concurrentiel des grandes métropoles européennes, profitant de la décentralisation pour annoncer en 1987 la définition d’un grand projet stratégique de développement pour le territoire de l’agglomération lyonnaise. Si l’enjeu du développement économique et du positionnement concurrentiel de la métropole sur le marché des villes ne peut être abordé de manière directe par les services de la COURLY faute de compétence économique officielle, ses responsables politiques tentent ainsi de participer de plus en plus à la définition de la politique économique de l’agglomération, et de placer l’action des différents services opérationnels ou de gestion et leur nécessaire coordination, au service de la cause plus globale du développement métropolitain. « Après avoir défini le contour de ses obligations, précisé la mesure de ses ambitions et de ses moyens, la COURLY entame et poursuit la réalisation des équipements qui vont lui donner sa dimension européenne »217.

Ces effets d’annonce s’inscrivent cependant tous dans la même perspective économique ambitieuse tracée par F. Collomb depuis 1977 : améliorer l’environnement existant, mettre en œuvre un nouveau type de croissance et préparer l’avenir économique de l’agglomération Même si ces options ne sont pas discutées en conseil communautaire et ne débouchent pas sur la définition d’une véritable politique économique portée par la COURLY durant son premier mandat (Biarez, 1983), elles sont réaffirmées et approfondies lors de son second mandat (1983-1989), notamment par l’adjoint aux affaires économiques M. Noir : faire de Lyon une métropole internationale, favoriser le développement d’un pôle économique composés d’activités de haut niveau technologique, tout en permettant la création d’emplois pour remédier à la crise industrielle et conserver l’équilibre général au sein de l’agglomération (Biarez, Kukawka, 1986).

Une fois les élections remportées, M. Noir et son équipe s’attachent à conduire deux entreprises parallèles de construction d’un gouvernement urbain apte à prendre en charge la régulation économique territoriale : la réactivation de la RUL comme lieu de concertation et de décision concernant les questions de développement économique à l’échelle métropolitaine, et la réorganisation en profondeur des services et des modes de gestion politique de la COURLY pour en faire un organisme participant de plein pied à la mise en œuvre du développement économique local. Les propositions en faveur du développement économique et du rayonnement international de la métropole lyonnaise contenues dans le nouveau schéma directeur en préparation (voir supra, Section 2) lui servent en outre de justification pour son projet politique de mandature.

Les mandats municipal et communautaire de 1989 à 1995 marquent ainsi un tournant dans le rôle joué par la COURLY, et par la sphère politique de manière plus globale, dans la conduite de la politique économique locale, après une campagne axée par M. Noir sur les thématiques du gouvernement métropolitain et du rassemblement nécessaire des compétences d’action et de gestion territoriales au sein d’un seul même organisme institutionnel, au nom de l’impératif du développement économique. Il s’agit d’inscrire Lyon dans le jeu de la concurrence économique et internationale interurbaine afin d’en faire une métropole attractive et dynamique pour les entreprises, en développant notamment l’implication des services techniques communautaires dans l’intervention plus ou directe en faveur du développement économique : création de missions thématiques, en lien avec les différentes politiques urbaines. Le nouveau maire de Lyon et président de la COURLY cherche ainsi à pallier son manque d’ancrage politique local et à asseoir concrètement son nouveau style managérial de gestion urbaine, par le recours à une démarche stratégique de grands projets et de développement économique territorialisé (Ben Mabrouk, Jouve, 1999).

La recréation de la Conférence de la RUL en 1988 sous la forme d’une association de collectivités locales (COURLY et départements218) permet également à M. Noir d’amplifier cette dynamique, en l’instrumentalisant à des fins politiciennes. Le nouveau responsable politique lyonnais utilise en effet l’association pour s’affranchir du manque de compétence économique de l’organisme communautaire, en déplaçant la focale du gouvernement urbain lyonnais de l’échelle de l’agglomération – qui correspond grosso modo au territoire de la COURLY – à l’échelle de la région urbaine, qui représente la réalité territoriale – largement fantasmée – de la métropole depuis la fin des années 1960 (voir supra, 2ème Partie, Section 1). Les tentatives de M. Noir de s’emparer de ce nouvel échelon territorial et institutionnel sont motivées par la volonté de renforcer son pouvoir politique sur les questions économiques, y compris au détriment éventuel des autres acteurs publics et privés locaux (maires, Conseils généraux et régional, administrations étatiques219, CCIL) (Guéranger, Jouve, 2003).

La démarche politique de M. Noir concernant l’action économique en faveur des entreprises sème en effet le trouble parmi les responsables des autres niveaux territoriaux et des structures à vocation économique, d’autant plus qu’il poursuit son offensive en récupérant l’initiative de constitution d’un observatoire économique d’agglomération au profit de l’association. Le projet, porté par la CCIL et l’AGURCO sur la base d’une expertise économique et scientifique (TEN, 1989), est ainsi mis au service de la définition du nouveau périmètre économiquement pertinent de la RUL en 1990 (RUL, 1989 ; TEN, 1990). Ce travail de délimitation territoriale fait l’objet d’âpres querelles politiciennes et technocratiques jusqu’à 1994, sur fond de pseudo scientificité économique et statistique, et de retour de l’Etat dans la gestion du devenir métropolitain de l’ensemble lyonnais (SGAR, 1994220 ; Bardet, Jouve, 1999).

La RUL apparaît en définitive comme un forum de réflexion collective sur le devenir spatial et économique de la métropole lyonnaise, instrumentalisé tour à tour par les élites lyonnaises et les représentants de l’Etat (Ben Mabrouk, Jouve, 1999), mais aussi combattu par les représentants des intérêts économiques locaux (ADERLY, CCIL, GIL), qui craignent la concurrence de cette nouvelle institution et des autorités politiques lyonnaises dans leur pré carré de l’action économique territorialisée (voir infra).

Parallèlement, la nouvelle équipe politique réorganise à son arrivée les services communautaires pour les recentrer sur le développement économique de l’agglomération, alors que la COURLY n’a encore aucune compétence en la matière (voir infra). Deux vice-présidents sont chargés des questions de développement : l’un des activités économiques, l’autre de la stratégie d’agglomération221. Un groupe restreint composé du président et de quelques vice-présidents, le « G9 », monopolise les décisions, minorant fortement le travail des commissions techniques spécialisées (Guéranger, Jouve, 2004), et remplaçant de fait l’ancienne logique d’action communautaire en matière de développement local, fondée sur le clientélisme municipal et la redistribution, par la formulation et l’application d’une véritable politique économique d’agglomération (Bardet, Jouve, 1999). M. Noir s’entoure aussi de plusieurs conseillers techniques très au fait des enjeux économiques au sein de son cabinet, dont certains sont issus des milieux d’affaires locaux, afin de verrouiller le système d’expertise politique et décisionnelle autour de sa personne tout en s’assurant de bons contacts avec le monde économique222.

L’année suivante, copiant les métropoles anglo-saxonnes223, la COURLY adopte une nouvelle appellation, plus explicite et en phase avec les objectifs de rayonnement métropolitain et de développement économique international de l’agglomération : le Grand Lyon. M. Noir tente également d’élargir le périmètre communautaire pour qu’il corresponde mieux à la réalité urbaine et économique de l’agglomération, sans succès. Le chef de l’exécutif communautaire poursuit ainsi l’offensive politique autour de la thématique de la métropolisation économique de Lyon, en l’absence de légitimité institutionnelle à intervenir sur ces questions. L’aménagement urbain et les grands projets sont donc instrumentalisés pour concrétiser la réalisation de ces ambitions, grâce à la nouvelle configuration des services techniques communautaires (réaménagement des espaces publics centraux, périphérique Nord, Cité Internationale, Manufacture des Tabacs, Boulevard de l’Europe, implantation de l’ENS Lettres à Gerland) (voir infra, Section 2).

En 1992, un nouveau vice-président chargé de l’économie, de l’urbanisme commercial et des relations internationales est nommé au sein de l’exécutif, en application de la loi ATR qui donne enfin la compétence du développement économique au Grand Lyon (voir supra). La même année voit l’adoption du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise (SEPAL, 1992), qui matérialise à la fois le renouveau de la planification urbaine et territoriale, le virage stratégique de la politique de développement locale et sa soumission totale à l’enjeu économique (voir infra, Section 2). Le mandat de M. Noir marque donc la montée en puissance et la consécration de l’enjeu économique au cœur de l’agenda politique de l’agglomération lyonnaise.

L’économie au centre de la politique urbaine lyonnaise

Les deux mandats politiques suivants à la tête de l’exécutif communautaire sont résolument et ouvertement placés sous l’étendard du développement économique du territoire, même si les deux présidents successifs n’appartiennent pas au même bord politique. Cette situation consensuelle traduit bien la convergence idéologique que connaissent la Droite et la Gauche françaises sur la problématique de l’interventionnisme économique local depuis la survenue de la crise (voir supra). La mandature Barre reste cependant celle qui marque le plus l’ancrage volontariste de la politique urbaine lyonnaise dans la problématique globale du développement économique et de l’inscription de la métropole lyonnaise dans le concert des grandes villes européennes. Celle de G. Collomb depuis 2001 apparaît en effet comme essentiellement positionnée dans la continuité des grands jalons stratégiques et dans la réappropriation de thématiques et d’orientations économiques définies par son prédécesseur, du moins en ce qui concerne les référentiels mobilisés pour justifier l’action publique en faveur de l’économie.

La politique économique figure en première position dans la présentation du plan de mandat 1995-2001 de R. Barre au Grand Lyon. La problématique du développement est présentée comme devant nécessairement s’imposer aux autres orientations de la politique urbaine, c’est-à-dire comme la condition qui détermine l’ensemble des politiques publiques locales pilotées par la Communauté urbaine : « Le développement de notre agglomération doit être notre objectif prioritaire. Toutes les autres politiques doivent être conduites au service de ce principe clé de notre action »224. Le parcours politique et le profil professionnel du nouveau chef de l’exécutif lyonnais, qualifié de « meilleur économiste de France » dans les années 1970, peuvent en partie expliquer ce choix de mettre la thématique de l’économie au premier plan de son programme politique pour l’agglomération225.

Il s’inscrit en outre dans une forme de continuité politique par rapport à la dominante centriste de Droite lyonnaise, étant apparenté à l’UDF à la différence de son prédécesseur affilié au RPR. Ceci lui permet de rétablir un certain consensus politique dans la région lyonnaise avec les différents échelons institutionnels (Conseil régional, CGR) partenaires du Grand Lyon au sein de la RUL, autour de la volonté de faire de Lyon une métropole internationale puissante économiquement. Il accepte également que l’association reste un simple forum de réflexion non engagé dans la conduite d’une quelconque politique économique, à la satisfaction des organismes représentatifs des intérêts économiques locaux (Bardet, Jouve, 1999).

Le Grand Lyon devient donc l’organisme central et unique énonciateur politique de la stratégie de développement économique de la métropole lyonnaise. Son président s’entoure, entre autres, d’un directeur de cabinet adjoint chargé de l’aménagement, de l’économie, de l’urbanisme et des transports, ayant une vision très globale des enjeux de politique urbaine en relation directe avec la problématique du développement économique, et d’un chargé de mission pour les affaires internationales qui complète le dispositif d’aide à la décision du chef de l’exécutif.

R. Barre définit ainsi la première véritable politique économique communautaire lyonnaise, fort de la compétence attribuée à l’EPCI par la loi ATR de 1992 (voir supra). Le programme d’action est ambitieux et global, prévoyant pour sa mise en application une nouvelle réorganisation des services du Grand Lyon (effective en 1998, voir infra) et une remise à plat du périmètre territorial et de la fiscalité locale pour les entreprises. Il repose sur une démarche globale de projet stratégique pour le développement économique de l’agglomération, organisé autour de l’amélioration des conditions d’accueil des entreprises sur le territoire et de la mise en œuvre d’actions destinées à jouer sur les facteurs environnementaux favorables au développement des activités économiques (voir infra, Section 2).

Les grands équipements structurants (universités et grandes écoles, réseaux de télécommunications, équipements sportifs et culturels) sont également mobilisés pour contribuer au développement économique de l’agglomération (voir infra, Section 2). Les fonctions supérieures indispensables aux activités économiques sur le territoire (logistique, fonctions décisionnelles et financières, tourisme) sont aussi pointées par la politique de développement économique du Grand Lyon. Leur développement doit permettre de poursuivre la stratégie qui consiste à hisser Lyon au rang de métropole européenne, amorcée sous la mandature précédente.

R. Barre s’appuie notamment sur son important réseau de relations à l’étranger et sur sa notoriété pour faciliter le développement métropolitain et le rayonnement international de la ville : accueil de la réunion du G7 en 1996, obtention de l’inscription de Lyon sur la liste des sites inscrits au patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO, etc. Il intègre le pilotage du dossier de l’ENS Lettres dans l’organigramme communautaire, renforçant encore son emprise sur les dossiers économiques. Le rôle central de l’ADERLY est cependant réaffirmé pour développer l’attractivité de l’agglomération, tant pour les fonctions supérieures que pour les activités technologiques dans le cadre du Plan Technopole.

Lancé en 1984 par l’ADERLY et la CCIL mais progressivement tombé dans l’ombre (voir infra, Section 3), celui-ci est en effet relancé par le Grand Lyon en 1998. Conçue à l’initiative du vice-président communautaire chargé des grands équipements d’agglomération et des délocalisations226, d’un agent du service économique du Grand Lyon recruté à cet effet et d’un jeune docteur travaillant à la Mission Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon227, cette nouvelle démarche politique vise à faire de Lyon une « Ville de l’intelligence » et une métropole technopolitaine (Healy, 2002). Elle mise sur le renforcement de l’image et du potentiel de l’agglomération dans les domaines de la recherche, de l’innovation et de la création d’entreprises dans les nouvelles technologies (Grand Lyon, 1998). Elle permet à l’organisme communautaire de s’emparer d’un champ de l’action économique jusqu’à lors largement accaparé par la Région, l’Etat (DRRT, DRIRE, ANVAR) et les organismes économiques locaux (CCIL et ADERLY).

Plus d’un million d’Euros par an sont budgétés pour financer le Plan technopole du Grand Lyon de 1999 à 2001, après les 150 000 Euros débloqués en 1998. Sa mise en œuvre s’organise autour de la valorisation du potentiel de recherche et d’innovation de l’agglomération, du développement de deux domaines d’activités (santé et sciences et technologies du vivant ; nouvelles technologies d’information et de communication) et de l’aménagement de sept sites spécialisés dans l’accueil des activités technologiques et innovantes répartis sur le territoire communautaire : Lyon-Centre, la Doua, Gerland, Rockefeller, Lyon-Ouest, Vaulx-en-Velin et Porte des Alpes. Seul le dernier volet, éminemment urbanistique et lié à l’aménagement spatial, relève directement de la compétence du Grand Lyon. La réalisation des deux premiers s’appuie donc sur un dispositif flexible de sous-traitance, relevant du principe de subsidiarité, qui consiste pour le Grand Lyon à subventionner différents organismes partenaires pour la mise en œuvre des actions (Grand Lyon, 1998) (voir infra, Section 2).

Dès 1996, une vaste démarche de réflexion prospective et stratégique, largement ouverte aux forces vives et aux membres de la société civile lyonnaise, est confiée à la nouvelle Mission Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon. Intitulée Millénaire 3, elle débouche sur la formulation du projet de développement de territoire « 21 priorités pour le 21ème siècle : une agglomération compétitive et rassemblée » à la fin du mandat de R. Barre et sur la mise en place du Conseil de développement du Grand Lyon au début du mandat de G. Collomb, prévue par la loi Voynet de 1999 (voir supra). Elle dépasse toutefois le seul champ de l’économie, mais permet de relier cette thématique, encore fortement cloisonnée et souvent perçue comme un problème d’initiés, aux autres domaines de l’action publique et de la vie du territoire local en général. Elle permet également au président de l’Agence d’urbanisme228 de concrétiser l’idée née en fin de mandat précédent d’élaborer une politique de développement économique pour l’agglomération229.

La démarche du Schéma de Développement Economique (SDE) est lancée sous la forme d’un diagnostic économique de l’agglomération en 1997 par l’Agence d’urbanisme. Elle privilégie le partenariat avec les acteurs issus du monde des entreprises (organismes patronaux, chefs d’entreprises, experts), au gré d’un comité de pilotage majoritairement constitué de structures à vocation économiques (voir infra, Section 3). Le Grand Lyon reprend cependant rapidement l’initiative à son compte par l’intermédiaire du vice-président chargé des questions économiques230, tout en laissant le pilotage technique aux soins de l’Agence. Les travaux d’enquêtes, de prospective, de connaissance des filières et de bilan des actions publiques débouchent fin 1999 – début 2000 sur la définition des orientations prioritaires d’un futur plan de développement économique territorial.

Cette politique économique est poursuivie par l’équipe de G. Collomb depuis son élection en 2001 : « Le Grand Lyon fait (…) de l’économie une de ses priorités. (…) C’est la démarche [que le Grand Lyon] a suivie pour l’élaboration du SDE (…) qui inspire largement ce plan de mandat »231. L’énonciation de la politique économique et d’internationalisation de l’agglomération figure de nouveau en ouverture du projet politique de la mandature. G. Collomb s’entoure lui aussi de personnalités très au fait des enjeux économiques, tant au niveau local qu’au niveau national et international, et très largement reconnus et respectés par les acteurs économiques lyonnais (chefs d’entreprises, organismes patronaux). Son adjoint municipal et vice-président communautaire chargé du développement économique et des relations internationales est en effet l’ancien conseiller du Premier Ministre pour les questions économiques232 ; son directeur de cabinet au Grand Lyon est quant à lui le chargé de mission qui s’est occupé de conduire la démarche du SDE pour le compte de l’Agence d’urbanisme233 (voir infra, Section 3).

Le nouvel exécutif opère cependant une importante réappropriation des différentes orientations stratégiques initiées sous le mandat précédent, en les rebaptisant progressivement : le Plan Technopole devient ainsi « Lyon Métropole Innovante » (LMI) en 2002, le SDE se poursuit au travers de la démarche de gouvernance économique locale « Grand Lyon l’Esprit d’Entreprise » (GLEE) en 2003 (voir infra, Section 3), tandis que la démarche de prospective Millénaire 3 cède la place à « Lyon 2020 » en 2004, dont le pilotage est confié à la Direction de la Prospective et de la Stratégie d’Agglomération (DPSA). Les grands axes de la politique économique – innovation technopolitaine, partenariat et concertation avec les grands acteurs économiques, réflexions prospectives – sont ainsi intégrés au sein d’une même stratégie de développement du territoire, essentiellement portée par les services économiques et de la prospective stratégique du Grand Lyon.

Le slogan de la nouvelle orientation politique du développement économique, qui vise à hisser Lyon parmi les 15 premières métropoles européennes, marque aussi une certaine rupture. « Voir loin, être proche » implique en effet à la fois un travail de réflexion stratégique et global avec les différents partenaires, notamment économiques, et un travail plus ancré dans le territoire local et plus pragmatique à leur côté (voir infra).


Extension sectorielle du domaine de la lutte économique

Depuis le début des années 1990, à mesure que le pouvoir politique local s’implique toujours plus en faveur de la mise en place d’une stratégie de régulation économique territoriale, l’orientation de la politique économique lyonnaise révèle une globalisation et une mise en transversalité des politiques urbaines au service de l’enjeu économique dominant, comme dans la quasi-totalité des métropoles européennes (Boino, 2004).

Les pouvoirs publics communautaires ne pouvant intervenir qu’à la marge de l’économie, c’est-à-dire influencer le fonctionnement de l’économie sur le territoire local qu’à l’aide de moyens indirects, ils sont non seulement amenés à mobiliser des compétences d’aménagement spatial, de régénération du tissu urbain et de planification urbaine (voir infra, Section 2) – ce qu’ils font d’ailleurs depuis assez longtemps (voir supra, 2ème Partie) –, mais également des compétences relatives à la promotion internationale, à l’animation culturelle, au tourisme et à la réalisation d’équipements variés, n’ayant pas forcément une vocation économique directe mais pouvant contribuer à améliorer sensiblement le cadre de vie et l’environnement général des entreprises sur le territoire.

Selon cette conception, c’est la ville en elle-même, par le biais de ses attributs spécifiques, qui constitue la ressource centrale de son propre développement économique. Les différentes fonctions du territoire urbain font office de moteurs pour le développement économique local, grâce à leur mise en valeur au travers des politiques publiques, pour servir de support à la production d’externalités positives attractives vis-à-vis des agents économiques (entreprises, investisseurs, travailleurs qualifiés,etc.). Ce phénomène relatif à l’évolution des politiques économiques est l’une des principales caractéristiques du nouveau modèle de régulation de l’économie instauré depuis la survenue de la crise dans les années 1970. Il s’accompagne également d’une survalorisation des activités économiques innovantes, exigeant un fort capital de matière grise et une importante dimension technologique, et de la logique de l’innovation de manière générale (voir supra, 1ère Partie, Section 1).

Dans l’agglomération lyonnaise, l’inflexion en ce sens est donnée dès la fin des années 1980 par l’élaboration du nouveau schéma directeur, qui consacre l’adoption de la démarche stratégique et l’ouverture de la sphère politique à l’enjeu économique (voir infra, Section 2), ainsi que par l’arrivée de M. Noir à la tête de l’exécutif communautaire. Celui-ci s’attache en effet à faire émerger de véritables politiques d’agglomération, conçues de manière transversales et complémentaires, au service du développement économique de la métropole. L’accent est ainsi mis sur le réaménagement des espaces publics centraux et la mise en valeur esthétique et environnementale de la ville (Plan Lumière, Plan Bleu, Plan Vert). L’amélioration de l’image urbaine doit favoriser l’attractivité économique et touristique de Lyon : cette logique est prolongée par l’inscription du site historique de Lyon sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO sous la mandature Barre.

La culture est également convoquée, dans sa dimension de prestige et de capacité de rayonnement, pour favoriser le développement économique et l’internationalisation de Lyon. Le renforcement des grands équipements culturels existants de l’agglomération sert de pilier au développement de grands événements culturels, comme les biennales ou les festivals (déménagement de la Maison de la Danse dans les anciens locaux du théâtre du 8ème, rénovation de l’Opéra et du Musée des Beaux-Arts, réhabilitation de la halle Tony Garnier, etc.). Dès 1990, une campagne publicitaire ciblée sur les élites new-yorkaises vend ainsi la Biennale de la Danse de Lyon « Un siècle de danse américaine » outre-Atlantique234, relayant les efforts pionniers de l’ADERLY dans ce domaine.

Cette volonté politique d’intégrer la promotion culturelle dans la stratégie de développement économique et internationale de l’agglomération lyonnaise se traduit notamment par l’importance des investissements réalisés en matière d’équipements culturels sous la mandature de M. Noir. Une telle convocation de la culture au service du développement économique territorial est directement imputable à l’influence des milieux économiques lyonnais auprès du pouvoir politique local (voir supra, Section 3).

Il existe une certaine stabilité des orientations stratégiques en matière de politique culturelle au fil des mandats successifs. Le renforcement du potentiel d’équipements et d’évènements autour du choix de la culture vivante (opéra, art contemporain, danse, musique) apparaît comme une constante stratégique des politiques de communication et de développement touristique de la municipalité lyonnaise  : création du Musée d’Art Contemporain et réhabilitation d’une friche militaire pour accueillir les activités de création artistique (Les Subsistances) sous le mandat Barre ; festivalisation et médiatisation d’une fête religieuse et traditionnelle lyonnaise (Les Illuminations du 8 décembre, devenues Festival des Lumières), lancement d’un nouveau lieu de création et de diffusion dans une friche portuaire réhabilitée (la Sucrière) et d’un festival de musique électronique (Les Nuits Sonores) sous la mandature de G. Collomb.

Un autre aspect est révélateur du rapprochement entre développement économique, internationalisation, culture et tourisme selon une logique de marketing urbain et d’attractivité par le développement des loisirs marchands (voir infra, Section 2) : la diversification depuis les années 1980 des postes de vice-Présidents communautaires ayant un lien plus ou moins direct avec la culture et le rayonnement économique de la métropole. Au début des années 1990, il n’y a qu’un vice-président chargé de la stratégie d’agglomération et un vice-président chargé des relations économiques internationales, qui s’intéressent indirectement aux questions culturelles et économiques. Sous la mandature de R. Barre, ces vice-présidences se précisent : Rayonnement international, congrès et tourisme ; Définition d’une stratégie de développement d’agglomération et implantation des grands équipements structurants (notamment culturels) ; Développement économique et grands projets235.

Le dispositif politique est encore affiné à l’arrivée de G. Collomb, avec un vice-président chargé du rayonnement international de l’agglomération, un autre chargé de la relation entre développement économique et rayonnement international, et une vice-présidente chargée du développement et du rayonnement des activités de création. Une politique active de renforcement de l’organisation de salons et autres manifestations relevant du tourisme d’affaires est conduite parallèlement à la construction de la nouvelle salle 3 000236. L’exécutif a du toutefois revoir ses ambitions à la baisse suite à l’impossibilité de déplacer le complexe d’expositions Eurexpo à proximité de l’aéroport Saint-Exupéry et de la nouvelle ligne de tramway en projet (Leslys). Le principe politique en vigueur dans l’agglomération lyonnaise est donc celui de la transversalité entre les préoccupations économiques, internationales, touristiques et culturelles (Domaine, 2002).

Suite à la loi Chevènement (voir supra), la compétence d’animation culturelle et de gestion des grands équipements collectifs d’agglomération s’ajoute en outre au panel déjà très large des prérogatives légales communautaires. Au début des années 2000, la culture, jusque là domaine réservé des municipalités, entre ainsi de plein pied dans la stratégie politique globalisante du Grand Lyon au service du développement économique et international de la métropole. La culture, notamment dans sa dimension économique d’activité événementielle, de création et d’innovation, s’inscrit non seulement tel un pivot de la politique d’internationalisation et de marketing urbain, mais surtout comme un relais de la politique technopolitaine jusqu’ici principalement centrée sur le secteur industriel. Elle constitue également un pont facile à franchir entre les activités économiques à forte capacité d’innovation et de rayonnement, et les activités touristiques au sens large (congrès, salons, mise en valeur et animation du patrimoine local), qui font aussi une entrée remarquée dans la stratégie de développement économique lyonnaise.

Le mandat de G. Collomb marque ainsi le passage d’un cran supplémentaire dans la stratégie d’instrumentalisation des différents champs d’action publique locale au service du développement économique. Il s’agit désormais d’une logique d’intégration d’une partie de la culture dans la politique de développement économique et le système productif local, et non plus seulement d’utilisation de la culture à des fins de marketing territorial. Certains pans de la création culturelle et artistique lyonnaise sont en effet hissés au rang de véritable filière d’activités et d’excellence à promouvoir aux côtés des biotechnologies ou des activités chimiques. C’est notamment le cas du textile – habillement et de la bijouterie à travers la nouvelle politique Lyon Vision Mode, et des loisirs marchands – multimédia, intégrés dans le portefeuille local de spécialités économiques appuyées par l’action de la DAEI.

Ce phénomène est cependant loin d’être exceptionnel et propre à Lyon. On le retrouve en effet dans les politiques urbaines de la plupart des métropoles européennes, qui tentent avec plus ou moins de succès de revitaliser leurs anciens quartiers industriels ou portuaires, et leur base économique locale de façon plus générale, en s’appuyant sur le développement et la promotion des filières numériques, multimédias ou de la mode (Marseille et Lille en France, Anvers en Belgique, etc.). Ce choix politique de promouvoir des industries culturelles « high-tech », ancrées dans le territoire local sous la forme de districts culturels, traduit l’engouement des gouvernements urbains pour le développement de nouvelles activités économiques à forte teneur technologique et d’innovation, considérées comme motrices dans la production de richesses sur le territoire (Boino, 2004).

L’une des trois « fonctions leviers » du développement de la métropole, identifiées dans le plan de mandat communautaire de G. Collomb en 2001, inspirées par le projet d’agglomération « 21 priorités pour le 21ème siècle » établi sous la mandature de R. Barre, affirme la nécessité de « valoriser la culture et la créativité comme vecteurs d’actions économiques ». Le rôle de la DPSA237 dans l’imbrication des politiques culturelle, touristique et de développement économique du Grand Lyon est prégnant et déterminant. La nouvelle démarche de prospective « Lyon 2020 », initiée en 2003 autour du rassemblement de plus de 200 acteurs de l'entreprise, de la culture, de la recherche, de l'université et du monde associatif, pousse ainsi encore la politique urbaine et économique lyonnaise dans cette direction (Millénaire 3, 2002 ; Algoé Consultants, 2004).


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