1- Le rôle pilote des acteurs économiques dans les années 1980
Les représentants patronaux revendiquent tantôt la liberté de gestion des localisations économiques par le marché privé, tantôt leur nécessaire gestion par les pouvoirs publics à travers les documents de planification et la réalisation (c’est-à-dire le financement) des grandes infrastructures de transport et des grands équipements collectifs à vocation économique (routes, autoroutes, voies de chemin de fer, voies fluviales, barrages et écluses, aéroports, ports industriels, palais des congrès…). Cette ambivalence de la position patronale vis-à-vis de l’interventionnisme public est une constante des relations entre sphères économique et politique partout en France, au moins depuis le 19ème siècle (Autin, 1984). Les acteurs économiques lyonnais (industriels, promoteurs et investisseurs) entendent ainsi faciliter la réalisation de leurs projets de développement, en maintenant leur position avantageuse de « conseiller du prince » dans le système d’acteurs local. Dans l’agglomération lyonnaise, ils bénéficient du rôle central conféré à leurs organismes de représentation (CCIL, GIL) dans le système d’acteurs de la régulation économique territoriale, par le truchement de l’ADERLY.
Le partenariat politique et financier existant entre la COURLY, la CCIL et le GIL matérialise en effet l’établissement au niveau local d’un dialogue étroit et permanent entre les organismes professionnels, les syndicats patronaux, les grands groupes, les entreprises industrielles locales et les collectivités locales (municipalités, CGR, COURLY), au service du développement économique et de l’intérêt des entreprises (voir supra, 2ème Partie, Section 3). La très forte intégration politique et technique existant entre les différents organismes partenaires au sein de l’ADERLY durant les années 1980 (voir supra, Section 2) favorise le fonctionnement optimal du système d’acteurs au service de la politique économique locale, chacun s’attachant à harmoniser et coordonner les diverses initiatives sous une bannière unique.
Elle permet aux autorités politiques lyonnaises d’adapter l’intervention en faveur de l’économie aux attentes et intérêts des acteurs économiques lyonnais à l’échelle du territoire local, de renforcer le pragmatisme de la régulation économique et de faciliter la mise en œuvre de certains volets de l’intervention, pour lesquels la COURLY n’a ni compétences, ni savoir-faire, ni légitimité d’action.
L’ADERLY, et la CCIL qui héberge son personnel technique, occupent ainsi le principal rôle dans la conduite et la mise en œuvre de la politique économique locale jusqu’aux années 1990, en gérant la promotion territoriale, la prospection à l’extérieur, l’accueil des entreprises dans l’agglomération et l’information concernant le marché foncier et immobilier à vocation économique. Elles portent aussi la vision stratégique du développement économique de l’agglomération lyonnaise : réflexions sur la pertinence de l’échelle métropolitaine pour le développement économique (Région lyonnaise) ; stratégie d’internationalisation, et portage de l’argument technopolitain avec le lancement du premier Plan Technopole en 1984.
L’ADERLY au cœur de la conception stratégique de la politique économique territoriale
L’ADERLY exerce une forme de lobbying proactif permanent auprès des pouvoirs publics locaux durant les années 1980, afin de diffuser le point de vue et les intérêts des entreprises et de contribuer à un changement profond de culture professionnelle concernant les modalités d’intervention de la puissance publique dans le domaine de l’économie : plus de pragmatisme, de qualité et d’efficacité, mais aussi une dimension aménagiste complétée par une approche plus stratégique et flexible, ciblée sur les logiques de promotion et d’attractivité territoriales, calquée sur le mode de gestion et de fonctionnement des firmes.
Bien que limitée à quatre personnes, l’équipe technique de l’ADERLY déploie en effet dans les années 1980 un large panel d’actions qui s’inscrivent, pour certaines dans la continuité du travail de promotion territoriale et d’amélioration de l’attractivité locale engagé depuis les années 1970, pour d’autres dans une nouvelle approche plus endogène et stratégique du développement économique local, fondée sur la création de nouvelles ressources territoriales et sur le positionnement de l’agglomération sur le marché des grandes métropoles internationales post-industrielles. L’intervention de l’association en faveur de l’économie locale relève ainsi essentiellement du marketing territorial et de la publicité. Elle s’organise à partir de 1980 autour de quatre axes d’action principaux : connaître, promouvoir, prospecter et accueillir (ADERLY, 1980).
Le budget de fonctionnement de l’ADERLY ne cesse d’augmenter d’année en année, passant ainsi de 1,5 millions de Francs en 1979 à 3 millions de Francs en 1984. La part d’investissement reste très marginale, en raison de la nature essentiellement qualitative et humaine de l’action de l’association (représentations à Paris et à l’étranger, conception de campagnes de publicité, production d’argumentaires stratégiques de développement et de promotion, etc.). Après 1985, le budget de l’association augmente encore, afin de couvrir les frais de fonctionnement occasionnés par les nouvelles orientations stratégiques données à la politique économique locale, en faveur du rayonnement international et du développement technopolitain de la métropole.
En 1984, l’ADERLY fait réaliser322 une étude comparative de l’image de Lyon par rapport aux autres villes françaises auprès des acteurs économiques parisiens (ADERLY, 1984a). Ses conclusions permettent d’évaluer positivement l’action menée par l’association depuis 10 ans, mais aussi d’identifier de façon précise les avantages que présente l’agglomération lyonnaise aux yeux des dirigeants d’entreprises parisiens et de leurs collaborateurs, tant d’un point de vue strictement économique que d’un point de vue plus personnel et subjectif. L’évaluation des actions de l’ADERLY s’appuie également sur le décompte et le listage régulier des nouvelles implantations d’entreprises ou d’établissements publics (grandes écoles, services publics et administrations), obtenues dans l’agglomération lyonnaise323.
Ces travaux réflexifs et autres comptes-rendus très fréquents servent autant à justifier l’intervention et les initiatives des techniciens de l’ADERLY auprès des principaux responsables politiques et économiques qui financent l’association (COURLY, CCIL, GIL, CGR à partir de 1989, etc.), qu’à préparer les nouvelles orientations de l’action de développement économique pour l’agglomération. Bien que les structures de représentations des intérêts patronaux lyonnais détiennent la maîtrise technique et une large part de la définition des orientations d’actions de l’association, la plus importante cotisation financière est apportée par la COURLY, qui représente les pouvoirs publics et l’intérêt général local. Sa part diminue toutefois au profit des plus petits actionnaires, couvrant près des trois-quarts des dépenses annuelles de fonctionnement en 1981, mais à peine la moitié en 1984. Les cotisations de la CCIL et du GIL suivent la même évolution à la baisse, représentant respectivement environ 40 % et 7 % du budget de l’ADERLY en 1981, contre 28 % et 5 % en 1984.
L’argumentaire général porte sur la région lyonnaise et les missions de conseils de l’ADERLY au service des investisseurs et des entreprises. Il cible plus précisément la nécessité de promouvoir le « produit » ou « concept » Lyon (ADERLY, 1982, p.2), en mettant en avant pêle-mêle son important marché de consommation, sa position de carrefour et de point de contact entre Europe du Nord, ensemble méditerranéen et Proche Orient, les qualités méridionales du cadre de vie lyonnais associées à une rigueur comportementale plus septentrionale, le bon niveau de développement économique et la masse critique déjà atteints par la métropole, le caractère valorisant et alternatif de l’implantation à Lyon par rapport aux autres villes européennes et à Paris. L’association met en avant le professionnalisme, la pertinence, la continuité et la confidentialité de son implication dans les processus d’implantation aux côtés des entreprises, ainsi que ses capacités de persuasion et d’accompagnement des personnels des établissements décentralisés depuis Paris.
Une nouvelle campagne publicitaire est lancée dans la presse en 1982, après la lecture par les responsables de l’association d’un article de la revue américaine « Institutional Investor » de mai 1981, signalant l’émergence d’une forme nouvelle de concurrence entre les états américains pour attirer les entreprises (ADERLY, 1982). Ce phénomène se cristallise notamment autour des critères de choix des sites d’implantation, annonçant l’avènement d’une nouvelle science de la localisation des firmes en contexte hyperconcurrentiel, fondée sur les externalités positives. A partir de ce constat, l’association modifie le contenu de son argumentaire de communication extérieure et de promotion territoriale. Elle définit également une nouvelle stratégie d’intervention, développée par cible géographique et par secteurs d’activités, soutenue par de nouveaux moyens d’action.
La nouvelle stratégie de l’ADERLY se veut ainsi très offensive et plus réfléchie, s’inspirant notamment des techniques militaires classiques et de leur application au monde des entreprises et à la logique économique concurrentielle. Elle prévoît des actions « en tenaille », qui consistent à agir à la fois au niveau des établissements des firmes multinationales déjà localisés en France (Paris) et au niveau des maisons mères situées aux Etats-Unis, au Japon, ou dans d’autres pays d’Europe. Une dynamique analogue est poursuivie à l’échelle française, auprès des grandes entreprises nationales implantées dans la capitale, des PME-PMI et de sous-traitants des grands groupes industriels confrontés à des problèmes d’agrandissement ou de restructuration. Elle met en lien les cibles géographiques et sectorielles avec les moyens de communication et le plan média, privilégiant les filières d’activités porteuses pour l’agglomération lyonnaise : chimie, pharmacie, informatique et électronique.
La promotion économique du territoire local et la prospection sont ainsi les volets les plus importants de l’intervention de l’ADERLY. Elle édite et diffuse des fiches techniques en quatre langues324, délivrant une information chiffrée sur 64 thèmes relatifs à la vie et à l’environnement des entreprises dans la métropole lyonnaise, destinées à sensibiliser, séduire et convaincre les investisseurs potentiels. L’association vise l’Europe et les Etats-Unis, où une représentation permanente s’organise à partir de 1981. En 1982, l’aire géographique de promotion est encore élargie au Japon. La CCIL entretient de son côté des contacts permanents avec d’autres organismes consulaires européens, notamment en Allemagne et au Benelux, pour sensibiliser les industriels et banquiers étrangers aux qualités économiques de Lyon.
L’ADERLY joue également de sa proximité avec la CCIL, qui gère l’aéroport international de Satolas, pour favoriser la création de certaines liaisons aériennes considérées comme nécessaires à la vitalité économique de la métropole325. Elles participent aussi ensemble au financement de quatre organismes de promotion de la région lyonnaise à l’extérieur, et de prospection aux niveaux national et international : l’Association Bureaux-Provinces, en collaboration avec la DATAR (voir supra, 2ème partie, Section 3), qui permet de nouer des contacts réguliers avec les grands groupes français et d’encourager les opérations de décentralisation de leurs services de décision ou de recherche ; Promolyon, structure locale intégrée à la CCIL ; Rhône-Accueil, en partenariat avec le CGR ; Lyon-International, nouvellement créée pour porter la nouvelle stratégie d’ouverture et de rayonnement de l’agglomération, souhaitée par les acteurs lyonnais.
Si cette dernière structure a un impact limité en dehors de la ville centre en raison de son portage quasi exclusif par la Ville de Lyon, l’ADERLY est cependant tenue de prendre en considération dans ses actions l’ensemble du département du Rhône, le CGR et la CCIL figurant parmi les principaux financeurs, et plus largement le périmètre de la RUL pour satisfaire les services déconcentrés de l’Etat. Les actions de développement territorial de l’ADERLY sont essentiellement situées dans les Monts du Lyonnais, c’est-à-dire en dehors de l’agglomération. Les actions de promotion internationale, de prospection et de marketing sont par contre majoritairement consacrées à la métropole lyonnaise, en particulier à sa ville centre. Le territoire couvert par les actions de l’association est ainsi à géométrie variable, en fonction de leur nature et de leurs cibles.
Accueil, promotion, internationalisation et rhétorique technopolitaine
L’ADERLY poursuit la gestion de l’observatoire de l’immobilier d’entreprise (voir supra, 2ème partie, Section 3) en l’informatisant au début des années 1980, afin d’améliorer la tenue des fichiers, l’accès à l’information et la meilleure perception des volontés de relocalisation des entreprises locales et de leurs besoins qualitatifs en matière de surfaces d’implantation. Toutefois, cette mission d’accompagnement des entreprises est rapidement stoppée à la demande des conseillers en immobilier et des commercialisateurs privés, qui constituent la principale source de renseignement de l’observatoire326. Ceux-ci se plaignent en effet de la concurrence implicite exercée par l’association à leur égard et souhaitent préserver leur marché : à la différence de l’ADERLY qui fournit quasiment gratuitement l’information sur l’offre disponible dans l’agglomération, les agents immobiliers vendent ce service à leurs clients ; en lui fournissant leurs fichiers régulièrement, ils bradent leur expertise très pointue du marché local et mettent en péril leur fond de commerce.
L’ADERLY poursuit en revanche les actions en faveur du développement des salons et des congrès à Lyon initiées en 1978, en menant des études de faisabilité et de détermination des différents types ou domaines de manifestations envisageables pour inscrire Lyon sur le marché des métropoles européennes. Elles sont complétées par des études comparatives internationales et nationales de Lyon avec d’autres grandes villes, menées conjointement avec l’AGURCO (voir infra). Un part importante de l’action de l’ADERLY est en effet destinée à améliorer l’image de la métropole lyonnaise vis-à-vis de l’extérieur et à renforcer sa notoriété. Le volet touristique et culturel de la politique économique fait notamment l’objet d’une attention croissante, afin de contrebalancer le déficit d’image de la ville dans le domaine des loisirs.
De nombreux argumentaires thématiques complètent les productions de l’association, destinés à répondre aux attentes des investisseurs potentiels en matière de possibilités d’implantation dans l’agglomération. La promotion économique du territoire local s’oriente toutefois vers une distinction qualitative, entre activités tertiaires d’un côté (publication d’annuaire et d’un guide des compétences des sociétés lyonnaises de services aux entreprises), et promotion de quelques filières industrielles de l’autre. L’association est également engagée depuis 1978 dans une démarche de suivi de l’évolution structurelle de l’industrie à l’échelle de la RUL, à la demande de la COURLY et des services de l’Etat. Les enquêtes qui alimentent le tableau de bord sont destinées à faire émerger une stratégie de développement à moyen et long terme pour la métropole lyonnaise.
La stratégie de communication et de prospection est précisée : elle s’appuie d’avantage sur l’effet d’entraînement et de séduction attendu des témoignages relatifs aux opérations de décentralisation et d’implantation d’établissements prestigieux déjà réalisées dans la région lyonnaise. Les « bons interlocuteurs » sont mieux ciblés dans les entreprises visées, et le plan média est renforcé par la mise en place d’une démarche de publicité directe, par envoi de courriers personnalisés aux responsables des firmes dans les principaux pays ciblés.
La fonction « Accueil » de l’ADERLY est également renforcée au milieu des années 1980, à travers un effort de personnalisation des propositions et de différenciation des prestations offertes par rapport aux autres villes concurrentes de Lyon. L’action de l’association dans ce domaine vise l’intégration des chercheurs, stagiaires et étudiants étrangers lors de leur séjour à Lyon327, ainsi que l’accueil du personnel des entreprises qui acceptent de décentraliser tout ou partie de leurs services décisionnels et de recherche.
A partir de l’évaluation des actions, la politique économique prend surtout un nouveau virage décisif à partir de 1984. Elle s’oriente en effet d’une part vers un positionnement sur le créneau de la haute technologie et des industries de pointe, en développant l’argument technopolitain, d’autre part vers un projet de contrat « Lyon, Ville internationale », procédure proposée par le rapport Arrighi de Casanova328 sur les fonctions internationales des grandes villes françaises, dans le cadre de laquelle l’association veut négocier un contrat avec la DATAR susceptible de concilier la volonté étatique de relancer l’aménagement du territoire et le désir local de favoriser le développement économique (ADERLY, 1983).
L’orientation de l’intervention en faveur de l’argument technopolitain émerge à Lyon en réaction à la médiatisation nationale des opérations de Sophia-Antipolis329 et de la ZIRST de Meylan330 au début des années 1980, qui relègue au second plan les efforts d’affichage de la métropole lyonnaise réalisés par l’ADERLY. Elle est également motivée par la montée en puissance de la concurrence entre les villes aux niveau national et européen, et par la suppression de l’agrément industriel en région parisienne, puis de celui portant sur les surfaces de bureaux, qui annulent l’avantage de Lyon sur Paris sur le marché des localisations industrielles et tertiaires en France (Biarez, Kukawka, 1986).
Le contexte de crise économique et d’exacerbation de la compétition entre les firmes fait en outre la part belle aux dynamiques d’innovation dans les nouvelles logiques de croissance et de développement (voir supra, 1ère partie, Section 1). L’objectif est donc de favoriser la valorisation des activités technologiques dans l’agglomération et le développement des entreprises innovantes, en s’appuyant sur le renforcement des relations entre les mondes de l’entreprise, de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Le Plan Technopole, approuvé par la COURLY, est piloté par la CCIL par le biais de l’ADERLY à partir de 1984-1985. Il s’agit d’imiter le modèle des technopôles français existants et des grandes technopoles américaines331, en combinant une triple stratégie d’aménagement de nouvelles zones d’activités sous la forme de parcs scientifiques, de sélection des entreprises candidates à l’implantation en fonction de critères d’innovation et de recherche technologique, et d’attraction de nouvelles implantations de laboratoires de recherche publics et de grandes écoles prestigieuses en jouant sur la nouvelle image économique de la métropole.
Le programme d’action est ainsi sous-tendu par des principes de transfert technologique et d’essaimage des laboratoires publics ou privés vers les PME-PMI, d’aménagement et d’animation de parcs scientifiques – ou technopôles – localisés à Gerland (Lyon 7ème), La Doua (Villeurbanne) et Lyon Ouest (à cheval sur Lyon 9ème et les communes périphériques), de prospection et d’incitation à la création d’entreprises innovantes. La première phase du plan consiste concrètement à aménager des structures d’accueil spécifiques sous forme de pépinières d’entreprises sur chacun des sites technopolitains de l’agglomération (voir infra, Section 2).
L’ambition de faire de Lyon une ville internationale constitue l’autre volet de la nouvelle orientation de la politique économique conduite par l’ADERLY, dans la continuité des efforts déployés depuis le début des années 1970 pour donner à l’agglomération une dimension métropolitaine. Toujours promue par les techniciens de l’ADERLY, elle s’appuie en grande partie sur les travaux de recherche et d’expertise de J. Labasse (1981 ; 1987), qui offrent une conceptualisation de la dimension internationale des villes appliquée à la capitale des Gaules.
Sur certains aspects, l’objectif international s’inscrit en complémentarité avec la promotion de la rhétorique technopolitaine : outre l’attraction des sièges sociaux et de grands centres internationaux332, l’implantation de grandes écoles comme l’ENS et le développement des établissements de recherche333 participent en effet directement de la construction d’une nouvelle image de marque pour la métropole lyonnaise à l’échelle européenne voire mondiale, notamment dans les domaines de la science et des fonctions métropolitaines stratégiques.
Expertise économique et vision stratégique du développement économique local
D’une façon plus générale, l’ADERLY et la CCIL, dont les services techniques sont étroitement imbriqués depuis l’origine (voir supra, 2ème Partie, Section 3), constituent dans les années 1980 les principales sources de l’inspiration stratégique et de l’acculturation des acteurs locaux aux nouvelles méthodes de management de l’action publique en faveur du développement économique territorial dans l’agglomération lyonnaise (voir supra, Section 2).
En 1986-1987, l’AGURCO choisit en effet de coopérer avec l’ADERLY et la Commission du Développement économique de la CCIL pour réaliser le diagnostic économique de l’agglomération et les études destinées à positionner la métropole lyonnaise par rapport aux autres métropoles françaises et européennes non capitales d’Etat334, menées dans le cadre des travaux préparatoires à l’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération (voir supra, Section 2). Dès 1984 lors du Colloque de prospective urbaine demain l’agglomération lyonnaise (AGURCO, 1984), la CCIL et l’ADERLY sont fortement impliquées dans les travaux de réflexion, cette dernière produisant même l’essentiel des orientations stratégiques d’action pour le développement économique à venir de l’agglomération, tandis que la première se contente de présenter ses missions d’accompagnement des entreprises et de gestion des grands équipements.
Les services communautaires comme les élus sont en revanche assez faiblement mobilisés sur le volet économique du futur document de planification, en raison de leur manque de compétence spécifique en la matière. Les techniciens économistes de l’AGURCO entretiennent donc des liens très étroits avec les organismes représentatifs des intérêts patronaux, afin d’aborder la réalisation du diagnostic économique puis du projet de développement territorial en ayant une conscience assez aiguisée des enjeux de développement territorial propres aux entreprises (Barbier de Reulle, de Courson, 1988). Les acteurs économiques sont en effet plus naturellement et traditionnellement porteurs de la vision stratégique et des enjeux du développement économique, même territorial, du fait de leur culture entrepreneuriale, que les techniciens de l’urbain et le personnel politique local.
Même si des dirigeants ou des représentants d’entreprises sont amenés à participer personnellement à l’élaboration du schéma directeur de l’agglomération de façon ponctuelle, notamment à travers des séminaires de prospective thématiques et autres consultations d’experts (voir infra), ce sont ainsi surtout les organismes institutionnels représentant traditionnellement les intérêts du monde économique local – CCIL, GIL et ADERLY – qui sont impliqués directement et durablement dans les travaux. Les chambres consulaires sont d’ailleurs officiellement associées au Syndicat d’Etudes et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise (SEPAL) tandis que l’ADERLY, structure partenariale rassemblant intérêts public et privés, est invitée à participer aux réflexions des commissions thématiques335.
La CCIL joue en effet un rôle très important dans la préparation du nouveau schéma directeur, en produisant sa propre expertise permettant de faire prendre en compte les préoccupations et les objectifs des industriels, des commerçants et des prestataires de services dans les projets d’orientation et d’aménagement spatial de l’agglomération lyonnaise (Leblanc, 1993). Début 1987, la Commission « Développement économique » de l’organisme consulaire présente ses propositions concernant les grands équipements publics collectifs à vocation économique et les principaux aménagements à réaliser, établies à partir d’une évaluation des perspectives de développement de l’économie lyonnaise (CCIL, 1987).
La réflexion de la CCIL pour préparer le nouveau document de planification urbaine de l’agglomération s’organise en deux temps, reflétant de façon particulièrement significative la grande maîtrise de la démarche stratégique dont font preuve les services techniques consulaires, à un moment – le milieu des années 1980 – où le reste des acteurs locaux du développement économique (COURLY, AGURCO) n’en est encore qu’au stade de l’acculturation progressive à ces nouvelles méthodes (voir supra, Section 2). Un diagnostic économique du territoire est d’abord réalisé, analysant les forces et faiblesses du tissu industriel et tertiaire, des structures d’accueil et des infrastructures de communications, mais aussi les opportunités et les menaces de son environnement national et international. La question de la concurrence élargie entre les régions et entre les villes, ainsi qu’une approche par le marché des implantations d’activités, inscrivent le travail de la CCIL dans la droite ligne des méthodes stratégiques issues du management des entreprises, fondées sur le recours aux études de marché et aux logiques de positionnement compétitif (Leblanc, 1993).
Le second temps de la réflexion menée par la CCIL consiste à élaborer des axes stratégiques d’orientation pour le futur schéma directeur. Ils correspondent à une liste d’équipements et d’opérations d’aménagement à réaliser dans l’agglomération lyonnaise, considérés comme prioritaires pour répondre aux besoins et enjeux de développement économique identifiés par le diagnostic. Ils doivent notamment permettre de conforter le positionnement de Lyon sur le marché des métropoles internationales et des grandes technopoles. La stratégie proposée consiste donc à mettre l’urbanisme et l’aménagement au service du développement économique, selon une logique de valorisation de l’environnement des entreprises (Lavigne, Dost, 1988).
Ce projet de développement pour l’agglomération, comme le diagnostic de l’économie lyonnaise qui le précède, correspond directement aux orientations stratégiques de l’action de l’ADERLY depuis le milieu des années 1970, fondées sur la mise en application de la culture pragmatique et managériale du monde des entreprises au service du développement économique (voir supra, 2ème Partie, Section 3). Il comporte en effet un volet prônant la vocation internationale de Lyon, devant s’appuyer sur de vastes opérations d’aménagement à vocation économique, un volet technopolitain, exprimé à travers l’enjeu foncier et urbanistique relatif à l’aménagement des trois sites de la technopole lyonnaise (La Doua, Gerland et Lyon Ouest) et un volet urbain plus global, visant à renforcer l’attractivité de l’agglomération et à améliorer l’image de Lyon (CCIL, 1987).
Cette démarche stratégique, véhiculée par les organismes patronaux locaux depuis la survenue de la crise (voir supra, 2ème Partie, Section 3), ainsi que la présentation préalable d’un diagnostic économique élargi du territoire de l’agglomération et la mise en avant du thème de la concurrence entre les territoires, sont directement reprises par l’AGURCO dans la rédaction du document de planification lyonnais final (SEPAL, 1992). Ceci traduit bien l’influence très forte dans la conduite de la politique économique locale et le rôle central des structures de représentation des intérêts économiques au sein du système d’acteurs lyonnais à la fin des années 1980, notamment en matière de transfert de la culture managériale et stratégique auprès de la sphère des techniciens de l’action publique territoriale et des responsables du pouvoir politique local (voir supra, Section 2).
Toutefois, si l’implication des organismes de représentation des entreprises dans le processus d’élaboration du nouveau schéma directeur de l’agglomération lyonnaise est certaine, elle n’est pas pour autant automatiquement synonyme de prise en compte réelle des attentes et aspirations des entreprises concernant le développement économique du territoire local. Les chefs d’entreprises ne participent guère directement aux réflexions et travaux (voir infra) : « aucun industriel, aucun banquier, aucun commerçant, aucun directeur de firme de services parmi les membres du SEPAL, ses associés, ses invités. Peu de chefs d’entreprise parmi les dizaines d’experts consultés. De la région et a fortiori du reste du monde. Cette lacune jure avec la volonté affichée d’orienter le Schéma Directeur du côté de l’économie » (Prud’homme, Davezies, 1989, p.13). La représentativité véritable des organismes consulaires (CCIL, Chambres des métiers et de l’Agriculture) comme de l’ADERLY, associées ou invitée par le SEPAL, vis-à-vis des souhaits des entreprises est en outre discutable.
Enfin, les actions préconisées par la CCIL et l’ADERLY pour favoriser le développement économique local restent globalement assez classiques, c’est-à-dire de l’ordre de l’accompagnement des entreprises dans leurs choix d’implantation : amélioration de l’environnement urbanistique et spatial des entreprises, production de surfaces d’activités et d’équipements collectifs à vocation économique. Elles sont également fortement imprégnées de la logique du marketing urbain, qui consiste à produire une image valorisante et attractive du territoire local vis-à-vis des acteurs économiques. En revanche, elles ne sous-entendent pas d’intervention des pouvoirs publics locaux dans le domaine de la stratégie économique et de la prescription d’orientations auprès des entreprises ; tout au plus tendent-elles à encourager le soutien à certaines filières industrielles, technologiques ou tertiaires moteurs pour le système productif local.
La volonté de plus en plus affirmée du Grand Lyon de s’emparer de l’approche stratégique au cours des années 1990, non seulement pour conduite l’ensemble des politiques urbaines de façon intégrée au service de l’enjeu économique, mais surtout pour développer sa propre capacité d’intervention dans le champ même de l’économie au sein de la DAEI (voir supra, Section 2), dénote donc une ambition nouvelle de prendre l’ascendant sur les organismes de représentation des intérêts économiques dans la conduite de la régulation économique territoriale. Le Grand Lyon s’arroge ainsi progressivement un rôle central en matière d’expertise économique et de vision stratégique du développement économique local, au détriment relatif de ses partenaires historiques qui sont pourtant porteurs de l’intérêt des entreprises.
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