1- Une nouvelle alliance entre patronat et responsables politiques lyonnais
La publication de la Charte industrielle de l’agglomération lyonnaise (CCIL, COURLY, GIL, 1972) marque l’émergence d’une politique de régulation économique territoriale émanant d’abord des acteurs locaux, et non plus seulement des autorités centrales de l’Etat. En l’absence de compétences de planification, d’aménagement et d’urbanisme, monopolisées par les services de l’Etat, et plus précisément de compétence économique spécifique, la COURLY, organisme institutionnel encore très jeune et inexpérimenté, se trouve quelque peu à la remorque des structures de représentation des intérêts économiques lyonnais dans la conduite de la nouvelle politique économique, qu’elles ont largement et directement contribué à faire accepter par la technostructure étatique et locale.
Certes, la COURLY institutionnalise de fait la réalité territoriale, économique et politique de l’agglomération lyonnaise, mais elle ne possède aucun savoir-faire ni pouvoir d’action propre dans le champ de la régulation économique et de l’aménagement de l’espace, hormis ceux d’abonder au financement de certaines initiatives collectives comme la création d’une nouvelle structure associative vouée au développement économique territorial, de chapoter les travaux d’études de l’ATURCO en matière d’aménagement spatial et d’urbanisme, et d’exprimer un avis sur les documents de planification élaborés par les services de l’Etat (SDAM, SDAU, POS) par le biais de son Conseil de communauté.
Dans ce contexte, l’organisme consulaire lyonnais s’affirme comme le principal acteur de la définition et de la conduite de la politique économique locale, aux côtés des instances techniques et politiques publiques de l’agglomération et des structures de représentation des intérêts patronaux. Cette nouvelle domination patronale sur l’organisation de la régulation économique dans la métropole lyonnaise s’exprime essentiellement à travers les missions de l’Association pour le Développement de la Région Lyonnaise (ADERLY), créée en 1973 par les trois principaux signataires de la Charte Industrielle (GIL, CCIL, COURLY).
Un positionnement hostile à la politique économique de l’Etat
La Charte Industrielle est présentée par les trois signataires comme une proposition de doctrine politique pour la définition des modalités de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise, non comme une proposition de mesures concrètes. Elle est ainsi d’abord destinée à servir de documentation et de synthèse informative pour les membres de la COURLY faisant partie des commissions du SDAU (notamment concernant les affaires économiques), bien que ses auteurs l’envisagent de façon indépendante vis-à-vis du futur document de planification toujours à l’étude152.
La Charte est directement destinée à servir de cadre de référence pour l’élaboration du POS de Lyon et Villeurbanne, notamment en vertu de ses propositions concernant la localisation et le contenu des zones industrielles dans l’agglomération. Elle s’appuie en effet sur l’option sous-jacente du refus de l’image de Lyon se développant de façon harmonieuse uniquement par les services, notamment les services supérieurs aux entreprises, sachant que leur développement est largement dépendant de la proximité et du dynamisme des activités industrielles153.
Les organismes signataires sont ainsi associés pour réclamer une politique de création industrielle à Lyon, en réaction à la politique tertiaire initiée par les services de l’Etat. La Charte Industrielle constitue donc de ce fait le premier élément significatif de la constitution d’une stratégie territorialisée de régulation économique dans l’agglomération lyonnaise, et d’affirmation de la primauté des intérêts économiques locaux par rapport aux objectifs généraux définis par le pouvoir central.
Le document insiste en préambule sur le ralentissement de la croissance industrielle lyonnaise depuis le début des années 1960, malgré la bonne attractivité des zones industrielles équipées par les pouvoirs publics (68 implantations de plus de 500 m² entre 1966 et 1972, contre seulement 25 hors ZI). Il rappelle également les objectifs d’emplois de la première version du SDAU de l’agglomération lyonnaise rendue publique début 1971, qui portent sur la création de 45 000 nouveaux emplois industriels et de 100 000 emplois tertiaires d’ici 1986. En matière de localisation des activités industrielles dans la métropole, le rôle que doivent jouer les ZI de la Ville Nouvelle de l’Isle d’Abeau et de la Plaine de l’Ain aux côtés des ZI de l’agglomération est certes mentionné, mais uniquement comme une volonté qui s’ajoute à celle de maintenir des emplois industriels dans le périmètre de la COURLY, afin de compléter « utilement » le projet de SDAU à l’étude.
La célèbre phrase de L. Pradel : « L’Isle d’Abeau ? Connais pas ! » , marquant l’hostilité des Lyonnais face à un projet étatique qui concurrence directement le centre économique de Lyon, est ainsi relayée par les déclarations du responsable de l’ADERLY à la CCIL, à propos du positionnement politique des acteurs lyonnais face au projet des services centraux, qui relativise fortement l’importance du pôle central lyonnais au sein de la métropole tricéphale projetée : « Grenoble et Saint Etienne ? Connais pas ! »154. Les objectifs de la nouvelle politique économique émanant des acteurs locaux portent sur le développement simultané des secteurs secondaire et tertiaire dans l’agglomération, le maintien d’un certain développement industriel organisé dans les limites de la COURLY, l’amélioration de la qualité de vie et la définition de la vocation des différents sites d’activités de la métropole, non sur la réalisation d’une vaste métropole tertiaire définie selon les enjeux nationaux du développement économique.
La problématique centrale de la doctrine stratégique de la Charte est donc axée sur une recherche d’alternative au projet étatique contenu dans le SDAM de l’OREAM, qui mise sur le développement de la métropole lyonnaise à l’échelle de la RUL et sur l’éviction des activités industrielles hors de l’agglomération centrale, au profit notamment d’un développement important des activités tertiaires. Les signataires s’accordent sur le refus très explicite de la métropole tricéphale proposée par les services de l’Etat, qui confère à l’agglomération lyonnaise un simple rôle de « sous-pôle », certes central mais non unique, au sein de l’ensemble métropolitain en construction. Plus largement, les acteurs lyonnais se rassemblent aussi autour de la volonté de changer de méthode dans la conduite de la régulation économique et territoriale, afin de permettre une meilleure prise en compte des intérêts économiques locaux dans la définition des orientations, et de favoriser l’ouverture des logiques d’action au pragmatisme et à l’adaptabilité, émanant de façon légitime des représentants du patronat local.
Au début des années 1970, les bases d’une politique économique lyonnaise nettement favorable à la poursuite de l’industrialisation dans l’agglomération sont ainsi jetées par les signataires de la Charte Industrielle. Le souci majeur est de limiter la déstructuration du tissu industriel lyonnais, mais le fort centralisme et le dirigisme autoritaire de l’Etat sont également pointés du doigt en filigrane. L’orientation tertiaire contenue dans le SDAM et dans les études préparatoires du SDAU est fortement contestée par les responsables économiques et politiques lyonnais, pour défendre les intérêts industriels locaux face au projet économique étatique, mais aussi pour revendiquer une plus grande capacité d’intervention dans la conduite de la régulation économique et territoriale.
L’Etat tente cependant de maintenir une présence politique sur le territoire local et de prolonger le projet économique conçu par ses services à l’échelle de l’aire métropolitaine, en instituant la Conférence de la RUL en 1974. Elle rassemble des représentants de la DATAR, le Préfet de Région et le Président de la COURLY (L. Pradel)155. L’entité spatiale RUL apparaît comme un outil situé à l’articulation du niveau national et du niveau régional, placé au-dessus de l’échelle de l’agglomération lyonnaise et destiné à offrir une base territoriale pertinente pour la poursuite de l’intervention de l’Etat dans le domaine industriel et tertiaire au niveau local. Ce substitut à la politique économique et spatiale volontariste de l’Etat pour la métropole s’avère toutefois bien faible, car la Conférence de la RUL reste dénuée de réel portage politique fort et de toute légitimité institutionnelle liée à des compétences techniques et financières d’intervention ou à des capacités d’expertise spécifiques.
Les responsables lyonnais s’organisent donc au sein d’un système d’acteur local susceptible de renforcer leur influence et d’asseoir leur pouvoir sur la définition de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise. Le nouveau dispositif organisationnel, relativement spontané et émanant exclusivement de la société locale, place les représentants des forces économiques en position d’interlocuteurs privilégiés des instances politiques et techniques lyonnaises, et leur permet de soutenir une orientation plutôt industrielle pour le développement économique de l’agglomération.
La survenue du premier choc pétrolier en 1973 et l’entrée de l’économie mondiale dans la crise font cependant prendre une direction sensiblement différente à la politique économique naissante, plus modérée et ouverte au choix du développement tertiaire de l’agglomération défendu par les autorités centrales. La défense des intérêts industriels apparaît ainsi en définitive comme un alibi brandi par les responsables économiques locaux, saisi au vol par les responsables politiques de la COURLY, pour contester le principe de l’économie dirigée imposé et mis en œuvre par l’Etat, pour s’opposer à l’interventionnisme systématique et autoritaire de la technocratie étatique, notamment en matière d’expertise, et pour revendiquer de façon active une plus grande implication politique et institutionnelle des autorités locales dans la gestion des affaires économiques sur le territoire.
Missions et positionnement stratégique de l’ADERLY
L’ADERLY est une association loi 1901 fondée par la CCIL, le GIL et la COURLY en 1973, afin de constituer un lieu de concertation et d’harmonisation de la politique économique de l’agglomération lyonnaise, dont les premières bases ont été jetées par l’adoption de la Charte Industrielle. Elle représente le stade opérationnel du programme de principe énoncé par les trois signataires lyonnais en 1972, et doit forger une doctrine stratégique nouvelle permettant la mise en œuvre des choix d’orientation de la politique économique locale définis par la Charte. Elle constitue également dans un premier temps, un moyen de réponse concret au « besoin de se défendre contre la politique d’aménagement du territoire » (Biarez, 1983, p.37) de l’Etat.
Au moment de la création de l’ADERLY, ses fondateurs sont en effet globalement hostiles au projet tertiaire des services de l’Etat. Les objectifs opérationnels de l’association sont donc d’abord conçus en référence à la stagnation industrielle, qui sévit depuis la fin des années 1960 dans la région lyonnaise, et à l’extrême dépendance des activités tertiaires par rapport à Paris. Ils consistent essentiellement à retenir les industriels lyonnais en mal d’agrandissement et à attirer sur le territoire local de nouvelles entreprises industrielles en quête de localisation. La mission principale de l’association est ainsi de promouvoir l’économie lyonnaise, d’œuvrer à l’amélioration de la qualité de l’environnement économique et territorial des entreprises et de rechercher de nouveaux investisseurs.
L’ADERLY doit relancer l’image de marque d’une ville traditionnellement productive, qui aurait un peu trop cru au mirage tertiaire156. La référence implicite à un refus de la politique étatique justifie également la préférence pour les usines plutôt que pour les grandes surfaces commerciales dans les premières démarches de prospection entamées par l’association, au moment où l’opération de la Part Dieu se concrétise autour de la réalisation d’un vaste centre commercial qui entache un peu l’image directionnelle et tertiaire du projet de quartier d’affaires. La survenue du premier choc pétrolier fin 1973 favorise cependant le réalignement des objectifs sectoriels de l’ADERLY sur la politique de développement métropolitain et tertiaire promue par l’Etat.
Le territoire d’intervention de l’ADERLY est défini à une échelle plus large que la stricte agglomération lyonnaise (COURLY), afin de couvrir une partie du périmètre de la RUL défini dans le SDAM. Il englobe l’aéroport international de Satolas en cours de réalisation à l’Est de Lyon, la Plaine de l’Ain et la Ville Nouvelle de l’Isle d’Abeau, marquant la reconnaissance et l’acceptation, par les acteurs politiques et économiques lyonnais, du projet d’aménagement de l’Etat planifié à une échelle beaucoup plus vaste que l’agglomération. L’action de l’association s’ouvre aussi à la thématique tertiaire, afin de permettre aux activités de services de remplacer les pertes d’emplois enregistrées par l’industrie dans l’agglomération lyonnaise, en raison du contexte de stagnation économique et d’exurbanisation des activités industrielles.
Les conclusions de la Commission de décentralisation bancaire fin 1973 ouvrent en outre de nouvelles perspectives encourageantes pour contrebalancer l’extrême centralisation des pouvoirs de décision économiques sur Paris, et permettre à Lyon de se positionner comme une alternative de localisation crédible à la capitale. L’association entend notamment rassembler et informer les acteurs économiques (établissements financiers, grands groupes nationaux et internationaux), afin de prolonger de manière plus concrète les journées de réflexion organisées sur le thème « Lyon Place Bancaire ». Cependant, cette opération ne bénéficie que du soutien épisodique des techniciens de l’ADERLY au sein de la CCIL, mais pas du personnel consulaire élu. Elle échoue donc très rapidement (voir supra).
D’autre part, le rôle de correspondant du bureau européen de rapprochement des entreprises auprès de la CEE assuré par la CCIL, facilite beaucoup le travail de promotion territoriale et de prospection nationale et internationale de l’ADERLY auprès des industriels, en favorisant les rencontres économiques entre les entreprises lyonnaises et leurs homologues européennes157. La thématique de l’innovation et des activités de pointe émerge également dans la stratégie d’intervention de l’association, à la faveur d’une collaboration étroite avec le groupement Innovexpert158, lancé par le responsable de la DATAR (J. Monod) pour promouvoir l’innovation technologique dans l’agglomération lyonnaise.
L’ADERLY est enfin désignée comme correspondant lyonnais de l’association Bureaux-Provinces fin 1974, à l’issu de la réalisation d’une étude destinée à servir d’argumentaire et de support de communication auprès des investisseurs étrangers. Il s’agit d’un dossier rassemblant les principales données qualitatives du territoire, pouvant intéresser les responsables d’une implantation en province (population, emploi, formation, logement, tourisme, loisirs, culture, services, recherche et environnement industriel), ainsi qu’un recensement des possibilités de localisation des activités tertiaires dans l’agglomération, confrontées aux critères de choix des candidats potentiels (siège social, centre administratif, centre de recherche, services d’exportation…) (ADERLY, 1974a).
L’association Bureaux-Provinces est créée début 1974 par la DATAR (Laborie, Langumier, De Roo, 1985). Elle s’inscrit dans le nouvel élan donné à la politique étatique de décentralisation tertiaire, qui doit œuvrer à la constitution de centres de décision dans les grandes villes de province comme Lyon et relancer la dynamique impulsée par la politique des métropoles d’équilibre dix ans plus tôt. La décentralisation industrielle et des fonctions de commandement n’a en effet pas suffi à assurer aux métropoles régionales une réelle autonomie de développement, malgré la nouvelle répartition des activités économiques opérée à l’échelle nationale. L’association est un plateforme de rencontre entre les entreprises et les territoires, un outil destiné à lutter contre la polarisation des fonctions tertiaires dans la région parisienne et à favoriser la communication des villes françaises à l’étranger. Son rôle est de centraliser et de diffuser des informations sur les marchés tertiaire et de bureaux, grâce à un réseau d’acteurs politiques et économiques implantés dans les territoires : élus locaux, municipalités, CCI, Comités d’expansion, syndicats professionnels et patronaux, chefs d’entreprises, personnalités du monde des affaires.
Les missions de l’ADERLY s’inscrivent donc dans le droit fil de la politique nationale d’aménagement du territoire pilotée par l’Etat, mais l’association est étroitement contrôlée par les acteurs lyonnais, notamment les représentants des forces économiques, et non par la technocratie étatique. Les objectifs s’articulent autour d’une vision renouvelée de la dépendance par rapport à Paris et de la nécessité d’un développement tertiaire, « post-industriel », de l’agglomération : redonner à Lyon et à sa région la place et le rayonnement qu’ils méritent à l’échelle nationale et internationale, faire de Lyon une alternative crédible à Paris et aux autres grandes métropoles européennes, concilier contraintes du développement économique et impératifs de la qualité de vie dans l’agglomération159. L’accueil du tertiaire et la qualité du développement constituent ainsi les objectifs prioritaires de l’association, qui ne renonce cependant pas à l’objectif fondateur de son action, la promotion et l’industrialisation de l’agglomération.
L’organisation du système d’acteurs local au service des intérêts économiques lyonnais
Dès le début de l’épisode de la Charte Industrielle, la CCIL propose de prendre en charge au sein de ses services la gestion d’un Bureau de développement de la région lyonnaise, ou Bureau d’Industrialisation, voué à l’accueil des investisseurs économiques potentiels. La création de l’ADERLY concrétise ce projet et officialise la position de leader des autorités consulaires et du patronat dans la mise en œuvre des orientations de principe de la politique économique lyonnaise.
La responsabilité de l’ADERLY est en effet confiée à un permanent de l’organisme consulaire, placé à la tête d’une équipe de techniciens spécialisés sur les questions économiques. La CCIL tire sa légitimité à se saisir officiellement de la nouvelle tâche de développement économique local de son expérience technique acquise dans le domaine de l’économie (réalisation et gestion d’équipements collectifs à vocation économique, aménagement de zones industrielles, représentation et assistance des entreprises) et de sa qualité d’établissement public au service de l’intérêt général. Cette double légitimité institutionnelle et technique lui est conférée à la fois par l’Etat de manière indirecte (tutelle des ministères de l’Equipement et des Finances), par les responsables de la COURLY qui voient dans l’ADERLY l’outil indispensable de la mise en œuvre de la politique économique locale, grâce aux compétences pointues des services consulaires, et par le GIL, principal syndicat patronal lyonnais et majoritaire dans l’assemblée élue de la CCIL.
Ce positionnement convergeant des acteurs locaux s’exprime notamment par le vote unanime de la participation de la COURLY à l’ADERLY en conseil communautaire160, qui « donne une caution morale et politique au travail déjà entrepris fin 1972 par la direction du développement économique de la CCIL qui doit être l’outil opérationnel de l’ADERLY »161. Des votes semblables au sein de l’assemblée de la CCIL et du conseil d’administration du GIL confirment le caractère prioritaire et partagé, par les acteurs publics et privés locaux, de la question du développement économique dans l’agglomération lyonnaise. La création de l’ADERLY marque ainsi la double reconnaissance du pouvoir de gouvernement local, territorial de la Communauté urbaine, et de l’appui technique et politique nécessaire apporté par la CCIL et par les représentants patronaux dans la conduite de la politique économique locale, en l’absence de compétence d’intervention économique spécifique au sein de la COURLY.
Les membres fondateurs de l’ADERLY sont rapidement rejoints par la plupart des organismes publics, étatiques et locaux, concernés par les questions de régulation économique et d’aménagement du territoire dans la métropole lyonnaise (CGR, OREAM, DDE, Mission régionale, SERL, Comité d’expansion régional, EPIDA…), et par les représentants des principales entreprises de l’agglomération (CCIL, 1974). Les premières années, l’association est administrée par un conseil de direction composée de cinq à huit membres sans président162, afin d’éviter que l’un des trois organismes fondateurs ne prenne le dessus sur les autres et pour faciliter aussi un affichage politique et médiatique neutre, sans connotation administrative ou publique (COURLY) ni patronale (GIL, CCIL). La poursuite de l’intérêt général économique local à l’échelle de la région lyonnaise est ainsi mise en avant dans la présentation des missions de l’ADERLY163. Seuls les organismes financeurs siègent au conseil de direction de l’association.
Cependant, la mainmise du patronat sur l’ADERLY est particulièrement visible à travers son mode de gestion par la CCIL (Bureau de développement économique) et par la très forte implication des représentants des intérêts économiques locaux dans le fonctionnement de l’association. Le Bureau de Développement Economique de la CCIL, outil opérationnel de l’ADERLY, est ainsi chargé d’animer les différents groupes de travail ou commissions spécialisées, de faire réaliser les opérations promotionnelles de caractère général définies par les membres et d’assumer le rôle d’accueil, d’information, d’aide et d’orientation auprès des entreprises désireuses de s’agrandir ou de s’implanter dans l’agglomération. Il assure enfin le rôle de rapporteur et d’organe d’exécution pour l’association, sans toutefois se substituer aux organismes d’études existants.
Parallèlement, un conseil composé d’industriels avertis (membres de la CCIL, du GIL ou des grands syndicats professionnels lyonnais) est institué en « Club de promotion », réunissant les principaux dirigeants des grandes entreprises nationales ou multinationales implantées dans la métropole lyonnaise. L’Association des Cadres et Dirigeants de l’Industrie pour le progrès social et économique (ACADI) rassemble ainsi les figures emblématiques de la grande industrie à Lyon, comme P. Berliet, A. Riboud (BSN), C. Mérieux, J. Courbier (Chimique de Gerland), R. Gillet (Rhône-Poulenc), R. Pelletier (CGE164), P. Jouven (PUK165) et J. Montet (Rhône-Progil).
Elle joue le rôle d’« outil de propagande »166, véritable groupe de pression qui relaie les actions et les intérêts des fondateurs de l’ADERLY (i.e. le patronat lyonnais issu de la grande industrie) auprès des autorités politiques locales et nationales. Elle intervient notamment dans le cadre des travaux de l’Association Grand Delta et au cours des réflexions concernant l’orientation de la politique économique dans la métropole lyonnaise, menées par la DATAR, l’OREAM et les représentants des intérêts politiques et économiques locaux au début des années 1970. Ses membres sont régulièrement conviés aux réunions organisées par les responsables politiques de la COURLY ou par les instances consulaires, afin de débattre notamment des enjeux de la problématique industrielle face à ceux de l’urbanisation et de la planification. Les réunions « Urbanisation/ACADI » permettent ainsi aux autorités publiques locales, politiques et techniques (COURLY, SERL, ATURCO), de s’informer des besoins et intérêts des grandes firmes industrielles et de s’imprégner des conceptions managériales et pragmatiques issues du monde des entreprises, pour gérer plus efficacement l’aménagement spatial dans l’agglomération (voir infra).
L’intégration des représentants patronaux liés aux grands groupes industriels nationaux dans le nouveau système d’acteurs local montre que l’enjeu de fond pour le patronat lyonnais comme pour les élus locaux est surtout la reprise en main de la conduite de la politique économique sur le territoire de l’agglomération lyonnaise, et pas tellement la remise en cause des objectifs et des principes de la régulation étatique. Ce n’est en effet pas tant la contestation des orientations métropolitaines et tertiaires de la politique économique de l’Etat qui est sous-tendue par l’adoption de la Charte Industrielle puis par la création de l’ADERLY, que la volonté affirmée des responsables économiques et politiques lyonnais de voir leur légitimité et leur capacité de gestion du développement économique sur le territoire enfin reconnues par les autorités centrales. Pour les représentants patronaux, il s’agit aussi d’influencer plus directement l’orientation de l’intervention publique en matière économique et d’améliorer la prise en considération des besoins concrets et spécifiques des entreprises dans la conduite de l’action.
La création de l’ADERLY, la définition des missions et le mode de gestion choisi marquent ainsi le retour du milieu économique local dans la gestion des affaires économiques de l’agglomération, qui se réorganise pour avoir plus d’influence sur la conduite de la politique économique et de l’aménagement du territoire au niveau local. La construction d’une capacité d’expertise économique et territoriale locale par le Comité d’expansion lyonnais, apte à participer à la définition de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise, a en effet été contrariée par l’intervention dominatrice des services de l’Etat durant les années 1960 (voir supra, Section 2). La création de l’ADERLY offre donc une nouvelle possibilité pour le patronat lyonnais de participer activement à l’orientation et à la conduite de la politique économique locale, par l’entremise de la CCIL, le partenariat avec les autorités politiques de l’agglomération (COURLY) lui conférant en outre une nouvelle légitimité pour intervenir dans le débat public.
L’ADERLY est toutefois contestée dans sa forme décisionnelle et organisationnelle par les élus de l’opposition socialo-communiste à la COURLY et par les représentants des syndicats de salariés, qui reprochent ouvertement le parti pris de l’association, favorable aux grandes entreprises et aux chefs d’entreprises, au détriment des intérêts des travailleurs et de la société civile de l’agglomération lyonnaise. Ils sont tenus en dehors de l’association (les représentants de la COURLY sont issus de la majorité en place et les syndicats ouvriers ne sont pas représentés), qui s’ouvre en revanche aux représentants des grandes firmes implantées dans l’agglomération (Elf, EDF, Berliet – RVI, CNR, Delle-Alsthom…) et aux représentants des services publics techniques ou administratifs (OREAM, DDE, SERL, Mission régionale…).
La prise de pouvoir du patronat dans l’élaboration et la conduite de la nouvelle politique économique de l’agglomération lyonnaise s’appuie ainsi sur l’accord tacite et le partenariat institutionnel conclus avec les autorités politiques locales, mais également sur celui plus implicite des autorités gouvernementales nationales. Ce système de participation et de gestion partenariale de l’action publique est mis en œuvre dans l’agglomération lyonnaise dès le début des années 1970, avant même la survenue avérée de la crise économique. Il s’apparente beaucoup à ce que désigne la notion de gouvernance (voir supra, 1ère partie). Il permet notamment de faire pénétrer les idées et la manière, propres au monde des entreprises, d’aborder les questions économiques au cœur des modes de gestion de l’action publique et des démarches de définition et de conduite de la politique économique locale.
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