Conclusion.
Il est d’abord à relever une grande variété d’acteurs et de pratiques, ainsi qu’une multiplication et une diversification des projets personnels. La société périurbaine ne se résume pas aux migrants pendulaires, et à leurs pratiques ; nombre de projets personnels dépassent la simple acquisition d’une maison individuelle dans le cadre d’un projet familial. La confrontation/partenariat entre les logiques individualistes des acteurs et le territoire produisent des pratiques innovantes, source de diversité sociale. Les différentes innovations exigées et permises par ces territoires diversifient en effet les pratiques périurbaines et les complexifient, les insérant dans la dynamique du changement de la société occidentale en son ensemble.
c1 Instabilité, flexibilité et précarité comme modernités.
L’instabilité et la flexibilité caractérisent nombre des innovations personnelles, qu’elles soient relatives à la mobilité, au logement ou à l’emploi. Ces caractéristiques semblent s’ériger en valeurs fortement distinctives pour de nombreux résidents périurbains aisés ou moins aisés. Elles sont le signe de leur participation aux dynamiques d’une société moderne, où prime la mobilité sociale et spatiale.
Ces valeurs sont aussi adoptées et revendiquées par les résidents en situation de précarité voire de pauvreté. Dans une commune péirurbaine, la précarité n’a pas le même poids qu’en milieu urbain, où elle est associée à des valeurs fortement négatives. Les emplois précaires, les locations d’appartements sont conçus comme des projets et pas seulement comme des pratiques palliatives ; elles visent à favoriser la mise en place d’un projet personnel global. Ainsi, l’instabilité passagère ou durable, l’éphémérité des pratiques, ne sont-elles pas forcément signe d’échec pour ceux qui les vivent et/ou mettent en oeuvre.
Les situations d’instabilité semblent participer pour certains de choix de vie consciemment mis en oeuvre : louer est vraiment un acte volontaire et choisi ; chercher des petits boulots est également habituel et moins connoté négativement, sauf pour les personnes locales, qui retrouvent le même type de pression sociale relativement au chômage ou à la précarité de l’emploi. L’installation en territoire périurbain, dans des conditions instables, participe ainsi des stratégies résidentielles, familiales, professionnelles de l’individu, sous la forme d’un pari sur le territoire.
La précarité, c'est-à-dire l’incertitude vis-à-vis des moyens de subsistance, de logement, d’emploi, l’instabilité des situations personnelles, est ainsi affirmée comme participant d’un projet personnel fort, que le territoire périurbain permet particulièrement de mettre en œuvre voire justifie. Il semble ainsi être à même de permettre l’intégration de la précarité et de la pauvreté, par la mise en place de pratiques de coopération ou d’échange qui servent les projets individuels des acteurs.
Cette instabilité peut même être positionnée comme le point névralgique du projet personnel de l’individu, conçue comme garantie d’une gestion personnelle et libre du temps, de l’espace, et de la relation à autrui. Des artistes et des écrivains, mais pas seulement, ont exprimé ce désir de liberté qui ne peut se comprendre que dans une relation instable à la société et à l’espace.
c2 Individualisme et production d’innovations.
L’ensemble de ces valeurs sont à relier fortement à l’idéologie individualiste qui marquent les sociétés occidentales, et ce que l’on voudrait appeler, en suivant le sociologue Alain Touraine, la modernité294. Celle-ci est caractérisée par l’émergence de l’acteur ou du Sujet - pour adopter encore la terminologie d’Alain Touraine - comme « volonté d’un individu d’agir et d’être reconnu comme acteur295 ». L’ensemble des pratiques et comportements de l’individu participent alors d’une histoire personnelle de vie, d’un projet global, au sein duquel il se positionne comme référence principale. Roger Sue écrit dans le même sens : « l’individu est le producteur des valeurs et des modèles qui l’orientent, mais surtout est de plus en plus conscient d’être ce producteur et le référent de ces valeurs. Il s’opère une inversion du rapport social par lequel l’individualité sous toutes ses formes (sujet, acteur) devient le primat et le déterminant dont la société résulte296. ». L’acteur n’est ainsi pas celui qui agit conformément à la place qu’il occupe dans l’organisation sociale mais celui qui est à même de modifier les conditions sociales ou d’habitation dans lesquelles il est inséré, ensemble de déterminismes auquel il répond par l’invention de pratiques sociales inédites.
L’ensemble des innovations identifiées dans ce chapitre semblent relever de ce type de dynamique en premier lieu ; les innovations sociales personnelles montrent la mise en confrontation d’individualités et de territoires, de projets personnels et d’un ensemble de contraintes et de possibilités. Elles engagent des processus de valorisation ou de détournement des divers déterminismes territoriaux, pour la réalisation des intérêts individuels des acteurs.
c3 Individualisme versus engagement local. Mobilités et ancrages.
Marquées de mobilité spatiale et sociale, de flexibilité et d’instabilité, ces pratiques sont aussi et en toute logique empreintes d’une volonté de stabilité, que l’ancrage territorial permet de mettre en œuvre. Les territoires périurbains exigent et permettent tout particulièrement l’émergence de pratiques jouant de la mobilité spatiale comme d’une garantie d’insertion dans les dynamiques urbaines, et du territoire local/rural et de ses caractéristiques comme des « repaires » pour l’individualité des acteurs.
Les nouvelles formes de participation aux décisions locales et l’émergence d’une démocratie participative, si elles restent partielles n’en sont pas moins effectives, et s’inscrivent dans la démarche individualiste évoquée.
Pour autant que ces projets et innovations sont marqués d’une logique individualiste, dans quelle mesure marquent-ils les territoires de façon spécifique et participent-ils du changement territorial ? Actions et pratiques personnelles inscrites dans le cadre strict des projets personnels des acteurs semblent s’internaliser spécifiquement dans les territoires périurbains. Ce type de processus innovants intégrés dans les dynamiques de la société occidentale moderne semblent ne pouvoir que difficilement participer des processus du changement des territoires concernés, sinon par leur constante intégration dans des dynamiques sociales élargies.
Ainsi, les actions et pratiques ne dynamisent pas radicalement les communes, les pouvoirs municipaux, ni la société civile en son ensemble. Cette remarque est à étendre à l’ensemble des processus d’innovation personnelle. Pour la plupart, elles restent inscrites dans le projet personnel des individus, et leur diffusion est faible, ou tout au moins entraîne rarement une adhésion unanime, ou la mise en place d’innovations institutionnelles pour valider les processus engagés par ces innovations organisationnelles.
Plus précisément, et au-delà du processus innovant lui-même, les différentes innovations relatives à la gestion de la mobilité, au logement, à l’activité et à l’implication locale tendent à relancer une occupation diurne des territoires, en dehors de ces acteurs traditionnels : femmes au foyer, retraités, artisans. La question qui y est corrélée de la reprise ou de la dynamisation de la vie locale par ce biais reste sans réponse affirmée : on peut toutefois en douter ou du moins réserver notre avis. Les activités personnelles participent surtout d’une dynamique sociale plus vaste, et le lien innovations/territoires locaux est ténu.
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